Dictionnaire Amoureux de la Chine
Présentation par Amélie de la Musardière
Monsieur José Frèches n’est plus à présenter. Dire que c’est
un grand sinologue, citer ses publications et préciser qu’il a mis l’histoire
de la Chine à la portée de tout lecteur susceptible de s’intéresser à ce sujet,
louer son érudition, ajouter qu’il a accompagné deux fois le Président Sarkozy
en visite officielle et, qu’en tant que Commissaire général de la France à
l’Exposition Universelle de Shanghaï en 2010, il a conçu et géré le pavillon
français qui fut le plus visité de tous, n’est pas nécessaire.
Personnellement, j’ai lu tous les volumes qui constituent
les différents cycles intitulés « Le Disque de Jade »
« L’Impératrice de la Soie » et « L’Empire des larmes »
ainsi que « Moi, Bouddha », avec passion. Et maintenant, je viens de
terminer la lecture du « Dictionnaire Amoureux de la Chine ».
Pourquoi écrire cet article ? Pour deux raisons. La
première, c’est parce que je tiens à faire partager l’enthousiasme que j’ai
ressenti à cette lecture. Et la seconde, c’est qu’ayant passé plus de vingt ans
en Asie – dont pas moins de quinze en Chine – beaucoup étudié, travaillé avec
et pour les chinois, et vécu des expériences inoubliables, au point de
considérer parfois la Chine comme ma seconde patrie, je crois que je suis à
même de comprendre et d’apprécier tout ce que dit Monsieur José Frèches car
pour moi, il ne s’agit pas d’un savoir livresque, mais bel et bien de ma propre
vie.
Comme le titre l’indique, il ne s’agit pas de n’importe quel
livre, mais d’un Dictionnaire. Or, qui s’aviserait d’entreprendre la lecture
d’un ouvrage de cette nature de A à Z ? Personne, en général. On s’imagine
que ce sera trop érudit, probablement ennuyeux et assurément trop long.
Pourtant, je l’ai fait ! J’ai lu d’une traite les 1.045 pages de cet
ouvrage, presque sans reprendre souffle, m’exclamant à haute voix, soulignant
les passages les plus remarquables, admirant la clarté d’esprit et le sens
pédagogique de l’auteur, et souvent, riant aux éclats !
Merci, Monsieur Frèches, de m’avoir fait passer tant
d’heures si agréables !
Pour résumer, je dirai que ce qui m’a semblé le plus
remarquable de cette œuvre considérable, c’est tout d’abord la clarté avec
laquelle M. Frèches présente les questions les plus ardues – et je dirai même la
pédagogie dont il fait preuve, plus encore que l’esprit de synthèse requis pour
la rédaction d’un dictionnaire. J’ai également apprécié les comparaisons qu’il
fait entre les époques ou les personnages évoqués et des évènements ou des
figures occidentales, voire contemporaines. J’apprécie d’autant plus cette
méthode que j’en ai amplement usé moi-même lorsque j’étais Chargée de Cours
d’Histoire ou de Littérature dans des universités chinoises. Enfin, M. Frèches
a un style d’autant plus agréable qu’il est simple et plein d’humour. Il y a
des passages vraiment savoureux !
Mais il est bien évident que lorsqu’une personne apprécie
une œuvre, quelle qu’elle soit, elle le fait en fonction de son éducation, sa personnalité, son vécu. Il me semble également qu’il est
réjouissant et flatteur de constater que l’on partage les opinions de quelqu’un
d’aussi cultivé, éminent et reconnu que M. Frèches. Personnellement, c’est la
seconde fois de ma vie que j’éprouve ce plaisir. La première était il y a bien
des années à la lecture de l’autobiographie du Professeur Karl Gustav Jung.
Un dictionnaire qui se lit comme
un roman
Quelques questions
ardues….
Aux personnes qui me demandent « Alors, la
Chine ? » je réponds « C’est un autre monde ». Et cela ne
rend pas aisée la compréhension du monde chinois. La toute première des
barrières, derrière laquelle s’arrête l’immense majorité des gens étant, bien
évidemment, celle de la langue. « C’est du chinois ! » est synonyme
d’incompréhensible. Les chinois, quant à eux, disent « C’est du
grec ! »…
M. Frèches nous rappelle que « la langue écrite et la
langue orale se sont développées parallèlement, de façon autonome comme deux
langages jumeaux » (p.16). Au départ, il ne s’agissait que de noter les
oracles, et seuls, les devins au service des premiers empereurs mythiques,
pouvaient écrire les premiers pictogrammes. Ceux-ci, en se complexifiant pour
répondre à de nouveaux besoins, devinrent des idéogrammes. Mais dès le départ,
la langue chinoise n’avait pas été conçue comme un moyen de communication.
D’ailleurs, les clans initiaux parlaient des langages différents.
« Lorsque que Qin Shihuangdi (259-210 avant J.-C.) ce premier empereur de
Chine, mit fin à la prolifération quelque peu anarchique de l’écriture, c’est
bien sûr pour des raisons politiques et administratives » (p.758). Il
n’est donc pas étonnant que l’écriture ait été l’apanage exclusif des Lettrés
et mandarins (lesquels peuvent se comparer à nos énarques) qui formaient
l’administration impériale. Pas étonnant non plus que « contrairement à
l’Occident, où la compréhension de l’univers repose sur le procédé de
causalité, la Chine propose une logique de correspondance entre les divers
éléments constitutifs » (p.132) puisqu’à l’origine, il s’agissait de la
symbolique utilisée par les devins.
J’ajoute que je suis personnellement très reconnaissante aux
dirigeants de la Chine contemporaine d’avoir simplifié les
« caractères » tout en conservant les radicaux d’origine, ce qui en
rend l’étude nettement moins ardue pour quiconque n’a pas la prodigieuse
mémoire et l’intelligence exceptionnelle d’un Matteo Ricci !
Parmi les autres sujets ardus que les occidentaux ont
beaucoup de mal à comprendre, c’est l’énormité de la population et la façon
dont elle influence le choix du régime politique. Il n’y a aucune commune
mesure entre les cités grecques – berceau de la démocratie – qui ne comptaient
que quelques milliers de citoyens, et un empire de 1.450 millions de bouches à
nourrir et d’aspirations à satisfaire. « La Chine n’a jamais été une
démocratie. Ses dirigeants ont toujours jugé que le pays était bien trop peuplé
pour ça. La nécessité d’un système centralisé et autoritaire, considéré comme
le seul à même de servir de rempart contre le chaos, a toujours été plus ou
moins accepté par le peuple » Cette «préférence de la société chinoise
pour le système totalitaire a été théorisée par le légisme » (p.506). Pour
les légistes « Plus les hommes sont nombreux, plus ils sont agressifs les
uns envers les autres » (p.530). Selon Han Feizi (280-234 avant J.-C.,
période qui correspond à la fin des Royaumes Combattants) « C’est la
démographie qui est la principale coupable de la violence sociale »
(p.531).
C’est elle également qui conditionne la notion d’Harmonie.
M. Frèches explique que « l’idéogramme (représentant l’harmonie), qui
associe la pousse de céréale à la bouche, témoigne du lien qui est fait entre
harmonie et nourriture » (p.439). Il précise que « l’énormité de
l’enjeu consistant à alimenter suffisamment cet immense réservoir de
population… à canaliser ses énergies, et surtout à empêcher que celles-ci ne
débouchent sur ce chaos qui guette les organisations humaines lorsque la
population devient trop nombreuse, est ce qui a toujours fondé la Chine et ses
dirigeants. Cette démographie hors normes est le fil rouge de la Chine, de sa
civilisation, de son histoire et de son organisation économique et
sociale » (p.724).
J’ajoute qu’au cours des quinze années que j’ai passées en
Chine, je n’ai jamais vu personne mourant de faim – ou dans un état d’extrême
misère physiologique dû à un manque de nourriture prolongé, comme je l’avais vu
dans d’autres pays. Or manger est plus nécessaire à la vie que tous les autres
Droits réunis….
Comparaisons
intéressantes…..
Bien souvent, M. Frèches se livre à des comparaisons qui me
semblent à la fois pertinentes, instructives et amusantes. Je trouve qu’elles
apportent une touche personnelle très appréciable à son ouvrage. En voici
quelques unes.
« La religion populaire est un syncrétisme qui associe
confucianisme, taoïsme et bouddhisme, ce qui permet aux fidèles d’éviter de choisir.
Cette religion populaire fonctionne come une sorte de supermarché du bonheur
offrant à ses clients la totalité des produits sur le marché » (p.166).
Cela me rappelle les grand-mères de mes étudiants qui, lorsque j’étais encore
professeur à Taïwan, allaient brûler des bâtonnets d’encens dans un des
nombreux temples de Taipei, aussi bien à la Vierge Marie qu’à Guanying. En
effet, aussi étonnant que cela puisse paraître, il y avait là une statue
catholique égarée, mais qu’il eût été peu diplomatique de ne pas saluer….
Quant au « saint patron » des professeurs, voilà
ce que M. Frèches en dit : « Jusqu’à l’âge de soixante ans, Maître
Kong n’était qu’un conservateur éclairé dont la morale rigoureuse se situait grosso modo à mi-chemin entre la
modestie proverbiale du « Connais-toi toi-même » prôné par Socrate et
le rêve un peu fou consistant à faire coïncider « cité terrestre et cité
céleste » comme c’est le cas de Saint Augustin. Pour Confucius, en effet,
si les hommes respectent les rites et pratiquent la piété filiale, ils vont
devenir « naturellement » vertueux … Il était donc en
concurrence avec les philosophes légistes qui se faisaient les avocats de la
coercition ». M. Frèches conclut « on peut considérer l’optimisme de
Maître Kong soit comme totalement décalé, soit comme particulièrement en avance
sur son époque…. » (p.247). Je trouve cette réflexion savoureuse…..
J’ai trouvé l’article Steppe (le royaume du cheval)
particulièrement palpitant, car on oublie trop, aveuglés que nous sommes par
l’éclat des grands royaumes sédentaires, que les nomades, « ces
indomptables fils de la poussière », allaient et venaient au gré des
saisons et des besoins de leurs troupeaux, de la Mandchourie à la Hongrie.
D’ailleurs, le célèbre Attila (395-453) roi des Huns, était un descendant de
ces Xiongnu dont les Han ne cesseront de repousser les assauts. Mais il y en
eut beaucoup d’autres. « La steppe est le territoire des survivants.
Contrairement aux sédentaires, ils n’ont rien à perdre et tout à gagner…
L’empereur Qin Shihuangdi aura été le premier à comprendre que, s’il voulait
que le Qin dominât enfin complètement ses rivaux, il devait absolument se
procurer des chevaux de la steppe pour constituer sa propre cavalerie. A
l’époque, une cavalerie est l’équivalent de ce qu’est aujourd’hui une flotte
d’avions de combat » (p.899).
Au passage, je note que M. Frèches parle du Premier
Empereur, ainsi que de bien d’autres sujets de première importance, dans de
nombreux articles, complétant à chaque fois, tout en évitant les répétitions,
les informations données dans la rubrique principale.
Ici, je ne résiste pas à citer la fin de son étude sur la
steppe car M. Frèches s’y livre à des comparaisons humoristiques qui me
ravissent ! « …les rares fois où elle est conquise par la steppe, la
Chine finit toujours par se venger de ses envahisseurs. Avec ses turbans de
soie, ses parfums et ses belles danseuses, elle les amadoue, les endort, puis
les ligote. Elle leur fait comprendre que, étant donné qu’ils ne sont que des
rustres, ils doivent caresser les Lettrés dans le sens du poil. Alors, à peine
est-il entré en Chine que le barbare, tel l’éléphant dans le magasin de
porcelaine, est gêné aux entournures. Cauteleux, soucieux de plaire aux
mandarins, il perd peu à peu ses réflexes de guerrier. D’affûté, il va devenir
obèse, et il aura suffi de quelques années pour que le fin chasseur se
transforme à son tour en vulgaire gibier » (p.899).
Toujours de
l’humour…..
J’apprécie l’humour dont fait preuve M. Frèches. D’autant
plus qu’on ne s’attend généralement pas à rire aux éclats en lisant un
dictionnaire ! Aussi je propose au lecteur quelques unes de ses remarques
humoristiques, afin de lui donner un avant-goût de ce que sera pour lui la
lecture du texte intégral. A ce propos, je tiens à préciser que M. Frèches, en
auteur expérimenté, fait alterner les articles érudits et les sujets curieux
avec les anecdotes purement personnelles. Cela rend l’ouvrage beaucoup plus
vivant.
De Deng Xiaoping (le Petit Timonier), il écrit que son
parcours idéologique « le fit théoriser avec brio les possibilités du
croisement de la carpe et du lapin, qui permit à la Chine de devenir cet
hybride où le parti unique et l’économie de marché coexistent » (p.309).
L’allusion à un dicton populaire français est, certes, amusante, mais la
réflexion n’en est pas moins à méditer car les occidentaux ont trop souvent
tendance à oublier l’une des deux données. Les défenseurs des Droits de l’homme
ne voient que le parti unique, et les
investisseurs, l’économie de marché. Or, c’est le tout qui forme la spécificité
chinoise.
L’article Panda géant a retenu toute mon attention. Pour
deux raisons. La première, c’est que malgré toutes les années que j’ai passées
en Chine, non seulement je n’ai jamais vu de panda, mais j’avoue même ne pas
m’y être intéressée. J’ai donc appris les particularités de cet animal qui, en
chinois, s’appelle « ours-chat ». « Le panda ne fait rien
d’autre que manger et dormir » (p.669). « Ces animaux perdent
rapidement l’habitude de faire le moindre effort lorsqu’ils sont en captivité,
ce qui, ajouté au peu d’attrait qu’ils ont pour la bagatelle avec le sexe
opposé rend problématique leur reproduction » (p.670). M. Frèches est
invité à visiter une réserve et on lui met un petit panda sur les genoux. Il
réalise alors que « contrairement à l’image qu’on en a, le panda a un poil
rêche et il dégage une très forte odeur. Quand on le touche, on comprend qu’il
ne s’agit pas d’un animal de compagnie, mais bel et bien d’une bête sauvage
complètement indifférente à l’homme » (p.684). Pour avoir été invitée une
fois à caresser un tigre et avoir éprouvé exactement la même chose, je souscris
entièrement à ce jugement.
La visite de la réserve des pandas était intéressée !
Les autorités locales voulaient récupérer le pavillon français de l’Exposition
Universelle de Shanghaï pour en faire une des attractions de leur parc, c’est
pourquoi elles se livraient à une entreprise de charme sur leur visiteur, ayant
par ailleurs trouvé un généreux bailleur de fonds, M. Zhou qui « grâce à
la surface de ses chèques (sic) s’était
toujours montré capable de transformer ses idées en réalités tangibles »
(p.680). Je trouve ce néologisme, né de la traduction d’une expression
chinoise, exquis !
Tout au long de la lecture de ce Dictionnaire Amoureux, on
sent que M. Frèches a une parfaite connaissance de la Chine – certes - mais aussi des chinois, ce qui lui permet de
nous raconter de truculentes anecdotes illustrant parfaitement la mentalité de
ceux qu’Auguste François, Consul de France de 1886 à 1904 à Yun Nan Fu
(aujourd’hui Kunming) appelait « les célestes ».
Voici M. Frèches au banquet offert le 2 novembre 2007 par le
Président Hu Jintao au Président Sarkozy dans la grande salle de réception du
Palais du Peuple Place Tian Anmen – où j’ai eu l’honneur d’être invitée à dîner
une fois, ce qui me permet de bien comprendre l’ambiance ! Les plats
défilent, conventionnels. Enfin on apporte les abalones – coquillages que l’on
appelle ormeaux en France. L’assemblée applaudit à grand bruit. « A la
suite de quoi, dans un silence sépulcral, chacun, y compris les deux chefs
d’Etat, se mit à déguster son coquillage. Une fois la chair avalée, mon
vice-président de l’Assemblée nationale (son voisin de table) essuya avec sa
serviette la coquille irisée puis la fourra discrètement dans sa poche.
« Vous devriez faire comme moi, la maison de l’ormeau est un grand porte
bonheur ! » me glissa-t-il, pas le moins gêné du monde, après s’être
aperçu que son petit manège ne m’avait pas échappé. Je regardai autour de moi.
Il n’était pas le seul à agir de la sorte. La plupart des huiles présentes
nettoyaient soigneusement leur ormeau avant de l’empocher. Ne pas suivre le
conseil de mon voisin n’eût pas été convenable de ma part. Aussi décidai-je
d’emporter mon abalone porte bonheur » (p.52)
Sujets qui fâchent. Mises au point
Démocratie et droits
de l’homme
Il y a quelques mois, une des universités de Shanghaï m’a
demandé une petite étude sur le thème « Image de la Chine perçue par les
français au travers des médias. Leurs incompréhensions ». J’ai donc mené
une enquête de sociologie au terme de laquelle
- c’était sans surprise – le sujet des droits de l’homme a été
fréquemment évoqué. Or les occidentaux ont fâcheusement tendance à croire
qu’ils sont la mesure de toute chose et que ce qui est bon pour eux l’est
nécessairement pour le monde entier. Aussi la lecture de la seule Introduction
de ce Dictionnaire Amoureux de la Chine m’a conquise d’emblée car j’y retrouve
tout ce que je sais et tout ce que je pense.
« Eh non ! La Chine n’est pas une démocratie
multipartisane ; la peine de mort n’est pas abolie ; son système
judiciaire n’est pas indépendant du régime ; les libertés individuelles ne
sont pas garanties par la constitution ; on ne peut changer de lieu de
résidence fiscale que moyennant la délivrance d’un titre spécifique, le hukou, créé en 1958, pour prévenir
l’exode rural ; le droit de propriété n’obéit pas aux mêmes règles qu’en
Occident… On pourrait ainsi continuer une interminable liste d’éléments tous
plus horrifiants les uns que les autres pour ceux qui considèrent que tous les
pays de notre planète peuvent se conformer à un modèle unique enseigné à
Sciences Po, Cambridge ou Harvard » (p.38). Et de rappeler l’Inquisition,
les arbres couverts de pendus des siècles durant, et le sac du Palais d’été…..
Lorsqu’on lit sa propre opinion exposée, et donc partagée,
par un auteur célèbre, on se sent conforté dans son idée et rassuré sur ses
capacités intellectuelles. En effet, après avoir rédigé mon étude sur l’image
de la Chine véhiculée par les médias français, j’ai envoyé mon commentaire
pensant que l’on s’en servirait pour conseiller les gens que je supposais oeuvrer à polir l’image de l’Empire du
Milieu. Je reçus une lettre de félicitations louant à la fois mon style et
l’intérêt de mon travail, mais concluant que « les esprits n’étant pas
encore prêts à lire de telles choses, la publication de votre article sera
remis sine die ». C’est pourquoi
je suis ravie de lire sous la plume de M. Frèches « Si l’on avait un
conseil à donner aux dirigeants de la Chine, ce serait de recruter une bonne
agence de relations publiques et de communications qui les aiderait à améliorer
leur image et à élaborer de bons messages » (p.40).
La conservation du
patrimoine
Il y a bien d’autres différences et sujets d’étonnement pour
qui compare la Chine et l’Occident. Les travaux, par exemple. Travaux publics,
travaux de construction et travaux de rénovation, quels qu’ils soient. Si les
villes de Chine ancienne étaient « hérissées de pagodes » (p.663) la
Chine d’aujourd’hui l’est de gratte- ciel, certes, mais aussi de grues qui sont
peut-être le meilleur témoin de la croissance économique. Les chantiers les
plus gigantesques sont tôt finis. Quant aux sites anciens, m’est avis que les
chinois ne se sont mis à les restaurer que depuis qu’ils ont compris que cela
intéressait les touristes occidentaux.
Lorsque je suis revenue en France, après avoir passé plus de
vingt ans en Asie, la restauration maniaque, du plus petit objet ancien au plus
grand château, m’avait beaucoup frappée. Je m’en étais déshabituée. Aujourd’hui
encore, je préfère restaurer ma maison – ancienne – avec des matériaux
contemporains, ou acquérir une copie propre, solide et bien personnelle, plutôt
qu’un original patiné, rongé de vers et tout chargé de l’esprit de ses anciens
propriétaires inconnus de moi….Superstition ? Peut-être. Influence
chinoise ? Sûrement. Car voici ce que M. Frèches écrit à ce sujet
« On privilégiera toujours la reconstruction à l’identique d’une ruine,
surtout si elle est particulièrement délabrée, à sa consolidation ou à sa
préservation » (p.686). « De même, jamais un musée chinois n’oserait
exposer une figure sans bras ou sans tête comme la Vénus de Milo ou la Victoire
de Samothrace ». Là, j’ai éclaté de rire ! Je venais de voir un film
de Jacky Chan dans lequel, après avoir bousculé une reproduction en plâtre de
la Vénus de Milo, il disait en guise d’excuse « Elle n’avait même plus de
bras… ». « Fait symptomatique – poursuit M. Frèches – tous les
guerriers de terre cuite de la fosse de Xi’an sont entiers, alors que la
plupart furent retrouvés en mille morceaux » (p.687).
En Chine, lorsqu’un quartier est déclaré insalubre, on
pratique la politique du bulldozer. Les maisonnettes, estampillées du caractère
qui signifie « Destruction » sont réduites en tas de gravas en
quelques heures. Pour cela comme pour tous les autres sujets, M. Frèches me
semble faire la part des choses. « Quantité de quartiers anciens, souvent
avec d’admirables joyaux d’architecture, ont été détruits par les bulldozers.
C’est notamment le cas à Suzhou ou à Kunming où furent rasées des zones historiques
entières ; alors qu’à Pékin, n’en déplaise à certains, un grand nombre de hutongs, outre qu’ils étaient
insalubres, ne présentaient qu’un faible intérêt architectural » (p.689).
Il se trouve que j’ai assisté par deux fois à la mise en
œuvre de cette politique du bulldozer à Pékin. Les résidents français, sans
exception, poussaient des cris d’orfraie ! Mais pour moi, c’était bien la
preuve que non seulement ils n’avaient jamais passé ne fût-ce que quelques
heures dans un hutong, mais qu’ils
n’avaient pas non plus étudié l’histoire de la Chine. Dans une autre vie, j’ai
fait plusieurs séjours de quelques jours à chaque fois dans une maisonnette
traditionnelle chinoise très ancienne, sans eau, ni électricité, ni…. mais dans
laquelle grouillaient petites souris et gros rats ! Par ailleurs, lorsque
les Mongols construisirent Cambaluc, tous les 50-60 ans, ils faisaient raser
les quartiers populaires trop insalubres pour les faire reconstruire à
l’identique. Rien de nouveau, donc. Je laisse le dernier mot à M. Frèches « Soyons
honnêtes : la préoccupation patrimoniale est le propre des pays riches qui
peuvent se payer ce genre de luxe » (p.689).
L’image de la France
Et maintenant, comme il a été question de l’image de la
Chine en France, parlons un peu de celle de la France en Chine. Elle est très
bonne ! Et cela depuis le Grand Siècle car, la renommée du Palais de
Versailles était parvenue jusqu’aux
oreilles de l’empereur Kingxi (1654-1722) et de nos jours, tout le monde en
Chine, sait que Louis XIV était surnommé
le Roi Soleil. Quand je prenais un taxi à Zhu-Hai, ville jumelle de Macao où j’eus
mon dernier poste universitaire, les chauffeurs, beaucoup plus gracieux et
ouverts que leurs collègues du nord, ne manquaient jamais de me complimenter
sur ma bonne apparence et de me poser la question rituelle « De quel pays
viens-tu ? » « Et bien, devine ! » « Anglaise ? »
Je finissais par dire que j’étais française et cela provoquait invariablement
la même réaction « Ah ! La France ! Les français sont si
romantiques…. » « Zhu-Hai aussi » répondais-je – parce que c’est
le qualificatif officiel décerné par l’Office National du tourisme chinois à
cette ville. Il fait référence au mythe fondateur de Zhu-hai « la Perle
des Mers » qui est une belle histoire d’amour.
Pour les chinois, le romantisme c’est « … l’art de
vivre à la française, le luxe et la mode française, Paris et la Tour Eiffel,
Montparnasse et le Moulin Rouge, et plus récemment Nice et la Côte d’azur (qui)
ont réussi à incarner la quintessence de ce qu’un chinois considère comme
« romantique » par excellence. La France jouit, à cet égard, d’un
privilège immense dont nous n’avons pas forcément conscience » (p.787). Or
il faudrait bien prendre garde, nous aussi, à l’impression que nous donnons
« … car la France, avec son aéroport de Roissy et ses transports en commun
d’un autre âge et pas toujours très propres, ses grèves souvent inopinées qui
paralysent les grandes institutions culturelles, ses agressions dont les
touristes asiatiques sont la principale cible, risque, à force, de
décevoir » (p.787).
En effet, quel saisissement à l’arrivée à Roissy ! Quel
désordre ! Comme les choses sont compliquées chez nous ! Sans parler
de la célèbre arrogance française…. J’avoue que souvent à la question
« Anglaise ? » j’ai répondu d’un large sourire qui laissait
planer le doute, peu soucieuse de me faire reprocher tout ce que les chinois
commencent à reprocher aux français. Car ceux-ci oublient qu’une fois à
l’étranger, chacun est considéré comme une sorte d’ambassadeur représentatif de
son propre pays.
Conclusion
Voilà ! Si j’ai abondamment cité M. Frèches c’est pour
donner aux lecteurs de cet article-présentation un avant goût de ce qu’ils vont
pouvoir trouver dans sont très remarquable ouvrage. Et si j’ai été un peu longue,
c’est parce que je me suis laissée emporter sur les ailes de
l’enthousiasme ! Toutefois, il me semble difficile de présenter en dix
lignes un ouvrage qui compte plus de mille pages… Et puis, étant moi-même
écrivain, je ne puis qu’être prolixe, ne serait-ce que pour ne pas décevoir la
cohorte de gens qui disent que les auteurs ont obligatoirement « la plume
facile » !
Que peut apporter un tel livre ? Une connaissance de la
Chine ancienne et contemporaine, poétique et pragmatique, historique ou philosophique,
mise à la portée des non-spécialistes grâce à la clarté d’exposition de
l’auteur, et néanmoins appréciable par les connaisseurs de la Chine à travers
les références savantes ou les anecdotes qui mettent dans l’ambiance en
évoquant des souvenirs personnels. M. Frèches n’est pas seulement un érudit, un
excellent observateur et un écrivain talentueux. Il est également pédagogue et
ose aborder avec clarté et simplicité les sujets sur lesquels la Chine et la
France sont en « délicatesse ».
Nous devrions tous comprendre que quiconque avance quelque
chose suppose de facto son contraire
– et apprendre à « relativiser » en méditant la charmante et profonde
anecdote suivante : « Un jour, Zhuangzi s’endormit dans un jardin
fleuri et se mit à rêver qu’il était un très beau papillon. Le papillon voleta
ça et là jusqu’à épuisement puis, s’étant endormi, se mit à rêver à son tour
qu’il était Zhuangzi. Zhuangzi se réveilla soudain. Alors, y avait-il eu un
certain Zhuangzi rêvant qu’il était un papillon ou bien y avait-il un papillon
qui rêvait qu’il était Zhuangzi ? » (p.1040).
Mardi 11 mars 2014
Amélie de la
Musardière
Maître de Conférences
et auteur à la Société des Ecrivains