Il comportera trois parties :
1 - Passage en Chine
2 - Séjour à Vientiane
3 - Nouvel envol
Passage en
CHINE
Voilà déjà trois années que je suis revenue de Chine. Mais
j’ai été tellement occupée que je n’ai pas trouvé le temps de voyager. Même pas
en France ! Alors que le « sport national » de mes compatriotes
me semble être justement de « partir en vacances » ! Tous les
six mois, régulièrement, je suis reprise par le « mal du pays ».
C'est-à-dire que la Chine, où j’ai vécu et travaillé pendant quelques
décennies, me manque cruellement. Je décide donc de repartir.
Toutefois, j’ai déjà eu l’occasion d’observer à maintes
reprises que le retour, après des années, dans un endroit qui a été très cher,
n’est pas toujours très sain – psychologiquement – et que l’on est presque
toujours déçu d’une façon ou d’une autre. Je me dis également qu’un peu de
changement conserve la jeunesse en maintenant l’esprit en alerte. Enfin,
puisque mon Editeur doit très prochainement m’envoyer les épreuves de mon
dernier livre intitulé « Quatre années au Cambodge », je me prends à
penser que s’installer sur les bords du Mékong pour faire ce travail serait probablement
inspirant. Mais cette fois, de l’autre côté du fleuve : au Laos.
Et c’est pourquoi, en compagnie d’Alex – mon nouvel
ordinateur HP – je monte dans un avion de la China Eastern pour Shanghaï,
première étape sur la route de Vientiane. Pourquoi Alex ? Mais
voyons ! Par référence à Alexandre de Macédoine qui conquit le monde,
allant toujours plus loin, à la recherche des limites des terres habitées. En
cela il suivait l’enseignement de son maître Aristote. C’est qu’avant d’être
écrivain, j’ai enseigné l’Histoire Ancienne à mes étudiants chinois ou coréens…
La China Eastern n’est certes pas le « top » au niveau du confort, des repas, et de
l’amabilité des hôtesses qui montrent une très nette préférence pour les
messieurs et oublient parfois totalement de s’occuper des dames…. En quoi elles
font preuve d’une parfaite normalité, mais qui est déplaisant lorsque l’on a le
mauvais goût d’être une dame seule… Toutefois, le fait que je parle chinois
m’aide beaucoup. J’ai, certes, déjà oublié pas mal, faute de pratique, mais
tant que je parviens à me faire servir de la bière, ma survie est
assurée !
Pourquoi la China Eastern ? Mais …. Nostalgie de la
Chine. Et puis ils offrent les meilleurs tarifs. Seulement il faut aller
chercher sa valise à chaque escale. Sortir. Réenregistrer et repasser tous les
contrôles. Epuisant….A Shanghaï-Pudong, dès que l’on quitte la partie Aéroport
International pour se diriger vers celle des Vols Intérieurs, les choses
changent. Beaucoup moins de déco et d’amabilité… C’est également très mal
renseigné et je ne sais où aller. Qu’à cela ne tienne : je demande à tout
le monde. Mais les gens courent ou ne répondent pas. Enfin, j’avise un employé
subalterne, en uniforme, du genre auquel personne n’adresse jamais la parole,
surtout pas une étrangère blonde ! Il commence à me regarder d’un air
médusé, puis, réalisant que je m’exprime en chinois, il me fait un grand
sourire et me dit, l’air très sérieux « Attends-moi une minute. Ne bouge
pas ». Je me fige, sans toutefois le quitter des yeux. Il revient
immédiatement – c’était juste affaire de se donner de l’importance – et me dit
« Je sais où tu dois aller. Suis-moi, je t’accompagne » Et, très
galant, il me conduit jusqu’à la porte d’un énorme ascenseur
« Vas-y ! Monte au second, puis tu vas à droite pour enregistrer. Bon
voyage ! » Je me confonds en remerciements et nous nous faisons des
courbettes jusqu’à ce que la porte se referme.
Je fais tout ce qu’il faut et vais attendre mon avion dans
une affreuse pièce où s’entassent
tellement de passagers que plus de la moitié
doit rester debout, dansant d’un pied sur l’autre en tâchant de parler
avec son voisin pour tromper l’attente. C’est là que je remarque quatre
grand-mères, petites et très ridées, vêtues de costumes traditionnels tels qu’en
portent les femmes de la minorité Naxi dans la petite ville de Lijiang. Elles
ont beau être âgées, cela ne les empêche pas d’avoir l’œil vif et de jacasser
dans leur dialecte. Elles me regardent et l’une d’elles me fait des clins d’œil
alors que les autres rient….
Contrairement à ce que je craignais pour avoir fait des
expériences déplaisantes dans le passé, nous partons à l’heure. Prochaine
étape : Kunming, la « Ville de l’Eternel Printemps ». Plusieurs
villes en Chine – comme ailleurs dans le monde – se sont vues attribuer de
charmants surnoms par le Ministère du Tourisme. Zhu-Hai, où j’ai résidé presque
cinq ans, signifie « Perle des Mers » et son qualificatif est la
« Ville Romantique ». A Kunming, on cultive les fleurs qui sont
expédiées dans toutes les grandes villes de Chine par avion. Lorsque je
résidais à Pékin, je pouvais fleurir la Résidence de splendides lys, même en
plein hiver…
Nous atterrissons à minuit.
Minuit. Ce n’est pas une heure chrétienne. Et le prochain
avion décollera à 14 heures….Résignée, je m’apprête à récupérer ma valise et
chercher un siège pour y passer la nuit. Alors, une jeune et très jolie hôtesse
m’adresse un sourire éclatant et me dit – en chinois, sans se poser la question
de savoir si je vais comprendre – « Bonsoir ! Mais tu es toute
seule ? C’est le dernier avion. Comment vas-tu passer la
nuit ? » « Je ne sais vraiment pas… » « Tu ne peux pas
rester là. Tu veux aller à l’hôtel ? » Hé ! Certainement !
Mais je n’ai pas de visa et sans visa, pas d’hôtel… Mais je ne le lui dis pas.
« Bon. Va récupérer ta valise. Je m’occupe de toi » et elle me
présente à un type d’allure un peu minable, installé dans un bureau juste à
côté de la porte de sortie de l’aéroport. « Une chambre à 280 RMB, ça te
va ? » demande le type. Certes ! Heureusement que j’ai
pensé à emporter des billets rouges à l’effigie de Mao ! Il sort un
formulaire, un de ces papiers presque transparents tels qu’on en remplit dans
toute la Chine, et je me sens revenue chez moi. De mon côté, je lui dis « Tiens,
voilà mon nom» en lui mettant sous le nez ma carte de professeur sur laquelle sont
écrits les cinq caractères Mai An-Li, Bo
Shi – ce qui signifie Docteur Mai. Comme je le prévoyais, cela produit en
effet magique. De goguenard (que peut bien faire une femme étrangère seule au
milieu de la nuit…Traditionnellement, les voyageurs sans famille ou amis
étaient suspectés de mauvaise vie, voire carrément de banditisme) il devient
très poli et appelle un autre gars pour porter ma valise, dans laquelle repose
Alex, bien au chaud entre mes vêtements !
Voici l'enseigne pour les amateurs éventuels |
C’est
ainsi que je suis sortie sans avoir à subir les vexations des policiers et que
j’ai pu dîner à deux heures du matin dans un restaurant encore ouvert à côté
d’un petit hôtel très familial dont j’étais la seule cliente !
.
Toutefois, j’avoue qu’en arrivant, je me demande si je ne
suis pas tombée dans un coupe-gorge car je n’ai pas trop l’habitude de ce genre
d’endroit. Mais le propriétaire de l’hôtel monte ma valise dans une chambre
bien propre et me donne une clé. Je me rassérène et redescends quelques
instants plus tard pour aller voir le restaurant encore ouvert. Je le trouve
enroulé dans une vieille couette et couché sur le large canapé devant la porte
qui demeure ouverte. En sortant, je la pousse parce qu’il ne fait que 12°. Il
me remercie d’un petit hochement de tête. De mon côté, je lui fais un signe de
la main, mi salut, mi bénédiction « Dors bien, je reviens tout à
l’heure ». Pourquoi est-ce que je me sens si bien en Chine ? J’aime
les chinois…. Tout en n’ignorant pas à quelles mesquineries, turpitudes, voire
horreurs ces gens-là peuvent se livrer….
Le restaurant est un endroit très bien, pourvu de meubles
lourds et massifs de style chinois traditionnel en bois laqué : ces
grandes tables rondes à plateau central tournant, sièges râpés par l’usage –
preuve que c’est une bonne maison – comptoir en bois et étagères en verre pour
les bouteilles d’alcool, et les inévitables étalages de légumes prélavés, de
morceaux de viandes pré-coupés et de boulettes non identifiables. Rien n’y
manque. A la table du fond, le chef, en toque blanche, joue aux cartes avec
deux autres types. Ils sont tellement absorbés par leur jeu qu’ils ne me
prêtent aucune attention. J’appelle le garçon et commande une soupe aux
nouilles. Quelques petites minutes plus tard, un gâte-sauce très mignon qui n’a
pas l’air d’avoir plus de douze ans m’apporte un bol pour un ogre ! C’est
que la China Eastern, non contente d’obliger ses passagers à s’occuper eux-mêmes
de leurs bagages, ne leur donne que trois biscuits et un gobelet d’eau froide
entre deux escales ! Et, comme Oliver Twist, j’ai osé en demander
« encore » ….
Les chinois sont d’excellents voyageurs. Ils ne s’en font
pas. Tant qu’ils sont au sol, ils s’agitent, criaillent, jouent, mangent,
boivent et surtout, achètent de véritables montagnes d’articles en détaxe. Mais
dès qu’ils sont obligés de s’asseoir dans un véhicule – voiture, train ou avion
– ils s’endorment tous comme un seul homme, instantanément ! C’est très
comique. Lorsque les hôtesses les secouent sans ménagement, ils ouvrent un œil
et avalent promptement les biscuits – hé ! ils ont payé, il faut consommer
– puis se rendorment !
Après le festin, je regagne mon hôtel. Rien n’est fermé. Le
propriétaire dort sur un canapé derrière la porte d’entrée en verre. Ce brave
homme ne craint manifestement pas les voleurs ou les bandits. A mon arrivée, il
ouvre un œil. Je dis doucement « Shi
wo » - C’est moi – comme si je rentrais à la maison, et je monte. Je
prends une douche chaude, mais la nuit, j’ai un peu froid. Tant pis, je m’enroule
dans mon manteau. Quelques heures plus tard, je retrouve ce brave homme en
train de laver lui-même les draps. Il me reconduit à l’aéroport dans son
mini-van.
L’aéroport de Kunming est tout neuf. J’y étais déjà venue il
y a une dizaine d’années et cela ressemblait à une petite gare de campagne.
Maintenant, c’est parfait : moderne, bien organisé, rutilant mais encore à
échelle humaine. D’ailleurs, on voit bien qu’on est en province car les gens
sont très « cool » et tout le personnel de l’aéroport, des hôtesses
aux policiers, est souriant et décontracté. Les passagers aussi. Ils ne sont
plus vêtus comme des mannequins occidentaux mais tout à fait selon leur goût,
qui n’est assurément pas BCBG mais qui me plait parce qu’au moins on se sent à
l’aise. A l’aise. C’est peut-être un des maîtres mots en Chine.
Je me sens très bien. Presqu’euphorique ! C’est que je
viens de vérifier le proverbe « Les montagnes sont hautes, et l’Empereur
est loin ! » Décidément, j’aime le Yunnan. Je vais m’asseoir et
commande une bière de Qing Dao. Comme je parle à tout le monde, et en chinois,
les gens sont tous très gentils avec moi. Néanmoins, je trouve que le prix de
cette bouteille est exorbitant. Et je me prends à penser qu’à l’heure
actuelle, alors que tout le monde est
bien convaincu que nous vivons une époque merveilleuse où règnent égalité, justice
et confort, surtout comparée à ce que les français appellent l’Ancien Régime et
les chinois l’Epoque Féodale (quoiqu’il n’y ait pas eu chez eux de système
féodal au sens où nous l’entendons en occident) je ne vois pas, moi, de
changements fondamentaux. Les voyageurs sont toujours rackettés, volés et
détroussés à toutes les époques. Seule la forme change. Les entreprises d’état
ou les sociétés privées ont simplement remplacé les bandits de grands chemins –
que les chinois, à l’époque des Tang, appelaient « Chevaliers des vertes
forêts » ! Chez moi, je paie un demi litre d’excellente bière
allemande 50 centimes d’euro, et dans les aéroports, c’est dix à quinze fois
plus cher…..et pour une qualité souvent bien inférieure. Mais peut-être suis-je
de mauvaise foi : je paie, certes, mais on ne me roue pas de coups de
bâtons et on va même jusqu’à me donner un reçu ! Après tout, ce sont
peut-être les chinois traditionnels qui ont raison : les honnêtes gens
restent chez eux !
Il fait très beau. Le soleil de midi brille comme en été.
Notre avion décolle comme prévu vers 14 heures pour Vientiane, et je suis
assise à côté d’une dame noire, épouse d’un monsieur barbu déjà un peu âgé. Un
couple de français. La dame est charmante. Elle me dit s’appeler Fanta, me
donne son numéro de téléphone et se déclare prête à m’aider durant tout mon
séjour au Laos ! A bavarder le temps passe vite et nous survolons déjà le
gigantesque lac de retenue du barrage sur la Nam Theun. Le mari de Fanta,
Jean-Claude Legoupil, est agronome. Il me donne quelques explications : la
Nam Theun est un affluent du Mékong. Le barrage, commencé depuis plusieurs
années est un des plus importants de toute l’Asie. Et l’EDF est l’actionnaire
majoritaire. Par la suite, je complète mes informations : la construction
de ce barrage a soulevé de grands espoirs, mais aujourd’hui, nombreux sont les
mécontents. Les terres cultivables de la province de Khammouane ont
considérablement diminué puisqu’elles sont maintenant en partie immergées. Deux
à trois cents éléphants sauvages qui vivaient là bas sont en voie de
disparition, faute de terres. La Thaïlande, qui achète 95% de l’électricité
produite a déjà demandé à ce que l’on
révise son contrat plusieurs fois. Enfin, les retombées économiques sont
pratiquement nulles pour la pauvre population du Laos à cause de la corruption
ambiante.
Corruption, c’est le mot-clé.
Mais je n’ai pas encore compris à quel point c’est grave ici
et jusqu’où cela peut aller. Pour l’instant, je me penche pour mieux voir
l’immense étendue d’eau qui brille sous le soleil. Je ne vois aucune ville, ni
village, ni même de routes – mais je sais qu’il y en a très peu. C’est
seulement lorsque l’avion est proche de Vientiane que j’aperçois quelques
pistes latéritiques très étroites, mais aucun véhicule dessus…..
Nous descendons de l’avion. Il fait presque 30°, c’est
délicieux. Et la première chose qui s’offre à ma vue est un frangipanier à
fleurs roses ! Les fleurs de frangipanier sont parmi mes préférées. Elles
tombent le soir, mais continuent à exhaler leur délicieux parfum pendant encore
au moins 24 heures. Chaque soir, à Zhu-Hai, j’en ramassais quelques unes, je
les disposais dans un petit plat en porcelaine bleue et mettais une bougie au
milieu….
En quelques minutes j’ai un visa. Je paie les 30$ convenus
et donne une photo d’identité. L’affreux gros type derrière son comptoir se
fend d’un sourire, je récupère ma valise et demande un taxi. L’Aéroport
International de Vientiane-Wattay n’est pas plus grand que la gare d’Angers
mais propret et bien organisé. Il y a un bureau pour les taxis et je paie un
forfait de 7$ pour que l’on m’emmène au Vientiane Garden Hôtel en centre ville.
Je suis ravie et, après avoir prié le chauffeur d’éteindre sa clim, je regarde
avidement tous les tres véhicules qui se présentent à mes
yeux. Cela me rappelle furieusement Phnom-Penh il y a vingt ans …bâtiments, jardins, pagodes, écoles, « tuktuks » et autres véhicules qui se présentent à mes yeux. Cela me rappelle furieusement Phnom-Penh il y a vingt ans....
Séjour à
vientiane
Ma première vue du Vientiane Garden Hôtel
Une fois arrivée à l’hôtel, je prends une douche et me
change pour une tenue plus légère, puis j’essaie de téléphoner à Claude. C’est
un vieux monsieur que j’ai rencontré à mon Club Sportif de Doué la Fontaine.
Etant au sauna tous deux, je n’avais pu ne pas remarquer qu’il avait un
parachute – à l’ancienne : une coupole – tatoué sur le bras droit.
Naturellement, un ancien para ! Après les premiers contacts, il m’avait
sommairement raconté sa vie et déclaré qu’il passait la plupart de son temps au
Laos, pays de rêve selon lui. Nous avions échangé nos adresses Email et
commencé une correspondance. Et c’est lorsque, après que mon dernier manuscrit ait
été accepté par mon éditeur, j’ai eu l’idée d’aller le relire sur les bords du
Mékong, que je me suis décidée d’aller voir au Laos – car je savais y connaître
au moins une personne.
Mais ici, comme au Cambodge il y a vingt ans, rien ne
fonctionne, et surtout pas le téléphone. Donc, je branche Alex et me connecte
sur le Wifi pour lui envoyer un message. Je suis fière de réussir parce que, si
je travaille sur ordinateur depuis presque 8 ans, c’est la première fois de ma
vie que j’utilise un portable ! J’en envoie un autre à Bouala, un laotien
qui travaille dans une agence immobilière que j’ai déjà contacté…. sans succès
et qui ne m’a pas fait bonne impression. En effet, ledit Bouala, censé louer des
studios équipés, comme cela se fait dans toute l’Asie, pour 200$ le mois, n’a
cessé de me répondre que « maintenant, c’est à 350$ » et quelques
jours plus tard « c’est à 450$ »…. Néanmoins, comme c’est mon seul
contact et que je sais que 200$ est le prix « officiel » je persiste.
Puis, je quitte ma chambre et me dirige vers la piscine de
l’hôtel. Oh ! Ce n’est pas une piscine dans laquelle on peut nager. Mais
elle est décorative et fait très bien sur les photos. Les types de la réception
m’ont vivement engagée à me mettre en bikini pour m’y précipiter, lorsque j’ai
enregistré. Mais je connais par cœur ce genre de « petits mecs »
comme je les appelais déjà au Cambodge, et je n’ai pas du tout l’intention
d’attraper des amibes ou autre vilaine maladie indigène en faisant trempette
dans le bouillon de culture local. Le regarder me suffit !
Je trouve un guéridon en ciment moulé entouré de quelques
tabourets assortis, et, sur l’un d’eux : Claude. Il vient de passer les 75
ans mais je trouve qu’il n’accuse pas trop son âge. Il est plutôt grand et
fort, sans être gras. Il fait du sport pour se maintenir en forme et en santé.
Plus guère de cheveux, et habillé classique : short long et chemisette
blanche. L’accueil n’est guère chaleureux. « Ah ! Vous voilà !
me lance-t-il, l’air agressif – Je vous attends depuis longtemps !
Qu’est-ce que vous fichiez ? » « Hé bien, Claude ! Quel
accueil ! Il me semble assez normal de prendre une douche et de se changer
après un si long voyage… » « Ah ? Oui….Et vous n’avez encore pas
de téléphone ! » « Mais enfin, Claude, cela fait moins d’une
heure que je suis à Vientiane ! » Ronchonnant, il m’emmène à
l’épicerie locale acheter une carte SIM et un mini forfait pour l’équivalent de
quelques euros. Heureusement que j’ai apporté un de mes anciens téléphones
portables chinois qui fonctionnent dans toute l’Asie ! Puis nous revenons
nous asseoir à la table en ciment au bord de la piscine de l’Hôtel.
Là, il commence à me parler de ses convictions politiques –
Madame le Pen est à sa gauche ! – puis de ses amours ! Malgré lui, il
a été embarqué dans une affaire sentimentalo-commerciale, c'est-à-dire qu’il se
retrouve à gérer un petit restaurant pour aider une de ses innombrables
« copines ».
Ici, un mot d’explication s’impose. En Asie, les prostituées
et leurs clients tiennent aux apparences. Très nombreux sont les occidentaux
naïfs qui s’y laissent prendre. Un homme seul va dans un bar. Il commande
quelque chose. Il repère une belle jeune fille également seule. Lui demande ce
qu’elle veut boire. Elle se rapproche, se comporte comme une demoiselle de
bonne famille, s’effarouche s’il tente une allusion ou le moindre geste
déplacé, et ils se quittent sans qu’il se soit passé la moindre chose.
Seulement, elle a pris tous les renseignements qu’elle voulait. Le lendemain,
le gars revient au même endroit, et de fil en aiguille… ils deviennent
« amis ». Ce n’est que plus tard que la fille lui fait part de ses
inquiétudes sur tel ou tel sujet. Toujours d’ordre financier, naturellement. Et
en fin, en fin seulement qu’ils… deviennent plus intimes.
Je suppose que depuis le temps qu’il est au Laos, Claude a
compris ce genre de manœuvre. Toutefois, il me parle et se comporte comme s’il
ne l’avait vraiment pas compris du tout…. Il me raconte toutes ses affaires
dans les détails. Je n’écoute que d’une oreille en me demandant s’il est
vraiment naïf, ou s’il me prend pour une imbécile, ou s’il « joue le
jeu », et j’imagine encore plusieurs possibles explications à ses propos….
Tout à coup, il se lève et me dit « J’ai rendez-vous
avec ma copine. Il est bientôt 18 heures, je vais être en retard. Comme je ne
peux vous tenir compagnie pour votre première soirée au Laos, j’ai demandé à un
de mes amis français de le faire à ma place. Je vous emmène. Allez !
Vite ! » Je ramasse promptement mon téléphone portable – qui ne
fonctionne toujours pas – et mon sac à main, et lui emboite le pas. Il monte
sur une vieille moto pourrie et me dit de m’asseoir derrière en amazone. Et
nous voilà sur le grand boulevard qui mène à l’aéroport. Je le reconnais très
bien.
Ca m’amuse ! Jamais je n’aurais imaginé, lorsque j’ai
rencontré cet ancien para au sauna de Doué la Fontaine, qu’un jour je ferais un
tour de moto avec lui à Vientiane ! La vie est réellement intéressante et
réserve toujours des surprises… Mais je n’aime pas monter en amazone et je fais
très attention pour que le vent de la course ne m’arrache pas mon sac des
mains. La position est aussi dangereuse qu’inconfortable, car, je le sens très
bien, Claude n’est pas un expert….. Enfin, nous arrivons dans un endroit assez
agréable, devant un petit immeuble de studios, et il me présente à son
ami : Monsieur Gilles Chrétien, de Dinan ! Claude disparait dans un
nuage de gaz bleu – d’où je déduis qu’il ne fait pas l’entretien de la moto
pourrie – et Gilles, petit monsieur aux cheveux gris-blancs mais assez
agréable, me propose une promenade sur la rive du Mékong avant d’aller dîner.
Il se trouve que je suis née à Dinan….Je le lui dis. Il
travaillait à la Mairie. Puis il a fait quelques recherches dans les archives
locales et a publié des articles sur la vie des dinanais pendant la dernière
guerre…
Ah ! Les rives du Mékong…. Ce fleuve, un des plus
puissants et remarquables du monde, descend directement de l’Himalaya pour
traverser la province du Yunnan – de laquelle j’arrive – et faire la frontière
entre la Birmanie et le Laos, le Laos et la Thaïlande, puis traverser le
Cambodge, et se terminer par un énorme delta au Viêt-Nam sud. Il est d’une
largeur si incroyable….. son débit est si fort….. tout est démesuré avec lui.
Mais c’est la saison sèche. Le niveau des eaux a donc baissé de plus de dix
mètres et les abords sont couverts de roseaux et de langues sableuses et
vaseuses qui seront totalement submergées lors de la prochaine fonte des neiges
qui correspond avec la saison des
pluies. Nous marchons sur une berge haute construite et bétonnée. Le soleil
finit de se coucher. Les nuages rosés sont de plus en plus minces au dessus de
l’horizon. Saisie par le passé ressuscité,
je m’accroupis – à la chinoise- et contemple le spectacle sans rien
dire….
Coucher de soleil sur le Mékong à Vientiane
Gilles a le bon goût de ne rien dire et d’attendre que je
revienne en 2013. Ce qui ne manque pas de se produire. Je me relève et nous
nous mettons à marcher le long du fleuve. Mais voilà, non seulement je suis
émotionnée, mais je suis fatiguée, et affligée d’un vertige atroce. Les quinze
mètres de contrebas m’épouvantent, et tout à coup, voilà que le phénomène qui
s’était déjà produit une fois au Yunnan il y a dix ans, se reproduit. Je ne
vois plus la différence entre le trottoir sur lequel nous marchons et l’eau du
Mékong. Je déclare donc à Gille que j’ai peur et me mets à marcher sur la rue
totalement défoncée.
Il m’emmène visiter le Marché de Nuit. Un seul coup d’œil me
suffit : tout ce qui est exposé vient de Chine ! Si seulement j’avais
écouté mon instinct et étais arrivée avec une valise vide ! Mais nous
marchons, marchons, marchons…. Je suis épuisée et le lui dis. Alors, il se
dirige vers une petite rue perpendiculaire au fleuve et nous nous installons
dans une gargote qui m’a l’air fort sympathique.
En effet, j’y reviendrai chaque jour !
Il nous faut subir les propos décousus d’un ivrogne local,
puis attendre que le type qui occupe à lui tout seul une table prévue pour
quatre personnes s’en aille, et enfin, nous nous installons sur la rue. Dans ce
genre de pays, être au fond du restaurant, c’est triste, voire louche… On a
quelque chose à cacher… Gilles a déjà adopté les coutumes locales. Il se lève
et va parler à tout le monde. De prime, je suis un peu interloquée et le trouve
malappris. Puis je me souviens que nous faisions parfois de même au Cambodge,
alors je l’imite et hèle un client pour qu’il s’assoie à côté de moi et nous
entamons la conversation. Il est de Milan…..
Gilles règle une note dérisoire et se propose de me ramener
à mon Hôtel. Mais j’ai un si fort sens de l’orientation que, même s’il me
plantait là, je saurais revenir, malgré les tours et détours qu’il m’a fait
faire. Enfin, nous arrivons tout près et nous nous asseyons sur les inévitables
tabourets de ciment moulé. Il attend Claude qui lui a donné rendez-vous. Ces
messieurs vont finir la soirée en boite de nuit. Je la leur laisse ! Il y
a là un français d’assez bonne mine. Je l’invite à s’asseoir à ma table et lui
offre une bouteille de bière. Il s’appelle Eric Pinard « Comme du pinard » me dit-il en
riant, et est ingénieur en Hydraulique. Il me parle du Laos, de la situation
générale, de la corruption, des difficultés quotidiennes, et me dit sans
ambages que j’aurais dû venir d’abord pour prospecter avant de songer à
m’installer, ne serait-ce que pour quelques mois. En cela il confirme les
informations que j’avais prises auprès de spécialistes avant de partir, et mes
impressions personnelles depuis les quelques heures que je suis là….
Songeuse, je repars vers le Vientiane Garden. A côté de
l’entrée, il y a un bar extrêmement animé car exclusivement fréquenté par de
jeunes voyageurs étrangers. J’évalue la moyenne d’âge à 25 ans, au plus, mais décide néanmoins d’y boire une dernière bière.
Après tout il n’est pas tard. Je m’installe en bout de table et me mets à
écrire. A côté de moi, un beau jeune homme très brun qui ressemble tout à fait
à Johnny Depp dans Pirates des Caraïbes. Cheveux mi-longs, bandana rouge,
boucles d’oreilles, moustache conquérante ! Il me fait un sourire de séducteur
latino bien qu’il soit australien « Welcome ! » dit-il
joyeusement. Je suis séduite. Quelques minutes plus tard, il décide d’aller
jouer au billard « Prenez ma place » me dit-il. Les autres, toute la
tablée, jouent aux dés. C’est Stéphanie, une très belle jeune allemande blonde,
vive et enjouée, qui préside la partie. « Comment
t’appelles-tu ? » « Mélanie » « Bon, alors, je
t’explique…. » Il faut secouer les deux dés posés dans une soucoupe et
recouverts d’un gobelet en carton. Selon les scores, le perdant doit boire un
petit verre d’un alcool blanc très fort !
Je joue avec eux. Incroyable ! Moi qui ne joue jamais à
quoi que ce soit, je joue et je m’amuse beaucoup. Je suis toujours très
heureuse en compagnie des jeunes et l’ai toujours été, d’ailleurs. Une fois, je
perds misérablement. Mais je lève mon verre de bière et le bois cul sec. Ils me
font grâce pour l’alcool blanc ! Au bout d’un moment, néanmoins, je décide
de regagner ma chambre. Je salue la compagnie « Salut Mélanie ! T’es
cool ! Bon séjour à Vientiane ! » Bise à Stéphanie. Je me
retourne : Johnny Depp, ses yeux noirs très brillants, me sourit de toutes
ses dents, qu’il a fort belles « Vous êtes sympa, Madame » me dit-il,
très gentleman. « Et vous, charmant, Monsieur qui ressemblez à Johnny Depp ! »
Les copains applaudissent. Il s’incline et ébauche un baisemain.
Je vais faire de beaux rêves…
Je passe toute la journée du lendemain à essayer de faire
fonctionner mon téléphone portable, en vain. Les connexions Internet sont très
difficiles et tellement lentes qu’il me faut presqu’une heure pour écrire et
envoyer avec succès un petit Email d’une dizaine de lignes. Le téléphone fixe
ne fonctionne nulle part. Aucun annuaire, bureau de renseignement de quoique ce
soit nulle part. Et d’après Bouala, les prix des appartements ont déjà augmenté
de 300% par rapport aux prix affichés il y a un mois. Naturellement, étant une
femme, seule de surcroît, il me prend pour une imbécile juste bonne à
racketter. Il ne peut savoir que j’ai vécu juste de l’autre côté de la
frontière pendant quatre ans. C’est lui qui augmente les prix, et comme je ne
cède pas, il m’envoie promener…. Tout simplement !
La note positive de la journée, c’est qu’un des types de la
réception de l’Hôtel finit par me prendre sur sa moto et m’emmène dans un
magasin de téléphones portables où, pour 10$ on me vend une carte qui lui
permet – enfin ! – de fonctionner.
Je décide de visiter la ville. Pour ce faire, je loue un tuktuk – une heure pour 10$ - Il me
promène et me fait voir les grandes avenues, le marché – mais l’après midi, il
n’y a plus personne – la Poste centrale, des immeubles de boutiques… Puis nous
remontons l’Avenue Lang Xang pour admirer le Patuxay Monument – Arc de triomphe
Laotien, construit dans les années 60 – et allons au l’Or-Pha-That-Luang, ou
Palais, sur le site duquel se trouve la Pagode du célèbre Bouddha d’Emeraude,
venu des Indes autrefois.
Il me semble qu’une petite note historique s’impose. Mais je
serai brève. Le Laos fut peuplé dès la préhistoire par des hommes qui
sculptèrent les énormes jarres monolithiques de la fameuse Plaine des Jarres,
au nord du pays. Cette région fit ensuite partie du Royaume du Champa, mais les
Chams furent vite évincés par les Khmers et, pendant un temps, le Laos fit
partie de l’empire du célèbre Jayavarman VII, le dernier grand roi Khmer.
C’était au XII° siècle. Au XIV°, il devint le Lang Xang (distorsion de deux
caractères chinois) c'est-à-dire « Le Royaume du Million
d’Eléphants ». Ledit Royaume faisait sans cesse la guerre à l’ouest contre
les siamois ou à l’est contre les viêtnamiens. Au XVIII° siècle il explosa en
Trois Royaumes (je ne puis m’empêcher de penser à l’histoire de la Chine !
c’est pourquoi je leur mets des majuscules…) Luang Prabang, Vientiane et
Champassak. Mais une irréversible décadence commença à partir du XIX° siècle et
se poursuivit jusqu’à nos jours. Et de 1945 à 1975, la guerre intérieure était
le quotidien de ces pauvres gens. Il parait
même que l’on a qualifié cette période de l’histoire du Laos « La
Guerre de Trente ans ». Raisons politiques naturellement, mais je vais
passer par là-dessus. Ceux qui s’intéressent aux horreurs commises par le
Pathet Lao n’ont qu’à lire des articles sur Google…..
Après la note historique, la note touristique : voici
mon tuktuk et son heureux possesseur,
posant avec grande complaisance pour la photo !
Mon chauffeur ! Avenue Lang Xang
Ce
brave garçon, après m’avoir emmenée admirer le Palais et la Pagode du Bouddha
d’Emeraude, c'est-à-dire le cœur historique de la ville, juge bon de me donner
une petite leçon d’Histoire Contemporaine et me conduit au Musée de la Guerre.
L’affiche postée devant l’entrée du jardin dans lequel sont installés un avion,
un hélicoptère – dont j’ignore les modèles – et un char chinois de type 60
utilisé par les troupes du Pathet Lao dans les années 70, est vraiment
archétypique des régimes communistes d’Asie soutenus par les chinois. Tous les
véhicules exposés ainsi que les statues sont couverts d’une très épaisse couche
de peinture qui les fait paraître presque artificiels….Mais ils ont bel et bien
servi.
Les
communistes prirent le pouvoir en 1975 – ainsi qu’à Phnom-Penh où ils montèrent
à l’assaut de l’Ambassade de France et
firent périr deux millions de personnes au cours de l’année. Au Laos, ils
mirent 40.000 de leurs compatriotes dans des camps et en déportèrent plusieurs
autres dizaines de milliers sans parler du génocide de la minorité Hmongs, sous
le prétexte qu’ils avaient collaboré avec les agents de la CIA… C’est trop
triste. Passons. Je parcours le jardin, jette un coup d’œil au musée, prends
des photos. Nous ne nous attardons pas et il me fait passer devant le That Dam,
sorte de Phnom en briques, sûrement le plus ancien monument de cette ville dans
laquelle guerres, purges politiques et morts massives de la population ne
laissent que très peu de vestiges intéressants. On raconte bien qu’au XVII°
siècle, un marchand-explorateur-aventurier hollandais, du nom de Van Wuystoff,
parvenu jusqu’à Vientiane, en avait gardé un souvenir émerveillé tellement la
ville brillait de beautés, de pagodes, et de raffinements. Mais tout cela a bel
et bien disparu…
Il en est ainsi de toutes les civilisations.
C’est pourquoi je pense qu’il faut étudier l’Histoire pour
comprendre d’où l’on vient et ce que nous sommes, mais qu’il est malsain de se
cramponner au passé comme le font tant et tant de personnes, au nom des Valeurs,
de leurs ancêtres, de l’écologie, des traditions, et de toutes sortes de
raisons fort honorables, mais qui me semblent parfois n’être que des écrans
derrière lesquels ces gens cachent leur propre peur de vivre. Il faut dire, à
leur décharge, que la vie contemporaine n’est pas tous les jours réjouissante
et que les raisons d’avoir peur sont justifiées. Mais n’en a-t-il pas été de
même à toutes les époques ?
Fatiguée par ce tourisme, le vent de la course dans le tuktuk, et mes réflexions sur le sens de
l’Histoire, je reviens à Sihome Road, la rue de mon Hôtel, et vais boire une
bière à la table de ciment moulé où j’étais hier en compagnie d’Eric Pinard.
Que vais-je faire demain ? Où vais-je aller ? Je ne peux rester à
l’Hôtel très longtemps…. C’est alors que je vois venir un grand et fort
gaillard, ayant sûrement déjà dépassé le cap de la soixantaine, et qui me
semble être américain. Je lui fais signe et il vient s’asseoir à côté de moi.
Il s’appelle Neil Mussel, ancien diplomate, Canadien. Il attend que la Guest
House d’à côté lui fasse signe que le linge qu’il a donné à laver est prêt.
Nous bavardons. Il passe sa retraite à courir le monde et faire de la plongée,
c’est d’ailleurs ce qu’il va faire dès qu’il aura quitté Vientiane « Rien
à faire ni à voir ici. Dès ce soir je gagne une île du Mékong un peu en aval où
je sais que je pourrai faire de la plongée… ». Je lui souhaite bonne
chance et vais voir la Chindamay Guest House. Le type de la réception, qui me
dit s’appeler « Mister Sit », m’a tout l’air d’être du genre
« petite frappe » mais il est à peu près poli et me montre une
chambre assez propre. Toutefois le cadre est sinistre. On se dirait dans une Workhouse, une maison pour les pauvres
gens en Angleterre du XIX° siècle, qui ressemblait à une prison….. Néanmoins,
je lui dis que je prendrai pension à partir de demain.
Je n’ai rien mangé aujourd’hui et maintenant je sens qu’il
faut avaler quelque chose. Je décide de retourner à la gargote d’hier. C’est
facile. Je descends une rue perpendiculaire au Mékong, retrouve le Marché de
nuit, la pagode proche et enfin le petit restau. J’y suis accueillie par de
joyeuses exclamations ! Rattana, la jeune Thaï qui fait la cuisine me fait
fête. Quant à Jeff, Marck et Gerardt, ils me prient d’occuper la quatrième
place à leur table. Ils se présentent. Jeff est australien. Handicapé et à la
retraite il a très peu d’argent c’est pourquoi, dès qu’il peut, il vient ici
pour mener une vie sans soucis pour quelques dollars par jour. Marck est
hollandais. Beaucoup plus jeune, brun, pas très grand, les épaules larges, une
légère claudication. Il habite dans la Guest House juste en face de chez
Rattana, en attendant sa fiancée chinoise, laquelle habite à Kunming. Il a à
cœur d’aider notre charmante hôtesse qui ne sait quasiment pas compter et
encore moins se défendre des indélicats qui prennent une bière et s’en vont
sans payer. Il fait le rabatteur. Quand des étrangers passent, il les appelle
et leur demande s’ils n’ont pas faim ou soif, ou tout simplement envie d’avoir
de la compagnie. Ca marche à tous les coups ! Il apporte les bouteilles
pendant que Rattana fait sauter les légumes dans son wok, et il veille à ce que
chacun paie ! Enfin, Gerardt, également hollandais, est seulement de
passage et s’en ira demain. Le Laos ne lui plait pas. Je passe la soirée en
leur compagnie et rentre me coucher.
Le lendemain matin, après avoir payé plus que ce qui était
prévu – inflation nocturne, probablement, ou tarif spécial pour les blondes –
je traine ma valise sur les quelques dizaines de mètres qui séparent mon
ex-hôtel de ma future Guest House. Le jeune type monte ma valise, mais…. pas
dans la chambre qu’il m’avait montrée. Ca c’est typique ! Il y a ce que
l’on montre, puis la réalité, une fois que l’on croit avoir ferré le poisson.
Ca me rappelle cette fille très délurée et parlant bien français que j’avais
embauchée à Phnom-Penh, et qui en avait envoyé une autre à sa place le premier
jour d’embauche. Elle refaisait le coup dans différentes maisons. Je demande à
changer de chambre. Mister Sit n’est pas content. Il me donne une clé qui casse
dans la serrure parce qu’elle est en nougat. Comme je réclame, il me fait une
véritable scène et me dit « Tu va payer pour ça ! Non mais ! Tu
casses les clés ! C’est pas possible …. » Il me demande 1,50$ –
grosse somme pour le Laos….
Je suis effondrée. Dans quel coupe-gorge suis-je allée me
fourrer ! Internet ne fonctionne pas. Et ces couloirs sordides…. Je crois y
voir errer l’ombre du vieux Fagin et l’autre petite frappe dans le rôle de
Sikes….pas rassurant du tout. Pour essayer d’y voir plus clair et prendre une
bonne décision, je sors et me mets à parcourir les rues du quartier. Mes pas me
ramènent invariablement vers la rue Manthathourath où se trouve la gargote
tenue par Rattana. Marchant doucement, j’avise un bureau de tourisme. Je
rentre. C’est beau et propre et donne bonne impression. Tout au fond, un jeune
homme devant un ordi. Sans façons, je m’assois et lui fais part de mes
malheurs : impossible de me loger, les prix ont tellement augmenté que
c’est de la folie, et je suis tombée dans un endroit sordide… « Oui, me
dit-il, les prix de l’immobilier ont un peu augmenté, mais pas tant que ça, et comme
c’est la saison sèche, il n’y a plus guère de studios de libres. Mais par
contre, tu ne dois pas rester dans cet affreux endroit dont tu me parles. Viens
avec moi. Je connais un petit hôtel vraiment très bien et bon marché… » Il
se lève. « Oui, mais j’ai une grosse valise. Où est ton
hôtel ? » « Mais à deux pas ! Dans cette rue ! Viens
voir… »
Ah ! Oui ! C’est vraiment bien. Ca me plait
beaucoup et les tarifs sont parfaits. Et de plus, c’est à vingt pas de chez
Rattana ! J’accepte immédiatement. Le jeune homme m’emmène sur sa belle et
confortable moto jusque chez l’autre petit voleur, je ramasse mes affaires,
oblige ce sale type à descendre ma valise et m’en vais au plus vite !
Puis, une fois installée au Vongkhamsene Hôtel, je cours chez Rattana rejoindre
Marck, Jeff, et les nouveaux clients et leur raconter mes aventures. Nous
buvons force bières et chacun y va de son histoire, ses souvenirs et
commentaires. Cela fait une sorte de « famille recomposée » une
famille de fortune. Il est bien vrai que nous avons toujours besoin de
quelqu’un ou quelque chose de familier et que les êtres humaines ont horreur de
la solitude…
Mais à partir de ce moment, je comprends bien qu’il ne me
serait pas possible de demeurer seule dans ce pays. En insistant,
naturellement, je trouverais un logement décent. Mais seule, je vais être la
proie de toutes sortes de petits – ou grands – escrocs. Ils augmenteront le
loyer une fois le contrat signé. Ils couperont l’eau en me demandant de l’argent
« parce que la canalisation est trouée » Ils brancheront tout le
quartier sur mon compteur électrique, comme les khmers le faisaient à notre
Résidence de l’Avenue Tousamuth à Phnom-Penh, pour demander ensuite plusieurs
milliers de dollars, sans rire….Bref, ils m’acculeront à quitter le pays très
vite après m’avoir extorqué tout ce qu’ils pourront. Mais comme j’ai
l’expérience de ces choses, je ne vais pas insister. Alors je vais rester
encore un petit peu, juste le temps de passer quelques belles journées à faire
du tourisme, me promener le long du Mékong, prendre des photos, parler à tous
les étrangers de rencontre – on apprend toujours des tas de choses intéressantes
par ce moyen – bref, apprécier mes vacances !
Cette décision prise, je me sens très soulagée – signe que
c’est sûrement la bonne – et je passe tout le reste de mon séjour fort
agréablement. Mais je peux constater à quel point les quelques personnes
rencontrées les tout premiers jours, et l’informateur le plus sérieux consulté
avant mon départ, avaient raison : il n’y a pas grand-chose à voir et
encore moins à faire ici. C’est pourquoi, même les touristes ne font que
passer.
Une fois, je me dis « J’ai déjà chevauché quelques
animaux intéressants, moins ordinaires qu’un âne ou un cheval. Je suis montée à
dos de dromadaire – mon Dieu ! que c’est haut ! – à califourchon
entre les bosses d’un chameau de Bactriane – doux et génialement confortable –
Au Yunnan, j’ai remonté un torrent à dos de yak – mon bovidé préféré – Alors,
puisque je suis au Royaume du Million D’Eléphants, pourquoi ne pas en profiter
pour expérimenter le confort réputé de ces pachydermes ? » Je vais
dans une agence où l’on propose ce genre d’activité aux touristes. « Pas
de problème, me dit le gars. Reviens demain matin vers 9 heures »
« D’accord. Mais j’ai encore une question. Ca va me coûter
combien ? » « 250$ » répond-il sans sourciller. Je tourne
les talons et quitte l’endroit sans même un au revoir, en me félicitant d’avoir
anticipé les turpitudes auxquelles ces gens sont capables de se livrer !
On dit les chinois âpres au gain. Certes. Mais à chaque fois, on ne me
demandait que 10 RMB (l’équivalent de 1 euro) pour le chameau, le yak, ou poser
pour une photo spéciale. Les chinois, eux, sont intelligents.
Je me demande combien de pagodes il peut bien y avoir dans
toute la ville de Vientiane ? Une chose est certaine, c’est qu’on ne peut
pas faire 500 mètres sans longer les
murs de l’une d’entre elles. Quelqu’un me dit que dans ce pays, 50% des hommes
valides en âge de travailler sont à la pagode – c'est-à-dire au monastère – Ils
vivent d’aumônes et essaient de restaurer, voire reconstruire leurs bâtiments.
Mais je les ai observés en train de travailler, très exactement de transporter
des planches pour étayer un échafaudage. C’est ce que j’appelle
« Travailler à la petite semaine » ! Revenons à la population
masculine. Ceux qui ne portent pas la célèbre robe safran passent leurs
journées à fumer, vautrés ici ou là. Un très petit pourcentage s’occupe à
détourner les recettes de l’Etat (notamment les paiements thaïs pour
l’électricité) et les aides internationales venant, je crois, de la France, des
Etats-Unis ou de l’Australie. Le pays compte 6,5 millions d’âmes seulement.
Les pagodes ne se visitent pas. Ou alors, il faut demander
la permission, et, bien entendu, laisser quelque chose pour leurs bonnes œuvres
des saints hommes… Comme je ne suis pas pieuse, j’en cherche une dans laquelle
je puisse entrer sans payer. Enfin en voici une !
L’entrée est
imposante sans être énorme, et on peut y voir le serpent naga peint en vert qui
s’enroule autour de la porte. Quant au bâtiment arrière, ouvert sur trois
côtés, il est décoré de toutes sortes de fresques de couleurs très vives qui me
semblent du plus bel effet. Je les regarde attentivement et pense qu’il s’agit
là d’une sorte de biographie du Bouddha, de laquelle on n’aurait conservé que
les « fiorettis » pour l’édification des masses. Cela se faisait
ainsi au Moyen Age. Les cathédrales étaient ornées de statues toutes peintes
des couleurs les plus vives, et présentant des détails hyper réalistes, pour
servir d’enseignement aux fidèles qui, à cette époque, ne savaient pas lire. Je
fais quelques pas dans le jardin. Il y a un bassin avec des plantes et une
statue représentant une Apsara dansant avec un serpent. Au bord, un petit gamin
d’une dizaine d’années, en robe safran, me fait un sourire. Je suis contente,
j’ai pris de belles photos, le soleil se couche et je m’en retourne à mon QG de
la rue Manthathoura
Rattana
Le matin elle fait les courses
Elle cuisine toute la journée
Le soir, elle dort dans son restau sur trois chaises rapprochées
Elle est Thaï et a toujours le sourire !
Lecteur, si tu vas à Vientiane, va dîner chez Rattana !
J’y suis chaleureusement accueillie par les habitués, tous
un peu paumés, un peu ivrognes, et très solitaires. C’est la grande famille de
ceux que mon mari appelait « les petits blancs » et que je qualifie
parfois de « chiens perdus sans colliers » la tête toujours pleine de
rêves et la bourse éternellement plate, mais c’est une famille quant même…. Je
suis chaleureusement accueillie, mais Marck me dit que, ce soir, Rattana ne
cuisinera pas. Elle est trop fatiguée. La veille elle a fait la cuisine pour un
groupe de 16 jeunes australiens, travail exténuant pour elle. Je vois qu’elle
est toute pâlotte et a les yeux cernés. Elle fait sauter chaque plat dans son
wok, lequel est posé sur la bouteille de gaz près du trottoir. Elle met son
point d’honneur à ce que ce soit bien fait. Maintenant, elle n’en peut plus.
« C’est pas grave, me dit Marck. Buvons d’abord une bouteille et ensuite,
je t’emmène manger un poisson au bord du fleuve. C’est tout près » Bon.
D’accord.
Après la bière, nous allons nous installer sur des chaises
en plastique sous un banian – ou du moins quelque chose qui y ressemble fort –
Il choisit le poisson, commande deux autres bouteilles et me dit « J’ai à
te parler. Tu sais, tout le monde te respecte ici. Je voudrais te demander un
conseil » Je le sentais venir, avec ses petites flatteries…. « Je
t’écoute, Marck » « C’est au sujet de ma fiancée chinoise. Penses-tu
qu’elle va venir me rejoindre bientôt ? » « Comment le
saurais-je ? Mais d’après mon expérience, les chinoises ne font pas de
sentiment. Elles épousent les étrangers pour leur passeport ou leur argent. Ou
pour échapper à quelque chose dans leur pays. Quelle est sa situation
financière ? » « Oh ! Mais elle a de l’argent ! Elle
tient un restaurant ! » « Alors, elle ne viendra pas…. » Il
secoue la tête d’une façon qui ne veut dire ni oui ni non, mais à son air
fataliste, je déduis qu’il commence à comprendre. Il boit une petite gorgée de
bière pour se remettre, mange un peu de poisson, et me regarde du coin de
l’œil… Je réclame une paire de baguettes parce que les gens d’ici mangent avec
des cuillers et que cela ne me convient pas, et j’attaque le poisson qui est
délicieux.
Marck n’a pas faim. Il me laisse dépecer l’animal et
poursuit son raisonnement. « J’ai une autre question à te poser… »
« Hum… ? » « Est-ce que ça te semblerait inconvenant
d’épouser un homme plus jeune que toi ? » « Non… » Il ne me
laisse pas le temps de terminer ma phrase « Non, s’il y avait du sentiment
entre vous, c’est bien ça ? » « Oui…. » « Bon. Je
pense que tu as environ 50 ans. Peut-être même 52 (j’ai envie de rire !)
et moi, j’en ai 43. Veux-tu m’épouser ? »
Comme c’est mignon ! Il a fallu que je revienne sur les
bords du Mékong pour qu’un homme me fasse une demande en mariage ! Oui,
j’ai beau avoir été mariée deux fois, cela ne m’était encore jamais arrivé.
Dans les deux cas, des circonstances extérieures avaient décidé. Mais tout de
même, en voilà un qui ne doute de rien ! Toutefois, je ne puis me fâcher.
Je ris un peu. Je lui dis que je suis flattée, mais que je ne veux pas me
marier. « Mais je suis très bon amant, tu laisses passer ta
chance ! » « Que veux-tu, tu sais bien que les femmes sont
incompréhensibles ! » Il le prend du bon côté. Nous allons faire une
promenade digestive au Marché de Nuit puis, il m’offre son bras pour me
reconduire devant la porte de l’Hôtel Vongkhamsene . « Bonsoir,
Madame » Il se penche et me met un petit baiser sur le front. Charmant !
Il faut croire que la méthode de ma fille, qui consiste à
envoyer promener tous les hommes pour les mettre à ses pieds, est bonne. Depuis
que j’ai éconduit mon prétendant, il m’appelle toujours « Madame » et
se fait mon chevalier servant !
Un midi, je suis invitée à déjeuner au Chokdee Café, alias « Le
bar Belge » alias « Chez Tintin », par Fanta et son époux. Ils
mangent des plats européens assez copieux et artistiquement présentés. Cet
endroit est très agréable. Ouvert sur le boulevard qui longe le Mékong et
entièrement décoré de plaques, images, statues, miroirs, vases… mille choses
toutes en rapport avec Tintin et les personnages de ces bandes dessinées. Mais
comme je n’ai pas faim, je commande modestement une bière et une petite purée.
Très bonne. Fanta fait la conversation, son mari mange consciencieusement, et
moi je pose des questions sur tout ce qui me passe par la tête. Je trouve ces
gens-là vraiment très gentils. Cela me rappelle, une fois de plus, le Cambodge.
Nous invitions des tas de gens de passage et leur donnions conseils et aide à
chaque fois que nous le pouvions. J’ai l’impression que maintenant, c’est à mon
tour d’être accueillie.
Je l’ai déjà dit, on trouve partout des tables rondes
entourées de petits tabourets ou bancs de ciment moulé. Il y en a devant mon
hôtel. Je m’y assois pour écrire. Cela intéresse beaucoup les gens. Etrangers
ou locaux, ils viennent regarder par-dessus mon épaule, ils admirent
l’écriture, le stylo à plume et encre, et même le cahier, dont la couverture
est rose, naturellement. Ils me demandent ce que j’écris, en quelle langue –
parce que personne n’arrive à deviner de quel pays je peux bien venir, et pourquoi
j’écris. Une jeune femme me demande même la permission de prendre dans ses
mains le cahier pour le regarder de plus près. J’accepte. On me demande mon
nom, et très rapidement, quand je passe dans le quartier, j’entends quelqu’un
appeler « Hi ! Mélanie ! » Ca fait plaisir.
Rattana se remet de ses fatigues et nous pouvons à nouveau
dîner dans notre gargote préférée. Un soir, je m’installe à la table qui est à
côté de la bouteille de gaz et commence à boire en compagnie des habitués.
Passe un jeune couple. Marck les hèle et, tout souriants, ils viennent se
joindre à nous. Un peu plus tard arrivent deux autres gars, un peu moins jeunes
tout de même.
Je crois qu’il est temps que je fasse les présentations.
J’ai déjà parlé de Jeff, le retraité australien. Il va
rentrer chez lui pour les fêtes de fin d’année. Marck, mon chevalier servant,
ancien comptable en rupture de comptabilité, joue les utilités en faisant venir
les clients auxquels il apporte les bouteilles de bière, tout en veillant à ce
qu’ils ne partent pas sans payer. Mais il y en a d’autres.
Nathan
est néo-zélandais. Homme de ménage dans son pays, il habite chez sa maman, et
quand sa bourse est assez garnie, il pose sa lavette, remplit son sac à dos et
part le plus loin possible. Il est de taille moyenne, roux, cheveux bouclés,
l’air doux et gentil. Il porte un Tshirt
qu’il n’a pas choisi au hasard : cela donne le ton ! Je
traduis :
« On est tous un
peu dingues. Bienvenue au Club ! »
Alors que Marck se montre volubile et familier, Nathan tire
une chaise et me dit calmement «Tu peux t’asseoir à côté de moi. I’m safe » Ce qui veut dire
que je ne cours aucun risque en sa compagnie. Très galant !
Un jeune couple – la trentaine – passe dans la rue. Je les
avais déjà vus au Marché de Nuit. Ils sont français. Romain est cuisinier et
Laura, serveuse. Elle est enceinte de 6 mois. Ils sont beaux tous les deux. Et
ils vivent… en Vendée, c'est-à-dire à deux pas de chez moi ! Ils s’assoient
un moment, nous prenons des photos, je donne ma carte à Romain qui me demande
de la leur dédicacer. Le fait que je sois écrivain les impressionne A moi
d’assumer. Je dédicace et lui dis de me contacter lorsqu’ils seront de retour
au pays. Mais je pense qu’ils ne le feront pas. D’ailleurs, ce soir, ils nous
quittent pour aller manger un poisson tous les deux, en amoureux
sous le banian en face de la pagode…
Laura, Mélanie et Romain de Vendée
Mais il y a du passage dans cette rue Manthathourath !
Voici deux charmants gamins. S’ils ont vingt ans, c’est la fin du monde !
Ils se joignent à nous avec un plaisir évident et se présentent : Sissi,
rouquine aux cheveux tout bouclés, au charmant visage poupin, aux yeux rieurs,
constamment en train de bavarder et plaisanter – et Andrew, un peu plus
réservé, maigre, cheveux bien courts, manifestement sous l’influence de sa
petite copine. Ils s’assoient sans façon et se mettent à boire… comme des
légionnaires ! Ils sont américains et viennent du Michigan.
Le plus calme de toute la bande est sans conteste Justin. Ce
n’est pas sa taille qui impressionne, mais son épaisseur. Ses bras sont
sensiblement plus gros que mes cuisses, sans rire ! Et cette force de la
nature porte un « marcel » à trous et un short rose layette ! Il
ne parle guère, sourit gentiment, et boit consciencieusement. Vu son physique,
je ne suis pas du tout étonnée d’apprendre qu’il est docker à Stockholm. Il
conduit des machines sûrement effrayantes ! Mais il est islandais.
Lorsqu’il avait 6 ans, ses parents ont décidé d’émigrer en Suède et ils ont
quitté Reykjavik.
Justin ne parle pas beaucoup mais sourit gentiment. Quand je
raconte une histoire, il me regarde très attentivement et plisse les yeux
d’attention.
Plus tard au cours de cette mémorable soirée, passent deux
jeunes hommes venus, eux, du pays du Père Noël : ils sont
finlandais ! Mais l’un est ingénieur et l’autre juriste. Et comme il fait
froid chez eux, ils ont décidé de passer quelques jours dans un pays chaud. Ce
ne sont pas des « chiens perdus sans collier » !
Sissi, Andrew, Jeff, Marck, Nathan et Justin
Tout le monde se présente et parle avec tout le monde.
J’observe que, bien qu’étant tous d’horizons extrêmement différents, tant
géographiques que sociaux, tous se comportent bien et sont aussi polis que des
diplomates lors d’un cocktail en ambassade. C’est seulement le niveau des
conversations qui diffère. Quoique j’entende souvent des réflexions
intéressantes. Mais au fur et à mesure que le nombre de bouteilles vides augmente,
Andrew devient plus loquace alors que Sissi se calme un peu. Elle rit tout le
temps. « Je suis saoûle, tu sais » me dit-elle, au cas où je n’aurais
pas compris. « Ce n’est pas grave »
lui dis-je. Puis, pour être gentille avec elle, je lui fais compliment
de ses cheveux. « Ils sont longs, n’est-ce pas ? » fait-elle
comme une petite fille qui cherche des félicitations. « Oui. Mais les
miens le sont beaucoup plus… » et je retire la pince qui retenait mon chignon. Mes cheveux se répandent d’un
coup, ils atteignent presque ma taille. « Ohhhhh !» fait-elle comme
si je venais de lui offrir un beau cadeau « Ohhh… Je t’en prie, laisse-moi
te faire des tresses, j’adore faire des tresses, et puis tu es gentille, je me
sens bien avec toi…. » C’est ça. Elle passe tout le reste de la soirée à
me faire une foultitude de petites rastas. Quand elle en a fini à droite, elle
change de chaise et passe à ma gauche pour continuer son œuvre. Les mains
occupées, elle boit un peu moins. Je dois dire qu’elle a les mains douces et
les gestes sûrs malgré son état d’ébriété avancée. Elle ne me tire pas une
seule fois les cheveux et je ne sens presque rien. Pas du tout gênant. Je
continue à parler avec l’ingénieur finlandais et à trinquer avec Nathan. Mais
vers minuit, je déclare que je ne veux pas être transformée en souillon au
douzième coup alors je salue la compagnie et me retire dans mon hôtel.
Et que vois-je dans le miroir ? Toute ma chevelure a
été tressée finement. C’est très réussi, je dois le reconnaître. Je comprends
pourquoi Sissi me disait que ça faisait « jeune » ! J’ai l’air
de la parfaite « baba-cool » ! Je prends une douche rapide et
remets au lendemain le dé-tressage des tresses….
Seigneur ! Le lendemain, Sissi et Andrew sont installés
chez Rattana dès midi avec des têtes à faire peur. Non seulement ils ont bu de
la bière et un alcool fort, mais ils n’ont pas dormi de la nuit, et je
comprends qu’ils ont également consommé quelques pilules des plus suspectes… de
celles qui vous mènent au Nirvâna d’abord puis à l’asile psychiatrique. Ils
mériteraient une bonne correction ! Je les sermonne. Ils ne font plus du
tout les fiers. Marck propose un jus d’ananas, je renchéris et Rattana en fait
deux. Ils boivent et nous les expédions se coucher !
Pour me rasséréner, je pense à James et Shellsea, un autre
couple de jeunes américains mais très différents. Du Névada. Très distingués.
Bonnes familles, études, projets de mariage… James, très beau garçon, parle
avec aisance tout en étant aux petits soins avec Shellsea. Quant à elle, elle
est absolument ravissante, exquise de finesse, elle a des traits classiques
parfaits, un teint pâle mais les lèvres roses, et des cheveux du plus beau
blond, raides, bien coupés et brillants. Ils ressemblent au couple américain
idéal dont on peut admirer les portraits sur les magazines « people ». Pour couronner le tout ils sont encore assez
jeunes pour avoir conservé une spontanéité qui nuance la rigueur de leur bonne
éducation. Je les rencontre à plusieurs reprises au cours de mon séjour. Avant
de repartir, ils viennent dire au revoir et serrent la main des habitués puis
m’embrassent tous les deux ! Je suis très touchée et leur souhaite une vie
heureuse.
Peu de temps après mon installation dans mon nouvel hôtel,
je me rends à l’horrible Chindamay Guest House de sinistre mémoire parce que
j’y avais laissé ma tenue de voyage à laver : une robe rose parfaite en
toutes circonstances, et que je tiens à récupérer. Mister Sit me doit également la monnaie de ce que je lui avais
donné pour le bris de la clé, et la nuit payée d’avance mais que je n’ai pas
passée. Je n’ai aucune illusion, et j’avais âprement négocié. Mais je veux le
lui réclamer pour le principe. J’arrive et dois attendre un petit moment parce
que le livreur de linge n’est pas encore passé. Naturellement, Mister Sit refuse de me rendre mon
argent, mais il me précise tout de même qu’il a loué ma chambre cette nuit là,
ce qui est le comble de l’arrogance ! Il a donc mis les dollars dans sa
propre poche sans en référer à son patron. « L’argent est à moi,
aboie-t-il. Et si tu me fais des embrouilles, j’appelle les flics ! »
S’il croit m’impressionner…. Je sais parfaitement pourquoi il dit cela. Il veut
me faire peur. Certes, il pense que je suis stupide et donc facile à intimider.
Mais surtout, le jeu en vaut la chandelle. Si je me fâche et que les flics
arrivent, ils empocheront 50 à 75% de la somme, c'est-à-dire 5 ou 6$. Mais il
en gardera 2. C’est toujours ça de pris dans un pays si pauvre. Et puis les
flics me colleront une amende pour trouble à l’ordre public ou toute autre
raison, et ils partageront…. C’est comme cela que les étrangers se font
racketter, parce qu’ils croient à la justice, à leur bon droit, aux lois, bref
à toutes sortes de niaiseries occidentales… Peu me chaut de perdre 8 $.
Toutefois, je lui dis « Et la monnaie du billet que je t’ai filé pour la
clé ? Tu m’as dit toi-même et devant témoin que tu me la rendrais »
Furieux, il me regarde d’un œil assassin mais tire tout de même quelques
billets de sa poche… qui en est toute gonflée ! Il me les tend comme un
défi en relevant le menton. Je m’en saisis prestement, attrape le petit sachet
qui contient ma robe et prends le large au plus vite ! Comme j’ai bien
fait de ne pas essayer à toute force de rester dans ce pauvre pays !
Je ne regrette pas ma décision de le quitter.
La date du départ approche. Chaque fin d’après midi je vais
me promener sur la rive du Mékong. Je m’assois par terre. Le béton est encore
chaud du soleil de la journée et les gens commencent à sortir. Chaque soir, sur
une esplanade, un groupe de femmes se réunit pour danser au son d’une musique
endiablée. C’est leur façon de faire du sport. Je regarde de l’autre côté du
grand fleuve, puis je demande à un étudiant américain occupé à siroter une
Heineken, de me prendre en photo. Il accepte avec un grand sourire.
Nouvel
envol
Les journées sont douces, le ciel laiteux et je remarque
qu’il y a tout le temps du vent. Est-ce dû à la présence du Mékong ? Ou
descend-il des montagnes environnantes ? Je ne saurais le dire. Mais
depuis mon arrivée, la température ambiante a sensiblement baissé et avant de
prendre un tuktuk il faut enfiler un
vêtement coupe-vent. Comme mon cher téléphone chinois fonctionne très bien,
j’appelle Claude. Il me répond d’une voix d’outre-tombe, entrecoupée d’accès de
toux irrépressible. « Vous êtes malade, Claude ? Où
êtes-vous ? » « Au lit, avec ma copine….J’ai pris froid le soir
de votre arrivée en rentrant chez moi en moto alors que nous sortions de la
boite de nuit…. » « Ah ! Désolée. Je vous conseille de consulter
un docteur…. »
Puis c’est Fanta qui m’appelle. Je lui dis que je m’apprête
à partir dans deux jours et, après avoir déploré que je ne reste pas plus
longtemps, elle me propose de m’emmener à l’aéroport. Comme c’est gentil !
J’accepte avec grand plaisir.
Je passe la dernière soirée en compagnie de tous les
habitués de la gargote de Rattana. Nous formons le
Club des Joyeux Bois-sans-soif
Et il semblerait que j’en sois de facto le Président d’honneur ! Ils sont tous plus jeunes
que moi. D’un côté, que je sois professeur et écrivain les impressionne. De
l’autre, ils m’aiment bien et me racontent leurs histoires personnelles,
sollicitant parfois des conseils, ou me jetant un petit coup d’œil en coulisse
pour essayer de deviner ce que je pense de leurs aventures….
Aujourd’hui, c’est mon dernier jour à Vientiane. Je fais
très soigneusement ma valise, y couche Alex – qui n’a guère eu la chance de se
rendre utile – et ôte tout ce que je ne compte pas emporter, puis je me douche
et enfile la robe de voyage rose dans laquelle je suis arrivée. Il me reste
quelques heures avant que Fanta et Jean-Claude viennent me chercher, aussi
vais-je chez Rattana pour manger un peu car je doute fort que l’on nous serve
quoique ce soit dans l’avion de la Lao Airlines qui doit me déposer à Bangkok
ce soir.
Une fois arrivée, je constate que ce midi, il n’y a qu’un
seul client. C’est un jeune homme long, maigre, pâle, les cheveux hyper courts
et presque blancs à force d’être blonds, les yeux délavés… bref, pas bien beau,
le malheureux. Toutefois, je vais droit sur lui, me présente et lui demande
sans façons si je peux m’asseoir en sa compagnie. Son visage s’éclaire
littéralement et il me fait un immense sourire « Avec plaisir ! me
dit-il. Stuart » et il me tend la main. Charmant, très bien élevé, mais
hélas, sa bouche serait un paradis – ou un cauchemar – pour un orthodontiste…..Il
a déjà terminé sa première bouteille de bière, je lui offre la seconde et pendant
que Rattana me fait cuire quelques légumes, nous échangeons des banalités,
histoire de deviner d’où nous pouvons bien venir. D’après son physique, il est
anglo-saxon, mais ses manières sont différentes de celles des américains et
d’ailleurs il n’en a pas l’accent. Australien ? Hum…Quant à lui, il se dit
exactement la même chose mais à l’inverse : elle a l’accent américain mais
n’en a pas l’allure…Puis nous nous mettons à rire et je pose la question
directement « Puis-je te demander d’où tu viens ? » « De
Portsmouth. Je suis anglais » « Ah ! Je suis déjà allée à
Portsmouth. Et nous sommes voisins parce que je suis française » Il en
reste les yeux ronds, ce qui me ravit parce que rien de me fait davantage
plaisir que lorsqu’on ne peut pas deviner ma nationalité !
Je lui raconte ma visite au Portsmouth Historic Dockyard où j’ai pu admirer le Mary Rose, vaisseau de guerre du roi
Henry VIII Tudor, qui sombra en 1545 mais fut retrouvé en 1971 et installé de
façon à pouvoir être visité. Pour le conserver, il faut le maintenir humide,
aussi fait-on ruisseler de l’eau glacée dessus en permanence…. Mais c’est
passionnant. Toutefois, je m’aperçois vite que Stuart ne s’intéresse que très
médiocrement à l’histoire de son pays, mais passionnément à l’éducation de gamins
thaïs dont il a la responsabilité. Parti faire un tour du monde, il s’est
arrêté en Thaïlande, histoire de trouver un petit job qui lui ferait gagner
quelques sous pour aller plus loin. Mais, vite envoûté par son métier, il s’y
est fixé depuis maintenant plusieurs années. Il me parle de son expérience
professionnelle, de ses espoirs, des difficultés du métier, des gamins…. Comme
il est rafraîchissant ! J’étais comme cela à son âge ! Je suis
vraiment ravie d’avoir fait la connaissance de ce jeune collègue et de
constater que « Professeur » reste le plus beau métier du
monde !
Le temps passe vite à discuter ainsi. Et voilà que, petit à
petit, arrivent tous les amis. Sissi et Andrew ont encore les cheveux mouillés
de la douche et Sissi à mis une petite robe de coton très décolletée qui lui va
fort bien. Je lui offre ma bouteille de shampooing légèrement entamée.
« Ca vient de France ! » Elle la prend à deux mains et la serre
sur son cœur. Andrew lui dit « Tu m’en donneras un peu ? » Elle
rit et se tourne vers moi « Tu sais, il me prend mes affaires de
toilette ! »
Nathan le néo-zélandais et Justin d’Islande arrivent en
compagnie d’un nouveau venu : Dave, un canadien qui vendait du matériel
médical pour handicapés, plutôt bel homme mais qui sent son looser à dix pas. D’ailleurs il nous
explique qu’après avoir fait faillite, il a décidé de voyager… Je leur offre
tous les journaux et revues que j’avais ramassés au cours de mes escales. Il y
en a en différentes langues. Ils sont contents.
Marck traîne avec lui Gilberto, un italien complètement
alcoolique, très ridé, mais qui semble assez intelligent, quoique fort amer. La
vie n’a pas dû être tendre avec lui. Pour laisser un bon souvenir à mon
chevalier servant, je lui lègue un de mes anciens téléphones chinois qui a
seulement besoin d’une pile neuve, et une enveloppe rouge contenant quelques dongs – monnaie vietnamienne que je
conserve depuis des années et ne me servira sûrement jamais. Il s’en empare
avidement et semble ravi !
Normalement, c’est le soir que la gargote de Rattana
accueille tant de fidèles clients. Dans la journée, chacun vaque à ses affaires
ou dort en attendant l’heure de la première bière. Mais aujourd’hui ils sont
tous là pour me dire au revoir.
Quand je vois passer la grosse Toyota des Legoupil, je dis
« C’est l’heure d’y aller » et me lève. Sissi se pend à mon cou et
fourrage dans mes cheveux à pleines mains – une dernière fois ! Andrew me
serre dans ses bras, Nathan et Justin me font quelques bises et me souhaitent
réussite et bonheur. Ils me remercient d’être restée avec eux tout du long de
mon séjour. Gilberto, plus réservé, me serre la main. Stuart aussi, car nous ne
nous connaissons que depuis deux ou trois heures, mais il me lance un cordial
« Bon voyage de retour en Europe ! » Rattana s’essuie
promptement les mains sur son tablier et se précipite dans mes bras, elle me
serre très fort en parlant thaï avec volubilité, puis, les yeux pleins de
larmes elle court derrière moi dans la rue en agitant les bras… Je me retourne,
je leur fais de grands gestes d’amitié à tous. Ils sont debout…Je suis très
touchée….
Marck est le seul à n’avoir rien dit. Il me suit
silencieusement, prend d’autorité ma valise et la met dans la Toyota des
Legoupil, puis il dit sobrement « Prenez soin de vous, Madame. Je ne vous
oublierai pas » et dépose un petit baiser sur mon front. Je monte
prestement dans la voiture Fanta est impressionnée par ces adieux « Hé
bien, dit-elle, tu es très populaire…. » Jean-Claude démarre. Je ne me
retourne pas. Il roule vers le Mékong et je regarde les eaux grises brillant
sous le soleil…..
Tout l’après midi, les Legoupil me font visiter la ville et
m’expliquent des tas de choses. J’ai déjà fait la visite mais c’est beaucoup plus
confortable en Toyota qu’en tuktuk et
surtout moins salissant. Et puis nous passons tout de même dans quelques rues
que je ne connaissais pas, devant l’Ambassade de France, puis le Palais du
gouvernement qui est en pleine rénovation, et enfin, nous allons au grand
marché chinois tout près de l’aéroport.
L’après midi est presque terminée. Jean-Claude me dépose à
l’entrée des Départs. Fanta m’embrasse et me souhaite des tas de bonnes choses.
Je prends ma valise et m’en vais….un peu plus à l’Ouest ! Dans le vol pour
Bangkok je suis assise à côté d’une jeune laotien qui est guide de tourisme et
s’en va à Melbourne retrouver sa fiancée. Puis, après l’escale dans la capitale
siamoise, je découvre avec un immense plaisir que l’énorme A380 pour Roissy est
à moitié vide ! Je peux m’allonger et je passe une excellente nuit.
J’arrive à Paris fraîche comme une rose !
Ce sont sûrement les vœux de mes amis de fortune laissés à
Vientiane qui ont été exaucés par les anges….