Ce sont mes dernier jours à Shanghaï, et en Chine ... avant... longtemps !
Vendredi 28 octobre
Le soleil est revenu !
C’est pourtant aujourd’hui
que je décide de ne pas aller trop loin et de me contenter d’activités modestes
et reposantes, parce que ces dernières excursions lointaines sous des pluies incessantes
m’ont fatiguées. Et puis, je n’ai plus aucune raison d’aller dans les magasins
puisque j’ai trouvé de quoi satisfaire tout le monde à mon retour en
France. Sans parler des emplettes que
j’ai faites pour mon plaisir. J’ai même été obligée d’acheter une petite valise
supplémentaire. Je l’ai choisie rose fluo avec un nounours imprimé en
relief !
Ce matin, je vais chez le
coiffeur. Oui ! C’est quelque chose que je ne fais pratiquement jamais.
Surtout pas depuis qu’à Pékin, mes cheveux avaient été teints en bleu avec
quelques mèches vert kaki pour faire bonne mesure … On avait été obligé de
couper ma chevelure à deux centimètres du crâne, pour la toute première fois de
toute ma vie. Car, auparavant, jamais je n’avais eu les cheveux courts. Ils
avaient repoussé blond doré, tout ondulés. Ma foi ! J’en suis très
contente. Mais sur le coup, j’avais pleuré des seaux de larmes…
Toutefois, hier, après bien
des hésitations, j’ai décidé de tenter ma chance, jugeant qu’il serait bien
d’égaliser les bouts. Prenant mon courage à deux mains, je traverse l’énorme
carrefour en bas du Merry Hotel et
entre dans la boutique du coiffeur. Comme je n’ai pas l’habitude de ce genre
d’endroit, je suis mal à l’aise. J’en deviens timide. Néanmoins, j’arrive à me
faire comprendre du beau jeune homme qui me fait asseoir devant un miroir. Je
veux qu’il coupe, à sec, pas plus de cinq centimètres. Pas de problème. Il se
met au travail avec diligence et l’affaire est réglée en quelques minutes. Mais
ensuite, il ne peut s’empêcher de m’infliger un lissage, car, pour les chinois,
mes « frisouilles » sont une véritable disgrâce … Je le laisse faire.
L’air est tellement humide que son lissage ne tiendra pas plus de quelques
minutes !
Dans l’après-midi, pour
profiter de ce retour du beau temps, je sors en direction du Temple d’Or, celui
que j’avais visité le lendemain de mon arrivée. Je n’ai pas l’intention d’y
retourner, mais j’adore la passerelle fleurie et la vue que l’on a de là-haut.
Et puis, je veux revoir le jardin au petit étang décoré de statues de
grenouilles qui crachent de l’eau. J’adore les bruits d’eau … Arrivée là, je me
sens flotter sur un petit nuage de mousse vert émeraude environné de papillons
… Le murmure doux et régulier des filets d’eau qui s’échappent des bouches de ces
gentils batraciens me transporte. Cela me rappelle mon ancienne propriété
d’Anjou. Il y avait une belle mare et le soir, on entendait chanter grenouilles
et crapauds. J’y élevais des carpes Koï. Elles s’étaient mariées et avaient
fait des centaines d’enfants : rouges, noirs, blancs, et multicolores.
Jusqu’à ce que Jupin leur envoie un roi, un grand héron gris cendré, qui était
devenu l’ennemi publique numéro un. Il s’empiffrait de petits poissons au point
d’avoir l’estomac si lourd qu’il ne pouvait plus s’envoler quand je lui
criais ma réprobation au sujet de ses
excès de table !
Je marche très doucement
sur les allées cimentées, croisant promeneurs solitaires ou couples d’amoureux.
Les oiseaux sautillent à leur aise. Les rayons du soleil percent les hautes
frondaisons qui en atténuent les ardeurs. D’ailleurs les pluies de ces derniers
jours ont fait tomber la température. On se sent beaucoup mieux.
De façon inattendue, une
image me revient. Une image toute récente. Alors que Lu Xu et son époux me reconduisaient
dans leur énorme SUV – BMW, nous ne parlions pas. Je regardais les reflets des
éclairages urbains sur les verrières des gratte-ciels. Et là, s’était
superposée l’image du ciel étoilé tel que je le vois l’été, à la Musardière,
quand je sors la nuit pour contempler la Voie Lactée et les constellations …
Ces statues ornent le petit parc que j'aime tant. Elles représentent des aborigènes, des gens du sud... Cachées derrière les buissons, on les découvre quand on ne s'y attend pas. Elles me plaisent beaucoup....Elles sont si vivantes !
Ce petit parc, si vert
après les pluies de typhon, me rappelle les couleurs de ma belle province
d’Anjou. Au fond, c’est normal. La boucle est bouclée. Et je vais bientôt
m’envoler pour l’Europe.
« L’Europe … C’est
où ? »
« C’est loin. »
Le parc proche du
Temple d’Or est entièrement dominé par les gigantesques immeubles des alentours. C'est ma dernière
promenade sous les « French trees »
Samedi
29 octobre
Dernier
jour à Shanghaï, en compagnie d’Edouard
Depuis que je suis installée ici, je passe de très longs moments
– et plus particulièrement le matin – sur les réseaux sociaux : WeChat,
Facebook et WhatsApp. J’envoie des photos, des messages, je converse en
videophonie, enfin, je me lâche ! C’est que je WiFi fonctionne tellement
mieux que chez moi ! Et puis, je suis si heureuse ici que je tiens à
partager avec tous mes amis. Plus besoin d’abonnements spéciaux car tout est
gratuit. Avec un smartphone, on peut maintenant aller partout dans le monde – à
condition d’avoir du WiFi – et garder le contact avec la totalité de ses
correspondants. Trop top !
C’est donc par WeChat qu’Edouard ma prévenue qu’il viendrait
me chercher en fin de matinée, et je l’attends, installée comme une princesse
sur le plus confortable fauteuil du grand hall de la Réception de l’hôtel, très
occupée à bavarder avec Yann de Canton.
Edouard arrive en Roewe. Je suis très excitée ! J’adore
les voitures et je n’ai pas encore vu de Roewe. Rien qu’au nom, on peut deviner
que les chinois se sont inspirés de la marque anglaise Rover, marque aujourd’hui
disparue. Mais elle trouve son prolongement - sa descendance en quelque sorte -
dans la Roewe, création de la Société Automobile de Shanghaï. Ce sont des
berlines de prestige et le logo est magnifique. Je monte avec empressement et
m’installe, béate de plaisir, dans un siège au confort incomparable.
Goguenarde, je pense que le régime communiste a du bon ! Le communisme à
la chinoise, bien évidemment ! Et après une pensée émue et reconnaissante
pour le Petit Timonier – le très aimé et regretté Monsieur Deng Xiaoping – je
me tourne vers Edouard pour prendre de ses nouvelles, car lundi, il souffrait
beaucoup du dos…
Il me rassure. En ce moment, il y a rémission. Il est allé
consulter un savant docteur qui lui fait du bien. Je pense, moi, que son mode
de vie est tout à fait malsain, et que c’est la cause de son mal. Il le sait bien ! Mais il n’est guère
facile, à ce stade de sa carrière, de changer de mode de vie. Toutefois,
aujourd’hui c’est mon dernier jour à Shanghaï, et lui n’est pas trop occupé, ce
qui est bien rare. Aussi décidons-nous de ne plus parler des sujets
fâcheux !
Nous allons chez l’opticienne, Karman, qui doit avoir terminé
mes lunettes. En effet ! Elle nous accueille avec empressement, nous fait
assoir au fond du magasin, puis apporte tout ce que j’ai commandé. J’essaie et
suis absolument enchantée. Non seulement les montures me vont très bien, mais
j’y vois infiniment mieux qu’avant. Presque trop bien ! Edouard, lui, est
myope et porte des lentilles de contact – monsieur est coquet. Karman lui
propose des tas de choses et l’emmène pour mesurer son degré de vision. Cela
prend beaucoup de temps, mais je ne m’ennuie pas du tout. J’essaie toutes les
montures qui me semblent les plus amusantes et les jeunes vendeurs et
vendeuses, hilares, me prennent en photo ! Puis, je vais jouer avec le
chien. C’est un labrador couleur crème, à poils ras. C’est sans surprise, comme
tous les chiens, il m’adore !
Laquelle préférez-vous ?
Victoria m’a dit que j’aurais dû acheter les montures à
fleurs !
Au moment où je commence à
me lasser du chien, Edouard en a terminé. Il est très content et promet à
Karman de lui amener de nouveaux clients, car les gens qui portent lunettes
dans son entourage sont nombreux. Echange de cartes de visite. Echange de
contacts WeChat pour la communication directe. C’est parfait !
Quand je pense qu’en
France, je n’ai jamais rencontré personne capable de produire une carte de
visite ! Les gens haussent les épaules et n’en comprennent même pas
l'intérêt ! Ou alors, cela leur semble « snob »
… Mais ils se vexent quand on ne comprend pas leur nom, ou qu’on l’orthographie
de travers, et s’étonnent que l’on ne reprenne pas contact ultérieurement …
Edouard me dit que nous
allons déjeuner. Nous remontons en voiture, mais je le vois soudain grimacer de
douleur. Il étouffe un gémissement. Le mal au dos a repris. Pourtant il a passé
des radios et même un IRM, et il n’a rien. C’est donc musculaire. Mais il mène
une vie de dingue. Il est toujours assis : en voiture, à son bureau, en
avion, au restaurant, à la maison … Il mange bien, des aliments trop riches qui
lui donnent du cholestérol, et il a de la tension. Par ailleurs, il est entre
plusieurs femmes, passées, présentes et à venir … Quant à ses affaires, à
travers le peu que j’ai compris de ses incessantes conversations téléphoniques,
c’est la grosse pression ! Alors, ses douleurs me semblent assez
facilement explicables.
Mais en Chine, on ne considère
jamais le côté psychologique. Il n’y a ni psychiatres, ni psychologues.
Personne ne fait de dépression ou ne souffre de maladies
« psychosomatiques ». Une fois de plus, ce n’est pas comme en
France !
Comme nous avions décidé de
ne plus parler des sujets fâcheux, nous nous y tenons. Le taxi prend la
direction de l’ancienne concession française. C’est qu’Edouard m’emmène dans un
restaurant du Yunnan, qui s’appelle Lost
Heaven. Le Paradis Perdu. Comme c’est joli et nostalgique. La Chine aura
été mon paradis perdu, en quelque sorte. Le Yunnan, c’est le « Sud
Nuageux », la plus belle province de Chine, celle où l’on trouve le plus
de minorités ethniques – c’est-à-dire non Han - Le cadre est très beau, chic et
raffiné. Toute la décoration est d’un goût parfait, car il s’agit justement d’œuvres
d’art produites par ces minorités. La
cuisine, à l’avenant. Edouard se détend et nous parlons à mi-voix comme les
vieux amis que nous sommes. On nous sert du poulet, du porc, du tofu et
naturellement, des légumes sautés. Tout est délicieux. Vraiment chinois, cette
fois ! Nous trinquons. Lui, avec un jus de fruit, moi avec une bière. Je
sens que nous avons tous deux conscience de vivre un de ces moments privilégiés
que l’on oublie pas …
Et voilà ! Une fois de
plus Edouard est remonté dans un taxi ! Nous nous sommes dit au revoir parce
que demain, je dois reprendre l’avion pour l’Europe et que lui, a déjà des
engagements trop importants pour pouvoir me conduire à l’aéroport. Mais il
m’enverra un chauffeur. Maintenant que je connais le quartier presque comme ma
poche, je pars à pied, pas du tout pressée de regagner ma chambre d’hôtel. Il
fait très beau, le soleil brille dans un grand ciel tout bleu sans nuage, et
une brise légère vient me caresser le visage de la plus douce façon. C’est
idyllique ! Et je marche, je marche, des heures. C’est que j’entends
profiter au maximum de mon dernier jour à Shanghaï.
La boucle est bouclée. Je me
retrouve dans le quartier où Edouard m’avait emmenée dîner le soir de mon
arrivée. Il faisait nuit. Il pleuvait. Mais je reconnais tout de même
l’endroit. Je prends une large avenue à l’angle de laquelle il y a une
sculpture moderne très étrange.
C’est un immense
cercle de métal rouge, au milieu duquel marche une femme très maigre qui
a l’air d’avoir été faite en papier argent compressé. Pour mon goût, c’est très
laid. Mais cela peut servir de repère. Le quartier est hyper chic. Sur les
avenues, très fleuries, on ne voit rouler que des Maserati, Aston Martin,
coupés Mercédès. Les superbes Audi font presque figure de parent pauvre … Quant
aux gens qui marchent sur les trottoirs presque aussi larges que les rues, ils
sont tous hyper branchés. On dirait des « aliens »
!
Et tout à coup, je vois une
pauvre femme qui mendie. Assise par terre, dans ce quartier de millionnaires
déconnectés de la vie réelle à force d’être connectés au monde virtuel, elle
est à elle seule un rappel de ce qu’est encore la Chine profonde. Elle a un
très gentil visage, et tient dans ses bras un enfant maigre mais déjà assez
grand. Je la regarde et la dépasse. Puis je m’arrête et prends un billet dans
mon beau portefeuille de satin rouge, et je reviens sur mes pas.
« Bonjour – lui dis-je
– C’est ton fils ? »
« Oui. Il a 16 ans.
Mais il ne peut pas marcher … »
Pauvre, pauvre chérie …
Quel chagrin… Elle n’a que quelques petites piécettes dans sa sébile. Je lui
glisse mon billet dans la main. Gros pour une aumône dans la rue. Dérisoire
pour son malheur. Un immense sourire illumine son visage. Je la quitte pour
continuer ma promenade. Puis, je me dis qu’il me faut rentrer avant d’en être
incapable, et que j’ai encore mes valises à préparer. Je repasse donc devant
elle, marchant en sens inverse. Elle me crie joyeusement :
« Merci encore !
Bonsoir ! » Son sourire est si heureux, si naturel, si amical ….
Ca me serre le cœur.
Maintenant, je suis vraiment
fatiguée. Je me hâte. Mais là, il faut attendre que le feu passe au vert pour
les piétons. On est discipliné, à Shanghaï. J’attends donc que les BMW, Buick
Shanghaï, Lamborghini et autres stars du top mondial de l’automobile
s’arrêtent, pour me lancer sur la chaussée. Vient en face de moi un très beau
jeune homme. Grand, bien bâti, « l’allure souple et féline » à la
fois conquérante et modeste, heureux de vivre, confiant en la beauté du monde.
Type américain ou allemand. Il porte un jean,
une jolie chemise et un petit sac. Il a le teint et les cheveux clairs. En me
croisant, il me salue très galamment, de façon assez appuyée, avec un grand
sourire et des étoiles plein les yeux – c’est ce que je dis des gens que je
sens heureux – J’avoue qu’il me faut une ou deux secondes pour réaliser que
c’est bien à « moi » qu’il s’adresse. Alors, je réponds un joyeux
mais digne « Hi ! » accompagné d’un sourire certainement
ravi !
Je regagne ma chambre sur
un petit nuage bleu pâle tout frangé de minuscules étoiles clignotantes. Une
douche très chaude me défatigue et j’entreprends, avec succès, de boucler mes
valises. Ce soir, je n’ai plus rien à lire, et la télévision chinoise n’est pas
regardable. Alors, je me couche tôt pour être en forme demain.
Ma Tour préférée à Shanghaï …
Dans cette tour se trouvent les bureaux de Saint Gobain
Dimanche 30 octobre
Du Merry Hotel à
La Musardière
Le matin, un taxi privé,
envoyé par Edouard, m’a déposée à Pudong International Airport, avec mes deux
valises, mon sac du Yunnan, et Lucullus.
Je suis montée dans un
Boeing 777, dans la cabine supérieure, où j’avais un siège à côté d’un
ingénieur allemand de Stuttgart. Ce monsieur, grand et fort bel homme, était
très protecteur, aux petits soins pour moi, attentionné comme une nounou.
C’était charmant ! J’ai beaucoup apprécié. Nous avons un peu parlé, fait
de petits commentaires sur ceci ou cela. Puis j’ai regardé le film « Gladiator », bien que ce
soit très violent, parce que j’apprécie beaucoup Russell Crowe. Surtout depuis
que j’ai vu « Master and Commander :
De l’autre côté du monde ».
Notre Boeing est arrivé en
début d’après-midi à Roissy, et j’ai pu prendre mon TGV à l’heure, et
rencontrer Victoria et sa famille à la gare de Massy, où je devais changer de
TGV. C’est toujours un bonheur de la revoir ! Et puis, j’avais été chargée
de tellement de cadeaux pour elle, sans parler de ce que je lui rapportais
moi-même, que j’étais fort aise de me délester de tous ces kilos.
Enfin, arrivée à Saumur,
mon amie Colette m’attendait, toute frétillante d’excitation à l’idée de ce que
j’allai lui raconter ! C’est qu’elle ne va pas tous les jours attendre
quelqu’un qui revient de Chine !
Enfin, La Musardière !
J’allume une petite bougie
devant mon Bouddha et mets une poignée d’encens à brûler, puis, je choisis un
CD. La 9° Symphonie de Beethoven s’impose. Je suis si heureuse !
Le dragon chinois est
un animal fabuleux bénéfique
Très puissant,
certes, mais bienveillant
Il est associé à la
pluie et aux eaux des lacs et rivières
Celui-ci, tout
sourire,
Joue sur les petits
nuages gorgés d’eau et frangés de brume
Qui vont bientôt
arroser les rizières ...