C'est demain la Saint Valentin. On en fait maintenant une fête commerciale, un prétexte à acheter des cadeaux pour les échanger. On fait même des suggestions de présents originaux et pas chers à la télévision. Il me semble - à moi - que si l'on veut exprimer son amour, manquer d'idées, c'est manquer de coeur...mais enfin.... Les roses rouges demeurent un symbole universel et toujours apprécié !
Toutefois, j'ai une question : et Saint Valentin, dans l'affaire ?
Qui était-il ? A quelle époque a-t-il vécu ?
Pourquoi est-il devenu le saint patron des amoureux ?
Après m'être livrée à de petites et bien modestes recherches, voici les quelques paragraphes que j'ai pu écrire à son sujet. Il me semble que c'est le moment le plus approprié pour les publier !
J'ai dédicacé cette histoire à Amélie, ma petite fille. C'est donc à elle que je m'adresse directement, mais à vous tous, mes chers lecteurs, à travers elle.
Saint Valentin
Bonjour Amélie ! Qu’as-tu donc fait de joli aujourd’hui ?
Une promenade avec tes parents ? Peut-être… car il fait bien beau, quoique
très frais.
Pour ma part, j’ai commencé ma journée par écouter la grand
messe en Grégorien – musique religieuse que l’on a mise sous le patronage
direct du Pape Grégoire 1°, mais qui, en réalité, est originaire de Metz.
D’ailleurs, pour moi, qui ai passé toute mon enfance en Lorraine, le chant
grégorien, c’est avant tout du « grégorien-lorrain » ou « la
messe d’Alphonse ».
Je t’explique.
Au VIII° siècle, les campagnes européennes n’étaient pas
encore très profondément christianisées. On raconte qu’un jour, arriva dans la
région de Metz, un saint homme qui s’appelait Chrodegang. Il décida de fonder
une abbaye dans les bois de Gorze, village tout proche de Dornot – où nous
habitions – La construction de ce monastère demanda une dizaine d’années, vraisemblablement
de 747 à 757. Souvent, Saint Chrodegang venait contempler le paysage depuis le
point le plus élevé de la cuesta qui domine la vallée de la Moselle.
Maintenant, il y a un calvaire que l’on appelle « La Croix Saint
Clément » par déformation du nom d’origine. Je connais très bien cet
endroit. Nous y allions souvent faire des marches les dimanches, tes oncles et
moi, et quand on s’aventurait assez loin, on trouvait de vieilles pierres
alignées, vestiges d’anciens murs que l’on pensait être ceux de l’abbaye…
Puis Saint Chrodegang devint évêque de Metz. C’est alors
qu’il décida de faire noter les musiques liturgiques avec le nouveau système de
notation qui se développait à ce moment, et qui
prit ensuite toute son ampleur lors de la période que l’on a appelée la
« Renaissance Carolingienne ». On écrivait les notes, de forme
carrée, à la main, sur des peaux de veau, et on reliait les peaux pour former
d’énormes volumes appelés antiphonaires – c'est-à-dire recueils de chants
liturgiques. Chrodegang aimait la musique. Il fonda une école de chant sacré et
bientôt, ses mélodies furent appelées « le chant messin ». Puis, on
requit le patronage de Saint Grégoire pour l’officialiser et se donner un puissant
saint protecteur !
Chrodegang-Clément était un fort saint homme qui faisait des
miracles et auquel rien ne résistait. On lui attribua donc la capture du
Graoully, vilain dragon qui hantait les lieux, symbole du mal et du paganisme
qui régnait encore très fortement dans toute la province. Il ne le tua pas,
mais, après lui avoir passé son étole autour du cou, en guise de laisse, il
l’emmena hors de la ville et lui intima l’ordre d’aller dans les bois, y vivre
avec son petit, et de ne pas revenir tourmenter les bonnes gens de la ville de
Metz. Cette anecdote, qui est censée s’être passée il y a environ mille deux
cents ans, a été dessinée de la façon la plus charmante.
Quand j’étais petite, nous habitions Place de l’Eglise.
C’était pratique pour aller aux offices. L’organiste et chantre de la paroisse
de Dornot s’appelait Alphonse Harang. C’était aussi notre jardinier. Tous les dimanches
il chantait l’office en grégorien-lorrain. Et voilà pourquoi, c’est resté pour
moi « la messe d’Alphonse » ! Car depuis mon adolescence, on ne
chante plus les offices en latin. Mais moi, j’ai beau ne plus guère fréquenter
les églises, j’écoute toujours la messe en grégorien-lorrain, et j’apprécie
beaucoup. Cela me rappelle mon enfance, l’histoire de Saint Chrodegang, mes
études de latin et de grec, Alphonse et les anecdotes du village….. Enfin, je trouve que ces mélodies n’ont jamais été
égalées par d’autres. C’est la musique la plus spirituelle que je connaisse.
Pâques est une grande fête religieuse. Le sommet de l’année
liturgique. Mais de nos jours, je crois que c’est Noël qui emporte tous les
suffrages, non seulement en Europe, mais partout dans le monde. Autrefois,
lorsque j’étais encore gamine, nous avions des vacances mes frères et moi. Nous
quittions nos pensions respectives et revenions à la maison pour une dizaine de
jours. Je prenais une part active au nettoyage et à la décoration de l’église
du village avant la cérémonie du dimanche. Entre autres, je me souviens très
bien que je déployais un grand zèle pour astiquer au mirror – un produit qui
fait briller les cuivres – des obus de la guerre. De quelle guerre ? Il y
avait eu celle de 1870, la Grande Guerre de 1914, et la Seconde Guerre Mondiale
en 1939. La Lorraine a été tellement éprouvée au cours de l’Histoire… N’étant
pas artilleur, je ne saurais répondre avec certitude, mais peut-être les obus
dataient-ils de la Guerre de 14-18 ? Nous nous en servions de vases. Les
dames du village mettaient leurs jardins en coupes réglées pour avoir un
maximum de fleurs, et nous faisions de splendides bouquets dans les vieux obus
qui, grâce à mes bons soins, brillaient comme de l’or !
Mais au fond, je n’aimais ni ces vacances ni cette fête. Au
printemps, fatigués de l’hiver, on voudrait être déjà en été, mais il fait
encore froid et humide. Et puis, j’avoue que je n’appréciais guère les
interminables offices…. Au cours des années suivantes, rien de tel…. Ah !
Je me souviens tout de même d’une fête de Pâques au Cambodge. Ta mère et moi
étions allées à un office dans un quartier de Phnom-Penh un peu excentré. La
messe avait été célébrée dans une petite pièce assez minable, avec une
assistance hétéroclite, et avait pris fin au son des rafales de
kalachnikovs ! Nous avions couru vers ma BMW, et étions parties à toute
vitesse !
Ce sont les fêtes de Pâques des dernières années que j’ai
passées en Chine qui m’ont laissées les meilleurs souvenirs. Pour des raisons
bien particulières. J’étais en compagnie d’une personne très chère, et nous avions
eu des activités assez exceptionnelles. A Pâques 2008, nous étions à Hong-Kong
et nous avions visité les Nouveaux Territoires sous des trombes d’eau. Des
pluies diluviennes ! A croire que tous les dragons célestes jouaient
là-haut, dans les nuages, se poursuivaient et se donnaient de grands coups de
queue en s’amusant comme des petits fous…. Mais il y avait tout de même eu
quelques éclaircies et nous avions pu marcher dans les collines, et admirer les
fleurs de printemps. Ne dit-on pas que la pluie est une bénédiction
céleste ? ! L’année suivante, nous étions à Macao. Pèlerinage
religieux cette fois. Partis de la pointe de la presqu’île, nous avions remonté
tout le territoire urbain en nous arrêtant à chaque temple et dans chaque
église. Priant. Nous recueillant. Visitant les jardins lorsqu’il y en avait.
Allumant tantôt des encens, tantôt des cierges. Edifiant ! Depuis, j’y
repense toujours…
C’est à cette époque que je me suis choisi un saint patron.
Ou un saint protecteur. Ou un saint ami, si tu préfères. Toutes les religions,
quelles qu’elles soient, ont des saints, des figures tutélaires ou
protectrices, des « dieux » selon d’autres, ou de bons génies… Les
appellations sont nombreuses et semblent différentes, mais à mon avis, elles
recouvrent la même réalité. On se choisit un ami céleste en espérant que l’on
va pouvoir compter sur son aide pour résoudre nos problèmes d’ici bas.
C’est comme lorsque l’on noue des liens d’amitié avec nos
contemporains. Chacun de nous a ses propres critères. Il parait qu’à la
garderie, tu as beaucoup d’amis. Tu les aimes bien parce qu’ils sont amusants,
ou parce qu’ils jouent avec toi, ou encore pour leur façon de te sourire…. Que
sais-je ? Pour ma part, il me faut pouvoir éprouver d’emblée une certaine
admiration pour quelqu’un. Cela déclenche la curiosité et la sympathie. Et le
désir d’une communication plus approfondie, d’un partage d’idées et de
sentiments, d’une présence fréquente. Mais bien sûr, il peut aussi y avoir une
grande part de hasard, de circonstances, d’inattendu… Les mêmes critères
peuvent se retrouver dans le choix d’un saint ami. On l’admire, on lui parle,
on devient familier. Une de mes amies s’appelle Josiane. C’est Saint Joseph qui
est son saint patron tout simplement parce qu’elle porte son nom. Sa statue
trône sur le bureau où elle passe ses journées et ses soirées. Elle lui apporte
des fleurs et allume toujours une petite bougie à ses pieds. Elle lui parle,
lui raconte tous ses problèmes, lui fait part de ses désirs, et très souvent,
elle me dit que Saint Joseph a accédé à ses demandes. Elle lui fait totale
confiance et l’aime sans restriction.
Pour ma part, le choix d’un saint ami a été le fait de
circonstances particulières. J’étais amoureuse ! Oui. Mais l’objet de mon
amour semblait s’être éloigné de moi au point de ne plus donner signe de vie.
J’ai donc attendu. Plusieurs jours. Une semaine. Puis, je me suis inquiétée,
angoissée, tourmentée, et finalement j’ai pensé qu’il me fallait l’aide d’un
personnage compréhensif et compétent en la matière. Or, le monde entier sait
que le saint patron des amoureux, c’est Saint Valentin ! Et moi qui
n’avais jamais prié aucun saint, je me suis adressée à lui, avec foi, et de
tout mon cœur. Crois-le si tu veux - ou ne le crois pas - mais il a arrangé mes
affaires, mieux encore que ce que j’aurais pu espérer, et dans les délais les
plus courts !
Longtemps, je suis restée son amie. Puis la vie a passé et je
l’ai beaucoup négligé. Ce n’est que tout récemment que, lors d’un de ces
moments de tristesse qui me prennent parfois, j’ai soudain pensé que si je ne
parvenais pas à y voir clair dans ma vie, il fallait que je sollicite les
lumières de quelqu’un de plus qualifié que moi, de bon, de compréhensif, et de
compétent… enfin, d’un saint ami. Et je me suis à nouveau tournée vers Saint
Valentin avec une confiance d’autant plus grande que j’avais eu avec lui de si
belles expériences dans le passé, et qu’il avait déjà fait tant de choses pour
moi.
Figure-toi qu’il m’a répondu. Et, comme la première fois,
dans les délais les plus courts !
Alors, je me suis demandé ce que je pourrais faire pour le
remercier, et j’ai pensé que je pourrais écrire sa biographie. C’est qu’on ne
le connait pas vraiment. Pour le monde entier, il est le patron des amoureux.
Mais en réalité, on ne sait rien de lui. Où et quand a-t-il vécu ?
Qu’a-t-il fait ? Pourquoi les amoureux ? Est-il même un authentique
personnage historique ou seulement un mythe ? Certes, je ne dispose pas de
grands moyens pour faire des recherches approfondies, et d’ailleurs, je n’ai
pas cette ambition. Mais je peux tout de même te raconter une belle histoire, à
ma façon, en utilisant les bribes de connaissances que j’ai pu recueillir.
C’est que, tu vois, il se peut qu’un jour, toi aussi, tu
sois amoureuse.
Car les petits enfants grandissent « plus vite que la
musique » aurait dit ton arrière grand père !
L’histoire se passe au III° siècle après Jésus-Christ. A
cette époque, la grande puissance politique - l’équivalent des Etats-Unis
d’aujourd’hui - c’est l’Empire Romain. Or, cet Empire est en crise. Il est
immense, donc les extrémités font facilement sécession. On a la Gaule à l’ouest
– nous, les futurs français ! - et la Principauté de Palmyre à l’est – Les
impôts ne rentrent plus, l’insécurité règne, les intrigues se multiplient, tout
le monde est mécontent. Les Empereurs n’ont plus autant de personnalité ni de
prestige qu’autrefois. Ce sont des Généraux-Empereurs. Ils viennent des légions
qui protègent l’Empire, car les citoyens romains préfèrent les intrigues de la
capitale au service dans l’armée.
C’est maintenant Marcus Aurelius Valerius Claudius Augustus
Gothicus qui est Empereur. Pour faire plus simple, on va dire Claudius le Gothique. Il est d’origine
« barbare » ce qui veut dire qu’il n’est pas romain natif mais venu
des provinces extérieures. Nommé Hipparque – Général de Cavalerie – il finit
par prendre le pouvoir lorsque l’ancien Empereur Gallienus est battu à Milan en
268. Il passe deux ans à combattre les Goths – d’où son surnom de « Gothique »
– puis meurt en 270 de la peste…enfin, d’une maladie épidémique qui ne pardonne
pas. Ce Claudius est important, non seulement parce que c’est sous son règle
que Saint Valentin a été martyrisé, mais parce qu’on raconte qu’ils se sont
rencontrés.
Regarde cette pièce de monnaie. C’est Claudius qui l’a
fait faire. Chaque empereur faisait battre sa propre monnaie. Côté face, c’est
son portrait. Il a les cheveux courts, comme tous les militaires romains, le
nez droit et pointu, les lèvres minces, une petite barbiche, et il porte une
étrange couronne à grand picots très pointus. On peut clairement lire son nom,
en commençant par le C au dessus du second picot de sa couronne. Je suis sûre
que tu peux le voir. Côté pile un petit personnage mythologique, peut-être….
Sais-tu que chaque mot a une origine – parfois dans une
autre langue – et une signification particulière, y compris les noms
propres ? Valentin vient du mot latin « valens » qui signifie
« fort, puissant et courageux ». N’est ce pas beau ? Valentin,
jeune romain du troisième siècle, était chrétien. A cette époque, le
christianisme prenait son essor et les choses n’étaient pas comme aujourd’hui.
Par exemple, le rôle des évêques était très important. Ils s’occupaient de
convertir les habitants de leur ville et bien souvent, tenaient tête à
l’administration gouvernementale. Valentin était évêque de Terni, une petite
ville au nord de Rome, la capitale de l’Empire. Le christianisme était une
religion nouvelle, très différente de la religion d’Etat, laquelle comptait de
nombreux dieux. Mais l’Empereur Claudius, comme d’ailleurs la plupart des
citoyens romains, n’attachait pas particulièrement d’importance à la religion.
Par contre, tout ce qui pouvait contrarier ses activités
militaires le fâchait. Or, ce général de cavalerie devenu Empereur passait sa
vie avec ses légions, à combattre les Goths, des barbares qui vivaient au-delà du
« limes » la frontière nord de l’Empire. Pour ce faire, il lui
fallait toujours plus de légionnaires. Mais chacun sait qu’un homme marié et
père de famille n’a guère envie de s’enrôler à l’armée. Surtout que l’on
signait pour 25 ans ! Donc, il y avait un règlement militaire qui
stipulait que les légionnaires devaient être célibataires. Naturellement, ils
avaient des épouses non officielles qui pouvaient les suivre, et avec
lesquelles ils avaient des enfants ; ils vivaient à peu près comme des
gens mariés, mais ne pouvaient être « légalement » mariés, qu’à
l’issue de leurs 25 années sous les aigles. Là, on leur donnait une maison et
des terres, et souvent les fils devenaient légionnaires comme leurs pères.
Or, Valentin acceptait de marier les légionnaires, et après
la cérémonie, ils refusaient de partir combattre les Goths. Cela mit Claude de
mauvaise humeur. Il demanda donc au Préfet de Terni d’arrêter Valentin et de le
mettre en prison. Naturellement on obéit aux ordres de l’Empereur ! On met
Valentin en geôle et on ferme la porte avec de gros verrous. Contrairement aux
autres prisonniers qui protestent, crient ou pleurent, Valentin reste calme.
Quelques fois même il chante des cantiques. Le gardien de la prison a une
fille, Julia, qui est aveugle de naissance. Elle ne peut donc pas se marier et
reste avec son père. Comme elle a toujours habité près de la prison, bien
qu’elle ne voie pas, elle connait les lieux par cœur. Entendant Valentin
chanter, elle va le voir et lui demande pourquoi il est là et pourquoi il
chante. Valentin lui parle alors de Jésus. Julia est tellement heureuse de
l’écouter qu’elle lui demande de l’instruire de la religion chrétienne, et pour
le remercier, elle lui apporte à boire et à manger.
Mais quelques fois, Julia demande simplement à Valentin de
lui décrire ce qu’il voit, de lui parler de ce qui est autour d’eux, de lui
faire le portrait des gens qui les entourent. Alors, il essaie de lui expliquer
ce que sont les formes et les couleurs et la beauté de la nature. Mais ce n’est
pas facile ! Julia écoute très attentivement et essaie d’imaginer…. Un
jour, alors que des gens passent dans la rue à côté de la prison où Valentin
est enfermé, ils voient une grande lumière en sortir par la fenêtre grillagée.
Cela les étonne… Mais ce qui les étonne plus encore, c’est d’apprendre, le
lendemain, que Julia y voit pour la première fois de sa vie ! Maintenant, elle
peut admirer par elle-même le monde que Valentin lui peignait.
Enfin, l’Empereur laisse tomber l’affaire, s’en retourne à
la guerre, et Valentin est libéré.
Mais cela ne veut pas dire qu’il cesse de prêcher la foi en
Jésus, ni de procéder à des mariages. Et le voilà qui recommence à marier de jeunes
hommes que Claudius voulait enrôler dans ses légions. Le Préfet de police
revient, se saisit de Valentin, l’accuse d’être un séditieux qui veut nuire à
l’Empire, et l’emmène à Rome. Claudius est très chatouilleux sur le chapitre de
son armée, mais il n’a rien contre les religieux. Il se dit que cette rencontre
avec un évêque chrétien va lui permettre de se renseigner sur cette nouvelle
religion, et il décide de lui poser personnellement quelques questions.
« Pourquoi persistes-tu à vouloir marier mes
légionnaires ? - demande Claudius - Ne sais-tu pas que c’est
contraire à la loi ? Que cela leur permet d’échapper au service militaire,
et donc, diminue le nombre des défenseurs de l’Empire ? Que se
passerait-il si les Goths déferlaient sur Rome ? En mariant mes
légionnaires tu te conduis en ami de mes ennemis ! »
« Non, César, telle n’est pas mon intention. Au
contraire, je suis ton ami. Si tu acceptes que je te transmette l’enseignement
de Jésus, tu pourras en tirer un immense profit, pour toi et pour
l’Empire »
« Pourquoi pas ? » réponds l’Empereur, tout
pensif. « Je t’écoute…. »
« Voyons, César ! - s’exclame le Préfet
qui assistait à l’entrevue - selon le protocole - Tu n’y penses pas !
En tant que Pontifex Maximus tu es le premier personnage religieux de l’Empire,
et voilà que tu voudrais t’instruire d’autres pratiques religieuses ! Qui
sait si ce Valentin ne serait pas capable de t’influencer ?»
Alors, le Préfet se retourne vers Valentin et lui demande
« Et toi ! Que penses-tu des dieux ? De
Jupiter, par exemple ? »
Jupiter était le roi du panthéon romain. Il régnait sur de
nombreux dieux et déesses qui menaient tous une vie tumultueuse, pleine
d’intrigues amoureuses, de ruses cruelles, et de méchants tours, de jalousie, de
rancune… Bref. Tous ces personnages se comportaient, non pas comme des êtres
célestes et bons, mais exactement comme des êtres humains pourris de
défauts ! Ils n’étaient en réalité que le reflet des hommes, leurs
créatures.
Il n’est donc pas étonnant que Valentin réponde sans plus de
diplomatie
« Ce sont des misérables, des débauchés, des
personnages indignes, et Jupiter, le premier de tous ! »
Alors, le Préfet, homme très sévère, qui voulait la perte de
Valentin, s’écrie : « Ecoute-le, César ! Il blasphème contre les
dieux et contre l’Empire ! »
Claudius les écoutait distraitement car il suivait le cours
de ses pensées et il était tout de même curieux d’en apprendre un peu plus sur
les croyances des chrétiens. C’est que, pour les romains, la religion était
affaire de rituels et de politique. Aucun élan du cœur n’y avait sa part. C’est
d’ailleurs pourquoi, tant que les rites officiels étaient respectés, on
tolérait d’assez nombreuses sectes et même, des religions étrangères.
« Laisse-le parler…. » dit l’Empereur au Préfet,
en agitant la main.
« César - reprit alors Valentin - ouvre ton
cœur à la parole de Jésus. Il est la lumière du monde. Fais-toi baptiser et Il
assurera le triomphe de tes armées. Et la gloire en rejaillira sur toi »
« Tu dis que Jésus est la lumière du
monde ? »
« Oui. L’unique. Cette lumière nous fait voir la vérité
qui nous apporte la guérison du corps et de l’âme »
« Hum…. »
Le Préfet, qui écoutait attentivement, se permit une fois de
plus d’intervenir dans la discussion :
« César, pour ce qui est de la guérison de l’âme, je
n’en sais rien, mais on raconte que, dans sa prison, Valentin a rendu la vue à
Julia, la fille du geôlier, qui était aveugle de naissance. »
Claudius Gothicus semblait ébranlé…. C’est alors que le Préfet
prit la décision de renvoyer Valentin à sa prison, et l’Empereur laissa faire.
Dans sa prison, Valentin se préparait à mourir. Néanmoins,
il écrivit un petit billet à Julia, lui recommandant de rester ferme dans sa
foi et de ne pas être triste de sa mort puisqu’ils allaient se revoir au Ciel.
Il signa le billet « Ton Valentin ». Quelques jours plus tard, les
soldats vinrent le chercher, ils le rouèrent de coups puis l’un d’eux tira son
épée et lui coupa la tête.
Malgré la lettre de consolation, Julia pleura beaucoup. Puis
elle se fit remettre le corps de Valentin et l’enterra au bord de la Via
Flaminia. C’était la grand route entre Terni et Rome. Elle planta un amandier à
côté de sa tombe. La vue des délicates petites fleurs roses au printemps la
consolait du départ de son bien aimé.
Comme cela arrive bien souvent, c’est après sa mort que
Valentin devint célèbre. D’abord, il fut proclamé « Saint ». Puis, on
fit de lui le protecteur et le défenseur de l’amour et du mariage. Voilà
comment cela s’est passé. Les romains, comme toutes les autres civilisations
anciennes, fêtaient les évènements marquants du cycle de la nature. Une de ces
fêtes, les Lupercales, était célébrée le 15 février. C’était la fête des
bergers et de leurs troupeaux. On priait les dieux pour qu’ils éloignent les
loups des agneaux et des chevrettes, car il y avait beaucoup de loups dans les
montagnes de l’Italie. Cela marquait l’arrivée du printemps, et on ajoutait aux
réjouissances une « loterie d’amour ». Cela consistait à mettre dans
un grand panier de petits billets sur lesquels étaient écrits les noms des
filles à marier, et dans un autre panier, les noms des garçons épousables. Puis
on formait des couples en tirant les noms au hasard. Ils devaient rester amis
toute une année, et bien souvent, ils se mariaient !
Petit à petit, les chrétiens remplacèrent les fêtes païennes
par d’autres fort semblables. Donc, en 496, le Pape Gélasius déclara que les Lupercales
seraient remplacées par la Saint Valentin, que l’on fêterait le 14 février – jour
où il avait été décapité. C’est ainsi que Valentin est devenu le Saint Patron
des amoureux ! Mais la coutume de la loterie d’amour s’est conservée
durant des siècles. Cela se comprend. Autrefois, l’Europe était beaucoup moins
peuplée qu’aujourd’hui. Il fallait donc se marier pour faire des enfants afin
d’avoir des bras pour travailler la terre ou un héritier pour sa maison. Mais
il n’est pas toujours facile de se trouver une âme sœur. Cette loterie
permettait à tous d’avoir la chance de ne pas rester seul.
Je trouve cela absolument charmant ! Que ne
revenons-nous à de si délicieuses traditions….
On raconte de jolies histoires sur Saint Valentin. Elles ont
sûrement été inventées de toutes pièces, mais il y en a qui sont vraiment si
charmantes que je ne résiste pas au plaisir de t’en raconter deux.
Une fois que Valentin marchait dans une rue de Terni, il vit
un jeune couple qui se disputait. La fille, une jolie brunette, criait comme
une mégère, et le garçon, qui lui avait saisi le bras, la secouait comme un
prunier. Ils étaient sur une belle rue bordée de propriétés chics aux jardins
bien tenus. Valentin s’approcha d’un énorme rosier couvert de splendides fleurs
pourpres, et il en cueillit une. Après avoir respiré le délicieux parfum exhalé
par la reine des fleurs, il s’approcha des jeunes gens. Sans un mot, il leur
prit les mains et mis la rose au milieu. Puis il leur sourit et s’en fut.
Déconcertés, le garçon et la fille s’arrêtèrent, puis se regardèrent, tout
confus, et …. s’embrassèrent !
Une autre fois, Valentin, qui aimait se promener dans sa
bonne ville de Terni, faisait les cent pas sur la place du marché en regardant
les badauds. Comme il était l’ami du Seigneur et qu’il avait le cœur pur et
tendre, il jouissait d’un certain don de double vue. C'est-à-dire que souvent,
lorsqu’il regardait quelqu’un, il devinait les pensées, les joies ou les
chagrins de cette personne. Ce jour là, il vit une adolescente toute triste qui
se tenait non loin d’un garçon un peu plus grand qu’elle. Il était également
soucieux. Elle pensait que son père lui avait dit qu’il la marierait bientôt et
cela l’effrayait beaucoup, car elle était très réservée, et se demandait à quel
genre d’homme son père allait la donner…. pour la vie ! Quant au grand
garçon, il avait aussi des problèmes avec son père. Celui-ci voulait lui
confier son domaine, mais à la condition qu’il soit marié, ce qui ne plaisait
pas du tout au jeune homme…
Valentin leur joua alors le plus joli tour du monde. Tu sais
que sur les places, les marchés, ou près des monuments, il y a souvent beaucoup
de pigeons et de tourterelles. Il y en avait à Terni de très nombreuses qui
picoraient et sautillaient de ci de là. Valentin les regarda, puis sourit aux
adolescents. Les tourterelles s’envolèrent dans de grands claquements d’ailes,
toutes ensemble, et vinrent en groupe voleter près de la fille et du garçon,
d’un côté, de l’autre, devant, derrière, resserrant leurs tours à chaque
passage, les obligeant à se tourner l’un vers l’autre et à se rapprocher, tout
étonnés qu’ils étaient, et émerveillés du manège des oiseaux !
C’est ainsi qu’Aurélien rencontra Sophia, qu’ils se
marièrent, vécurent heureux, et eurent beaucoup d’enfants !
Voilà, ma petite Amélie, l’histoire du saint ami que je
sollicite parfois pour m’aider à franchir certaines difficultés de la vie. Mais
comme tu sais que j’ai de la suite dans les idées, je vais terminer cette
histoire en évoquant ce bon Geoffrey Chaucer, que je considère comme un modèle
– à défaut de pouvoir en faire un saint patron ! Car il faut que je dise
que c’est lui qui, le tout premier, fit allusion à la Saint Valentin dans la
littérature. En effet, il écrivit un long poème intitulé «Parliament of
Foules ». Grosso modo, il s’agit d’oiseaux qui discutent du mariage au
printemps.
« For
this was on seynt Volantynys day
Whan euery
bryd comyth there to chese his make. » (May 1381)
Ce qui, en anglais plus contemporain donne :
“ For
this was on St. Valentine’s Day,
When every
bird cometh there to choose his mate.”
« Cela se passait le jour de la Saint Valentin
Quand chaque oiseau se choisit un conjoint. »
Je vais donc lui laisser le dernier mot.
Le dimanche 5 avril
2015, Pâques
Musardière
ensoleillée…