vendredi 2 novembre 2018

"Shanghaï ... Me voilà" - Les 28 et 29 octobre



Ce sont mes dernier jours à Shanghaï, et en Chine ...  avant... longtemps ! 


Vendredi 28 octobre
Le soleil est revenu !

C’est pourtant aujourd’hui que je décide de ne pas aller trop loin et de me contenter d’activités modestes et reposantes, parce que ces dernières excursions lointaines sous des pluies incessantes m’ont fatiguées. Et puis, je n’ai plus aucune raison d’aller dans les magasins puisque j’ai trouvé de quoi satisfaire tout le monde à mon retour en France.  Sans parler des emplettes que j’ai faites pour mon plaisir. J’ai même été obligée d’acheter une petite valise supplémentaire. Je l’ai choisie rose fluo avec un nounours imprimé en relief !

Ce matin, je vais chez le coiffeur. Oui ! C’est quelque chose que je ne fais pratiquement jamais. Surtout pas depuis qu’à Pékin, mes cheveux avaient été teints en bleu avec quelques mèches vert kaki pour faire bonne mesure … On avait été obligé de couper ma chevelure à deux centimètres du crâne, pour la toute première fois de toute ma vie. Car, auparavant, jamais je n’avais eu les cheveux courts. Ils avaient repoussé blond doré, tout ondulés. Ma foi ! J’en suis très contente. Mais sur le coup, j’avais pleuré des seaux de larmes…

Toutefois, hier, après bien des hésitations, j’ai décidé de tenter ma chance, jugeant qu’il serait bien d’égaliser les bouts. Prenant mon courage à deux mains, je traverse l’énorme carrefour en bas du Merry Hotel et entre dans la boutique du coiffeur. Comme je n’ai pas l’habitude de ce genre d’endroit, je suis mal à l’aise. J’en deviens timide. Néanmoins, j’arrive à me faire comprendre du beau jeune homme qui me fait asseoir devant un miroir. Je veux qu’il coupe, à sec, pas plus de cinq centimètres. Pas de problème. Il se met au travail avec diligence et l’affaire est réglée en quelques minutes. Mais ensuite, il ne peut s’empêcher de m’infliger un lissage, car, pour les chinois, mes « frisouilles » sont une véritable disgrâce … Je le laisse faire. L’air est tellement humide que son lissage ne tiendra pas plus de quelques minutes !
  
Dans l’après-midi, pour profiter de ce retour du beau temps, je sors en direction du Temple d’Or, celui que j’avais visité le lendemain de mon arrivée. Je n’ai pas l’intention d’y retourner, mais j’adore la passerelle fleurie et la vue que l’on a de là-haut. Et puis, je veux revoir le jardin au petit étang décoré de statues de grenouilles qui crachent de l’eau. J’adore les bruits d’eau … Arrivée là, je me sens flotter sur un petit nuage de mousse vert émeraude environné de papillons … Le murmure doux et régulier des filets d’eau qui s’échappent des bouches de ces gentils batraciens me transporte. Cela me rappelle mon ancienne propriété d’Anjou. Il y avait une belle mare et le soir, on entendait chanter grenouilles et crapauds. J’y élevais des carpes Koï. Elles s’étaient mariées et avaient fait des centaines d’enfants : rouges, noirs, blancs, et multicolores. Jusqu’à ce que Jupin leur envoie un roi, un grand héron gris cendré, qui était devenu l’ennemi publique numéro un. Il s’empiffrait de petits poissons au point d’avoir l’estomac si lourd qu’il ne pouvait plus s’envoler  quand je lui criais ma réprobation  au sujet de ses excès de table !

Je marche très doucement sur les allées cimentées, croisant promeneurs solitaires ou couples d’amoureux. Les oiseaux sautillent à leur aise. Les rayons du soleil percent les hautes frondaisons qui en atténuent les ardeurs. D’ailleurs les pluies de ces derniers jours ont fait tomber la température. On se sent beaucoup mieux.

De façon inattendue, une image me revient. Une image toute récente. Alors que Lu Xu et son époux me reconduisaient dans leur énorme SUV – BMW, nous ne parlions pas. Je regardais les reflets des éclairages urbains sur les verrières des gratte-ciels. Et là, s’était superposée l’image du ciel étoilé tel que je le vois l’été, à la Musardière, quand je sors la nuit pour contempler la Voie Lactée et les constellations …


Ces statues ornent le petit parc que j'aime tant. Elles représentent des aborigènes, des gens du sud... Cachées derrière les buissons, on les découvre quand on ne s'y attend pas. Elles me plaisent beaucoup....Elles sont si vivantes ! 


Ce petit parc, si vert après les pluies de typhon, me rappelle les couleurs de ma belle province d’Anjou. Au fond, c’est normal. La boucle est bouclée. Et je vais bientôt m’envoler pour l’Europe.
« L’Europe … C’est où ? »
« C’est loin. »




Le parc proche du Temple d’Or est entièrement dominé par les gigantesques immeubles des alentours. C'est ma dernière promenade sous les « French trees »


Samedi 29 octobre
Dernier jour à Shanghaï, en compagnie d’Edouard

Depuis que je suis installée ici, je passe de très longs moments – et plus particulièrement le matin – sur les réseaux sociaux : WeChat, Facebook et WhatsApp. J’envoie des photos, des messages, je converse en videophonie, enfin, je me lâche ! C’est que je WiFi fonctionne tellement mieux que chez moi ! Et puis, je suis si heureuse ici que je tiens à partager avec tous mes amis. Plus besoin d’abonnements spéciaux car tout est gratuit. Avec un smartphone, on peut maintenant aller partout dans le monde – à condition d’avoir du WiFi – et garder le contact avec la totalité de ses correspondants. Trop top !
C’est donc par WeChat qu’Edouard ma prévenue qu’il viendrait me chercher en fin de matinée, et je l’attends, installée comme une princesse sur le plus confortable fauteuil du grand hall de la Réception de l’hôtel, très occupée à bavarder avec Yann de Canton.

Edouard arrive en Roewe. Je suis très excitée ! J’adore les voitures et je n’ai pas encore vu de Roewe. Rien qu’au nom, on peut deviner que les chinois se sont inspirés de la marque anglaise Rover, marque aujourd’hui disparue. Mais elle trouve son prolongement - sa descendance en quelque sorte - dans la Roewe, création de la Société Automobile de Shanghaï. Ce sont des berlines de prestige et le logo est magnifique. Je monte avec empressement et m’installe, béate de plaisir, dans un siège au confort incomparable. Goguenarde, je pense que le régime communiste a du bon ! Le communisme à la chinoise, bien évidemment ! Et après une pensée émue et reconnaissante pour le Petit Timonier – le très aimé et regretté Monsieur Deng Xiaoping – je me tourne vers Edouard pour prendre de ses nouvelles, car lundi, il souffrait beaucoup du dos…

Il me rassure. En ce moment, il y a rémission. Il est allé consulter un savant docteur qui lui fait du bien. Je pense, moi, que son mode de vie est tout à fait malsain, et que c’est la cause de son mal.  Il le sait bien ! Mais il n’est guère facile, à ce stade de sa carrière, de changer de mode de vie. Toutefois, aujourd’hui c’est mon dernier jour à Shanghaï, et lui n’est pas trop occupé, ce qui est bien rare. Aussi décidons-nous de ne plus parler des sujets fâcheux !

Nous allons chez l’opticienne, Karman, qui doit avoir terminé mes lunettes. En effet ! Elle nous accueille avec empressement, nous fait assoir au fond du magasin, puis apporte tout ce que j’ai commandé. J’essaie et suis absolument enchantée. Non seulement les montures me vont très bien, mais j’y vois infiniment mieux qu’avant. Presque trop bien ! Edouard, lui, est myope et porte des lentilles de contact – monsieur est coquet. Karman lui propose des tas de choses et l’emmène pour mesurer son degré de vision. Cela prend beaucoup de temps, mais je ne m’ennuie pas du tout. J’essaie toutes les montures qui me semblent les plus amusantes et les jeunes vendeurs et vendeuses, hilares, me prennent en photo ! Puis, je vais jouer avec le chien. C’est un labrador couleur crème, à poils ras. C’est sans surprise, comme tous les chiens, il m’adore !



Laquelle préférez-vous ?
                               Victoria m’a dit que j’aurais dû acheter les montures à fleurs !

Au moment où je commence à me lasser du chien, Edouard en a terminé. Il est très content et promet à Karman de lui amener de nouveaux clients, car les gens qui portent lunettes dans son entourage sont nombreux. Echange de cartes de visite. Echange de contacts WeChat pour la communication directe. C’est parfait !
Quand je pense qu’en France, je n’ai jamais rencontré personne capable de produire une carte de visite ! Les gens haussent les épaules et n’en comprennent même pas l'intérêt ! Ou alors, cela leur semble « snob » … Mais ils se vexent quand on ne comprend pas leur nom, ou qu’on l’orthographie de travers, et s’étonnent que l’on ne reprenne pas contact ultérieurement …

Edouard me dit que nous allons déjeuner. Nous remontons en voiture, mais je le vois soudain grimacer de douleur. Il étouffe un gémissement. Le mal au dos a repris. Pourtant il a passé des radios et même un IRM, et il n’a rien. C’est donc musculaire. Mais il mène une vie de dingue. Il est toujours assis : en voiture, à son bureau, en avion, au restaurant, à la maison … Il mange bien, des aliments trop riches qui lui donnent du cholestérol, et il a de la tension. Par ailleurs, il est entre plusieurs femmes, passées, présentes et à venir … Quant à ses affaires, à travers le peu que j’ai compris de ses incessantes conversations téléphoniques, c’est la grosse pression ! Alors, ses douleurs me semblent assez facilement explicables.
Mais en Chine, on ne considère jamais le côté psychologique. Il n’y a ni psychiatres, ni psychologues. Personne ne fait de dépression ou ne souffre de maladies « psychosomatiques ». Une fois de plus, ce n’est pas comme en France !

Comme nous avions décidé de ne plus parler des sujets fâcheux, nous nous y tenons. Le taxi prend la direction de l’ancienne concession française. C’est qu’Edouard m’emmène dans un restaurant du Yunnan, qui s’appelle Lost Heaven. Le Paradis Perdu. Comme c’est joli et nostalgique. La Chine aura été mon paradis perdu, en quelque sorte. Le Yunnan, c’est le « Sud Nuageux », la plus belle province de Chine, celle où l’on trouve le plus de minorités ethniques – c’est-à-dire non Han - Le cadre est très beau, chic et raffiné. Toute la décoration est d’un goût parfait, car il s’agit justement d’œuvres d’art produites par ces minorités.  La cuisine, à l’avenant. Edouard se détend et nous parlons à mi-voix comme les vieux amis que nous sommes. On nous sert du poulet, du porc, du tofu et naturellement, des légumes sautés. Tout est délicieux. Vraiment chinois, cette fois ! Nous trinquons. Lui, avec un jus de fruit, moi avec une bière. Je sens que nous avons tous deux conscience de vivre un de ces moments privilégiés que l’on oublie pas …

Et voilà ! Une fois de plus Edouard est remonté dans un taxi ! Nous nous sommes dit au revoir parce que demain, je dois reprendre l’avion pour l’Europe et que lui, a déjà des engagements trop importants pour pouvoir me conduire à l’aéroport. Mais il m’enverra un chauffeur. Maintenant que je connais le quartier presque comme ma poche, je pars à pied, pas du tout pressée de regagner ma chambre d’hôtel. Il fait très beau, le soleil brille dans un grand ciel tout bleu sans nuage, et une brise légère vient me caresser le visage de la plus douce façon. C’est idyllique ! Et je marche, je marche, des heures. C’est que j’entends profiter au maximum de mon dernier jour à Shanghaï.

La boucle est bouclée. Je me retrouve dans le quartier où Edouard m’avait emmenée dîner le soir de mon arrivée. Il faisait nuit. Il pleuvait. Mais je reconnais tout de même l’endroit. Je prends une large avenue à l’angle de laquelle il y a une sculpture moderne très étrange. 


C’est un immense cercle de métal rouge, au milieu duquel marche une femme très maigre qui a l’air d’avoir été faite en papier argent compressé. Pour mon goût, c’est très laid. Mais cela peut servir de repère. Le quartier est hyper chic. Sur les avenues, très fleuries, on ne voit rouler que des Maserati, Aston Martin, coupés Mercédès. Les superbes Audi font presque figure de parent pauvre … Quant aux gens qui marchent sur les trottoirs presque aussi larges que les rues, ils sont tous hyper branchés. On dirait des « aliens » !

Et tout à coup, je vois une pauvre femme qui mendie. Assise par terre, dans ce quartier de millionnaires déconnectés de la vie réelle à force d’être connectés au monde virtuel, elle est à elle seule un rappel de ce qu’est encore la Chine profonde. Elle a un très gentil visage, et tient dans ses bras un enfant maigre mais déjà assez grand. Je la regarde et la dépasse. Puis je m’arrête et prends un billet dans mon beau portefeuille de satin rouge, et je reviens sur mes pas.
« Bonjour – lui dis-je – C’est ton fils ? »
« Oui. Il a 16 ans. Mais il ne peut pas marcher … »
Pauvre, pauvre chérie … Quel chagrin… Elle n’a que quelques petites piécettes dans sa sébile. Je lui glisse mon billet dans la main. Gros pour une aumône dans la rue. Dérisoire pour son malheur. Un immense sourire illumine son visage. Je la quitte pour continuer ma promenade. Puis, je me dis qu’il me faut rentrer avant d’en être incapable, et que j’ai encore mes valises à préparer. Je repasse donc devant elle, marchant en sens inverse. Elle me crie joyeusement :
« Merci encore ! Bonsoir ! » Son sourire est si heureux, si naturel, si amical ….
Ca me serre le cœur.

Maintenant, je suis vraiment fatiguée. Je me hâte. Mais là, il faut attendre que le feu passe au vert pour les piétons. On est discipliné, à Shanghaï. J’attends donc que les BMW, Buick Shanghaï, Lamborghini et autres stars du top mondial de l’automobile s’arrêtent, pour me lancer sur la chaussée. Vient en face de moi un très beau jeune homme. Grand, bien bâti, « l’allure souple et féline » à la fois conquérante et modeste, heureux de vivre, confiant en la beauté du monde. Type américain ou allemand. Il porte un jean, une jolie chemise et un petit sac. Il a le teint et les cheveux clairs. En me croisant, il me salue très galamment, de façon assez appuyée, avec un grand sourire et des étoiles plein les yeux – c’est ce que je dis des gens que je sens heureux – J’avoue qu’il me faut une ou deux secondes pour réaliser que c’est bien à « moi » qu’il s’adresse. Alors, je réponds un joyeux mais digne « Hi ! » accompagné d’un sourire certainement ravi !

Je regagne ma chambre sur un petit nuage bleu pâle tout frangé de minuscules étoiles clignotantes. Une douche très chaude me défatigue et j’entreprends, avec succès, de boucler mes valises. Ce soir, je n’ai plus rien à lire, et la télévision chinoise n’est pas regardable. Alors, je me couche tôt pour être en forme demain.

 

         

Ma Tour préférée à Shanghaï …
                                    Dans cette tour se trouvent les bureaux de Saint Gobain


Dimanche 30 octobre
Du Merry Hotel à La Musardière

Le matin, un taxi privé, envoyé par Edouard, m’a déposée à Pudong International Airport, avec mes deux valises, mon sac du Yunnan, et Lucullus.
Je suis montée dans un Boeing 777, dans la cabine supérieure, où j’avais un siège à côté d’un ingénieur allemand de Stuttgart. Ce monsieur, grand et fort bel homme, était très protecteur, aux petits soins pour moi, attentionné comme une nounou. C’était charmant ! J’ai beaucoup apprécié. Nous avons un peu parlé, fait de petits commentaires sur ceci ou cela. Puis j’ai regardé le film « Gladiator », bien que ce soit très violent, parce que j’apprécie beaucoup Russell Crowe. Surtout depuis que j’ai vu « Master and Commander : De l’autre côté du monde ».

Notre Boeing est arrivé en début d’après-midi à Roissy, et j’ai pu prendre mon TGV à l’heure, et rencontrer Victoria et sa famille à la gare de Massy, où je devais changer de TGV. C’est toujours un bonheur de la revoir ! Et puis, j’avais été chargée de tellement de cadeaux pour elle, sans parler de ce que je lui rapportais moi-même, que j’étais fort aise de me délester de tous ces kilos.

Enfin, arrivée à Saumur, mon amie Colette m’attendait, toute frétillante d’excitation à l’idée de ce que j’allai lui raconter ! C’est qu’elle ne va pas tous les jours attendre quelqu’un qui revient de Chine !

Enfin, La Musardière !
J’allume une petite bougie devant mon Bouddha et mets une poignée d’encens à brûler, puis, je choisis un CD. La 9° Symphonie de Beethoven s’impose. Je suis si heureuse ! 








Le dragon chinois est un animal fabuleux bénéfique
                                      Très puissant, certes, mais bienveillant
                                      Il est associé à la pluie et aux eaux des lacs et rivières
                                     Celui-ci, tout sourire,
                                     Joue sur les petits nuages gorgés d’eau et frangés de brume
                                     Qui vont bientôt arroser les rizières ...

lundi 29 octobre 2018

"Shanghaï ... Me voilà !" - 7 et 8 - Nanjing Lu et Yuyuan Garden


Ce mercredi 26 octobre, j'affronte bravement la pluie de typhon pour admirer les immeubles de Pu Dong disparaissant derrière les nuées...
...et le lendemain, jeudi 27, toujours sous des trombes, je retourne à YuYuan Garden, où le Professeur Sorenson et moi étions venus ensemble il y a déjà ... dix ans ! (A l'heure où je poste ce texte.)


Mercredi 26 octobre
Grosse pluie de queue de typhon …

Décidément, ce typhon n’en finit pas ! Il se comporte vraiment comme un énorme dragon dévastateur qui passe en semant la terreur, et qui, lorsqu’on s’en croit débarrassé, donne encore des coups de queue de droite à gauche, histoire de bien montrer qu’il faut compter avec lui …



 
Yu le Grand, poursuivi par un Dragon de l’Eau !


Voilà donc une journée qu’il me faut dédicacer à Yu le Grand !
De nos jours, qui le connait ? En Chine, peu de gens. Et en Occident, assurément personne ! Aussi, comme je suis l’exception qui confirme la règle, vais-je consacrer quelques minutes à sa mémoire.
A la fin du néolithique, sous le quatrième empereur de la dynastie légendaire Yao, il y eut treize années consécutives de pluies diluviennes, et les inondations prirent une telle ampleur, que le pays entier était sinistré. L’empereur, très soucieux, nomma un de ses hauts fonctionnaires « Ministre des Eaux ». Il s’appelait Gun. Pendant neuf ans, il fit construire des digues. Mais elles furent submergées par les eaux et lui-même, éliminé. C’est alors que son fils, Yu, proposa de reprendre son poste. Etait-ce un bon fils qui voulait restaurer la mémoire de son père, ou au contraire, un garçon en totale opposition avec son géniteur ? Toujours est-il qu’il proposa un remède contraire : il parcourut le pays pendant des années pour faire creuser les lits des fleuves et leur adjoindre de multiples canaux afin de drainer les terres. D’ailleurs, ce fut à l’origine du quadrillage des champs et de la division du pays en provinces. Et il réussit ! D’où son surnom de « Yu le Grand ». Il devint même le premier souverain de la nouvelle dynastie : les Xia.

Ce matin, à peine levée, je me rends déjà compte que cette journée sera très mouillée. Et ce n’est rien de le dire ! Aussi, je passe la matinée dans ma chambre. J’ai acheté de très belles cartes postales tout en longueur, et je passe plus de deux heures à écrire à mes amis. Puis, prenant mon courage à deux mains – parce que, vraiment, je n’aime plus du tout la pluie depuis mes années à Taïwan – je passe une robe, prends mon imperméable, enfile mes bottines et descends à la Réception de l’hôtel. Peut-être me diront-ils où est la Poste la plus proche ? J’avise un homme qui porte l’uniforme des employés de cet honorable établissement, et, à son respectable tour de taille, je comprends au premier coup d’œil que j’ai affaire à quelqu’un d’important. Certes ! Il se présente comme le Majordome. Je ne sais pas bien ce que cela veut dire, mais je traduis par « gradé ». Il voit mes cartes et tend la main en souriant d’un air engageant. « Donne-moi tes lettres, je les posterai moi-même. » Quel honneur !

Libérée, je saute dans le premier taxi qui attend à l’entrée et lui demande de me conduire à Nanjing Lu, non loin du Bund. Cette Rue Nankin est la plus célèbre et la plus touristique de toute la ville, et on ne parle plus du Bund ! Le chauffeur pourrait sûrement y aller les yeux bandés. Je descends sur la belle place où l’on peut admirer les bâtiments hyper modernes du Grand Théâtre, du Musée de l’Art Contemporain et du Centre d’Exposition du Planning Urbain. Il y a un jardin et on peut faire le tour de l’endroit en marchant sur des passerelles surélevées, semblables à celles qui sont proches du Temple d’Or de mon quartier. C’est vraiment très beau. Hélas, il pleut tellement et il fait si sombre que cela donne l’impression que la nuit tombe …


Voici le Musée de l'Urbanisme de l'agglomération de Shanghaï
C'est un centre d'exposition de la planification urbaine. Il retrace les étapes de la croissance du petit village de pêcheurs devenu aujourd'hui une des plus grandes mégalopoles de la planète. On peut également y admirer une maquette géante de la ville avec tous les bâtiments !

 Néanmoins, je décide de faire comme si de rien n’était ! Donc, à moi la Rue Nankin et les attractions locales ! Ma foi … Il semblerait que le ciel veuille récompenser ma vaillance parce que la pluie se transforme en bruine légère, ce qui me permet d’avancer gaiement en prenant quelques photos. Les magasins de part et d’autre de ces « Champs Elysées de Shanghaï » sont magnifiques. La vitrine d’un bijoutier joailler retient particulièrement mon attention, avec un énorme poisson en or 24K, admirablement sculpté. Tout frétillant, il saute gracieusement hors de l’eau. Je lui trouve l’œil coquin ! Ne manquent que les éclaboussures. Heu … Non … Mes bottillons en sont trempés !
Ah ! Les belles histoires de poissons d’or …..


La célèbre Rue Nankin - Les Champs Elysées de Shanghaï
Le pluie n'a jamais découragé les touristes !


Mais je continue ma promenade.
J’entre dans un magasin à gauche. J’entre dans un magasin à droite. Je regarde les gens et les enseignes lumineuses, seules à mettre un peu de gaité et de lumière dans cette rue enténébrée par cette queue de typhon qui n’en finit décidément pas de nous arroser … Mais, je suis en Chine. A Shanghaï. Et j’ai beau flotter sur un nuage noir frangé de gouttes grises, je suis parfaitement heureuse !

Ah ! Voilà le Bund. Il parait qu’autrefois, avant l’arrivée des étrangers en Chine, il n’y avait là que de la boue gluante et glissante le long d’une berge évoluant au gré de la hauteur des eaux de la rivière Huangpu. Puis, vinrent les « Longs Nez » qui aménagèrent cette berge et construisirent sur ses bords de hauts bâtiments comme, de mémoire de chinois, on n’en avait jamais vu. De nos jours, ces bâtiments sont considérés comme « historiques ». Le long de la rivière, une large voie piétonne qui me fait penser à la célèbre « Promenade des Anglais » à Nice. En contrebas, les eaux sales de la rivière. De l’autre côté, Pudong - que l’on pourrait traduire par « La Rive Est » - le nouveau quartier gigantesque, avec ses gratte-ciels connus du monde entier, son aéroport international, ses extensions ….



Pudong, comme en rêve …
Les gratte-ciels sont si hauts que les nuages y restent accrochés...
Je suis fière de ma photo. Elle est aussi belle que celles que l'on peut admirer dans les agences de voyage, et au moins, c'est moi qui l'ai prise ! 

Oui, je sais, on peut admirer d’autres photos aussi belles. Mais celle-ci, c’est moi qui l’ai prise ! Et juste avant que la pluie ne reprenne de plus belle. Il est trois heures et j’entends un délicieux carillon. Très inattendu. Je ne sais de quel immeuble il provient, mais je suis aux anges ! Cela me console, car je suis trempée, de la tête aux pieds, de l’imperméable jusqu’à ma petite culotte. Car il fait assez chaud pour transpirer énormément, alors …..

 
A mon tour de faire ce petit V de la victoire, comme le font systématiquement tous les étudiants chinois dès que l'on sort un appareil photo - Je me suis toujours demandé pourquoi ils le faisaient et ce que cela représentait pour eux ? - Mais pour moi, aujourd'hui, j'ai bel et bien remporté une victoire ! Je suis à nouveau en Chine, et fort heureuse !


Au point où j’en suis, je ne risque plus rien. Je continue donc ma promenade, puis je regagne la belle place dans l’espoir d’y trouver un taxi qui me ramène chez moi. Vu les conditions météorologiques, il n’est point étonnant que les taxis soient pris d’assaut. Néanmoins, j’ai de la chance et j’en trouve un. Je monte. Le chauffeur démarre, puis me demande où je vais. J’ai beau ne pas être grand clerc, je comprends tout de suite qu’il vient de la campagne. Il parle très mal et me prend d’emblée pour une imbécile. En effet, ici, ils sont payés au temps de la course, non au kilométrage – à cause des embouteillages, je suppose. Donc, il choisit systématiquement les avenues les plus embouteillées et reste sur la file de gauche, pour que je ne puisse pas descendre ! Non mais ! Il croit que je ne connais pas l’itinéraire, que je ne sais pas que les voies supérieures sont des voies rapides, ou que je ne comprends pas ses vilains petits tours de singe ? J’ai le sens de l’orientation. Les subtilités de la circulation de Shanghaï n’ont jamais été un mystère pour moi. Et il m’en faut plus qu’un paysan roublard pour m’intimider. Je lui dis clairement ma façon de penser. Il se met à rire … jaune. Les chinois rient quand ils sont embarrassés. Rapidement, il redresse la barre et j’arrive à bon port. Horriblement fatiguée et dégoulinante. Même ma tresse de cheveux est bonne à tordre … Je jette tous mes vêtements sur la moquette de la chambre et me précipite sous la douche !

Jeudi 27 octobre
Pèlerinage à Yuyuan Garden

Ce matin, j’avais projeté d’aller visiter un jardin auprès duquel il y a –parait-il – de petites boutiques qui exposent de jolies choses plus ou moins anciennes. Mais le chauffeur de taxi était si mal embouché qu’il m’a tout simplement virée ! « Ce jardin ? Connais pas. Descends ! »

Alors, sans plus insister, je change mes projets et décide de me rendre au Yuyuan Garden. C’est une sorte de pèlerinage parce que j’y suis déjà allée il y a quelques années en compagnie de Victoria et du Professeur Sorenson. C’est que je n’en suis pas à mon tout premier séjour à Shanghaï ! Il pleut encore mais pas trop. Je me promène dans ce joli quartier fait de belles maisons anciennes reconstituées. Aujourd’hui, elles abritent des quantités de boutiques et de restaurants pour les touristes. On peut aussi visiter les jardins et admirer les carpes Koï dans les bassins paysagés. C’est très joli. J’achète tout un tas de petits souvenirs pour rapporter à mes amis en France. Comme il y en a pour tous les goûts, je suis sûre de pouvoir faire plaisir à chacun. 





Quelques vues de ces "Jardins", des bâtiments à l'ancienne, des boutiques, du lac aux carpes...On peut voir les petits kiosques, les célèbres lampions rouges et même les "French trees" - ces platanes que nous avons apportés dans toute l'Asie ...

Le temps passe vite et les heures s’écoulent sans même que je m’en rende compte. Comme je commence à être fatiguée de marcher, je regagne la grande avenue la plus proche, dans l’espoir d’y trouver un taxi de meilleure humeur que celui de ce matin. Et la chance me sourit ! Voilà que s’arrête devant moi un hybride entre le "touctouc" thaï et la moto taxi. Aux commandes, une jeune femme toute ronde et tout sourire ! J’adore passer d’une Cadillac à un touctouc.

 

 
 Mon nouveau chauffeur de taxi : un sourire en rayon de soleil !

Et n’allez pas croire que ce n’est pas confortable ! Le passager est abrité par une sorte de dais-cabine rose fluo ; et la pilote, vêtue d’un imperméable vert et jaune et chaussée d’étonnants « protège-baskets » framboise-écrasée, est protégée par un vaste parapluie bleu et rose. Je suis aux anges ! Cahotée de droite à gauche et d’avant en arrière, éclaboussée, secouée comme noix en sac, je ris d’aise ! Comme si j’étais assise sur un doux nuage aux couleurs de l’arc en ciel ! Enfin, nous arrivons à Qipulu, je descends et lui demande si je peux la photographier.
« Bien sûr ! – dit-elle en riant – T’es trop polie ! »
Enchantée, je paie la course et ajoute de quoi lui conserver sa belle humeur …

Une fois descendue, je retourne me promener dans ce quartier de boutiques qui, pour moi, sont « traditionnelles ». C’est-à-dire, ces innombrables et minuscules échoppes, réunies dans de grands immeubles, ni prétentieuses ni sophistiquées, et dans lesquelles on discute des prix âprement. C’est ce que j’ai toujours connu depuis mon arrivée en Chine, et malheureusement, ce genre d’établissement est en voie de disparition, surtout dans les mégalopoles occidentalisées. Il n’y a rien de comparable en France. Alors, j’en profite au maximum. Certes, je regarde les innombrables articles exposés, mais aussi, je suis le cours de mes souvenirs … Je me sens bien dans ce genre d’endroit. Je parle aux gens. Même aux rabatteurs qui m’agressent parce que je suis étrangère. Je leur dis posément que je me débrouille toute seule, que je regarde d’abord, et je les remercie de me proposer leurs services. Sidérés de m’entendre parler chinois, même mal, ils deviennent instantanément polis et amicaux.


Tous ces minuscules personnages peuvent apparaître, aux yeux de touristes raffinés, une abominable bimbeloterie bon marché et de mauvais goût.... Certes. Mais pour moi qui connais tous les récits classiques des temps jadis, cela revêt une signification très différente. Ici, je retrouve tous les héros du célèbre ouvrage "Les périgrinations vers l'Ouest" ou "Le Singe Pèlerin". Le moine Tang San Zang - connu aussi sous son nom sanskrit "Tripitaka" - se rend en Inde pour chercher les écritures bouddhiques afin de les traduire en chinois. Il est accompagné de Sun Wu Kong, le Roi des Singes ;  Bai Long Ma, le "Cheval Dragon blanc" ; du cochon Ju Ba Jie ; et du moine Sablon. Tous jouissent de la protection de Guan Yin, équivalent indien d'Avalokiteshvara, le Bodhissatva de la compassion. 

Deux petites scènes édifiantes.
Dans une belle boutique, j’avise une robe qui me plait et j’en demande le prix au jeune homme.
« 145 RMB – me dit-il – C’est le prix officiel ! Je ne peux pas baisser. »
« C’est d’accord. Elle me plait beaucoup …. »
Alors, intervient une femme un peu plus âgée, probablement la patronne.
« Elle est étrangère. Monte le prix. »
« Hé non ! – répond le garçon -  Je lui ai déjà donné au bon prix. Elle parle chinois …. »

Un peu plus loin, je vois une veste d’homme en satin. Elle est réversible. Un côté noir et l’autre rouge sombre. J’adore les vêtements réversibles. Immédiatement, je pense que je pourrais l’offrir à mon ami le Professeur Sorenson. Seulement, il faut que je demande une grande taille. Je me tourne vers la mignonne de service et lui demande :
«  Tu en as de plus grandes ? »
« Ton mari est gros ? » questionne-t-elle en riant.
« Non. Mais il est très grand et il a les épaules très larges »
Elle extrait une veste de grande taille de dessous la pile et me la montre.
« C’est la plus grande … »
« Combien en veux-tu ? »
« Regarde ! C’est du beau ! Une bonne qualité …. 380 RMB. Dernier prix »
« Tout ça quand même ! Bon. On oublie. Jamais je ne paierai ce prix-là ! Au revoir ! »
« Attends ! Attends ! C’est quoi ton prix ? »
« « 150 … »
« Ah non ! Impossible ! »
La discussion continue, mais je prends l’air décidé et marche vers la sortie.
« Attends ! Attends ! … Bon … C’est d’accord … »
Hé ! Hé ! On n’apprend plus à un vieux singe à faire des grimaces.

Certes, mon séjour n’aura pas été culturel. Pas de musées, de livres, de films… Mais des promenades en plein air, et je pourrais même dire, en plein vent ! Sous la pluie, au bord de la rivière, dans des jardins. Les arbres et les plantes dégoulinantes d’eau tiède, les fleurs s’épanouissant entre deux passages nuageux, les carpes Koï jouant joyeusement dans les bassins d’eaux vertes …. J’ai beau savoir qu’il y a dans ce pays des endroits sinistrés par les excès de pollution, des gens mortellement atteints par des maladies d’origine industrielle, j’ai eu le bonheur d’être à Shanghaï où tout est étonnamment propre, où l’air est bon, et où les automobilistes ont la chance de circuler entre deux rangées de jardinières croulantes de fleurs de couleurs vives.

Et puis, je cause avec les gens. Oh ! Ce ne sont pas des conversations philosophiques, mais tout de même, cela fait grand plaisir. Surtout quand on est seul. Il m’arrive de montrer des photos de chez moi, ou des gens que j’aime. En retour, on me montre les enfants, les parents, ou des endroits particuliers. Nombreux sont ceux qui me demandent si je suis russe, à cause de mes cheveux. Surtout lorsque je fais une tresse que j’enroule sur ma tête, car cela correspond à l’image traditionnelle des filles russes.
« Non ! Je ne suis pas russe. »
« Alors, tu viens de quel pays ? »
« Devine ! »
Et après quelques instants d’hésitation, la réponse vient, toujours la même :
«  … Heu … Anglaise ! »
Je ris. Je suis contente. Jamais personne ne devine que je suis française.
« Et ….. C’est où, l’Angleterre ? »
« En Europe. »
La réponse laisse songeur.
« L’Europe …. C’est où ? »
« C’est loin. » dis-je.
Les chinois ne sont pas meilleurs que les français en géographie !

Sur ces entrefaites, j’avise un taxi, un vrai –cette fois – Il est à l’arrêt le long d’un trottoir. D’autorité, j’ouvre la portière et mets mes affaires sur la banquette arrière. Puis je monte à l’avant.
« Mais … Je téléphone ! » me dit le jeune homme, sidéré de mon audace.
« Bien ! Bah …Vas-y ! Je m’assois, je suis crevée … »
Alors, je fais comme lui, je sors mon smartphone et me mets à retoucher mes photos. C’est cool  ici. Je me sens bien.
Le gars, rasséréné, continue à raconter sa vie à sa copine. Naturellement, ils parlent d’argent ! Puis, au bout d’un bon moment, il démarre.