lundi 13 février 2017

Saint Valentin

C'est demain la Saint Valentin. On en fait maintenant une fête commerciale, un prétexte à acheter des cadeaux pour les échanger. On fait même des suggestions de présents originaux et pas chers à la télévision. Il me semble - à moi - que si l'on veut exprimer son amour, manquer d'idées, c'est manquer de coeur...mais enfin.... Les roses rouges demeurent un symbole universel et toujours apprécié ! 
Toutefois, j'ai une question : et Saint Valentin, dans l'affaire ? 
Qui était-il ? A quelle époque a-t-il vécu ?
Pourquoi est-il devenu le saint patron des amoureux ? 
Après m'être livrée à de petites et bien modestes recherches, voici les quelques paragraphes que j'ai pu écrire à son sujet. Il me semble que c'est le moment le plus approprié pour les publier !
J'ai dédicacé cette histoire à Amélie, ma petite fille. C'est donc à elle que je m'adresse directement, mais à vous tous, mes chers lecteurs, à travers elle.

 




Saint Valentin



Bonjour Amélie ! Qu’as-tu donc fait de joli aujourd’hui ? Une promenade avec tes parents ? Peut-être… car il fait bien beau, quoique très frais.


Pour ma part, j’ai commencé ma journée par écouter la grand messe en Grégorien – musique religieuse que l’on a mise sous le patronage direct du Pape Grégoire 1°, mais qui, en réalité, est originaire de Metz. D’ailleurs, pour moi, qui ai passé toute mon enfance en Lorraine, le chant grégorien, c’est avant tout du « grégorien-lorrain » ou « la messe d’Alphonse ».

Je t’explique.
Au VIII° siècle, les campagnes européennes n’étaient pas encore très profondément christianisées. On raconte qu’un jour, arriva dans la région de Metz, un saint homme qui s’appelait Chrodegang. Il décida de fonder une abbaye dans les bois de Gorze, village tout proche de Dornot – où nous habitions – La construction de ce monastère demanda une dizaine d’années, vraisemblablement de 747 à 757. Souvent, Saint Chrodegang venait contempler le paysage depuis le point le plus élevé de la cuesta qui domine la vallée de la Moselle. Maintenant, il y a un calvaire que l’on appelle « La Croix Saint Clément » par déformation du nom d’origine. Je connais très bien cet endroit. Nous y allions souvent faire des marches les dimanches, tes oncles et moi, et quand on s’aventurait assez loin, on trouvait de vieilles pierres alignées, vestiges d’anciens murs que l’on pensait être ceux de l’abbaye…

Puis Saint Chrodegang devint évêque de Metz. C’est alors qu’il décida de faire noter les musiques liturgiques avec le nouveau système de notation qui se développait à ce moment, et qui  prit ensuite toute son ampleur lors de la période que l’on a appelée la « Renaissance Carolingienne ». On écrivait les notes, de forme carrée, à la main, sur des peaux de veau, et on reliait les peaux pour former d’énormes volumes appelés antiphonaires – c'est-à-dire recueils de chants liturgiques. Chrodegang aimait la musique. Il fonda une école de chant sacré et bientôt, ses mélodies furent appelées « le chant messin ». Puis, on requit le patronage de Saint Grégoire pour l’officialiser et se donner un puissant saint protecteur !  

Chrodegang-Clément était un fort saint homme qui faisait des miracles et auquel rien ne résistait. On lui attribua donc la capture du Graoully, vilain dragon qui hantait les lieux, symbole du mal et du paganisme qui régnait encore très fortement dans toute la province. Il ne le tua pas, mais, après lui avoir passé son étole autour du cou, en guise de laisse, il l’emmena hors de la ville et lui intima l’ordre d’aller dans les bois, y vivre avec son petit, et de ne pas revenir tourmenter les bonnes gens de la ville de Metz. Cette anecdote, qui est censée s’être passée il y a environ mille deux cents ans, a été dessinée de la façon la plus charmante.
  




Quand j’étais petite, nous habitions Place de l’Eglise. C’était pratique pour aller aux offices. L’organiste et chantre de la paroisse de Dornot s’appelait Alphonse Harang. C’était aussi notre jardinier. Tous les dimanches il chantait l’office en grégorien-lorrain. Et voilà pourquoi, c’est resté pour moi « la messe d’Alphonse » ! Car depuis mon adolescence, on ne chante plus les offices en latin. Mais moi, j’ai beau ne plus guère fréquenter les églises, j’écoute toujours la messe en grégorien-lorrain, et j’apprécie beaucoup. Cela me rappelle mon enfance, l’histoire de Saint Chrodegang, mes études de latin et de grec, Alphonse et les anecdotes du village….. Enfin,  je trouve que ces mélodies n’ont jamais été égalées par d’autres. C’est la musique la plus spirituelle que je connaisse.

Pâques est une grande fête religieuse. Le sommet de l’année liturgique. Mais de nos jours, je crois que c’est Noël qui emporte tous les suffrages, non seulement en Europe, mais partout dans le monde. Autrefois, lorsque j’étais encore gamine, nous avions des vacances mes frères et moi. Nous quittions nos pensions respectives et revenions à la maison pour une dizaine de jours. Je prenais une part active au nettoyage et à la décoration de l’église du village avant la cérémonie du dimanche. Entre autres, je me souviens très bien que je déployais un grand zèle pour astiquer au mirror – un produit qui fait briller les cuivres – des obus de la guerre. De quelle guerre ? Il y avait eu celle de 1870, la Grande Guerre de 1914, et la Seconde Guerre Mondiale en 1939. La Lorraine a été tellement éprouvée au cours de l’Histoire… N’étant pas artilleur, je ne saurais répondre avec certitude, mais peut-être les obus dataient-ils de la Guerre de 14-18 ? Nous nous en servions de vases. Les dames du village mettaient leurs jardins en coupes réglées pour avoir un maximum de fleurs, et nous faisions de splendides bouquets dans les vieux obus qui, grâce à mes bons soins, brillaient comme de l’or !
Mais au fond, je n’aimais ni ces vacances ni cette fête. Au printemps, fatigués de l’hiver, on voudrait être déjà en été, mais il fait encore froid et humide. Et puis, j’avoue que je n’appréciais guère les interminables offices…. Au cours des années suivantes, rien de tel…. Ah ! Je me souviens tout de même d’une fête de Pâques au Cambodge. Ta mère et moi étions allées à un office dans un quartier de Phnom-Penh un peu excentré. La messe avait été célébrée dans une petite pièce assez minable, avec une assistance hétéroclite, et avait pris fin au son des rafales de kalachnikovs ! Nous avions couru vers ma BMW, et étions parties à toute vitesse !

Ce sont les fêtes de Pâques des dernières années que j’ai passées en Chine qui m’ont laissées les meilleurs souvenirs. Pour des raisons bien particulières. J’étais en compagnie d’une personne très chère, et nous avions eu des activités assez exceptionnelles. A Pâques 2008, nous étions à Hong-Kong et nous avions visité les Nouveaux Territoires sous des trombes d’eau. Des pluies diluviennes ! A croire que tous les dragons célestes jouaient là-haut, dans les nuages, se poursuivaient et se donnaient de grands coups de queue en s’amusant comme des petits fous…. Mais il y avait tout de même eu quelques éclaircies et nous avions pu marcher dans les collines, et admirer les fleurs de printemps. Ne dit-on pas que la pluie est une bénédiction céleste ? ! L’année suivante, nous étions à Macao. Pèlerinage religieux cette fois. Partis de la pointe de la presqu’île, nous avions remonté tout le territoire urbain en nous arrêtant à chaque temple et dans chaque église. Priant. Nous recueillant. Visitant les jardins lorsqu’il y en avait. Allumant tantôt des encens, tantôt des cierges. Edifiant ! Depuis, j’y repense toujours…

C’est à cette époque que je me suis choisi un saint patron. Ou un saint protecteur. Ou un saint ami, si tu préfères. Toutes les religions, quelles qu’elles soient, ont des saints, des figures tutélaires ou protectrices, des « dieux » selon d’autres, ou de bons génies… Les appellations sont nombreuses et semblent différentes, mais à mon avis, elles recouvrent la même réalité. On se choisit un ami céleste en espérant que l’on va pouvoir compter sur son aide pour résoudre nos problèmes d’ici bas.

C’est comme lorsque l’on noue des liens d’amitié avec nos contemporains. Chacun de nous a ses propres critères. Il parait qu’à la garderie, tu as beaucoup d’amis. Tu les aimes bien parce qu’ils sont amusants, ou parce qu’ils jouent avec toi, ou encore pour leur façon de te sourire…. Que sais-je ? Pour ma part, il me faut pouvoir éprouver d’emblée une certaine admiration pour quelqu’un. Cela déclenche la curiosité et la sympathie. Et le désir d’une communication plus approfondie, d’un partage d’idées et de sentiments, d’une présence fréquente. Mais bien sûr, il peut aussi y avoir une grande part de hasard, de circonstances, d’inattendu… Les mêmes critères peuvent se retrouver dans le choix d’un saint ami. On l’admire, on lui parle, on devient familier. Une de mes amies s’appelle Josiane. C’est Saint Joseph qui est son saint patron tout simplement parce qu’elle porte son nom. Sa statue trône sur le bureau où elle passe ses journées et ses soirées. Elle lui apporte des fleurs et allume toujours une petite bougie à ses pieds. Elle lui parle, lui raconte tous ses problèmes, lui fait part de ses désirs, et très souvent, elle me dit que Saint Joseph a accédé à ses demandes. Elle lui fait totale confiance et l’aime sans restriction.

Pour ma part, le choix d’un saint ami a été le fait de circonstances particulières. J’étais amoureuse ! Oui. Mais l’objet de mon amour semblait s’être éloigné de moi au point de ne plus donner signe de vie. J’ai donc attendu. Plusieurs jours. Une semaine. Puis, je me suis inquiétée, angoissée, tourmentée, et finalement j’ai pensé qu’il me fallait l’aide d’un personnage compréhensif et compétent en la matière. Or, le monde entier sait que le saint patron des amoureux, c’est Saint Valentin ! Et moi qui n’avais jamais prié aucun saint, je me suis adressée à lui, avec foi, et de tout mon cœur. Crois-le si tu veux - ou ne le crois pas - mais il a arrangé mes affaires, mieux encore que ce que j’aurais pu espérer, et dans les délais les plus courts !

Longtemps, je suis restée son amie. Puis la vie a passé et je l’ai beaucoup négligé. Ce n’est que tout récemment que, lors d’un de ces moments de tristesse qui me prennent parfois, j’ai soudain pensé que si je ne parvenais pas à y voir clair dans ma vie, il fallait que je sollicite les lumières de quelqu’un de plus qualifié que moi, de bon, de compréhensif, et de compétent… enfin, d’un saint ami. Et je me suis à nouveau tournée vers Saint Valentin avec une confiance d’autant plus grande que j’avais eu avec lui de si belles expériences dans le passé, et qu’il avait déjà fait tant de choses pour moi.
Figure-toi qu’il m’a répondu. Et, comme la première fois, dans les délais les plus courts !

Alors, je me suis demandé ce que je pourrais faire pour le remercier, et j’ai pensé que je pourrais écrire sa biographie. C’est qu’on ne le connait pas vraiment. Pour le monde entier, il est le patron des amoureux. Mais en réalité, on ne sait rien de lui. Où et quand a-t-il vécu ? Qu’a-t-il fait ? Pourquoi les amoureux ? Est-il même un authentique personnage historique ou seulement un mythe ? Certes, je ne dispose pas de grands moyens pour faire des recherches approfondies, et d’ailleurs, je n’ai pas cette ambition. Mais je peux tout de même te raconter une belle histoire, à ma façon, en utilisant les bribes de connaissances que j’ai pu recueillir.

C’est que, tu vois, il se peut qu’un jour, toi aussi, tu sois amoureuse.
Car les petits enfants grandissent « plus vite que la musique » aurait dit ton arrière grand père !


L’histoire se passe au III° siècle après Jésus-Christ. A cette époque, la grande puissance politique - l’équivalent des Etats-Unis d’aujourd’hui - c’est l’Empire Romain. Or, cet Empire est en crise. Il est immense, donc les extrémités font facilement sécession. On a la Gaule à l’ouest – nous, les futurs français ! - et la Principauté de Palmyre à l’est – Les impôts ne rentrent plus, l’insécurité règne, les intrigues se multiplient, tout le monde est mécontent. Les Empereurs n’ont plus autant de personnalité ni de prestige qu’autrefois. Ce sont des Généraux-Empereurs. Ils viennent des légions qui protègent l’Empire, car les citoyens romains préfèrent les intrigues de la capitale au service dans l’armée.

C’est maintenant Marcus Aurelius Valerius Claudius Augustus Gothicus qui est Empereur. Pour faire plus simple, on va dire Claudius le Gothique. Il est d’origine « barbare » ce qui veut dire qu’il n’est pas romain natif mais venu des provinces extérieures. Nommé Hipparque – Général de Cavalerie – il finit par prendre le pouvoir lorsque l’ancien Empereur Gallienus est battu à Milan en 268. Il passe deux ans à combattre les Goths – d’où son surnom de « Gothique » – puis meurt en 270 de la peste…enfin, d’une maladie épidémique qui ne pardonne pas. Ce Claudius est important, non seulement parce que c’est sous son règle que Saint Valentin a été martyrisé, mais parce qu’on raconte qu’ils se sont rencontrés.





Regarde cette pièce de monnaie. C’est Claudius qui l’a fait faire. Chaque empereur faisait battre sa propre monnaie. Côté face, c’est son portrait. Il a les cheveux courts, comme tous les militaires romains, le nez droit et pointu, les lèvres minces, une petite barbiche, et il porte une étrange couronne à grand picots très pointus. On peut clairement lire son nom, en commençant par le C au dessus du second picot de sa couronne. Je suis sûre que tu peux le voir. Côté pile un petit personnage mythologique, peut-être….

Sais-tu que chaque mot a une origine – parfois dans une autre langue – et une signification particulière, y compris les noms propres ? Valentin vient du mot latin « valens » qui signifie « fort, puissant et courageux ». N’est ce pas beau ? Valentin, jeune romain du troisième siècle, était chrétien. A cette époque, le christianisme prenait son essor et les choses n’étaient pas comme aujourd’hui. Par exemple, le rôle des évêques était très important. Ils s’occupaient de convertir les habitants de leur ville et bien souvent, tenaient tête à l’administration gouvernementale. Valentin était évêque de Terni, une petite ville au nord de Rome, la capitale de l’Empire. Le christianisme était une religion nouvelle, très différente de la religion d’Etat, laquelle comptait de nombreux dieux. Mais l’Empereur Claudius, comme d’ailleurs la plupart des citoyens romains, n’attachait pas particulièrement d’importance à la religion.

Par contre, tout ce qui pouvait contrarier ses activités militaires le fâchait. Or, ce général de cavalerie devenu Empereur passait sa vie avec ses légions, à combattre les Goths, des barbares qui vivaient au-delà du « limes » la frontière nord de l’Empire. Pour ce faire, il lui fallait toujours plus de légionnaires. Mais chacun sait qu’un homme marié et père de famille n’a guère envie de s’enrôler à l’armée. Surtout que l’on signait pour 25 ans ! Donc, il y avait un règlement militaire qui stipulait que les légionnaires devaient être célibataires. Naturellement, ils avaient des épouses non officielles qui pouvaient les suivre, et avec lesquelles ils avaient des enfants ; ils vivaient à peu près comme des gens mariés, mais ne pouvaient être « légalement »  mariés, qu’à l’issue de leurs 25 années sous les aigles. Là, on leur donnait une maison et des terres, et souvent les fils devenaient légionnaires comme leurs pères.

Or, Valentin acceptait de marier les légionnaires, et après la cérémonie, ils refusaient de partir combattre les Goths. Cela mit Claude de mauvaise humeur. Il demanda donc au Préfet de Terni d’arrêter Valentin et de le mettre en prison. Naturellement on obéit aux ordres de l’Empereur ! On met Valentin en geôle et on ferme la porte avec de gros verrous. Contrairement aux autres prisonniers qui protestent, crient ou pleurent, Valentin reste calme. Quelques fois même il chante des cantiques. Le gardien de la prison a une fille, Julia, qui est aveugle de naissance. Elle ne peut donc pas se marier et reste avec son père. Comme elle a toujours habité près de la prison, bien qu’elle ne voie pas, elle connait les lieux par cœur. Entendant Valentin chanter, elle va le voir et lui demande pourquoi il est là et pourquoi il chante. Valentin lui parle alors de Jésus. Julia est tellement heureuse de l’écouter qu’elle lui demande de l’instruire de la religion chrétienne, et pour le remercier, elle lui apporte à boire et à manger.

Mais quelques fois, Julia demande simplement à Valentin de lui décrire ce qu’il voit, de lui parler de ce qui est autour d’eux, de lui faire le portrait des gens qui les entourent. Alors, il essaie de lui expliquer ce que sont les formes et les couleurs et la beauté de la nature. Mais ce n’est pas facile ! Julia écoute très attentivement et essaie d’imaginer…. Un jour, alors que des gens passent dans la rue à côté de la prison où Valentin est enfermé, ils voient une grande lumière en sortir par la fenêtre grillagée. Cela les étonne… Mais ce qui les étonne plus encore, c’est d’apprendre, le lendemain, que Julia y voit pour la première fois de sa vie ! Maintenant, elle peut admirer par elle-même le monde que Valentin lui peignait.
Enfin, l’Empereur laisse tomber l’affaire, s’en retourne à la guerre, et Valentin est libéré.

Mais cela ne veut pas dire qu’il cesse de prêcher la foi en Jésus, ni de procéder à des mariages. Et le voilà qui recommence à marier de jeunes hommes que Claudius voulait enrôler dans ses légions. Le Préfet de police revient, se saisit de Valentin, l’accuse d’être un séditieux qui veut nuire à l’Empire, et l’emmène à Rome. Claudius est très chatouilleux sur le chapitre de son armée, mais il n’a rien contre les religieux. Il se dit que cette rencontre avec un évêque chrétien va lui permettre de se renseigner sur cette nouvelle religion, et il décide de lui poser personnellement quelques questions.    
« Pourquoi persistes-tu à vouloir marier mes légionnaires ? - demande Claudius - Ne sais-tu pas que c’est contraire à la loi ? Que cela leur permet d’échapper au service militaire, et donc, diminue le nombre des défenseurs de l’Empire ? Que se passerait-il si les Goths déferlaient sur Rome ? En mariant mes légionnaires tu te conduis en ami de mes ennemis ! »
« Non, César, telle n’est pas mon intention. Au contraire, je suis ton ami. Si tu acceptes que je te transmette l’enseignement de Jésus, tu pourras en tirer un immense profit, pour toi et pour l’Empire »
« Pourquoi pas ? » réponds l’Empereur, tout pensif. « Je t’écoute…. »
« Voyons, César ! - s’exclame le Préfet qui assistait à l’entrevue - selon le protocole - Tu n’y penses pas ! En tant que Pontifex Maximus tu es le premier personnage religieux de l’Empire, et voilà que tu voudrais t’instruire d’autres pratiques religieuses ! Qui sait si ce Valentin ne serait pas capable de t’influencer ?»
Alors, le Préfet se retourne vers Valentin et lui demande
« Et toi ! Que penses-tu des dieux ? De Jupiter, par exemple ? »
Jupiter était le roi du panthéon romain. Il régnait sur de nombreux dieux et déesses qui menaient tous une vie tumultueuse, pleine d’intrigues amoureuses, de ruses cruelles, et de méchants tours, de jalousie, de rancune… Bref. Tous ces personnages se comportaient, non pas comme des êtres célestes et bons, mais exactement comme des êtres humains pourris de défauts ! Ils n’étaient en réalité que le reflet des hommes, leurs créatures.
Il n’est donc pas étonnant que Valentin réponde sans plus de diplomatie
« Ce sont des misérables, des débauchés, des personnages indignes, et Jupiter, le premier de tous ! »
Alors, le Préfet, homme très sévère, qui voulait la perte de Valentin, s’écrie : « Ecoute-le, César ! Il blasphème contre les dieux et contre l’Empire ! »
Claudius les écoutait distraitement car il suivait le cours de ses pensées et il était tout de même curieux d’en apprendre un peu plus sur les croyances des chrétiens. C’est que, pour les romains, la religion était affaire de rituels et de politique. Aucun élan du cœur n’y avait sa part. C’est d’ailleurs pourquoi, tant que les rites officiels étaient respectés, on tolérait d’assez nombreuses sectes et même, des religions étrangères.
« Laisse-le parler…. » dit l’Empereur au Préfet, en agitant la main.
« César - reprit alors Valentin - ouvre ton cœur à la parole de Jésus. Il est la lumière du monde. Fais-toi baptiser et Il assurera le triomphe de tes armées. Et la gloire en rejaillira sur toi »
« Tu dis que Jésus est la lumière du monde ? »
« Oui. L’unique. Cette lumière nous fait voir la vérité qui nous apporte la guérison du corps et de l’âme »
« Hum…. »
Le Préfet, qui écoutait attentivement, se permit une fois de plus d’intervenir dans la discussion :
« César, pour ce qui est de la guérison de l’âme, je n’en sais rien, mais on raconte que, dans sa prison, Valentin a rendu la vue à Julia, la fille du geôlier, qui était aveugle de naissance. »
Claudius Gothicus semblait ébranlé…. C’est alors que le Préfet prit la décision de renvoyer Valentin à sa prison, et l’Empereur laissa faire.

Dans sa prison, Valentin se préparait à mourir. Néanmoins, il écrivit un petit billet à Julia, lui recommandant de rester ferme dans sa foi et de ne pas être triste de sa mort puisqu’ils allaient se revoir au Ciel. Il signa le billet « Ton Valentin ». Quelques jours plus tard, les soldats vinrent le chercher, ils le rouèrent de coups puis l’un d’eux tira son épée et lui coupa la tête.
Malgré la lettre de consolation, Julia pleura beaucoup. Puis elle se fit remettre le corps de Valentin et l’enterra au bord de la Via Flaminia. C’était la grand route entre Terni et Rome. Elle planta un amandier à côté de sa tombe. La vue des délicates petites fleurs roses au printemps la consolait du départ de son bien aimé.

Comme cela arrive bien souvent, c’est après sa mort que Valentin devint célèbre. D’abord, il fut proclamé « Saint ». Puis, on fit de lui le protecteur et le défenseur de l’amour et du mariage. Voilà comment cela s’est passé. Les romains, comme toutes les autres civilisations anciennes, fêtaient les évènements marquants du cycle de la nature. Une de ces fêtes, les Lupercales, était célébrée le 15 février. C’était la fête des bergers et de leurs troupeaux. On priait les dieux pour qu’ils éloignent les loups des agneaux et des chevrettes, car il y avait beaucoup de loups dans les montagnes de l’Italie. Cela marquait l’arrivée du printemps, et on ajoutait aux réjouissances une « loterie d’amour ». Cela consistait à mettre dans un grand panier de petits billets sur lesquels étaient écrits les noms des filles à marier, et dans un autre panier, les noms des garçons épousables. Puis on formait des couples en tirant les noms au hasard. Ils devaient rester amis toute une année, et bien souvent, ils se mariaient !

Petit à petit, les chrétiens remplacèrent les fêtes païennes par d’autres fort semblables. Donc, en 496, le Pape Gélasius déclara que les Lupercales seraient remplacées par la Saint Valentin, que l’on fêterait le 14 février – jour où il avait été décapité. C’est ainsi que Valentin est devenu le Saint Patron des amoureux ! Mais la coutume de la loterie d’amour s’est conservée durant des siècles. Cela se comprend. Autrefois, l’Europe était beaucoup moins peuplée qu’aujourd’hui. Il fallait donc se marier pour faire des enfants afin d’avoir des bras pour travailler la terre ou un héritier pour sa maison. Mais il n’est pas toujours facile de se trouver une âme sœur. Cette loterie permettait à tous d’avoir la chance de ne pas rester seul.
Je trouve cela absolument charmant ! Que ne revenons-nous à de si délicieuses traditions….


On raconte de jolies histoires sur Saint Valentin. Elles ont sûrement été inventées de toutes pièces, mais il y en a qui sont vraiment si charmantes que je ne résiste pas au plaisir de t’en raconter deux.

Une fois que Valentin marchait dans une rue de Terni, il vit un jeune couple qui se disputait. La fille, une jolie brunette, criait comme une mégère, et le garçon, qui lui avait saisi le bras, la secouait comme un prunier. Ils étaient sur une belle rue bordée de propriétés chics aux jardins bien tenus. Valentin s’approcha d’un énorme rosier couvert de splendides fleurs pourpres, et il en cueillit une. Après avoir respiré le délicieux parfum exhalé par la reine des fleurs, il s’approcha des jeunes gens. Sans un mot, il leur prit les mains et mis la rose au milieu. Puis il leur sourit et s’en fut. Déconcertés, le garçon et la fille s’arrêtèrent, puis se regardèrent, tout confus, et …. s’embrassèrent !


Une autre fois, Valentin, qui aimait se promener dans sa bonne ville de Terni, faisait les cent pas sur la place du marché en regardant les badauds. Comme il était l’ami du Seigneur et qu’il avait le cœur pur et tendre, il jouissait d’un certain don de double vue. C'est-à-dire que souvent, lorsqu’il regardait quelqu’un, il devinait les pensées, les joies ou les chagrins de cette personne. Ce jour là, il vit une adolescente toute triste qui se tenait non loin d’un garçon un peu plus grand qu’elle. Il était également soucieux. Elle pensait que son père lui avait dit qu’il la marierait bientôt et cela l’effrayait beaucoup, car elle était très réservée, et se demandait à quel genre d’homme son père allait la donner…. pour la vie ! Quant au grand garçon, il avait aussi des problèmes avec son père. Celui-ci voulait lui confier son domaine, mais à la condition qu’il soit marié, ce qui ne plaisait pas du tout au jeune homme…

Valentin leur joua alors le plus joli tour du monde. Tu sais que sur les places, les marchés, ou près des monuments, il y a souvent beaucoup de pigeons et de tourterelles. Il y en avait à Terni de très nombreuses qui picoraient et sautillaient de ci de là. Valentin les regarda, puis sourit aux adolescents. Les tourterelles s’envolèrent dans de grands claquements d’ailes, toutes ensemble, et vinrent en groupe voleter près de la fille et du garçon, d’un côté, de l’autre, devant, derrière, resserrant leurs tours à chaque passage, les obligeant à se tourner l’un vers l’autre et à se rapprocher, tout étonnés qu’ils étaient, et émerveillés du manège des oiseaux !
C’est ainsi qu’Aurélien rencontra Sophia, qu’ils se marièrent, vécurent heureux, et eurent beaucoup d’enfants ! 






Voilà, ma petite Amélie, l’histoire du saint ami que je sollicite parfois pour m’aider à franchir certaines difficultés de la vie. Mais comme tu sais que j’ai de la suite dans les idées, je vais terminer cette histoire en évoquant ce bon Geoffrey Chaucer, que je considère comme un modèle – à défaut de pouvoir en faire un saint patron ! Car il faut que je dise que c’est lui qui, le tout premier, fit allusion à la Saint Valentin dans la littérature. En effet, il écrivit un long poème intitulé «Parliament of Foules ». Grosso modo, il s’agit d’oiseaux qui discutent du mariage au printemps.
« For this was on seynt Volantynys day
Whan euery bryd comyth there to chese his make. » (May 1381)
Ce qui, en anglais plus contemporain donne :
“ For this was on St. Valentine’s Day,
When every bird cometh there to choose his mate.”
« Cela se passait le jour de la Saint Valentin
Quand chaque oiseau se choisit un conjoint. »
Je vais donc lui laisser le dernier mot.



Le dimanche 5 avril 2015, Pâques
Musardière ensoleillée…