Je suis un "Rose d'Europe", espèce en voie de disparition.....
Chapitre 17 - Perroquet savant
Il fait un temps absolument délicieux. J’ai 28°C au salon,
soleil, ciel bleu de France et vent frais. Aujourd’hui 29 septembre, c’est la
Saint Michel, c’est aussi mon anniversaire. Je l’ai dit à David alors que nous
marchions main dans la main vers le ParkinShop ce matin. Il n’a soufflé mot.
Puis j’ai tourné la tête vers lui, espérant tout de même une petite réaction.
Sourire. Sourire si tendre. Quand il est arrivé à l’U.I.C. il ne souriait
jamais. Il avait toujours l’air triste. Même ses étudiants s’en étaient
inquiétés. Ca me va droit au cœur quand il sourit, et je le trouve alors
tellement beau… « Le voyage à Shanghaï sera le cadeau
d’anniversaire » dit-il. Ah ! Oui ! C’est bien comme ça.
Il nous reste encore quelques temps de vacances avant de
reprendre les cours. Nous avons décidé d’aller à Shanghaï. Ma fille
Marie-Françoise y travaille et y réside depuis des années maintenant, mais je
ne suis jamais allée la voir. Elle a rarement des vacances. Les miennes ne
correspondent pas avec les siennes. Et lorsque je dispose d’un peu de temps, je
rentre en France. Par ailleurs, depuis l’an 2000, « l’été du
siècle », il s’est passé quelque chose entre ma fille et moi. Quoi ?
Honnêtement, je n’en ai pas la moindre idée, et ce n’est pas faute d’y avoir
pensé et repensé, réfléchi, retourné dans ma tête à m’en rendre presque malade.
Mais impossible d’entrevoir la moindre lueur dans ces ténèbres. Seulement,
depuis, une gêne s’est installée…
Voilà. Nous arrivons à Shanghaï. L’ancien aéroport, que je
connais déjà pour y être venue il y a
quelques années, avant que ma fille ne soit installée dans cette mégalopole.
Nous sortons vers l’autoroute aérienne qui mène vers le centre ville et nous y
retrouvons Marie venue nous accueillir. Elle a maigri, porte un jean et un
Tshirt, son visage est enlaidi par de gros boutons rouges. Elle n’est pas
maquillée, pour une fois. Je ne vois pas ses yeux, car elle porte de larges
lunettes de soleil. En effet, la luminosité est grande. Elle nous salue
brièvement et nous nous hâtons vers la Buick Excell Break d’Edmond – son ex-ami
–Ils viennent de rompre et je vois qu’elle est très choquée. Elle n’est plus
comme avant, rayonnante, sûre d’elle, sophistiquée. Elle est fatiguée et nerveuse,
très irritable. Tout la contrarie et l’énerve. Je la laisse diriger les
opérations…
La circulation est dense, bien évidemment, mais surtout, les
autoroutes enchevêtrées les unes par dessus les autres sur je ne sais combien
d’étages sont impressionnantes. Je me demande si j’arriverais à m’y
reconnaître… J’ai conduit dans Séoul – terriblement difficile – dans Pékin – un
peu plus facile – et à Qing Dao - un jeu d’enfant ! Et mille autres
endroits. Même en Afrique je n’avais pas peur. Ni au Cambodge, où les rues et
routes sont des espaces sur lesquels circulent des véhicules en tous
genres : voitures certes, charriots à buffles, cyclo-pousses, motos ;
mais également des animaux comme des cochons, poulets, vaches, chiens… et
toutes sortes de gens : enfants, fous vagants, égarés, malades… Les routes
peuvent également être utilisées comme ères de séchage pour les piments rouges
ou les crevettes et le riz à battre… Un vrai parcours d’obstacles ! Mais
tout cela était bien humain et ne m’impressionnait pas comme ces mille
autoroutes superposées de Shanghaï…
Le premier soir, Marie est si nerveuse qu’elle ne parvient à
se contenir. Nous allons dîner dans un restaurant non loin de sa Résidence.
Elle se fâche parce qu’elle a déjà dépassé l’heure à laquelle elle a coutume de
dîner. Du coup, elle refuse de manger et s’en va se coucher, nous plantant là…
un peu déconfits. David reste de marbre. Il mange et ne dit rien. Je me demande
ce qui pourrait l’émouvoir ? Il ne semble pas du tout gêné. Tout à
l’heure, dans la voiture, il cherchait ma main, et en descendant de la Buick,
il m’a serrée dans ses bras et embrassée sur le trottoir, sans plus de
façons !
Je règle l’addition et nous rentrons après quelques pas dans
le jardinet central de la Résidence. Ce n’est pas comme la nôtre ! Nous
avons un véritable parc avec plusieurs lacs, des îles, des ponts, des bosquets,
de grands arbres de toutes essences… et des parfums... Ici, le parfum, c’est « Gaz
d’Echappement » de chez Mégalopolis ! Nous nous couchons dans le
grand lit de Marie qui, elle, est allée dormir dans l’ancienne chambre
d’Edmond. Elle nous a mis des draps ornés de grandes fleurs mauves, c’est joli.
Je dors. Je dors bien avec David. C’est la toute première fois de ma vie. Je me
sens bien, à l’aise, en confiance. Il ne me fait pas peur comme les autres
hommes. Il ne s’agite pas comme un fauve en cage, ne ronfle pas comme l’ogre du
Petit Poucet, et il aime mes caresses douces. Quel changement pour moi !
Quel bonheur d’être en compagnie d’un homme calme, doux et affectueux…
Le matin, je suis éveillée de meilleure heure que Marie et
que David. Je vais m’installer dans le salon. Nous sommes au 23° étage de la
tour et elle en compte une quarantaine. Nous ne voyons que les parties
supérieures des tours voisines. Si je vais sur le balcon et me penche pour
regarder en bas, je suis saisie d’un affreux vertige et la tête me tourne. Les
voitures ne sont guère plus grosses que des cloportes. Un bruit infernal monte
des rues et des innombrables chantiers partout dans le quartier, et dans toute
la ville. Le ciel est laiteux. Couleur étrange. Je ne saurais dire s’il fait
beau ou gris. Ce n’est pas naturel. Un peu effrayée, je ferme la porte vitrée.
Elle est à peu près aussi épaisse et lourde qu’un carreau de Rolls Royce
blindée – du moins je me plais à l’imaginer ainsi – et nous isole du reste de
la mégalopole.
Je retourne m’assoir sur le sofa du living room. J’ai trouvé
à m’occuper de façon agréable et utile. Il y a un rideau de perles devant la
porte de la chambre que nous occupons David et moi. Or il y manque quelques
pampilles et plusieurs rangées ont des longueurs différentes. Marie ayant gardé
tous les petits ornements dans un pot en verre, je me mets à les enfiler
patiemment. J’adore faire ça ! Enfin… quelques fois… Comme je lui
demandai, très à la prudence vu son état d’esprit, le pourquoi d’un tel
ornement pas du tout dans ses habitudes, elle m’a répondu qu’il s’agissait
d’une sorte de talisman traditionnel dont la fonction était de se concilier les
bons esprits. Hum… D’accord. Pas de problème avec moi. Au contraire, je suis
ravie de travailler au bonheur de ma fille, de conserve avec les génies
auspicieux.
Mais je ne garderai pas un souvenir enchanteur de ce séjour.
Nous visitons certes de fort beaux endroits. Toutefois, l’un, au centre de la
ville est tellement noir de monde que nous avons bien de la peine à y
apercevoir quelques bâtiments traditionnels. L’autre, situé dans une charmante
petite ville à l’ouest de Shanghaï, demande tellement d’attention sur
l’autoroute que ce surcroît d’effort nous gâte un peu la visite. Je prends de
belles photos pour plus tard.
Un soir, nous rendons visite à Shi Na, une de mes anciennes
amies chinoises de Qing Dao qui, travaillant maintenant à Shanghaï, est également
devenue une amie de Marie. Elle habite un logement fort agréable, quoique
vétuste, dans une ruelle un peu éloignée des grandes avenues. Nous nous
retrouvons avec plaisir, puis nous allons dîner. Elle me prend pour un tiroir
caisse et suggère des endroits à la mode, très modernes, hyper climatisés et
totalement ruineux. Tout ce que David et moi détestons. Je me permets de le lui
dire, et de lui faire remarquer que je n’ai pas les moyens financiers du
Général. Elle ne fait pas de commentaire et je choisis un restaurant qui nous
convient à tous. Chaleureux, peu climatisé, et où les plats sont bons et tout à
fait abordables.
Le lendemain, David part de son côté et Marie et moi restons
ensemble. Elle m’emmène chez sa manucure, dans un « Mall » à
l’américaine, très grand style. Là, elle m’avoue qu’elle n’y était plus venue
depuis sa rupture d’avec Edmond. En effet, celui-ci avait coutume de l’y
accompagner. Il tenait son sac, lui faisait la conversation, allait lui acheter
une boisson fraîche lorsqu’elle se plaignait d’avoir soif, et donnait un avis
réfléchi sur le choix du vernis. J’en reste pantoise… Et pourtant, c’est
exactement ce que je peux voir de mes propres yeux ce matin. Ce ne sont pas des
filles seules qui viennent, mais des couples. Les superbes filles s’installent
comme chez elles. Elles ont, comme Marie d’ailleurs, leur propre trousse de
produits dans le magasin. Le personnel connaît leurs habitudes. Quant au jeune monsieur, il est à leurs pieds – au sens
le plus strict !- Chacun tient le sac et la veste de sa Dulcinée, se
penche très attentivement sur les flacons de vernis, compare avec le teint de
la belle, et lui parle doucement, comme je suppose qu’il le ferait lors de
circonstances graves – décider d’un placement en bourse, par exemple… Je n’ai
jamais vu cela. J’ouvre de grands yeux et m’accoise.
Il est vrai que les gars de Shanghaï ont la réputation
d’être les plus charmants, les plus attentionnés et les plus agréables de toute
la Chine ! J’en témoigne ! Je ne savais point qu’il existât seulement
de tels hommes sur cette planète…
Ma fille me fait des reproches. Je ne suis plus comme
autrefois, hyper mince, sophistiquée, raffinée jusqu’au bout des ongles. Mes
pauvres ongles sont malades. J’ai beau prendre des vitamines, je ne vois pas
comment résoudre le problème. Elle décide que je dois me faire poser de faux
ongles. Il s’agit de plastique biologique liquide. On lui donne la forme
appropriée selon la morphologie de la cliente, puis il sèche et on le polit. Le
résultat est véritablement enchanteur ! Je retrouve la beauté et le
confort d’autrefois. Merci ma fille.
Mais elle n’en a pas fini avec moi. Elle me fait remarquer
que je ne porte que des bijoux fantaisie. Certes ! Mais on m’a volé les
autres. Vol crapuleux que j’ai le plus grand mal à évoquer tellement la peine
causée par ce dépouillement et surtout les circonstances m’ont profondément
affectée. Elle me conseille de ne plus m’acheter de fantaisies, et de garder
mes finances pour de vrais bijoux. Naturellement. Elle a raison. Elle m’offre
un bracelet de saphirs pour m’encourager. Quant à mes robes, elles étaient
autrement plus jolies autrefois… Eh ! Qu’y puis-je ? Les temps
changent. Nous partons demain. Sinon, elle m’aurait sûrement emmenée dans
quelques grands magasins pour que je renouvelle ma garde-robe …
Je commence à réaliser de quelle façon vit ma fille. Elle
occupe un poste à responsabilité dans une grande société internationale. Cela
lui ouvre toutes les portes. Elle ne fait que ce qui l’intéresse et gagne
suffisamment d’argent pour se déplacer en taxi, payer la manucure, le salon de
coiffure, la piscine dans un club privé, et le soir, le restaurant. Les
inconvénients résident dans l’environnement : la mégalopole bruyante jours
et nuits, polluée et parfois puante, le stress, la perpétuelle tension… Mais
elle et ses semblables y sont tellement habitués qu’ils ne le remarquent même
pas. Ils n’ont d’ailleurs rien connu d’autre dans la plupart des cas. Elle a
moins de considération pour son appartement que pour une chambre de cinq
étoiles. Ce n’est jamais qu’une sorte de dépotoir équipé de commodités
électroniques. Elle y entrepose ce dont elle ne sait que faire. N’y reçois
jamais personne et son frigo est aussi vide que la Mongolie Extérieure !
Je ne suis pas d’accord avec ce genre de vie. D’abord je pense qu’il convient
de prendre soin de son lieu d’habitation, quel qu’il soit. Ensuite il serait
souhaitable qu’il représente quelque chose de mieux que « douche-dodo-et
ça repart ! » Enfin, le rendre un tout petit peu accueillant ne
pourrait nuire à personne !
Lorsque j’étais étudiante, j’habitais un studio à Nancy. Une
seule pièce. Guère jolie. Mais je revois encore ce bouquet de seringuas doubles
dont les pétales tombaient sur ma tablette de verre fumé, devant le miroir.
C’était si joli que j’avais attendu une journée entière avant de les enlever.
Et quel parfum !
Nous rentrons en fin d’après midi après des échanges
téléphoniques un peu mouvementés avec David. Il semble incapable de se situer
dans la ville et surtout de trouver une bouche de métro. N’est-ce pas
invraisemblable ? Marie me dit de ne pas me faire de soucis pour lui. Je
sens bien qu’elle ne l’aime pas. Je comprends, d’ailleurs. Mais de même que je
ne m’immisce pas dans ses affaires, je ne permets à personne de me faire des
commentaires sur mon intimité. Nous le savons. Inutile de le préciser. Enfin,
le voilà ! Il a marché, marché comme un fou, marché comme un malade toute
la journée. Il est épuisé. Je me demande combien de kilomètres il a bien pu
parcourir… Après une douche chaude il se laisse tomber à plat ventre sur le lit.
Je lui fais un long massage, commençant par les pieds pour remonter le long de
ses belles jambes, et remonter encore jusqu’au cou. Il dormira bien cette
nuit !
"Horizon Cove" La plus belle Résidence du Guangdong
Comme nous sommes heureux de rentrer chez nous ! C’est
si beau ! Je sais que nous avons la chance d’habiter la plus belle
Résidence de toute la Province du Guang Dong. De temps à autre, David dit
« J’aime beaucoup notre appartement » Et moi, donc ! De la baie
vitrée du salon, nous avons une vue plongeante sur le lac et j’y regarde sans
m’en lasser les carpes coï jouer près du petit pont de l’île. Certains
résidents viennent les nourrir à heure fixe. Ces merveilleux poissons ont en
effet une pendule dans l’estomac ! Et jamais je ne me lasserai des grands
papillons aux ailes de velours noir, ni du parfum des fleurs de gingembre, et
surtout des frangipaniers… Quelle qualité de vie ! Sans parler de la
disposition des pièces : chacun un bureau-garde robe, et la grande chambre
à partager, où nous nous retrouvons pour nous aimer et dormir d’un sommeil si
doux qui n’est que le prolongement de notre amour.
Au salon, les meubles classiques de ma propriétaire, qui
répond au doux nom d’Iris. Et mes vases bleus de Chine, sans lesquels je ne saurais
vivre ! David marche toujours pieds nus, sans faire le moindre bruit. Il
me sourit en inclinant la tête, puis va s’assoir à sa table de lecture. Il y
reste des heures, tenant un crayon de la main droite et fourrageant dans ses
belles boucles de la main gauche. Quand je reste, il est content – me
semble-t-il. Il « passe et repasse » et vient m’embrasser ou se faire
cajoler. Suis-je en plein rêve ? Vais-je m’éveiller ? Si c’est une
illusion, je préfère prolonger mon sommeil.
Nous nous faisons des soucis à cause de la nouvelle
politique de visas de la Chine. Il devient de plus en plus difficile d’en
obtenir. On dit également que les étrangers de plus de soixante ans ne seront
plus autorisés à rester travailler dans ce pays. David est donc concerné au premier
chef. Quelques fois, il parle d’aller au Viêt-Nam. Mais au fond, je ne sais pas
du tout ce qu’il pense vraiment. Par contre, ce que je sais, c’est qu’il me
serait extrêmement difficile de demeurer seule à Zhu Hai s’il devait partir.
D’accord, j’y ai un bon poste, un visa, un très enviable appartement. Mais,
peut-on vivre sans cœur ? Oh ! C’est ce que j’ai fait toute ma vie…
jusqu’à ce week-end à Hong-Kong… Curieusement, c’est David qui semble craindre
que je le quitte, que je le « jette » comme il a dit une fois…
Mais, s’il prononce un mot ou deux de temps à autre, il ne
parle pas vraiment et surtout ne fait jamais de projet. Je connais le Viêt-Nam.
Il ne me serait pas difficile de préparer un repli là-bas et d’y chercher du
travail. J’y ai même encore quelques relations à l’Ambassade de France à Hanoi.
Mais comme David ne dit rien, je ne fais rien non plus. Quelques fois j’y
pense. Mes souvenirs de Saïgon remontent, tout entourés d’écharpes de brumes du
passé. Hanoï aussi… Une autre vie… Combien en ai-je déjà eues ?
Je suis fatiguée.
Me voilà dans une grande salle aux murs blancs. Je suis
assise dans un fauteuil moderne bien confortable, et j’ai dans la main une
petite « commande » conçue pour faire apparaître des images. Pourtant
il ne s’agit ni d’un ordinateur, ni d’un
écran de télévision. Les images font disparaitre les murs.
Je vois des reproductions de tableaux de Maîtres célèbres,
mais je ne saurais en dire les noms exacts. Probablement des flamands. La
nature. Une forêt en hiver, des ciels délavés. C’est très beau. Au premier
plan, un bois de bouleaux dénudés. Les troncs sont minces. Il n’y a plus
d’herbe verte. Le ciel est blanchâtre. Et qu’y vois-je ? Je tourne
légèrement la tête vers la droite et une sorte d’hologramme apparait. De jolies
lèvres, des bouches charmantes et très féminines, qui envoient des baisers. Je
tourne encore la tête, mais cette fois, de l’autre côté. Les jolies bouches se
transforment en angelots, joufflus, bouclés, pourvus de deux minuscules ailes
qui apparaissent derrière la tête. Ils sont souriants, délicieux, exquis. Ils
volettent come des papillons au dessus du petit bois de bouleaux. Et si
nombreux ! Un essaim céleste ! Je suis charmée, touchée, attendrie…
L’image passe, disparait doucement. J’appuie une nouvelle fois
sur le bouton de ma commande. Une autre forêt, traversée par un chemin creux.
Quelques nuages… mais, sont-ce bien des nuages ? Voilà que je vois les
ailes, les innombrables ailes des anges d’une Légion Céleste. Ils sont
blanc-rosé, portent de belles robes longues, et leurs ailes sont très épaisses,
avec des plumes denses. C’est si beau ! Je suis à la fois impressionnée,
et me sens en terrain familier. Pourquoi ?
Mon Bel Alien est allongé à côté de moi. Je lui tends les
bras. Il pose sa tête sur mon épaule, sa bouche contre mon cou. J’ai une main
dans ses boucles si douces, et l’autre sur son épaule. C’est le bonheur
parfait.
Le mois d’octobre est maintenant bien avancé. Les cours
reprennent. J’ai 250 étudiants ! Je commence à les reconnaître, parce qu’il
est hors de question que je retienne leurs noms ! Je suis chargée de leur
donner des cours d’ « Anglais Oral » Qu’est-ce que cela veut
dire… Conversation ? Capacité à l’expression spontanée ?
Epanouissement personnel ? Ouverture d’esprit ? On peut tout imaginer !
Pour ce faire, je dispose d’un petit manuel qui est d’une
indigence dépassant tout ce que j’ai déjà vu de plus affligeant. Mais j’ai
obtenu carte blanche de mon Directeur, et j’entends bien ne pas me laisser
affliger ! Je vais profiter de ses bonnes dispositions à mon égard pour
introduire quelques bons auteurs, et les présenter de façon à susciter des
réactions de la part de mes étudiants.
Autrefois, les étudiants chinois étaient totalement fermés,
prosternés devant les professeurs, obsédés par l’apprentissage par cœur de
leurs livres – seule forme d’étude qu’ils connaissaient. Si je leur demandais
« Lequel des auteurs étudiés avez-vous préféré ? » ils
envoyaient une délégation de classe pour me poser la même
question « afin que nous puissions dire la même chose que vous,
Professeur » m’avaient-ils expliqué. « Mais pourquoi
donc ? » avait demandé innocemment la jeune Assistante que j’étais.
« Pour avoir une bonne note à l’examen, naturellement ! »
avaient-ils répondu en chœur ! Il avait été bien difficile de leur faire
comprendre que je recevrais toutes les opinions, pourvu qu’elles fussent
exprimées en bon français et avec un petit peu de logique.
Mais aujourd’hui, les nouvelles générations d’étudiants sont
beaucoup plus ouvertes et spontanées. Surtout les Freshmen – les nouveaux de
première année. Ils disent à peu près ce qu’ils pensent, quand ils y arrivent, en riant ou en rougissant, se
demandant toujours ce que le professeur en dira, et surtout, les copains et celui
ou celle qui fait le rapport aux Jeunesses Communistes. C’est pourquoi, en
cours, on n’obtient généralement que des réponses convenues, mais si on laisse la porte du bureau ouverte,
ils viennent raconter leur vie en tête à tête.
Je décide de leur présenter ce bon Geoffrey Chaucer. Toutes
ses biographies commencent inévitablement par le qualifier de « Père de la
Littérature Anglaise » Mais en Chine, les ancêtres sont les plus
respectés. J’explique donc que Chaucer est un nom d’origine française. Bon
prétexte pour rappeler le débarquement du Conquérant en 1066, point de départ
de la toute première exportation de la francophonie dans le monde ! De là,
je présente mon auteur comme le « Grand Père de la Littérature
Anglaise » Lui qui était si
modeste, je lui donne de la face ! Et je raconte comment, encore
tout jeune homme, il alla en France, pour y accompagner le Duc de Clarence, et
y fut fait prisonnier. Et comment, même le roi Richard III « mit la main à
la bougette » pour participer au paiement de sa rançon. Je ne sais
pourquoi cet épisode enflamme mon auditoire et nous allons jusqu’à mimer
comment notre futur auteur se fait attraper par les soldats français, ligoter,
puis évaluer à la vue de son habit et au su de ses relations ! Les
épisodes suivants les passionnent beaucoup moins, mais ils se réveillent
lorsque je leur raconte son voyage en Italie et ses visites à Pétrarque et
Boccace. Ils me posent des questions sur les conditions de voyage de l’époque,
les occupations des auteurs italiens, et vont même jusqu’à me demander en
quelle langue ils se parlèrent ! Excellente question ! Je suis
ravie ! Ma conclusion personnelle est que, décidément, les étudiants
réservent toujours quelque surprise, et qu’aucun détail n’est à négliger. Quel
beau métier est le mien !
Mais au fait, quel est-il, ce métier ?
Professeur ? Il me semble que je ne le suis plus parce que je dois répéter
mes cours chaque semaine, à plusieurs classes. Répéter… on dit que c’est le
fait des perroquets. Perroquet, je veux bien, c’est un très bel oiseau. Mais il
faut tout de même ajouter « savant » !
Qu’est-ce qu’un Perroquet Savant ?
Un bel oiseau, rare, et dont les capacités d’élocution
peuvent donner l’illusion qu’il a des connaissances.
Que fait un Perroquet Savant ?
Le matin, il ouvre un œil, lisse ses plumes, s’assure qu’elles
sont toujours de la couleur voulue : rose en l’occurrence. Il picore un
quart de tartine beurrée et quelques grains de grenade. Puis il monte dans une
navette rose et va à son travail.
En quoi consiste son travail ?
C’est très simple. Il se perche sur une branche, tourne la
tête de droite et de gauche en essayant de prendre l’air intelligent. Puis il
bat des ailes, avec grâce si possible, et essaie de prendre l’air intéressant.
Vous saisissez la nuance ! Il s’éclaircit la voix pour faire comprendre qu’il
va parler. Enfin, il prononce quelques mots : « Good Morning »
le matin et « Good Afternoon » l’après midi. L’auditoire est très
content. Tout le monde sourit en regardant le beau Perroquet Rose qui,
maintenant, fait quelques pas de droite à gauche, puis de gauche à droite, se
maintenant habilement sur son perchoir avec ses ongles longs et pailletés.
Mais si le Perroquet descend de son perchoir, se montre plus
familier et prononce quelques phrases inattendues, il met un comble au bonheur
de l’auditoire. Quand la séance est finie – Eh, oui, les meilleures choses ont
une fin ! - quelques personnes s’approchent du joli Perroquet et lui
disent : « You are wonderful ! » « I heard about you long ago » ou
« I am so happy to know you ! » Le pauvre Perroquet, un
peu fatigué par tout cet exercice rougirait s’il le pouvait, mais ses plumes
l’en empêchent. Il incline doucement la tête en guise de remerciement,
cherchant à prendre une attitude modeste, et s’en retourne chez lui pour
apprendre une nouvelle phrase qui pourrait plaire à de si gentils auditeurs.
Certains jours il se dit « Je ne suis qu’une illusion
emplumée ». D’autres fois, il pense « Au fond, c’est tout un art de
maintenir l’illusion… » C’est un Rose d’Europe. Une espèce rarissime. On
le vante pour sa beauté et il ménage ses effets. Cette espèce a complètement
disparu de son territoire d’origine. Cela est dû au réchauffement de la planète
qui génère d’abondantes pluies. On ne le trouve plus guère que sous les climats
tropicaux présentant une alternance de saison sèche et de saison humide. Ne
survivent que de très rares spécimens.
Eh oui, mes étudiants sont très gentils. Je ne sais
pourquoi, mais au cours de ma carrière, les débutants et les « premières
années » sont devenus ma spécialité. La plupart des professeurs préfèrent
enseigner à des étudiants ayant déjà quelque connaissance de la langue qui est
la leur. Pour moi, je pense qu’il est très gratifiant pour un professeur de
voir les progrès des débutants, et que guider les « nouveaux » est
une véritable mission. Je commence toujours par les aider à trouver un prénom
occidental qui, non seulement veuille dire quelque chose, mais ait une bonne
signification de préférence ! La
plupart d’entre eux le garderont des années. Parfois, ils l’adoptent définitivement,
surtout quand ils travaillent pour des sociétés internationales. Puis je les
fais parler de leur ville d’origine et de leur vie quotidienne à l’université.
Enfin, et surtout, je leur raconte des histoires. Comme ce bon Geoffrey
Chaucer.
Conteur, c’est un métier merveilleux. C’est une très jolie
forme d’enseignement. Cela permet de faire passer bien des messages, de
susciter des émotions, des réactions, de rassurer, de poser des questions. Mes
cours se passent très bien et ont un vif succès. Les étudiants sont hyper
gentils et débordent de bonne volonté. Ils commencent toujours par s’installer
aux derniers rangs. Mais je me déplace et viens vers eux. Alors, ils acceptent
de bonne grâce de venir occuper les premiers rangs. Après les cours, ils me demandent
souvent la permission de prendre des photos de moi pour les envoyer à leurs
parents. Car c’est la première fois de leur vie qu’ils ont un professeur
étranger, et ils me trouvent belle et amusante. De plus, ils comprennent ce que
je dis. Au moins à peu près. J’y veille ! Je répète, j’explique, je mime,
je dessine au tableau, je montre des images, je fais des grimaces… Tout est bon
pour les mettre en confiance et qu’ils comprennent de quoi je parle. Condition
sine qua non pour obtenir leur participation orale. Enfin, je veux que l’on
travaille dans la joie !
Lorsque j’en ai la possibilité, j’imprime des illustrations
pour mes cours au bureau des professeurs. Ou je découpe des portraits ou des
images variées dans des magazines. Hier, j’ai demandé aux classes de se diviser
en petits groupes, de choisir une image et de présenter un portrait.
Naturellement, j’avais apporté une grande quantité de feuilles de magazines et
ils pouvaient les garder après le cours. Cela peut sembler étrange, mais la
plupart d’entre eux n’ont aucune image dans leur chambre. Je ne suis pas le
premier professeur à l’avoir remarqué. Recevoir une image les touche beaucoup.
Ils se sont levés, écriés, mis à rire joyeusement… et ont très bien
travaillé ! Quels petits enfants ! Ils ont tout de même dix-neuf ans,
les mignons et les mignonnes…
Après ces effusions universitaires, je retourne chez moi y
retrouver David. Il a un frère qui s’appelle Glenn et vit à Hong-Kong depuis
une quinzaine d’années, si j’ai bien compris. C’est lui qui avait prêté son
appartement à David pour Pâques… Il est venu passer une soirée. Glenn est un
peu moins grand que David et assez corpulent. Il n’a presque plus de cheveux
sur la tête et les coupe très courts. Le visage assez rond, jovial et plutôt
sympathique, mais très différent de David. Aucune ressemblance.
Glenn est agité, bruyant, il parle fort et d’abondance. C’est
le genre d’homme qui, en entrant dans une pièce, l’occupe entièrement. Très à
l’aise, sûr de lui, affairé. Une grosse sacoche bourrée de papiers et plusieurs
téléphones portables ne lui suffisant pas, il prend également la liberté de
donner à ses connaissance les numéros des personnes de son entourage, qu’il les
connaisse ou non. C’est vraiment un Monsieur très important !
David est très grand, certes, mais il est discret. Il a le
visage en longueur avec quelques rides autour des yeux, que je trouve extrêmement
séduisantes. Il est non seulement beau, mais distingué, calme et réfléchi. Sa
voix est posée, avec des intonations mélodieuses. D’ailleurs cela avait été la
toute première chose que j’avais remarquée chez lui lorsque nous lui avions
téléphoné, le Docteur Paul E.H. et moi, le 25 juin 2007. Le timbre de cette
voix était resté dans mon oreille…
J’ai dit à David que son frère était « complètement
speedé ! » Ce matin, il me demande « Alors, tu me préfères à mon
frère ? » A quoi j’ai répondu « Docteur Sorenson, je crains que
quelques fois, vous ne soyez un peu bête ! »
Glenn est sympathique, mais les hommes comme lui j’en ai vu
des quantités. Ils sont légions, ces extravertis bons vivants, toujours
courants, plus occupés que tout le monde, persuadés de leurs propres qualités
et imbus de leur importance. Ils me fatiguent. Ils ignorent totalement ceux qui
ne leur ressemblent pas. Ils parlent haut et fort de leurs affaires sans même
faire attention aux personnes présentes, surtout si elles demeurent silencieuses.
Mais parfois celles-ci en savent plus long qu’eux…
Alors, oui, je préfère David, même si je le trouve parfois
étrange, silencieux, voire fuyant. Mais après tout, nous ne sommes pas les
Commères de Windsor ! Il applique à la lettre les principes de la philosophie
stoïcienne qui prône clame et modération dans la parole comme dans toutes les
actions quotidiennes. Quel changement par rapport à ce que j’ai connu
auparavant ! Je ne le considère pas comme un danger potentiel. Au lieu de
m’inspirer de la crainte, il m’emplit de désirs d’amour…
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