Geoffrey Chaucer
Sais-tu, Amélie, que j’ai reçu des nouvelles de France
hier !
Un de mes amis chers m’a envoyé un courriel me disant qu’il
gèle ! Tâche de ne pas prendre
froid. Depuis ta naissance tu as souvent été malade, d’après ce que ta mère m’a
dit. Tu prends froid à la garderie ou dans les tourbillons d’air au pied des
Tours…
Ta maman est née à
Metz, un 25 novembre à 23h30. Or, pendant qu’elle faisait son apparition
dans le monde, la neige s’était mise à tomber si dru que le lendemain tout était
uniformément blanc et qu’il régnait sur la ville un silence sépulcral. Le ciel
était gris anthracite. Le terrible hiver Lorrain commençait. Mais,
contrairement à toutes mes amies qui avaient accouché en même temps que moi, je
n’ai jamais sorti mon bébé l’hiver. Elle n’a donc jamais attrapé froid, ni
d’ailleurs souffert d’aucune maladie au cours de sa petite enfance.
Penser aux froidures hivernales et aux rigueurs du climat
européen ramène à ma mémoire une image familière : le seul portrait que
l’on ait de l’homme dont je t’ai parlé lundi : Geoffrey Chaucer. Et
sais-tu pourquoi ? Tout simplement parce que cette image le représente
vêtu d’un gros manteau de laine ! Tien, le voilà. Qu’en penses-tu ?
Geoffrey Chaucer (Londres 1340-1400)
Je l’aime beaucoup. Aujourd’hui, je vais te le présenter.
Quand on veut présenter quelqu’un, on commence généralement
par parler de sa famille. Et bien, elle était d’origine française. Son arrière
grand-père s’appelait Monsieur Chausseur. Comme à cette époque il était assez
courant de prendre son métier comme nom de famille, ou son lieu de naissance,
voire même un surnom, cela veut dire qu’il fabriquait des chaussures.
Aujourd’hui on dirait qu’il était artisan-commerçant. Il travaillait le cuir,
prenait les mesures des pieds de ses clients et clientes, et fabriquait de
grandes bottes ou de petits souliers. Cela devait sentir bon dans sa
boutique….. Ses affaires marchaient bien et sa famille était à l’aise.
Mais son fils ne lui succéda pas. Il utilisa le capital reçu
à la mort de son père pour se lancer dans un autre commerce, celui du
vin ! Traditionnellement, les anglais étaient grands buveurs de bière. Il
faut croire que moi, j’ai eu un ancêtre anglais ! Mais avec l’arrivée des
français sur la Grande Ile à partir de 1066, date de la victoire du Duc
Guillaume de Normandie sur le roi Harold Godwinson, ils se mirent à aimer le
bon vin, et plus particulièrement le vin de Bordeaux. Alors, Monsieur
Chausseur, après avoir changé l’orthographe de son nom pour l’angliciser en
« Chaucer » se mit à importer des barriques de France, à mettre le
vin en flacons et à le vendre aux gens riches de la capitale : Londres. Les
affaires marchaient très bien et son fils John qui lui succéda devint même très
riche, car non seulement les gens de la Cour
mais également le roi en personne, devinrent de fidèles clients !
Tu vois, aujourd’hui, ta maman fait le même métier. Elle
achète du vin de Bordeaux et l’envoie en Chine pour le vendre. Peut-être que,
dans quelques années, le Président de la République Populaire de Chine
deviendra son client ? ! Après tout, pourquoi pas ? Les hommes
du monde entier apprécient les vins français.
Monsieur John Chaucer était un homme intelligent et capable,
il avait de nombreux amis et relations d’affaires, il était riche et se maria.
Il épousa Damoiselle Agnès Copton. Oui, Agnès, comme ta tante. Elle était douce
et raffinée, et très riche ! Il n’y avait pas moins de vingt-quatre
boutiques dans Londres qui lui appartenaient. Une fois mariée, elle eut des
enfants, dont Geoffrey, qui naquit à Londres en 1343. Tu te rends compte !
Cela fait 672 ans ! Et toi, tu n’as pas deux ans…. Comment était
Geoffrey ? D’abord, un bébé joufflu et fessu, beaucoup plus gros que toi.
Il avait beaucoup d’appétit et était très gourmand. Mais il était sage et
gentil. Et tout l’intéressait. Quand il sut parler, il se mit à poser beaucoup
de questions, puis il réfléchissait pour comprendre et il avait une excellente
mémoire. Son père, tout heureux d’avoir un fils si aimable et si doué, fit venir
d’excellents professeurs chez lui. En effet, à cette époque, il n’y avait pas
encore l’école obligatoire pour tout le monde, filles comme garçons, ni
collèges et lycées. On étudiait chez soi si l’on en avait les moyens et
l’envie, et chacun allait à son rythme. Les gens les plus riches pouvaient
payer les meilleurs professeurs. Quelle belle époque c’était pour les amoureux
des études………
D’abord, le petit Geoffrey apprit le latin et le français.
C’étaient les deux langues officielles de l’époque. Le Latin, la langue de
l’Eglise, était parlé par tous les clercs, les professeurs et les savants, et
les livres étaient écrits en cette langue. Le Français était l’apanage des
fonctionnaires du gouvernement et la langue de la diplomatie et de la
littérature contemporaine – en France, naturellement – bref, la langue des gens
cultivés et influents. Quant à l’Anglais, ce n’était que la langue du peuple,
des gens qui n’étaient ni instruits, ni fonctionnaires, ni en contact avec des
étrangers. Tu vois comme les choses ont changé en 672 ans ! Maintenant, le
Latin est une « langue morte », ce qui veut dire qu’elle n’est plus
parlée, et étudiée pour la lecture seulement par une petite élite dorénavant
marginale. Le Français reste la langue des gens cultivés et des diplomates – à
cause de son extrême précision- mais étant très difficile, de plus en plus
rares sont les gens qui peuvent maîtriser la « langue de Molière »,
la parler avec aisance et surtout, l’écrire ! Quant à l’Anglais, c’est à
présent la langue des affaires, du tourisme, des réunions internationales, des
ordinateurs…. Bref, la langue des nouvelles valeurs. Le monde entier étudie
l’Anglais, on le parle de mille façons, avec tous les accents possibles, mais
« il faut » connaître, au moins superficiellement, quelques mots de
cette langue pour survivre dans notre monde contemporain. Or, sais-tu qui l’a
mise à l’honneur pour la toute première fois de l’Histoire ? Notre
Geoffrey !
Il n’eut pas que des Maîtres de langues, mais aussi de
toutes sortes de matières tant scientifiques que littéraires, et après avoir lu
et étudié beaucoup de livres, il se mit à en écrire lui-même sur toutes sortes
de sujets et dans les domaines les plus variés, tels que la poésie, la
philosophie, l’astronomie, l’alchimie…..Il le fit tout au long de sa vie. Son
livre le plus célèbre s’intitule « The Canterbury Tales » en Français
« Les Contes de Canterbury ». Plus tard, je t’expliquerai ce que
c’est. Mais sache dès à présent que c’est à cause de ce livre qu’on l’a appelé
« Le Père de la littérature anglaise » car ce fut le tout premier
livre à être écrit en langue anglaise, alors que tous les autres étaient écrits
en Latin ou en Français.
Dès qu’il fut adolescent, il devint le Page de Madame
Elizabeth de Burgh, Comtesse d’Ulster. C’était une grande dame qui avait épousé
Lionel, Duc de Clarence. Or, ce Duc était le second fils du roi ! Et tant que Page, Geoffrey devait tenir
compagnie à la Comtesse. Mais elle le céda à son mari lorsqu’il partit en France,
pensant que cela serait bon pour son éducation, et aussi, peut-être, pour voir
s’il se découvrirait une vocation militaire. Car, en 1359, le roi d’Angleterre
- qui s’appelait Edouard III - partit en campagne militaire en France. Il était
devenu très puissant et voulait se faire couronner roi de France, car son
grand-père, Philippe VI Le Bel, l’était. C’était le début de la Guerre de Cent
Ans, entre la France et l’Angleterre.
Geoffrey avait 16 ans. De nos jours, un garçon de 16 ans est
considéré comme un grand galopin, et tout ce qu’on lui demande est de réussir
sa compo de maths ! Il faut dire que l’objectif n’est pas tellement
motivant…..Il n’en était pas ainsi autrefois. C’est à 14 ans que Guillaume,
fils de Robert le Diable – ou Robert le Magnifique – était devenu Duc de
Normandie, avant de devenir roi d’Angleterre sous le nom de Guillaume le
Conquérant. A 16 ans, on était considéré comme adulte et responsable et on
pouvait se marier. De nombreuses jeunes filles l’étaient même avant cet
âge ! Il n’est donc pas étonnant que notre ami ait dû accompagner le Duc
de Clarence sur le Continent. L’année d’après – en 1360 donc – Edouard III mit
le siège devant Reims. Cela veut dire que les soldats anglais campèrent tout
autour de la ville, espérant que les rémois allaient se rendre pour éviter de
mourir de faim. Cette ville était très importante pour ce qu’elle
représentait : c’était là que les princes français étaient sacrés rois.
Pendant le siège, les soldats français s’approchaient des anglais pour leur
chercher querelle ou faire des prisonniers. C’est ainsi qu’un jour, ils
s’emparèrent de Geoffrey et demandèrent Ranson.
Pour eux, c’était une bonne aubaine. Geoffrey était jeune,
instruit, de famille riche, et le chouchou du Duc de Clarence. « Demander
Ranson » voulait dire qu’on annonçait la valeur estimée du prisonnier. Si
la partie adverse payait, on le libérait. Sinon…. Soit il pourrissait en geôle,
soit on l’exécutait. Les français demandèrent donc beaucoup d’argent pour
libérer le jeune Chaucer : 16£ - ce qui était, parait-il, une somme
considérable pour l’époque. Et qui paya ? Ni John Chaucer son père, ni
Lionel de Clarence, son patron. Mais le roi Edouard III en personne !
Certes, c’était flatteur car ainsi il montrait en quelle
estime il tenait la famille Chaucer. Toutefois, cette expérience avait suffi à Geoffrey. Il avait compris ! La
guerre, la vie militaire, les escarmouches et les sièges de villes fortifiées
n’étaient pas sa tasse de thé ! Il rentra sur la Grande Ile et se consacra
à d’autres affaires.
Il aimait étudier, lire et écrire, et comme il parlait
plusieurs langues, il se mit à correspondre avec deux écrivains Italiens.
Pétrarque, un poète, et Boccace, un conteur. Tous deux sont devenus très
célèbres. Il ne voulait plus aller à la guerre, mais comme il était très
intelligent et polyglotte, Edouard III l’envoya plusieurs fois en mission
diplomatique. Mais comme ces missions étaient secrètes….Shut ! Il ne faut
pas en parler !
Toutefois, il fallait qu’il voyage pour remplir ces
missions. Il n’aimait pas beaucoup ça car il préférait son confort. Il fallait
aller à cheval ou à dos de mulet sur des chemins défoncés, boueux, et
glissants. Traverser des forêts remplies de brigands et de sales types prêts à
vous tuer pour presque rien. Et encore heureux si on ne rencontrait pas une
bande de loups affamés l’hiver ! Alors, on arrivait, tout grelottant de
froid, le manteau détrempé de pluie ou couvert de neige, dans des auberges
enfumées où on vous servait de drôles de viandes et où il fallait dormir dans
des lits pas propres, souvent à plusieurs, et passer la nuit à se gratter parce
qu’il y avait des puces et des punaises….. Enfin, j’espère que le roi donnait
assez d’argent à son « Chargé de missions très spéciales » pour qu’il
se paie un gentil mulet, une selle confortable et une chambre propre. Mais même
en payant, ce n’était pas garanti…..
Quand on pense qu’aujourd’hui, on peut aller à peu près
n’importe où dans le monde en quelques heures seulement – voiture ou avion –
dîner bellement et ensuite dormir dans un lit douillet après avoir pris une
bonne douche chaude ! C’est vraiment le cas de dire que les temps ont
changé !
Geoffrey, tout en poursuivant ses activités
« d’Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire incognito »,
continuait à écrire à ses correspondants Italiens, Pétrarque et Boccace, tant
et si bien qu’ils finirent par devenir amis, et qu’un jour, les deux italiens
invitèrent leur collègue anglais. D’une part, il n’était pas question pour eux
de venir à Londres, le climat y est bien trop mauvais ! D’autre part, le
roi avait chargé Chaucer d’une mission diplomatique – il pouvait donc joindre
l’utile à l’agréable – ce qu’il fit. Et après avoir rempli sa mission, il prit
de belles vacances sous le soleil d’Italie en compagnie de ses deux amis. Ils
discutèrent longuement en buvant du bon vin italien – ce qui changeait Chaucer
du vin de Bordeaux ! Ils échangèrent leurs vues sur la poésie et la
littérature de leur époque, et Chaucer revint en Angleterre la tête toute
pleine d’idées nouvelles et de projets littéraires. Comme quoi, il faut voyager
pour être inspiré ! C’est d’ailleurs après ce voyage qu’il se mit à
composer son livre le plus célèbre : « Les Contes de
Canterbury ». Et ces Contes, il les rédigea en anglais, comme Boccace
avait écrit les siens en italien, pour que tout le monde puisse les lire.
Ca, c’est ma version personnelle des voyages italiens de
Chaucer. Mais si tu lis sa biographie, tu trouveras des variantes à l’histoire.
Certains pensent même qu’il n’a jamais rencontré personnellement Pétrarque et
Boccace – pas plus que Dante d’ailleurs, autre écrivain des plus célèbres. Mais
de même qu’on n’a pas de preuve pour l’affirmer, on n’en n’a pas non plus pour
contredire mon récit. Et quant bien même cela serait, je crois que c’est
l’esprit qui compte.
J’ai lu le « Décaméron » de Boccace et les
« Contes de Canterbury ». C’est très amusant ! Il faudra que tu
les lises un jour, Amélie. On apprend des tas de choses et on rit beaucoup.
D’ailleurs on a fait des films comiques avec certaines de leurs meilleures
histoires. Ca aussi, c’est un merveilleux outil de culture : le cinéma.
Mais c’est un autre sujet.
En Angleterre, Geoffrey était de mieux en mieux considéré,
surtout parce qu’il avait la faveur et la confiance du roi. Comme il avait
largement l’âge de se marier, il épousa Damoiselle Philippa de Roet. Elle était
d’une très bonne famille, riche, et aussi très bien en cour puisqu’elle avait
le titre de Dame de Compagnie de la reine Philippa de Hainaut. Et comme tu le
vois, elle portait le même prénom que la reine. On ne sait pas si elle était
jolie…. Moi, je l’imagine blonde, le teint très pâle, et portant une robe
verte.
Philippa
de Roet-Chaucer, et Philippa de Hainaut, épouse de Richard III
Quant à Geoffrey, il n’était pas bien beau. De taille
moyenne, cheveux bruns, barbichette – chose que je déteste personnellement – et
comme il aimait bien boire et bien manger, il n’arrêtait pas de prendre des
kilos. Passés les quarante ans, sa bedaine l’empêchait déjà de porter des
vêtements élégants. Mais cela lui était égal ! Et puis, comme il fait
toujours froid et humide à Londres, il trouvait pratique d’avoir un peu de
graisse sur le dos et de porter d’épais manteaux de laine qui lui tenaient
chaud en cachant son ventre. Ah ! Ah ! Ah !
Mais je suppose qu’il avait tout de même fait un effort pour
le jour de son mariage. Au Moyen Age, on ne portait pas encore de robe blanche
ni de costume trois pièces. Chacun mettait ses plus beaux vêtements pour se
marier. Les filles portaient souvent du rouge, et les hommes aimaient aussi les
vêtements colorés. Ce n’était pas du tout comme de nos jours où tout le monde
se vêt uniquement de noir !
Regarde ce couple. Cette image date du XV° siècle,
c'est-à-dire que tu peux voir quelle était la mode peu de temps après que
Geoffrey soit parti pour un monde meilleur. La jeune femme porte une cotte
mauve par-dessus sa chemise de fine batiste dont on devine les broderies sous
le collier, et un surcot d’épais lainage rose vif, de grande ampleur,
puisqu’elle en pose la traîne sur son bras. Sur la tête, un hennin, coiffe
pointue entourée d’un voile de mousseline. Quant au jeune élégant, des chausses
moulantes et un peliçon décolleté sur une cotte mauve. Il a un joli chaperon
noir agrémenté d’une plume…de héron, peut-être ? Et il porte sûrement des
poulaines bien longues.
La jolie dame en rose aussi. Ces poulaines étaient des
souliers très pointus du bout, mais également très fragiles. Or, ici, il est
évident que ce couple se promène sur un chemin de campagne. Donc, ils ont
sûrement enfilé une paire de galoches – des souliers munis d’épaisses semelles
en bois léger et maintenus sur les poulaines par des lanières de cuir – afin de
les protéger de la boue et des cailloux.
Couple élégant au XV° siècle
Bon, après cette petite digression typiquement féminine,
revenons à notre héros. Après leur mariage, Geoffrey continua ses voyages et
ses recherches. Il alla en pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle – comme
Oncle Benoit le fit plusieurs fois – et en mission diplomatique secrète.
Pendant ce temps, Philippa restait à Londres aux côtés de la reine. Mais ils
eurent des enfants. D’abord un fils : Thomas, qui était très brillant et
particulièrement bien en cour, et dont la fille : Alice, épousa le Duc de
Suffolk. Socialement, c’était une très belle réussite. La petite petite fillotte
du Chausseur était devenue Duchesse ! Une fille : Elizabeth, entra au
couvent. Mais sa sœur, nommée Agnès – comme sa grand-mère – vécut à la cour du
roi Henri IV. Enfin, le dernier garçon, qui s’appelait Lewis, était passionné
d’astronomie. Alors, Geoffrey écrivit un livre très savant pour lui.
Décidément, il avait un esprit encyclopédique !
D’année en année, la famille Chaucer s’agrandissait.
D’année en année, Geoffrey faisait de plus en plus de
voyages.
D’année en année, le roi le comblait de cadeaux. Oh !
Bien sûr, pour le remercier de ses missions spéciales et autres services. Le
roi lui donnait charges et bénéfices, ce qui veut dire des titres qui lui
permettaient de gagner de plus en plus d’argent. Mais un jour, le roi lui fit
un cadeau très spécial. Un « vrai » cadeau. Comme il savait que
Geoffrey aimait le bon vin, le jour de la Saint Georges 1374, il lui octroya
« a gallon of wine daily for the rest of his life » ! Ce qui
veut dire « quatre litres et demi de vin par jour jusqu’à la fin de sa vie » !
Ce serait amusant si nos gouvernants actuels faisaient
bénéficier de semblables présents ceux qu’ils voudraient remercier de leurs
bons services ! En 1374 Geoffrey avait 31 ans. Il lui restait encore 26
ans à vivre, et pendant 26 ans, il reçut donc – et lampa ! - une véritable
mer de vin rouge…..
Hélas, comme cela arrive souvent aux gens riches et
célèbres, les méchants leur cherchent noise et les voleurs les détroussent. En
1390 Goeffrey est attaqué et volé. Peut-être même battu par les bandits – on ne
sait pas exactement, mais c’est très possible. Il en fut très choqué. Tu vois,
Amélie, cela m’est arrivé aussi dans ma vie. On m’a volé tous mes bijoux. Je me
suis fait braquer – c'est-à-dire menacer avec des armes – trois fois. Et
agresser physiquement plusieurs fois. Ce sont des souvenirs horribles et j’ai
eu beaucoup de mal à m’en remettre après. On se sent vulnérable, malheureux,
pitoyable. On a peur des gens. On se méfie. Mais c’est surtout le sentiment
d’être victime d’une grave injustice qui est le plus difficile à supporter.
Alors, je comprends ce que Chaucer a pu ressentir. De plus, les gens au
caractère calme, pacifique, les adeptes de la diplomatie et des joies
intellectuelles, ont plus de mal à se remettre de ce genre d’agression que les
costauds qui peuvent se défendre avec leurs gros poings…..
Après avoir été fait prisonnier, Chaucer avait quitté
l’armée. Après avoir été agressé, il a quitté la vie publique et les affaires
pour se consacrer exclusivement à l’écriture.
Puis il mourut âgé de 57 ans.
Je ne puis m’empêcher de penser qu’entre sa vie et la mienne
il y a des points communs. L’amour des études, une tournure d’esprit qui
privilégie l’éclectisme au détriment de l’extrême spécialisation, le dégoût de
tout conflit et le goût de la diplomatie, et le besoin de voyager, nonobstant
l’inconfort. Mais surtout : l’écriture !
Mais ce que je préfère chez lui, c’est son exquise et rare
modestie. Voilà un homme comblé par la vie. Il a toujours été très riche, il a
bénéficié de l’enseignement des meilleurs maîtres, le Souverain lui-même l’a
honoré de sa confiance et de sa faveur jamais démentie, il l’a couvert
d’honneurs et de richesses. Il a joui de l’estime et de l’amitié des plus
célèbres auteurs de l’époque. Sa famille était à la fois harmonieuse et
brillante. On peut vraiment dire qu’il a été chéri des dieux.
Il aurait pu devenir odieux. L’orgueil aurait pu lui monter
à la tête, l’argent lui faire perdre le sens commun, et les faveurs le rendre
méprisant. Mais pas du tout. Il a toujours gardé les pieds sur la terre. Il est
resté à sa place – ni plus, ni moins – Il s’est occupé de ses enfants, et quand
on lui demandait quel était son emploi, il répondait sobrement « Story Teller »
- « Conteur ».
Voilà, ma petite Amélie. Aujourd’hui je t’ai brièvement
conté la vie d’un de mes modèles, une de mes « icônes » personnelles,
comme on dit de nos jours.
Peut-être une autre fois te conterais-je une de ses
charmantes histoires ? !
Mercredi 10 décembre
2014
De Sandfontein
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