Oui, j'ai une petite fille ! Elle s'appelle Amélie et je l'ai surnommé "Amélie-Baby". Elle n'a pas deux ans et réside à Paris. Comme je ne peux la voir souvent, j'ai décidé de lui écrire pour lui raconter mes voyages - s'ils présentent un quelconque intérêt - ou simplement pour lui raconter de petites histoires, au fil des jours et des occasions, de l'inspiration, peut-être ?
Sandfontein -
Afrique du Sud
South Western
Cape Province – S.A. –
A ma petite Amélie
Pour la première fois de ma vie, moi qui ai écrit
des milliers de lettres, des thèses savantes, des manuels à l’usage de mes
étudiants, des conférences, des articles, et tout récemment trois volumes de
Mémoires assez conséquents – publiés par un éditeur parisien – bref, moi qui
suis devenue officiellement « Ecrivain », j’éprouve le célèbre
« vertige de la page blanche » !
C'est-à-dire que je ne sais
par où commencer…
Bon. Je crois que le mieux,
c’est de se lancer avec spontanéité. Alors, j’y vais !
Ma petite Amélie, bien que tu
ne sois encore qu’un bébé, et que je ne te connaisse que fort peu, je pense
beaucoup à toi depuis ta naissance. Il m’arrive même de rêver de toi la
nuit ! Mais voilà : tes parents habitent un minuscule appartement à
Paris, en plein China Town, et moi, une grande longère en province, à trois
cents kilomètres de là….Cela ne facilite pas les rapprochements. De plus, ta
maman préfère te confier à tes grands-parents paternels plutôt que de t’envoyer
chez moi à la campagne. C’est plus pratique pour elle. Mais il m’arrive de me
demander si elle ne craint pas que je ne sache plus m’occuper d’un bébé ?
Je m’étais pourtant bien occupée d’elle quand elle avait ton âge…. Mais c’est
son choix.
Donc, les choses étant ce
qu’elles sont, j’ai décidé de t’écrire !
Un jour, dans quelques
années, tu iras à l’école et tu apprendras à lire. Quand ta maman était petite,
j’avais vite compris qu’elle serait totalement différente de moi et que la
lecture ne ferait pas partie de ses centres d’intérêt, aussi n’avais-je pas
insisté, parce que je pars du principe qu’il n’est pas bon de
« forcer » les enfants à faire des choses qui ne correspondent ni à
leurs goûts, ni à leur caractère. Mais tout le monde s’accorde à dire que, très
souvent, on retrouve chez les petits enfants des traits particuliers, des
talents, des goûts – ou des dégoûts – propres à leurs grands-parents. Aussi,
après ta naissance, me suis-je prise à penser qu’il se pourrait qu’un jour, les
livres t’intéressent… Certes, on n’apprend pas la vie dans les livres. Mais on
peut y trouver tellement de connaissances, d’idées, de dépaysement….découvrir
des foules de gens, d’aventures passées, de mondes merveilleux aujourd’hui
disparus…..et ainsi, la vie des autres devient une part de celle du lecteur. Et
puis, il y a tant et tant de belles histoires qui charment l’imagination,
captivent les rêves, transportent dans des contrées enchantées….. Tu
verras !
Il y a très longtemps –
environ 600 ans – vécut un homme qui s’appelait Geoffrey Chaucer. Il était
anglais. Londonien même. J’ai beaucoup d’admiration pour lui. C’était une
brillante intelligence et il a réussi à concilier sa vie intellectuelle avec
une vie très active au service de son roi – parce qu’à cette époque, il y avait
encore des rois. Il aurait pu devenir orgueilleux et méprisant, mais il restait
modeste en toutes circonstances. Quand on lui demandait ce qu’il faisait dans
la vie, il répondait « I am a story teller », ce qui veut dire
« Je suis conteur », car il racontait de belles histoires qui sont
d’ailleurs devenues célèbres.
Moi aussi, je voudrais être
conteur – pour toi – ma petite Amélie.
Arrivée à Sandfontein
Aujourd’hui, je vais te
parler de l’endroit où je suis actuellement. Je suis au fin fond de la province
la plus au sud de l’Afrique du Sud, et je réside dans une splendide propriété
qui appartient à un richissime banquier anglais et à son épouse. Ils
s’appellent Hugh et Lynn H., et leur propriété : Sandfontein. Elle
s’étend sur une surface de près de 80 hectares de terres non arables,
c'est-à-dire que l’on ne peut les cultiver car le sol est maigre, pierreux, et
sec. Toutefois, comme il y pousse quelques herbes rêches et de petits buissons
épineux, ils y élèvent bœufs et vaches africaines, dont la morphologie et le
pelage sont très différents de leurs cousins européens. Il paraît que leurs
peaux se vendent comme tapis !
Un joli petit faon nous accueille !
On arrive à Sandfontein par une piste
longue d’environ trois kilomètres qui part de la route Caledon-Napier. Le jour
de mon arrivée, il y avait des faons
qui couraient et jouaient dans la petite vallée à l’’Est de cette piste, et des
grues bleues auprès du réservoir d’eau. C’était joli. J’ai pris des photos et
je peux te dire que les faons, ça bouge autant que les bébés ! Toutefois, j’ai un bon appareil. Sandfontein
est une résidence constituée d’un groupe de bâtiments qui occupe la colline à
l’Ouest de la piste, et les terres sont attenantes. Tous les champs sont
entourés de fils de fer barbelé. Je crois que de toute ma vie je n’en ai jamais
tant vu ! Mais comme de loin, ils demeurent invisibles, cela donne une
impression de vastitude, voire d’infini….
Autour de la Résidence principale,
il y a plusieurs maisonnettes : deux « cottages » pour les hôtes
qui viennent avec leur famille, un petit bâtiment qui abrite le BBQ auprès de
la piscine, l’abri du générateur, le garage, les réservoirs à eau et à fuel, la
réserve de bois….. tout ce qu’il faut pour vivre en autarcie. Sans oublier les
deux poulaillers : l’un à l’Ouest et l’autre à l’Est, où réside le coq qui
chante dès 4h30 du matin. Mais comme chez moi, à la Musardière, il y a aussi un
coq, j’y suis habituée. De plus, celui-ci est un peu éloigné de ma chambre, donc il ne me dérange pas.
En ce moment, je suis
installée sous la véranda d’un des cottages, à une grande table dont le
piètement est d’acier noir et le plateau de verre épais. Cette maisonnette est fermée puisqu’il n’y a
pas d’hôtes de passage et que mon ami Brendan et moi logeons dans la grande
maison. Tout autour, il y a un immense jardin d’agrément, à l’anglaise
naturellement, c'est-à-dire présentant arbres, arbustes et touffes de plantes
disposés sans symétrie. Mais il ne faut
pas se fier aux apparences : c’est un savant désordre dont chaque détail a
été savamment étudié ! Il y a une sorte de gazon très particulier, de
l’herbe africaine très dense et rêche ; de nombreux arbustes tous
différents, tels que l’on pourrait en voir dans un jardin botanique en
Europe ; les fleurs les plus variées : grappes jaunes tombantes, petites
touffes de poils roses, grosses boules de succulentes bleu vif, etc. Mais c’est
une fois passé la barrière que commence véritablement l’Afrique.
L’Afrique est un continent
gigantesque qui, dans le passé, n’était guère peuplé que d’animaux sauvages et
de quelques tribus de Noirs – différents selon les régions. Les occidentaux y
sont venus de plusieurs pays d’Europe pour explorer, exploiter, coloniser. A
leur arrivée, le nombre incroyable d’animaux a suscité d’innombrables vocations
de chasseurs. Les Blancs arrivaient avec leurs fusils et tuaient antilopes,
lions, éléphants….jusqu’à ce que l’on interdise le commerce de l’ivoire puis le
trafic de contrebande et le braconnage que cela sous-entend. Enfin, devant la
disparition rapide de nombreuses espèces, la chasse a été carrément interdite.
Aujourd’hui, on ne parle plus que de « protéger » les animaux que
l’on parque dans des Réserves Naturelles où l’on peut venir les observer de
loin et prendre quelques clichés.
Ici, les espaces semblent
infinis. Par exemple, si je fais doucement le tour de Sandfontein en regardant
autour de moi, je ne vois rien d’autre que des collines, encore des collines, et
…. encore des collines. Parfois, quand la luminosité est la meilleure,
c'est-à-dire généralement le soir, on aperçoit au Nord, une immense chaîne de
montagnes dans le lointain….Tout est gris, ocre, sépia – dirais-je – comme les
vieilles photographies d’antan. De très loin en très loin, un bouquet d’arbres
signale une habitation. Ce n’est pas gai……
Paysage au Nord-ouest de Sandfontein
Qui peut aimer un tel
pays ? Probablement ces aventuriers bâtisseurs d’empires, capables de
conquérir, cultiver et entretenir des provinces entières. Je les imagine
parcourant leurs terres à cheval, allant d’un village à l’autre, couvrant des
distances considérables, l’œil toujours aux aguets, le fusil à portée de la
main sur la selle de leur monture, prêts à répondre à toute espèce de tentative
d’intimidation ou plus simplement, à tirer sur leur gibier de prédilection. Je
crois que c’est une terre faite pour un certain type d’homme. Quoiqu’il en
soit, je comprends que l’on puisse en tomber amoureux. Mais ce n’est pas mon
cas.
Toi, ma petite Amélie, quand
ton papa te prend dans ses bras et s’approche de la baie vitrée du living-room
de votre appartement, tu vois deux autres tours, toutes proches de celle que
vous habitez. Puis, en bas, des tas de bâtiments et d’immeubles. Et dans ces
tours et ces immeubles, il y a des tas de gens qui vivent. Ils mangent,
boivent, discutent, regardent la télévision, chantent, crient, travaillent ou
jouent sur leur ordinateur, écoutent de la musique, pleurent, font des projets,
se soignent, dorment, aiment ou haïssent, se lavent ou se laissent aller…. bref.
Ils vivent. Ils ressentent des choses, éprouvent des sentiments, ils pensent,
ils rêvent, ils se projettent dans l’avenir… Et puis surtout, ils
bougent ! Entre les deux tours que tu peux voir à ta droite et en face de
toi, et les immeubles en bas à ta gauche, passe « Le Périphérique »,
ce ruban d’asphalte sur lequel, jours et nuits, circulent des milliers, des
centaines de milliers, des millions de véhicules. La nuit, c’est joli. Le côté
droit du fleuve en mouvement scintille en rouge – ce sont les feux arrières des
voitures. L’autre brille comme de l’or, grâce aux feux de croisement.
Ici, pas le moindre bruit,
pas le moindre mouvement en dehors des oiseaux, car s’il y a d’autres animaux,
ils ne sortent guère que la nuit pour chasser. Quant aux êtres humains, seul un
nuage de poussière signale dans le lointain le passage d’un véhicule 4X4 Toyota
sur une piste caillouteuse, et comme il ne s’agit pas (encore) de robots
télécommandés, on peut en déduire qu’il y a au moins un être humain à
bord !
C’est tout.
Ici il n’y a que des collines
au dessus desquelles passent des nuages poussés par ce vent permanent, violent,
lancinant, qui semble caractériser cette partie de l’Afrique du Sud. Je n’ai
rien à faire. Je suis en vacances. C’est agréable. Surtout au début. Mais comme
je suis une personne très active, je commence sérieusement à aspirer au retour
en France….
Peut-être te demandes-tu ce
que je fais si loin de l’Europe ? Et bien, d’une certaine façon, je suis
moi aussi une aventurière qui, montée sur son cheval, le fusil en bandoulière
et le chapeau sur les yeux, parcourt ses terres. Je parcours La Terre. Où j’ai
l’occasion d’aller, je vais. Pour voir. Pour expérimenter. Ensuite j’écris. Et
je crois que cela fait grandir en réflexion et en sagesse. Du moins je
l’espère ! C’est ainsi que je partais autrefois, quand j’étais jeune. Et
c’est toujours ainsi que je pars, maintenant que j’ai un âge respectable. De ce
point de vue, je n’ai jamais changé.
Mes parents, qui habitaient
la Lorraine, nous avaient emmenés, tes grands oncles Grégoire et Benoit, et
moi, au Luxembourg proche et en Suisse française pour quelques vacances. Mais
ensuite, devenue plus indépendante, je suis partie seule. Et j’ai découvert la
verte Angleterre, un beau jour de printemps, avec ravissement ! Jamais je
n’oublierai Windsor - cette énorme forteresse – posée au milieu des prairies
ensoleillées de jonquilles et parfumées de lilas, sous un délicieux ciel
myosotis ….. Ni ce gentleman en costume rayé et chapeau melon qui m’avait
courtoisement saluée, moi, la petite
adolescente française timide, sortie de son couvent pour la première aventure
de sa vie ! Quel souvenir parfumé, au charme suranné…. Après l’Angleterre,
l’Europe de l’Est : la Pologne avec Sœur Sobanska, la Hongrie en compagnie
des cousins Sélégny, la Russie pour
aller voir Philippe, flanquée de Patricia. Puis l’Egypte… Tout cela, ce sont
les vieux souvenirs d’une grand-mère qui était alors une jeune aventurière, car
tu peux me croire, « à mon époque » (je « dois » dire cela
puisque toutes les grand-mères le disent !) ce n’étaient pas toutes les
jeunes filles de mon âge, mon éducation et surtout mon « milieu » -
comme dirait ton arrière grand-mère – qui faisaient cela ! C’était plus
fort que moi. Il fallait que j’aille voir sur place. L’Europe de l’Est surtout.
Comme ma famille était « de droite » on y abhorrait le communisme.
Mais comme ni mon caractère, ni la forme de mon intelligence, ne me portaient
au dogmatisme, je voulais constater « de visu » comment vivaient les
gens.
La grande affaire de ma vie,
la meilleure décision que j’aie jamais prise, ça a été de quitter la Vieille
Europe pour Taïwan. C’était en 1977. A cette époque, la Chine Continentale
n’était pas encore ouverte aux étrangers. D’ailleurs, le célèbre Monsieur Teng
Hsiao-Ping ne parvint officiellement au pouvoir suprême qu’en 1978. Je venais
de passer cinq ans à l’université de Nancy II où j’avais étudié la Géographie,
un peu d’Economie, l’Histoire Ancienne et Médiévale, la langue russe, et mille
autres choses encore. J’avais été une étudiante riche parce que je m’étais présentée
au Concours des IPES, un concours national qui n’existe plus, et que j’avais
réussi. J’étais donc payée pour étudier. Le rêve ! Mais à l’issue du
contrat il me fallait un poste. J’avais écrit de par le monde. Je voulais
absolument quitter la France car ma mère souhaitait que je me marie. Taïwan
m’ayant offert un poste d’Assistante au Département de Français, et un studio,
j’avais fait deux malles et …. mes adieux !
C’est aussi le début de ton
histoire, Amélie. Sans mon départ, je n’aurais pas découvert le Monde Chinois,
et tu ne serais pas là puisque je n’aurais pas épousé le Professeur Hsü Ping-Ho,
et ta maman ne serait pas venue au monde… Tu vois comme les évènements sont
interdépendants et s’enchaînent les uns aux autres ! Mais cette histoire,
je l’ai racontée en détail dans mon livre intitulé « Professeur à
Taïwan » que certains commentateurs sur Google ont rebaptisé, très
justement d’ailleurs « Lettres de Taïwan ».
Revenons en Afrique. Revenons
à Sandfontein.
Je n’y suis pas arrivée par
hasard. Il y a quelques années, alors que je travaillais et résidais à Zhu-Hai,
banlieue continentale de la célèbre ville de Macao fondée au XVI° siècle par
les Portugais, j’avais rencontré un ancien violoniste nommé Brendan Lassak.
D’origine polonaise, il avait la nationalité Sud-Africaine et les hasards de la
vie l’avaient amené à enseigner la langue anglaise à l’UIC – United
International College – université expérimentale où j’étais alors Maître de
Conférences chargée des cours d’Histoire Médiévale Européenne et de quelques heures
de langue française. L’UIC était en construction. Je n’avais pas encore de
bureau personnel. Mon Assistante et moi-même campions dans l’immense Bureau
B414, fief des Américains. J’avais rencontré Brendan dans la pièce des
photocopieuses et imprimantes. Un monsieur de taille moyenne, lunettes, yeux
très bleus. Au début, je ne comprenais qu’à peine cinquante pour cent de ce
qu’il disait. Maintenant, je sais que c’est parce qu’il a un très fort accent
Afrikaans, c'est-à-dire Hollandais d’Afrique du Sud. Néanmoins, nous étions
devenus amis. C’est surtout l’amour de la Chine qui nous avait fait
sympathiser, amour qui n’était pas du tout partagé par les autres collègues. Et
aussi le goût de la musique, car Brendan, avant de devenir Professeur d’Anglais
était second violon dans l’Orchestre National de son pays. Et moi, je ne peux
vivre sans musique… Bref. Une fois que j’étais à l’Hôpital pour ma première
opération à Zhu-Hai, il était venu, violon sous le bras, pour me réconforter.
Après cet épisode, nous avions pris l’habitude de dîner ensemble une fois par
mois, pour échanger des bruits de couloirs, médire des chers collègues, et rire
tout notre content loin des Docteurs bouffis de suffisance et de
condescendance ! A cette époque, je louais un très bel appartement dans la
plus célèbre Résidence de toute la Province de Canton. Mais Brendan vivait dans
une banlieue populaire au milieu des chinois et il y était particulièrement
heureux. Quelques fois, il me demandait de monter jusqu’à son salon. Il y
régnait un désordre indescriptible, mais j’oubliais tout quand il se mettait à
me jouer du Bach ou du Paganini….
Les meilleures choses ayant
toutes une fin, vint un moment où les visas ne furent plus attribués aux
professeurs étrangers comme ils l’avaient été jusqu’aux Jeux Olympiques. Puis
les contrats ne furent plus renouvelés. Enfin, les professeurs repartirent,
chacun dans son pays d’origine. Mais je suis toujours en contact avec tous mes
anciens amis. Et quand Brendan m’a envoyé une invitation pour venir passer un
mois en sa compagnie, sachant que je pouvais lui faire toute confiance, j’ai
pris un billet aller/retour sur Qatar Airways. C’est ainsi que je me suis
retrouvée en Afrique du Sud. Nous avons d’abord passé une quinzaine dans la
maisonnette qu’il loue à Napier. Il m’a emmenée visiter des parcs. Mais comme
faire du «house-sitting » est devenu son métier d’appoint, nous avons
déménagé pour nous installer dans ce Ranch. Nous allons nous en occuper en
l’absence des propriétaires repartis sur leur Grande Ile pour y passer les
Fêtes de fin d’année. Nous devons surveiller les jardiniers, la femme de
ménage, les poulaillers, l’électricité et l’eau, et nous occuper des trois
énormes chiens.
Luther, Mimi, Hatty et
Monty !
Quand tu seras plus grande,
Amélie, tu auras sûrement des occasions comme celle-ci. Habiter pendant
plusieurs semaines chez quelqu’un à l’étranger, vivre la vie locale, manger ce
que mangent les gens, faire la connaissance de leurs amis, de leur famille, de
leurs animaux domestiques, les écouter parler… ce sont – à mon avis – des
expériences très profitables. C’est plus enrichissant, d’un certain point de
vue, que de « faire du tourisme » à toute allure, car très
rapidement, on est tellement fatigué qu’on ne sait même plus ce que l’on
visite. Au final, c’est seulement de retour à la maison en regardant ses photos
que l’on prend vraiment conscience de ce que l’on a fait ! Tes parents ont
de nombreuses relations à l’étranger. Il te sera facile de voyager. De nos
jours, c’est une absolue nécessité si l’on veut s’intégrer dans le monde.
Depuis que tu es née,
j’essaie de rappeler à ma mémoire mes souvenirs les plus anciens. Certains me
reviennent souvent sans effort, surtout la nuit. Je rêve encore très
fréquemment de Saint-Cast, petite station balnéaire des Côtes du Nord où
habitaient mes grands-parents, et où j’ai passé ma toute petite enfance. Mais
il ne m’en reste que des images et une ou deux anecdotes sans grand intérêt.
C’est lorsqu’ils déménagèrent pour s’installer à Froberville, en Haute
Normandie, que je commençai à m’intéresser à leurs conversations. A cette
époque, il eut été impensable pour la jeune enfant que j’étais, d’intervenir ou
de participer. Quand les adultes parlaient, les enfants se taisaient. Cela ne
m’ennuyait pas du tout et c’est une excellente façon d’apprendre des tas de
choses et de se livrer à d’innombrables observations qui, par la suite, peuvent
devenir singulièrement significatives. Mes grands-parents critiquaient
amèrement leur époque – les années 60 en l’occurrence – les comparant à ce
qu’ils avaient connu « avant guerre ». A laquelle faisaient-ils
allusion ? Je ne saurais le dire puisqu’ils avaient connu les deux Guerres
Mondiales. Mais là n’est pas mon propos. Ce que je voulais dire c’est, qu’à les
entendre, non seulement notre époque était affligeante, mais elle laissait
augurer du pire pour l’avenir. Ce n’était pas du tout rassurant pour moi.
J’avais l’impression de m’avancer les yeux bandés vers des années au cours
desquelles les évènements les plus dramatiques ne manqueraient pas de se
produire. Ma génération dans son ensemble serait la victime d’hommes politiques
véreux, de banquiers corrompus, de comploteurs membres de sociétés secrètes qui
ne rêvaient que de prendre le pouvoir à l’échelle de la planète. Et pour
couronner le tout, il n’y avait plus aucune culture, les Belles Lettres
tombaient dans l’oubli, et même les prêtres ne savaient plus prêcher !
Rassure-toi. Depuis qu’une
cinquantaine d’années a passé, j’ai appris que pour être politicien il fallait
n’avoir aucun scrupule ; que les banquiers ne sont considérés comme
corrompus que par les gens qui envient leur opulence ; que les hommes ont
toujours adoré les secrets, les complots, les loges et que c’est parfaitement
normal. Nous vivons à l’époque de la « Mondialisation » et l’Histoire
ne revient pas en arrière comme peuvent le faire les voitures ! Néanmoins,
les populations survivent…. en disant que la vie est dure. Les religions sont
comme les civilisations : elles ont des commencements héroïques, de
glorieuses apogées, puis elles gagnent tout doucement l’oubli qui guette toute
vie. Quant aux Belles Lettres, il suffit de s’y mettre. Cela s’étudie. Surtout
si on en a le goût. Et point n’est besoin de mettre toutes les matières dans
les cursus scolaires ! La culture est une affaire de personnalité, d’amour
de ce qui est beau et qui nourrit l’esprit et l’âme.
Nous sommes loin de
l’Afrique, n’est-ce pas Amélie !
J’ai pris de belles photos
d’animaux dans les Réserves naturelles et tout à l’heure encore, en revenant de
Bredasdorp où nous avons fait les courses de début de semaine, comme il y avait
en bordure de piste tout un groupe de grues bleues – l’oiseau national- j’ai
demandé à Brendan d’arrêter sa Nissan pour prendre quelques clichés. J’ai vu des
antilopes de grande taille, des familles avec le papa qui surveille
l’environnement, la maman et ses cousines et belles-sœurs toutes très occupées
avec leurs enfants. J’ai également aperçu de beaux zèbres et des groupes
d’autruches. Elles ont l’air idiot ! Elles tournent leurs minuscules têtes
de droite à gauche puis de gauche à droite en clignant des yeux, avancent le
cou et se tortillent…. Je les trouve assez ridicules ! Mais ciel !
Qu’elles courent vite ! Il n’y avait ni lions, ni girafes, ni éléphants,
mais cela m’est égal.
Toi, tu auras sûrement de
beaux livres avec de splendides photos de toutes ces bêtes sauvages en voie de
disparition. Ou peut-être verras-tu des films documentaires à la télévision. A
moins que tu ne trouves tout cela sur ta première tablette tactile !
Mais peut-être viendras-tu un
jour à la Musardière et, si cela t’intéresse, je te montrerai mes dossiers de
photos. J’adore faire des dossiers de photos, par thèmes, par ordre
chronologique, avec agrandissements, nouveaux cadrages, entourage couleur, et
souvent aussi, commentaires ajoutés. J’ai beau être grand-mère, donc très
vieille à tes yeux, je ne suis pas du tout cramponnée au passé comme l’étaient
mes propres grands-parents – et comme le sont des foules immenses – mais j’essaie
au contraire de rester bien intégrée à mon époque.
Quoiqu’il en soit, moi, je ne
suis pas obsédée par la Protection de la Nature et les animaux qui
disparaissent ne m’empêchent pas de dormir. Je sais. Dire cela fait scandale
aujourd’hui. Mais c’est ce que je pense et je n’ai pas l’intention de te
raconter des fadaises. Sache toutefois que, si un jour, tu décidais d’en faire
ton métier, j’applaudirais des deux mains. Et je ne vois aucune contradiction à
cela. (Mais je préférerais que tu n’essaies pas de faire à nouveau pulluler
loups, ours et lynx dans les campagnes françaises, comme le souhaite une bande
d’illuminés….) J’aime les animaux. Tous. D’ailleurs, ils m’aiment aussi, au
point que c’en est parfois très comique….Mais ils ne constituent pas ma priorité
dans la vie. J’ai d’autres priorités, d’autres centres d’intérêts – non
exclusifs - Par contre, pour les
Afrikaners, cela semble être « la » priorité. C’est probablement
parce que la Vie Sauvage représente leur passé et qu’au fur et à mesure que le
temps s’écoule, les êtres humains, fatigués de faire des efforts d’adaptation,
finissent par regretter « le bon vieux temps ». Cela doit être
normal, je pense.
Ma petite Amélie, je t’écris
comme si tu étais déjà grandelette, alors que je ne sais même pas si tu liras
un jour ces quelques pages. Ma foi….tant pis ! L’écriture est la forme de
communication dans laquelle je sais exceller, alors, j’aimerais que tu en
profites. Un Professeur se sent toujours investi d’une mission.
Je te laisse là pour ce soir.
Tu dors peut-être déjà….
Quand je suis à la
Musardière, je regarde la ravissante photo que j’ai de toi, une vraie photo
papier mise en valeur par un encadrement précieux fait de miroirs, posée sur la
commode de ma grand-mère, dans ma chambre. Tu y souris de tes petites gencives
encore vierges de toute quenotte, et j’adore l’expression de ton visage !
Lundi 8 décembre 2014
Sandfontein – District de Napier