dimanche 26 avril 2015

"Pour Amélie" - Sandfontein - Afrique du Sud





Oui, j'ai une petite fille ! Elle s'appelle Amélie et je l'ai surnommé "Amélie-Baby". Elle n'a pas deux ans et réside à Paris. Comme je ne peux la voir souvent, j'ai décidé de lui écrire pour lui raconter mes voyages - s'ils présentent un quelconque intérêt - ou simplement pour lui raconter de petites histoires, au fil des jours et des occasions, de l'inspiration, peut-être ?




 Sandfontein - Afrique du Sud 


                                      South Western Cape Province – S.A. –


A ma petite Amélie

Pour  la première fois de ma vie, moi qui ai écrit des milliers de lettres, des thèses savantes, des manuels à l’usage de mes étudiants, des conférences, des articles, et tout récemment trois volumes de Mémoires assez conséquents – publiés par un éditeur parisien – bref, moi qui suis devenue officiellement « Ecrivain », j’éprouve le célèbre « vertige de la page blanche » !
C'est-à-dire que je ne sais par où commencer…
Bon. Je crois que le mieux, c’est de se lancer avec spontanéité. Alors, j’y vais !

Ma petite Amélie, bien que tu ne sois encore qu’un bébé, et que je ne te connaisse que fort peu, je pense beaucoup à toi depuis ta naissance. Il m’arrive même de rêver de toi la nuit ! Mais voilà : tes parents habitent un minuscule appartement à Paris, en plein China Town, et moi, une grande longère en province, à trois cents kilomètres de là….Cela ne facilite pas les rapprochements. De plus, ta maman préfère te confier à tes grands-parents paternels plutôt que de t’envoyer chez moi à la campagne. C’est plus pratique pour elle. Mais il m’arrive de me demander si elle ne craint pas que je ne sache plus m’occuper d’un bébé ? Je m’étais pourtant bien occupée d’elle quand elle avait ton âge…. Mais c’est son choix.

Donc, les choses étant ce qu’elles sont, j’ai décidé de t’écrire !
Un jour, dans quelques années, tu iras à l’école et tu apprendras à lire. Quand ta maman était petite, j’avais vite compris qu’elle serait totalement différente de moi et que la lecture ne ferait pas partie de ses centres d’intérêt, aussi n’avais-je pas insisté, parce que je pars du principe qu’il n’est pas bon de « forcer » les enfants à faire des choses qui ne correspondent ni à leurs goûts, ni à leur caractère. Mais tout le monde s’accorde à dire que, très souvent, on retrouve chez les petits enfants des traits particuliers, des talents, des goûts – ou des dégoûts – propres à leurs grands-parents. Aussi, après ta naissance, me suis-je prise à penser qu’il se pourrait qu’un jour, les livres t’intéressent… Certes, on n’apprend pas la vie dans les livres. Mais on peut y trouver tellement de connaissances, d’idées, de dépaysement….découvrir des foules de gens, d’aventures passées, de mondes merveilleux aujourd’hui disparus…..et ainsi, la vie des autres devient une part de celle du lecteur. Et puis, il y a tant et tant de belles histoires qui charment l’imagination, captivent les rêves, transportent dans des contrées enchantées….. Tu verras !

Il y a très longtemps – environ 600 ans – vécut un homme qui s’appelait Geoffrey Chaucer. Il était anglais. Londonien même. J’ai beaucoup d’admiration pour lui. C’était une brillante intelligence et il a réussi à concilier sa vie intellectuelle avec une vie très active au service de son roi – parce qu’à cette époque, il y avait encore des rois. Il aurait pu devenir  orgueilleux et méprisant, mais il restait modeste en toutes circonstances. Quand on lui demandait ce qu’il faisait dans la vie, il répondait « I am a story teller », ce qui veut dire « Je suis conteur », car il racontait de belles histoires qui sont d’ailleurs devenues célèbres.
Moi aussi, je voudrais être conteur – pour toi – ma petite Amélie.



Arrivée à Sandfontein

Aujourd’hui, je vais te parler de l’endroit où je suis actuellement. Je suis au fin fond de la province la plus au sud de l’Afrique du Sud, et je réside dans une splendide propriété qui appartient à un richissime banquier anglais et à son épouse. Ils s’appellent Hugh et Lynn H., et leur propriété : Sandfontein. Elle s’étend sur une surface de près de 80 hectares de terres non arables, c'est-à-dire que l’on ne peut les cultiver car le sol est maigre, pierreux, et sec. Toutefois, comme il y pousse quelques herbes rêches et de petits buissons épineux, ils y élèvent bœufs et vaches africaines, dont la morphologie et le pelage sont très différents de leurs cousins européens. Il paraît que leurs peaux se vendent comme tapis ! 

                                             Un joli petit faon nous accueille !

On arrive à Sandfontein par une piste longue d’environ trois kilomètres qui part de la route Caledon-Napier. Le jour de mon arrivée, il y avait des faons qui couraient et jouaient dans la petite vallée à l’’Est de cette piste, et des grues bleues auprès du réservoir d’eau. C’était joli. J’ai pris des photos et je peux te dire que les faons, ça bouge autant que les bébés !  Toutefois, j’ai un bon appareil. Sandfontein est une résidence constituée d’un groupe de bâtiments qui occupe la colline à l’Ouest de la piste, et les terres sont attenantes. Tous les champs sont entourés de fils de fer barbelé. Je crois que de toute ma vie je n’en ai jamais tant vu ! Mais comme de loin, ils demeurent invisibles, cela donne une impression de vastitude, voire d’infini….

Autour de la Résidence principale, il y a plusieurs maisonnettes : deux « cottages » pour les hôtes qui viennent avec leur famille, un petit bâtiment qui abrite le BBQ auprès de la piscine, l’abri du générateur, le garage, les réservoirs à eau et à fuel, la réserve de bois….. tout ce qu’il faut pour vivre en autarcie. Sans oublier les deux poulaillers : l’un à l’Ouest et l’autre à l’Est, où réside le coq qui chante dès 4h30 du matin. Mais comme chez moi, à la Musardière, il y a aussi un coq, j’y suis habituée. De plus, celui-ci est un peu éloigné de ma chambre,  donc il ne me dérange pas.

En ce moment, je suis installée sous la véranda d’un des cottages, à une grande table dont le piètement est d’acier noir et le plateau de verre épais.  Cette maisonnette est fermée puisqu’il n’y a pas d’hôtes de passage et que mon ami Brendan et moi logeons dans la grande maison. Tout autour, il y a un immense jardin d’agrément, à l’anglaise naturellement, c'est-à-dire présentant arbres, arbustes et touffes de plantes disposés sans symétrie.  Mais il ne faut pas se fier aux apparences : c’est un savant désordre dont chaque détail a été savamment étudié ! Il y a une sorte de gazon très particulier, de l’herbe africaine très dense et rêche ; de nombreux arbustes tous différents, tels que l’on pourrait en voir dans un jardin botanique en Europe ; les fleurs les plus variées : grappes jaunes tombantes, petites touffes de poils roses, grosses boules de succulentes bleu vif, etc. Mais c’est une fois passé la barrière que commence véritablement l’Afrique.

L’Afrique est un continent gigantesque qui, dans le passé, n’était guère peuplé que d’animaux sauvages et de quelques tribus de Noirs – différents selon les régions. Les occidentaux y sont venus de plusieurs pays d’Europe pour explorer, exploiter, coloniser. A leur arrivée, le nombre incroyable d’animaux a suscité d’innombrables vocations de chasseurs. Les Blancs arrivaient avec leurs fusils et tuaient antilopes, lions, éléphants….jusqu’à ce que l’on interdise le commerce de l’ivoire puis le trafic de contrebande et le braconnage que cela sous-entend. Enfin, devant la disparition rapide de nombreuses espèces, la chasse a été carrément interdite. Aujourd’hui, on ne parle plus que de « protéger » les animaux que l’on parque dans des Réserves Naturelles où l’on peut venir les observer de loin et prendre quelques clichés.

Ici, les espaces semblent infinis. Par exemple, si je fais doucement le tour de Sandfontein en regardant autour de moi, je ne vois rien d’autre que des collines, encore des collines, et …. encore des collines. Parfois, quand la luminosité est la meilleure, c'est-à-dire généralement le soir, on aperçoit au Nord, une immense chaîne de montagnes dans le lointain….Tout est gris, ocre, sépia – dirais-je – comme les vieilles photographies d’antan. De très loin en très loin, un bouquet d’arbres signale une habitation. Ce n’est pas gai……



Paysage au Nord-ouest de Sandfontein

Qui peut aimer un tel pays ? Probablement ces aventuriers bâtisseurs d’empires, capables de conquérir, cultiver et entretenir des provinces entières. Je les imagine parcourant leurs terres à cheval, allant d’un village à l’autre, couvrant des distances considérables, l’œil toujours aux aguets, le fusil à portée de la main sur la selle de leur monture, prêts à répondre à toute espèce de tentative d’intimidation ou plus simplement, à tirer sur leur gibier de prédilection. Je crois que c’est une terre faite pour un certain type d’homme. Quoiqu’il en soit, je comprends que l’on puisse en tomber amoureux. Mais ce n’est pas mon cas.

Toi, ma petite Amélie, quand ton papa te prend dans ses bras et s’approche de la baie vitrée du living-room de votre appartement, tu vois deux autres tours, toutes proches de celle que vous habitez. Puis, en bas, des tas de bâtiments et d’immeubles. Et dans ces tours et ces immeubles, il y a des tas de gens qui vivent. Ils mangent, boivent, discutent, regardent la télévision, chantent, crient, travaillent ou jouent sur leur ordinateur, écoutent de la musique, pleurent, font des projets, se soignent, dorment, aiment ou haïssent, se lavent ou se laissent aller…. bref. Ils vivent. Ils ressentent des choses, éprouvent des sentiments, ils pensent, ils rêvent, ils se projettent dans l’avenir… Et puis surtout, ils bougent ! Entre les deux tours que tu peux voir à ta droite et en face de toi, et les immeubles en bas à ta gauche, passe « Le Périphérique », ce ruban d’asphalte sur lequel, jours et nuits, circulent des milliers, des centaines de milliers, des millions de véhicules. La nuit, c’est joli. Le côté droit du fleuve en mouvement scintille en rouge – ce sont les feux arrières des voitures. L’autre brille comme de l’or, grâce aux feux de croisement.

Ici, pas le moindre bruit, pas le moindre mouvement en dehors des oiseaux, car s’il y a d’autres animaux, ils ne sortent guère que la nuit pour chasser. Quant aux êtres humains, seul un nuage de poussière signale dans le lointain le passage d’un véhicule 4X4 Toyota sur une piste caillouteuse, et comme il ne s’agit pas (encore) de robots télécommandés, on peut en déduire qu’il y a au moins un être humain à bord !
C’est tout.

Ici il n’y a que des collines au dessus desquelles passent des nuages poussés par ce vent permanent, violent, lancinant, qui semble caractériser cette partie de l’Afrique du Sud. Je n’ai rien à faire. Je suis en vacances. C’est agréable. Surtout au début. Mais comme je suis une personne très active, je commence sérieusement à aspirer au retour en France….

Peut-être te demandes-tu ce que je fais si loin de l’Europe ? Et bien, d’une certaine façon, je suis moi aussi une aventurière qui, montée sur son cheval, le fusil en bandoulière et le chapeau sur les yeux, parcourt ses terres. Je parcours La Terre. Où j’ai l’occasion d’aller, je vais. Pour voir. Pour expérimenter. Ensuite j’écris. Et je crois que cela fait grandir en réflexion et en sagesse. Du moins je l’espère ! C’est ainsi que je partais autrefois, quand j’étais jeune. Et c’est toujours ainsi que je pars, maintenant que j’ai un âge respectable. De ce point de vue, je n’ai jamais changé.

Mes parents, qui habitaient la Lorraine, nous avaient emmenés, tes grands oncles Grégoire et Benoit, et moi, au Luxembourg proche et en Suisse française pour quelques vacances. Mais ensuite, devenue plus indépendante, je suis partie seule. Et j’ai découvert la verte Angleterre, un beau jour de printemps, avec ravissement ! Jamais je n’oublierai Windsor - cette énorme forteresse – posée au milieu des prairies ensoleillées de jonquilles et parfumées de lilas, sous un délicieux ciel myosotis ….. Ni ce gentleman en costume rayé et chapeau melon qui m’avait courtoisement saluée,  moi, la petite adolescente française timide, sortie de son couvent pour la première aventure de sa vie ! Quel souvenir parfumé, au charme suranné…. Après l’Angleterre, l’Europe de l’Est : la Pologne avec Sœur Sobanska, la Hongrie en compagnie des cousins Sélégny,  la Russie pour aller voir Philippe, flanquée de Patricia. Puis l’Egypte… Tout cela, ce sont les vieux souvenirs d’une grand-mère qui était alors une jeune aventurière, car tu peux me croire, « à mon époque » (je « dois » dire cela puisque toutes les grand-mères le disent !) ce n’étaient pas toutes les jeunes filles de mon âge, mon éducation et surtout mon « milieu » - comme dirait ton arrière grand-mère – qui faisaient cela ! C’était plus fort que moi. Il fallait que j’aille voir sur place. L’Europe de l’Est surtout. Comme ma famille était « de droite » on y abhorrait le communisme. Mais comme ni mon caractère, ni la forme de mon intelligence, ne me portaient au dogmatisme, je voulais constater « de visu » comment vivaient les gens.

La grande affaire de ma vie, la meilleure décision que j’aie jamais prise, ça a été de quitter la Vieille Europe pour Taïwan. C’était en 1977. A cette époque, la Chine Continentale n’était pas encore ouverte aux étrangers. D’ailleurs, le célèbre Monsieur Teng Hsiao-Ping ne parvint officiellement au pouvoir suprême qu’en 1978. Je venais de passer cinq ans à l’université de Nancy II où j’avais étudié la Géographie, un peu d’Economie, l’Histoire Ancienne et Médiévale, la langue russe, et mille autres choses encore. J’avais été une étudiante riche parce que je m’étais présentée au Concours des IPES, un concours national qui n’existe plus, et que j’avais réussi. J’étais donc payée pour étudier. Le rêve ! Mais à l’issue du contrat il me fallait un poste. J’avais écrit de par le monde. Je voulais absolument quitter la France car ma mère souhaitait que je me marie. Taïwan m’ayant offert un poste d’Assistante au Département de Français, et un studio, j’avais fait deux malles et …. mes adieux ! 

C’est aussi le début de ton histoire, Amélie. Sans mon départ, je n’aurais pas découvert le Monde Chinois, et tu ne serais pas là puisque je n’aurais pas épousé le Professeur Hsü Ping-Ho, et ta maman ne serait pas venue au monde… Tu vois comme les évènements sont interdépendants et s’enchaînent les uns aux autres ! Mais cette histoire, je l’ai racontée en détail dans mon livre intitulé « Professeur à Taïwan » que certains commentateurs sur Google ont rebaptisé, très justement d’ailleurs « Lettres de Taïwan ».

Revenons en Afrique. Revenons à Sandfontein.
Je n’y suis pas arrivée par hasard. Il y a quelques années, alors que je travaillais et résidais à Zhu-Hai, banlieue continentale de la célèbre ville de Macao fondée au XVI° siècle par les Portugais, j’avais rencontré un ancien violoniste nommé Brendan Lassak. D’origine polonaise, il avait la nationalité Sud-Africaine et les hasards de la vie l’avaient amené à enseigner la langue anglaise à l’UIC – United International College – université expérimentale où j’étais alors Maître de Conférences chargée des cours d’Histoire Médiévale Européenne et de quelques heures de langue française. L’UIC était en construction. Je n’avais pas encore de bureau personnel. Mon Assistante et moi-même campions dans l’immense Bureau B414, fief des Américains. J’avais rencontré Brendan dans la pièce des photocopieuses et imprimantes. Un monsieur de taille moyenne, lunettes, yeux très bleus. Au début, je ne comprenais qu’à peine cinquante pour cent de ce qu’il disait. Maintenant, je sais que c’est parce qu’il a un très fort accent Afrikaans, c'est-à-dire Hollandais d’Afrique du Sud. Néanmoins, nous étions devenus amis. C’est surtout l’amour de la Chine qui nous avait fait sympathiser, amour qui n’était pas du tout partagé par les autres collègues. Et aussi le goût de la musique, car Brendan, avant de devenir Professeur d’Anglais était second violon dans l’Orchestre National de son pays. Et moi, je ne peux vivre sans musique… Bref. Une fois que j’étais à l’Hôpital pour ma première opération à Zhu-Hai, il était venu, violon sous le bras, pour me réconforter. Après cet épisode, nous avions pris l’habitude de dîner ensemble une fois par mois, pour échanger des bruits de couloirs, médire des chers collègues, et rire tout notre content loin des Docteurs bouffis de suffisance et de condescendance ! A cette époque, je louais un très bel appartement dans la plus célèbre Résidence de toute la Province de Canton. Mais Brendan vivait dans une banlieue populaire au milieu des chinois et il y était particulièrement heureux. Quelques fois, il me demandait de monter jusqu’à son salon. Il y régnait un désordre indescriptible, mais j’oubliais tout quand il se mettait à me jouer du Bach ou du Paganini….

Les meilleures choses ayant toutes une fin, vint un moment où les visas ne furent plus attribués aux professeurs étrangers comme ils l’avaient été jusqu’aux Jeux Olympiques. Puis les contrats ne furent plus renouvelés. Enfin, les professeurs repartirent, chacun dans son pays d’origine. Mais je suis toujours en contact avec tous mes anciens amis. Et quand Brendan m’a envoyé une invitation pour venir passer un mois en sa compagnie, sachant que je pouvais lui faire toute confiance, j’ai pris un billet aller/retour sur Qatar Airways. C’est ainsi que je me suis retrouvée en Afrique du Sud. Nous avons d’abord passé une quinzaine dans la maisonnette qu’il loue à Napier. Il m’a emmenée visiter des parcs. Mais comme faire du «house-sitting » est devenu son métier d’appoint, nous avons déménagé pour nous installer dans ce Ranch. Nous allons nous en occuper en l’absence des propriétaires repartis sur leur Grande Ile pour y passer les Fêtes de fin d’année. Nous devons surveiller les jardiniers, la femme de ménage, les poulaillers, l’électricité et l’eau, et nous occuper des trois énormes chiens.



Luther, Mimi, Hatty et Monty !

Quand tu seras plus grande, Amélie, tu auras sûrement des occasions comme celle-ci. Habiter pendant plusieurs semaines chez quelqu’un à l’étranger, vivre la vie locale, manger ce que mangent les gens, faire la connaissance de leurs amis, de leur famille, de leurs animaux domestiques, les écouter parler… ce sont – à mon avis – des expériences très profitables. C’est plus enrichissant, d’un certain point de vue, que de « faire du tourisme » à toute allure, car très rapidement, on est tellement fatigué qu’on ne sait même plus ce que l’on visite. Au final, c’est seulement de retour à la maison en regardant ses photos que l’on prend vraiment conscience de ce que l’on a fait ! Tes parents ont de nombreuses relations à l’étranger. Il te sera facile de voyager. De nos jours, c’est une absolue nécessité si l’on veut s’intégrer dans le monde.

Depuis que tu es née, j’essaie de rappeler à ma mémoire mes souvenirs les plus anciens. Certains me reviennent souvent sans effort, surtout la nuit. Je rêve encore très fréquemment de Saint-Cast, petite station balnéaire des Côtes du Nord où habitaient mes grands-parents, et où j’ai passé ma toute petite enfance. Mais il ne m’en reste que des images et une ou deux anecdotes sans grand intérêt. C’est lorsqu’ils déménagèrent pour s’installer à Froberville, en Haute Normandie, que je commençai à m’intéresser à leurs conversations. A cette époque, il eut été impensable pour la jeune enfant que j’étais, d’intervenir ou de participer. Quand les adultes parlaient, les enfants se taisaient. Cela ne m’ennuyait pas du tout et c’est une excellente façon d’apprendre des tas de choses et de se livrer à d’innombrables observations qui, par la suite, peuvent devenir singulièrement significatives. Mes grands-parents critiquaient amèrement leur époque – les années 60 en l’occurrence – les comparant à ce qu’ils avaient connu « avant guerre ». A laquelle faisaient-ils allusion ? Je ne saurais le dire puisqu’ils avaient connu les deux Guerres Mondiales. Mais là n’est pas mon propos. Ce que je voulais dire c’est, qu’à les entendre, non seulement notre époque était affligeante, mais elle laissait augurer du pire pour l’avenir. Ce n’était pas du tout rassurant pour moi. J’avais l’impression de m’avancer les yeux bandés vers des années au cours desquelles les évènements les plus dramatiques ne manqueraient pas de se produire. Ma génération dans son ensemble serait la victime d’hommes politiques véreux, de banquiers corrompus, de comploteurs membres de sociétés secrètes qui ne rêvaient que de prendre le pouvoir à l’échelle de la planète. Et pour couronner le tout, il n’y avait plus aucune culture, les Belles Lettres tombaient dans l’oubli, et même les prêtres ne savaient plus prêcher !

Rassure-toi. Depuis qu’une cinquantaine d’années a passé, j’ai appris que pour être politicien il fallait n’avoir aucun scrupule ; que les banquiers ne sont considérés comme corrompus que par les gens qui envient leur opulence ; que les hommes ont toujours adoré les secrets, les complots, les loges et que c’est parfaitement normal. Nous vivons à l’époque de la « Mondialisation » et l’Histoire ne revient pas en arrière comme peuvent le faire les voitures ! Néanmoins, les populations survivent…. en disant que la vie est dure. Les religions sont comme les civilisations : elles ont des commencements héroïques, de glorieuses apogées, puis elles gagnent tout doucement l’oubli qui guette toute vie. Quant aux Belles Lettres, il suffit de s’y mettre. Cela s’étudie. Surtout si on en a le goût. Et point n’est besoin de mettre toutes les matières dans les cursus scolaires ! La culture est une affaire de personnalité, d’amour de ce qui est beau et qui nourrit l’esprit et l’âme.

Nous sommes loin de l’Afrique, n’est-ce pas Amélie !
J’ai pris de belles photos d’animaux dans les Réserves naturelles et tout à l’heure encore, en revenant de Bredasdorp où nous avons fait les courses de début de semaine, comme il y avait en bordure de piste tout un groupe de grues bleues – l’oiseau national- j’ai demandé à Brendan d’arrêter sa Nissan pour prendre quelques clichés. J’ai vu des antilopes de grande taille, des familles avec le papa qui surveille l’environnement, la maman et ses cousines et belles-sœurs toutes très occupées avec leurs enfants. J’ai également aperçu de beaux zèbres et des groupes d’autruches. Elles ont l’air idiot ! Elles tournent leurs minuscules têtes de droite à gauche puis de gauche à droite en clignant des yeux, avancent le cou et se tortillent…. Je les trouve assez ridicules ! Mais ciel ! Qu’elles courent vite ! Il n’y avait ni lions, ni girafes, ni éléphants, mais cela m’est égal.

Toi, tu auras sûrement de beaux livres avec de splendides photos de toutes ces bêtes sauvages en voie de disparition. Ou peut-être verras-tu des films documentaires à la télévision. A moins que tu ne trouves tout cela sur ta première tablette tactile !
Mais peut-être viendras-tu un jour à la Musardière et, si cela t’intéresse, je te montrerai mes dossiers de photos. J’adore faire des dossiers de photos, par thèmes, par ordre chronologique, avec agrandissements, nouveaux cadrages, entourage couleur, et souvent aussi, commentaires ajoutés. J’ai beau être grand-mère, donc très vieille à tes yeux, je ne suis pas du tout cramponnée au passé comme l’étaient mes propres grands-parents – et comme le sont des foules immenses – mais j’essaie au contraire de rester bien intégrée à mon époque.

Quoiqu’il en soit, moi, je ne suis pas obsédée par la Protection de la Nature et les animaux qui disparaissent ne m’empêchent pas de dormir. Je sais. Dire cela fait scandale aujourd’hui. Mais c’est ce que je pense et je n’ai pas l’intention de te raconter des fadaises. Sache toutefois que, si un jour, tu décidais d’en faire ton métier, j’applaudirais des deux mains. Et je ne vois aucune contradiction à cela. (Mais je préférerais que tu n’essaies pas de faire à nouveau pulluler loups, ours et lynx dans les campagnes françaises, comme le souhaite une bande d’illuminés….) J’aime les animaux. Tous. D’ailleurs, ils m’aiment aussi, au point que c’en est parfois très comique….Mais ils ne constituent pas ma priorité dans la vie. J’ai d’autres priorités, d’autres centres d’intérêts – non exclusifs  - Par contre, pour les Afrikaners, cela semble être « la » priorité. C’est probablement parce que la Vie Sauvage représente leur passé et qu’au fur et à mesure que le temps s’écoule, les êtres humains, fatigués de faire des efforts d’adaptation, finissent par regretter « le bon vieux temps ». Cela doit être normal, je pense.

Ma petite Amélie, je t’écris comme si tu étais déjà grandelette, alors que je ne sais même pas si tu liras un jour ces quelques pages. Ma foi….tant pis ! L’écriture est la forme de communication dans laquelle je sais exceller, alors, j’aimerais que tu en profites. Un Professeur se sent toujours investi d’une mission.

Je te laisse là pour ce soir. Tu dors peut-être déjà….
Quand je suis à la Musardière, je regarde la ravissante photo que j’ai de toi, une vraie photo papier mise en valeur par un encadrement précieux fait de miroirs, posée sur la commode de ma grand-mère, dans ma chambre. Tu y souris de tes petites gencives encore vierges de toute quenotte, et j’adore l’expression de ton visage !

Lundi 8 décembre 2014
Sandfontein – District de Napier 

"Depuis toujours" - Poème






Depuis Toujours


 
Depuis toujours je tends les bras
Vers quelqu’un qui n’existe pas
C’est un fantôme et il s’en va
De mon amour rien ne verra

Depuis toujours je tends les bras
Mais lui ne se retourne pas
La brume est grise et il s’en va
Au pays où je ne vais pas

Depuis toujours je tends les bras
Vers quelqu’un que je ne vois pas
Vers quelqu’un qui ne m’attend pas
Et disparait me laissant là

Depuis toujours je tends les bras
Mais je ne les referme pas
Car mon beau rêve disparaîtra
Un regard ne m’accordera

Depuis toujours je tends les bras
Mon pauvre cœur qui en voudra
Hélas, est maintenant trop las
Va mourir sous les gardénias

Un jour peut-être retrouvera
Mon amour, il m’accueillera
Pour toujours, il me serrera
A son cou je mettrai les bras


Au Beijing Institute of Technology, Zhu-Hai Campus 
Nuit du 1° au 2 septembre 2006
                                              Rose de la Musardière (Photo de l'auteur)



"Romantique Zhu-Hai" - Perroquet savant



Je suis un "Rose d'Europe", espèce en voie de disparition.....


Chapitre 17 - Perroquet savant


Il fait un temps absolument délicieux. J’ai 28°C au salon, soleil, ciel bleu de France et vent frais. Aujourd’hui 29 septembre, c’est la Saint Michel, c’est aussi mon anniversaire. Je l’ai dit à David alors que nous marchions main dans la main vers le ParkinShop ce matin. Il n’a soufflé mot. Puis j’ai tourné la tête vers lui, espérant tout de même une petite réaction. Sourire. Sourire si tendre. Quand il est arrivé à l’U.I.C. il ne souriait jamais. Il avait toujours l’air triste. Même ses étudiants s’en étaient inquiétés. Ca me va droit au cœur quand il sourit, et je le trouve alors tellement beau… « Le voyage à Shanghaï sera le cadeau d’anniversaire » dit-il. Ah ! Oui ! C’est bien comme ça.

Il nous reste encore quelques temps de vacances avant de reprendre les cours. Nous avons décidé d’aller à Shanghaï. Ma fille Marie-Françoise y travaille et y réside depuis des années maintenant, mais je ne suis jamais allée la voir. Elle a rarement des vacances. Les miennes ne correspondent pas avec les siennes. Et lorsque je dispose d’un peu de temps, je rentre en France. Par ailleurs, depuis l’an 2000, « l’été du siècle », il s’est passé quelque chose entre ma fille et moi. Quoi ? Honnêtement, je n’en ai pas la moindre idée, et ce n’est pas faute d’y avoir pensé et repensé, réfléchi, retourné dans ma tête à m’en rendre presque malade. Mais impossible d’entrevoir la moindre lueur dans ces ténèbres. Seulement, depuis, une gêne s’est installée…

Voilà. Nous arrivons à Shanghaï. L’ancien aéroport, que je connais déjà pour y  être venue il y a quelques années, avant que ma fille ne soit installée dans cette mégalopole. Nous sortons vers l’autoroute aérienne qui mène vers le centre ville et nous y retrouvons Marie venue nous accueillir. Elle a maigri, porte un jean et un Tshirt, son visage est enlaidi par de gros boutons rouges. Elle n’est pas maquillée, pour une fois. Je ne vois pas ses yeux, car elle porte de larges lunettes de soleil. En effet, la luminosité est grande. Elle nous salue brièvement et nous nous hâtons vers la Buick Excell Break d’Edmond – son ex-ami –Ils viennent de rompre et je vois qu’elle est très choquée. Elle n’est plus comme avant, rayonnante, sûre d’elle, sophistiquée. Elle est fatiguée et nerveuse, très irritable. Tout la contrarie et l’énerve. Je la laisse diriger les opérations…

La circulation est dense, bien évidemment, mais surtout, les autoroutes enchevêtrées les unes par dessus les autres sur je ne sais combien d’étages sont impressionnantes. Je me demande si j’arriverais à m’y reconnaître… J’ai conduit dans Séoul – terriblement difficile – dans Pékin – un peu plus facile – et à Qing Dao - un jeu d’enfant ! Et mille autres endroits. Même en Afrique je n’avais pas peur. Ni au Cambodge, où les rues et routes sont des espaces sur lesquels circulent des véhicules en tous genres : voitures certes, charriots à buffles, cyclo-pousses, motos ; mais également des animaux comme des cochons, poulets, vaches, chiens… et toutes sortes de gens : enfants, fous vagants, égarés, malades… Les routes peuvent également être utilisées comme ères de séchage pour les piments rouges ou les crevettes et le riz à battre… Un vrai parcours d’obstacles ! Mais tout cela était bien humain et ne m’impressionnait pas comme ces mille autoroutes superposées de Shanghaï…


Le premier soir, Marie est si nerveuse qu’elle ne parvient à se contenir. Nous allons dîner dans un restaurant non loin de sa Résidence. Elle se fâche parce qu’elle a déjà dépassé l’heure à laquelle elle a coutume de dîner. Du coup, elle refuse de manger et s’en va se coucher, nous plantant là… un peu déconfits. David reste de marbre. Il mange et ne dit rien. Je me demande ce qui pourrait l’émouvoir ? Il ne semble pas du tout gêné. Tout à l’heure, dans la voiture, il cherchait ma main, et en descendant de la Buick, il m’a serrée dans ses bras et embrassée sur le trottoir, sans plus de façons !

Je règle l’addition et nous rentrons après quelques pas dans le jardinet central de la Résidence. Ce n’est pas comme la nôtre ! Nous avons un véritable parc avec plusieurs lacs, des îles, des ponts, des bosquets, de grands arbres de toutes essences… et des parfums... Ici, le parfum, c’est « Gaz d’Echappement » de chez Mégalopolis ! Nous nous couchons dans le grand lit de Marie qui, elle, est allée dormir dans l’ancienne chambre d’Edmond. Elle nous a mis des draps ornés de grandes fleurs mauves, c’est joli. Je dors. Je dors bien avec David. C’est la toute première fois de ma vie. Je me sens bien, à l’aise, en confiance. Il ne me fait pas peur comme les autres hommes. Il ne s’agite pas comme un fauve en cage, ne ronfle pas comme l’ogre du Petit Poucet, et il aime mes caresses douces. Quel changement pour moi ! Quel bonheur d’être en compagnie d’un homme calme, doux et affectueux…

Le matin, je suis éveillée de meilleure heure que Marie et que David. Je vais m’installer dans le salon. Nous sommes au 23° étage de la tour et elle en compte une quarantaine. Nous ne voyons que les parties supérieures des tours voisines. Si je vais sur le balcon et me penche pour regarder en bas, je suis saisie d’un affreux vertige et la tête me tourne. Les voitures ne sont guère plus grosses que des cloportes. Un bruit infernal monte des rues et des innombrables chantiers partout dans le quartier, et dans toute la ville. Le ciel est laiteux. Couleur étrange. Je ne saurais dire s’il fait beau ou gris. Ce n’est pas naturel. Un peu effrayée, je ferme la porte vitrée. Elle est à peu près aussi épaisse et lourde qu’un carreau de Rolls Royce blindée – du moins je me plais à l’imaginer ainsi – et nous isole du reste de la mégalopole.

Je retourne m’assoir sur le sofa du living room. J’ai trouvé à m’occuper de façon agréable et utile. Il y a un rideau de perles devant la porte de la chambre que nous occupons David et moi. Or il y manque quelques pampilles et plusieurs rangées ont des longueurs différentes. Marie ayant gardé tous les petits ornements dans un pot en verre, je me mets à les enfiler patiemment. J’adore faire ça ! Enfin… quelques fois… Comme je lui demandai, très à la prudence vu son état d’esprit, le pourquoi d’un tel ornement pas du tout dans ses habitudes, elle m’a répondu qu’il s’agissait d’une sorte de talisman traditionnel dont la fonction était de se concilier les bons esprits. Hum… D’accord. Pas de problème avec moi. Au contraire, je suis ravie de travailler au bonheur de ma fille, de conserve avec les génies auspicieux.

Mais je ne garderai pas un souvenir enchanteur de ce séjour. Nous visitons certes de fort beaux endroits. Toutefois, l’un, au centre de la ville est tellement noir de monde que nous avons bien de la peine à y apercevoir quelques bâtiments traditionnels. L’autre, situé dans une charmante petite ville à l’ouest de Shanghaï, demande tellement d’attention sur l’autoroute que ce surcroît d’effort nous gâte un peu la visite. Je prends de belles photos pour plus tard.
Un soir, nous rendons visite à Shi Na, une de mes anciennes amies chinoises de Qing Dao qui, travaillant maintenant à Shanghaï, est également devenue une amie de Marie. Elle habite un logement fort agréable, quoique vétuste, dans une ruelle un peu éloignée des grandes avenues. Nous nous retrouvons avec plaisir, puis nous allons dîner. Elle me prend pour un tiroir caisse et suggère des endroits à la mode, très modernes, hyper climatisés et totalement ruineux. Tout ce que David et moi détestons. Je me permets de le lui dire, et de lui faire remarquer que je n’ai pas les moyens financiers du Général. Elle ne fait pas de commentaire et je choisis un restaurant qui nous convient à tous. Chaleureux, peu climatisé, et où les plats sont bons et tout à fait abordables.

Le lendemain, David part de son côté et Marie et moi restons ensemble. Elle m’emmène chez sa manucure, dans un « Mall » à l’américaine, très grand style. Là, elle m’avoue qu’elle n’y était plus venue depuis sa rupture d’avec Edmond. En effet, celui-ci avait coutume de l’y accompagner. Il tenait son sac, lui faisait la conversation, allait lui acheter une boisson fraîche lorsqu’elle se plaignait d’avoir soif, et donnait un avis réfléchi sur le choix du vernis. J’en reste pantoise… Et pourtant, c’est exactement ce que je peux voir de mes propres yeux ce matin. Ce ne sont pas des filles seules qui viennent, mais des couples. Les superbes filles s’installent comme chez elles. Elles ont, comme Marie d’ailleurs, leur propre trousse de produits dans le magasin. Le personnel connaît leurs habitudes. Quant au  jeune monsieur, il est à leurs pieds – au sens le plus strict !- Chacun tient le sac et la veste de sa Dulcinée, se penche très attentivement sur les flacons de vernis, compare avec le teint de la belle, et lui parle doucement, comme je suppose qu’il le ferait lors de circonstances graves – décider d’un placement en bourse, par exemple… Je n’ai jamais vu cela. J’ouvre de grands yeux et m’accoise.

Il est vrai que les gars de Shanghaï ont la réputation d’être les plus charmants, les plus attentionnés et les plus agréables de toute la Chine ! J’en témoigne ! Je ne savais point qu’il existât seulement de tels hommes sur cette planète…

Ma fille me fait des reproches. Je ne suis plus comme autrefois, hyper mince, sophistiquée, raffinée jusqu’au bout des ongles. Mes pauvres ongles sont malades. J’ai beau prendre des vitamines, je ne vois pas comment résoudre le problème. Elle décide que je dois me faire poser de faux ongles. Il s’agit de plastique biologique liquide. On lui donne la forme appropriée selon la morphologie de la cliente, puis il sèche et on le polit. Le résultat est véritablement enchanteur ! Je retrouve la beauté et le confort d’autrefois. Merci ma fille.

Mais elle n’en a pas fini avec moi. Elle me fait remarquer que je ne porte que des bijoux fantaisie. Certes ! Mais on m’a volé les autres. Vol crapuleux que j’ai le plus grand mal à évoquer tellement la peine causée par ce dépouillement et surtout les circonstances m’ont profondément affectée. Elle me conseille de ne plus m’acheter de fantaisies, et de garder mes finances pour de vrais bijoux. Naturellement. Elle a raison. Elle m’offre un bracelet de saphirs pour m’encourager. Quant à mes robes, elles étaient autrement plus jolies autrefois… Eh ! Qu’y puis-je ? Les temps changent. Nous partons demain. Sinon, elle m’aurait sûrement emmenée dans quelques grands magasins pour que je renouvelle ma garde-robe …

Je commence à réaliser de quelle façon vit ma fille. Elle occupe un poste à responsabilité dans une grande société internationale. Cela lui ouvre toutes les portes. Elle ne fait que ce qui l’intéresse et gagne suffisamment d’argent pour se déplacer en taxi, payer la manucure, le salon de coiffure, la piscine dans un club privé, et le soir, le restaurant. Les inconvénients résident dans l’environnement : la mégalopole bruyante jours et nuits, polluée et parfois puante, le stress, la perpétuelle tension… Mais elle et ses semblables y sont tellement habitués qu’ils ne le remarquent même pas. Ils n’ont d’ailleurs rien connu d’autre dans la plupart des cas. Elle a moins de considération pour son appartement que pour une chambre de cinq étoiles. Ce n’est jamais qu’une sorte de dépotoir équipé de commodités électroniques. Elle y entrepose ce dont elle ne sait que faire. N’y reçois jamais personne et son frigo est aussi vide que la Mongolie Extérieure ! Je ne suis pas d’accord avec ce genre de vie. D’abord je pense qu’il convient de prendre soin de son lieu d’habitation, quel qu’il soit. Ensuite il serait souhaitable qu’il représente quelque chose de mieux que « douche-dodo-et ça repart ! » Enfin, le rendre un tout petit peu accueillant ne pourrait nuire à personne !

Lorsque j’étais étudiante, j’habitais un studio à Nancy. Une seule pièce. Guère jolie. Mais je revois encore ce bouquet de seringuas doubles dont les pétales tombaient sur ma tablette de verre fumé, devant le miroir. C’était si joli que j’avais attendu une journée entière avant de les enlever. Et quel parfum !

Nous rentrons en fin d’après midi après des échanges téléphoniques un peu mouvementés avec David. Il semble incapable de se situer dans la ville et surtout de trouver une bouche de métro. N’est-ce pas invraisemblable ? Marie me dit de ne pas me faire de soucis pour lui. Je sens bien qu’elle ne l’aime pas. Je comprends, d’ailleurs. Mais de même que je ne m’immisce pas dans ses affaires, je ne permets à personne de me faire des commentaires sur mon intimité. Nous le savons. Inutile de le préciser. Enfin, le voilà ! Il a marché, marché comme un fou, marché comme un malade toute la journée. Il est épuisé. Je me demande combien de kilomètres il a bien pu parcourir… Après une douche chaude il se laisse tomber à plat ventre sur le lit. Je lui fais un long massage, commençant par les pieds pour remonter le long de ses belles jambes, et remonter encore jusqu’au cou. Il dormira bien cette nuit !


 
                                      "Horizon Cove" La plus belle Résidence du Guangdong


Comme nous sommes heureux de rentrer chez nous ! C’est si beau ! Je sais que nous avons la chance d’habiter la plus belle Résidence de toute la Province du Guang Dong. De temps à autre, David dit « J’aime beaucoup notre appartement » Et moi, donc ! De la baie vitrée du salon, nous avons une vue plongeante sur le lac et j’y regarde sans m’en lasser les carpes coï jouer près du petit pont de l’île. Certains résidents viennent les nourrir à heure fixe. Ces merveilleux poissons ont en effet une pendule dans l’estomac ! Et jamais je ne me lasserai des grands papillons aux ailes de velours noir, ni du parfum des fleurs de gingembre, et surtout des frangipaniers… Quelle qualité de vie ! Sans parler de la disposition des pièces : chacun un bureau-garde robe, et la grande chambre à partager, où nous nous retrouvons pour nous aimer et dormir d’un sommeil si doux qui n’est que le prolongement de notre amour.

Au salon, les meubles classiques de ma propriétaire, qui répond au doux nom d’Iris. Et mes vases bleus de Chine, sans lesquels je ne saurais vivre ! David marche toujours pieds nus, sans faire le moindre bruit. Il me sourit en inclinant la tête, puis va s’assoir à sa table de lecture. Il y reste des heures, tenant un crayon de la main droite et fourrageant dans ses belles boucles de la main gauche. Quand je reste, il est content – me semble-t-il. Il « passe et repasse » et vient m’embrasser ou se faire cajoler. Suis-je en plein rêve ? Vais-je m’éveiller ? Si c’est une illusion, je préfère prolonger mon sommeil.

Nous nous faisons des soucis à cause de la nouvelle politique de visas de la Chine. Il devient de plus en plus difficile d’en obtenir. On dit également que les étrangers de plus de soixante ans ne seront plus autorisés à rester travailler dans ce pays. David est donc concerné au premier chef. Quelques fois, il parle d’aller au Viêt-Nam. Mais au fond, je ne sais pas du tout ce qu’il pense vraiment. Par contre, ce que je sais, c’est qu’il me serait extrêmement difficile de demeurer seule à Zhu Hai s’il devait partir. D’accord, j’y ai un bon poste, un visa, un très enviable appartement. Mais, peut-on vivre sans cœur ? Oh ! C’est ce que j’ai fait toute ma vie… jusqu’à ce week-end à Hong-Kong… Curieusement, c’est David qui semble craindre que je le quitte, que je le « jette » comme il a dit une fois…

Mais, s’il prononce un mot ou deux de temps à autre, il ne parle pas vraiment et surtout ne fait jamais de projet. Je connais le Viêt-Nam. Il ne me serait pas difficile de préparer un repli là-bas et d’y chercher du travail. J’y ai même encore quelques relations à l’Ambassade de France à Hanoi. Mais comme David ne dit rien, je ne fais rien non plus. Quelques fois j’y pense. Mes souvenirs de Saïgon remontent, tout entourés d’écharpes de brumes du passé. Hanoï aussi… Une autre vie… Combien en ai-je déjà eues ?

Je suis fatiguée.

Me voilà dans une grande salle aux murs blancs. Je suis assise dans un fauteuil moderne bien confortable, et j’ai dans la main une petite « commande » conçue pour faire apparaître des images. Pourtant il ne s’agit ni  d’un ordinateur, ni d’un écran de télévision. Les images font disparaitre les murs.

Je vois des reproductions de tableaux de Maîtres célèbres, mais je ne saurais en dire les noms exacts. Probablement des flamands. La nature. Une forêt en hiver, des ciels délavés. C’est très beau. Au premier plan, un bois de bouleaux dénudés. Les troncs sont minces. Il n’y a plus d’herbe verte. Le ciel est blanchâtre. Et qu’y vois-je ? Je tourne légèrement la tête vers la droite et une sorte d’hologramme apparait. De jolies lèvres, des bouches charmantes et très féminines, qui envoient des baisers. Je tourne encore la tête, mais cette fois, de l’autre côté. Les jolies bouches se transforment en angelots, joufflus, bouclés, pourvus de deux minuscules ailes qui apparaissent derrière la tête. Ils sont souriants, délicieux, exquis. Ils volettent come des papillons au dessus du petit bois de bouleaux. Et si nombreux ! Un essaim céleste ! Je suis charmée, touchée, attendrie…

L’image passe, disparait doucement. J’appuie une nouvelle fois sur le bouton de ma commande. Une autre forêt, traversée par un chemin creux. Quelques nuages… mais, sont-ce bien des nuages ? Voilà que je vois les ailes, les innombrables ailes des anges d’une Légion Céleste. Ils sont blanc-rosé, portent de belles robes longues, et leurs ailes sont très épaisses, avec des plumes denses. C’est si beau ! Je suis à la fois impressionnée, et me sens en terrain familier. Pourquoi ?

Mon Bel Alien est allongé à côté de moi. Je lui tends les bras. Il pose sa tête sur mon épaule, sa bouche contre mon cou. J’ai une main dans ses boucles si douces, et l’autre sur son épaule. C’est le bonheur parfait.

Le mois d’octobre est maintenant bien avancé. Les cours reprennent. J’ai 250 étudiants ! Je commence à les reconnaître, parce qu’il est hors de question que je retienne leurs noms ! Je suis chargée de leur donner des cours d’ « Anglais Oral » Qu’est-ce que cela veut dire… Conversation ? Capacité à l’expression spontanée ? Epanouissement personnel ? Ouverture d’esprit ? On peut tout imaginer !

Pour ce faire, je dispose d’un petit manuel qui est d’une indigence dépassant tout ce que j’ai déjà vu de plus affligeant. Mais j’ai obtenu carte blanche de mon Directeur, et j’entends bien ne pas me laisser affliger ! Je vais profiter de ses bonnes dispositions à mon égard pour introduire quelques bons auteurs, et les présenter de façon à susciter des réactions de la part de mes étudiants.

Autrefois, les étudiants chinois étaient totalement fermés, prosternés devant les professeurs, obsédés par l’apprentissage par cœur de leurs livres – seule forme d’étude qu’ils connaissaient. Si je leur demandais « Lequel des auteurs étudiés avez-vous préféré ? » ils envoyaient une délégation de classe pour me poser la même question « afin que nous puissions dire la même chose que vous, Professeur » m’avaient-ils expliqué.  « Mais pourquoi donc ? » avait demandé innocemment la jeune Assistante que j’étais. « Pour avoir une bonne note à l’examen, naturellement ! » avaient-ils répondu en chœur ! Il avait été bien difficile de leur faire comprendre que je recevrais toutes les opinions, pourvu qu’elles fussent exprimées en bon français et avec un petit peu de logique.

Mais aujourd’hui, les nouvelles générations d’étudiants sont beaucoup plus ouvertes et spontanées. Surtout les Freshmen – les nouveaux de première année. Ils disent à peu près ce qu’ils pensent, quand ils y  arrivent, en riant ou en rougissant, se demandant toujours ce que le professeur en dira, et surtout, les copains et celui ou celle qui fait le rapport aux Jeunesses Communistes. C’est pourquoi, en cours, on n’obtient généralement que des réponses convenues,  mais si on laisse la porte du bureau ouverte, ils viennent raconter leur vie en tête à tête.

Je décide de leur présenter ce bon Geoffrey Chaucer. Toutes ses biographies commencent inévitablement par le qualifier de « Père de la Littérature Anglaise » Mais en Chine, les ancêtres sont les plus respectés. J’explique donc que Chaucer est un nom d’origine française. Bon prétexte pour rappeler le débarquement du Conquérant en 1066, point de départ de la toute première exportation de la francophonie dans le monde ! De là, je présente mon auteur comme le « Grand Père de la Littérature Anglaise » Lui qui était si  modeste, je lui donne de la face ! Et je raconte comment, encore tout jeune homme, il alla en France, pour y accompagner le Duc de Clarence, et y fut fait prisonnier. Et comment, même le roi Richard III « mit la main à la bougette » pour participer au paiement de sa rançon. Je ne sais pourquoi cet épisode enflamme mon auditoire et nous allons jusqu’à mimer comment notre futur auteur se fait attraper par les soldats français, ligoter, puis évaluer à la vue de son habit et au su de ses relations ! Les épisodes suivants les passionnent beaucoup moins, mais ils se réveillent lorsque je leur raconte son voyage en Italie et ses visites à Pétrarque et Boccace. Ils me posent des questions sur les conditions de voyage de l’époque, les occupations des auteurs italiens, et vont même jusqu’à me demander en quelle langue ils se parlèrent ! Excellente question ! Je suis ravie ! Ma conclusion personnelle est que, décidément, les étudiants réservent toujours quelque surprise, et qu’aucun détail n’est à négliger. Quel beau métier est le mien !

Mais au fait, quel est-il, ce métier ? Professeur ? Il me semble que je ne le suis plus parce que je dois répéter mes cours chaque semaine, à plusieurs classes. Répéter… on dit que c’est le fait des perroquets. Perroquet, je veux bien, c’est un très bel oiseau. Mais il faut tout de même ajouter « savant » !

Qu’est-ce qu’un Perroquet Savant ?
Un bel oiseau, rare, et dont les capacités d’élocution peuvent donner l’illusion qu’il a des connaissances.

Que fait un Perroquet Savant ?
Le matin, il ouvre un œil, lisse ses plumes, s’assure qu’elles sont toujours de la couleur voulue : rose en l’occurrence. Il picore un quart de tartine beurrée et quelques grains de grenade. Puis il monte dans une navette rose et va à son travail.

En quoi consiste son travail ?
C’est très simple. Il se perche sur une branche, tourne la tête de droite et de gauche en essayant de prendre l’air intelligent. Puis il bat des ailes, avec grâce si possible, et essaie de prendre l’air intéressant. Vous saisissez la nuance ! Il s’éclaircit la voix pour faire comprendre qu’il va parler. Enfin, il prononce quelques mots : « Good Morning » le matin et « Good Afternoon » l’après midi. L’auditoire est très content. Tout le monde sourit en regardant le beau Perroquet Rose qui, maintenant, fait quelques pas de droite à gauche, puis de gauche à droite, se maintenant habilement sur son perchoir avec ses ongles longs et pailletés.

Mais si le Perroquet descend de son perchoir, se montre plus familier et prononce quelques phrases inattendues, il met un comble au bonheur de l’auditoire. Quand la séance est finie – Eh, oui, les meilleures choses ont une fin ! - quelques personnes s’approchent du joli Perroquet et lui disent : « You are wonderful ! » « I heard about you long ago » ou « I am so happy to know you ! » Le pauvre Perroquet, un peu fatigué par tout cet exercice rougirait s’il le pouvait, mais ses plumes l’en empêchent. Il incline doucement la tête en guise de remerciement, cherchant à prendre une attitude modeste, et s’en retourne chez lui pour apprendre une nouvelle phrase qui pourrait plaire à de si gentils auditeurs.

Certains jours il se dit « Je ne suis qu’une illusion emplumée ». D’autres fois, il pense « Au fond, c’est tout un art de maintenir l’illusion… » C’est un Rose d’Europe. Une espèce rarissime. On le vante pour sa beauté et il ménage ses effets. Cette espèce a complètement disparu de son territoire d’origine. Cela est dû au réchauffement de la planète qui génère d’abondantes pluies. On ne le trouve plus guère que sous les climats tropicaux présentant une alternance de saison sèche et de saison humide. Ne survivent que de très rares spécimens.


                                  Grand Ara Bleu - Zoo de Doué la Fontaine - Mon bon ami !


Eh oui, mes étudiants sont très gentils. Je ne sais pourquoi, mais au cours de ma carrière, les débutants et les « premières années » sont devenus ma spécialité. La plupart des professeurs préfèrent enseigner à des étudiants ayant déjà quelque connaissance de la langue qui est la leur. Pour moi, je pense qu’il est très gratifiant pour un professeur de voir les progrès des débutants, et que guider les « nouveaux » est une véritable mission. Je commence toujours par les aider à trouver un prénom occidental qui, non seulement veuille dire quelque chose, mais ait une bonne signification de préférence !  La plupart d’entre eux le garderont des années. Parfois, ils l’adoptent définitivement, surtout quand ils travaillent pour des sociétés internationales. Puis je les fais parler de leur ville d’origine et de leur vie quotidienne à l’université. Enfin, et surtout, je leur raconte des histoires. Comme ce bon Geoffrey Chaucer.

Conteur, c’est un métier merveilleux. C’est une très jolie forme d’enseignement. Cela permet de faire passer bien des messages, de susciter des émotions, des réactions, de rassurer, de poser des questions. Mes cours se passent très bien et ont un vif succès. Les étudiants sont hyper gentils et débordent de bonne volonté. Ils commencent toujours par s’installer aux derniers rangs. Mais je me déplace et viens vers eux. Alors, ils acceptent de bonne grâce de venir occuper les premiers rangs. Après les cours, ils me demandent souvent la permission de prendre des photos de moi pour les envoyer à leurs parents. Car c’est la première fois de leur vie qu’ils ont un professeur étranger, et ils me trouvent belle et amusante. De plus, ils comprennent ce que je dis. Au moins à peu près. J’y veille ! Je répète, j’explique, je mime, je dessine au tableau, je montre des images, je fais des grimaces… Tout est bon pour les mettre en confiance et qu’ils comprennent de quoi je parle. Condition sine qua non pour obtenir leur participation orale. Enfin, je veux que l’on travaille dans la joie !

Lorsque j’en ai la possibilité, j’imprime des illustrations pour mes cours au bureau des professeurs. Ou je découpe des portraits ou des images variées dans des magazines. Hier, j’ai demandé aux classes de se diviser en petits groupes, de choisir une image et de présenter un portrait. Naturellement, j’avais apporté une grande quantité de feuilles de magazines et ils pouvaient les garder après le cours. Cela peut sembler étrange, mais la plupart d’entre eux n’ont aucune image dans leur chambre. Je ne suis pas le premier professeur à l’avoir remarqué. Recevoir une image les touche beaucoup. Ils se sont levés, écriés, mis à rire joyeusement… et ont très bien travaillé ! Quels petits enfants ! Ils ont tout de même dix-neuf ans, les mignons et les mignonnes…

Après ces effusions universitaires, je retourne chez moi y retrouver David. Il a un frère qui s’appelle Glenn et vit à Hong-Kong depuis une quinzaine d’années, si j’ai bien compris. C’est lui qui avait prêté son appartement à David pour Pâques… Il est venu passer une soirée. Glenn est un peu moins grand que David et assez corpulent. Il n’a presque plus de cheveux sur la tête et les coupe très courts. Le visage assez rond, jovial et plutôt sympathique, mais très différent de David. Aucune ressemblance.

Glenn est agité, bruyant, il parle fort et d’abondance. C’est le genre d’homme qui, en entrant dans une pièce, l’occupe entièrement. Très à l’aise, sûr de lui, affairé. Une grosse sacoche bourrée de papiers et plusieurs téléphones portables ne lui suffisant pas, il prend également la liberté de donner à ses connaissance les numéros des personnes de son entourage, qu’il les connaisse ou non. C’est vraiment un Monsieur très important !

David est très grand, certes, mais il est discret. Il a le visage en longueur avec quelques rides autour des yeux, que je trouve extrêmement séduisantes. Il est non seulement beau, mais distingué, calme et réfléchi. Sa voix est posée, avec des intonations mélodieuses. D’ailleurs cela avait été la toute première chose que j’avais remarquée chez lui lorsque nous lui avions téléphoné, le Docteur Paul E.H. et moi, le 25 juin 2007. Le timbre de cette voix était resté dans mon oreille…

J’ai dit à David que son frère était « complètement speedé ! » Ce matin, il me demande « Alors, tu me préfères à mon frère ? » A quoi j’ai répondu « Docteur Sorenson, je crains que quelques fois, vous ne soyez un peu bête ! »

Glenn est sympathique, mais les hommes comme lui j’en ai vu des quantités. Ils sont légions, ces extravertis bons vivants, toujours courants, plus occupés que tout le monde, persuadés de leurs propres qualités et imbus de leur importance. Ils me fatiguent. Ils ignorent totalement ceux qui ne leur ressemblent pas. Ils parlent haut et fort de leurs affaires sans même faire attention aux personnes présentes, surtout si elles demeurent silencieuses. Mais parfois celles-ci en savent plus long qu’eux…

Alors, oui, je préfère David, même si je le trouve parfois étrange, silencieux, voire fuyant. Mais après tout, nous ne sommes pas les Commères de Windsor ! Il applique à la lettre les principes de la philosophie stoïcienne qui prône clame et modération dans la parole comme dans toutes les actions quotidiennes. Quel changement par rapport à ce que j’ai connu auparavant ! Je ne le considère pas comme un danger potentiel. Au lieu de m’inspirer de la crainte, il m’emplit de désirs d’amour…