dimanche 26 avril 2015

"Pour Amélie" - Sandfontein - Afrique du Sud





Oui, j'ai une petite fille ! Elle s'appelle Amélie et je l'ai surnommé "Amélie-Baby". Elle n'a pas deux ans et réside à Paris. Comme je ne peux la voir souvent, j'ai décidé de lui écrire pour lui raconter mes voyages - s'ils présentent un quelconque intérêt - ou simplement pour lui raconter de petites histoires, au fil des jours et des occasions, de l'inspiration, peut-être ?




 Sandfontein - Afrique du Sud 


                                      South Western Cape Province – S.A. –


A ma petite Amélie

Pour  la première fois de ma vie, moi qui ai écrit des milliers de lettres, des thèses savantes, des manuels à l’usage de mes étudiants, des conférences, des articles, et tout récemment trois volumes de Mémoires assez conséquents – publiés par un éditeur parisien – bref, moi qui suis devenue officiellement « Ecrivain », j’éprouve le célèbre « vertige de la page blanche » !
C'est-à-dire que je ne sais par où commencer…
Bon. Je crois que le mieux, c’est de se lancer avec spontanéité. Alors, j’y vais !

Ma petite Amélie, bien que tu ne sois encore qu’un bébé, et que je ne te connaisse que fort peu, je pense beaucoup à toi depuis ta naissance. Il m’arrive même de rêver de toi la nuit ! Mais voilà : tes parents habitent un minuscule appartement à Paris, en plein China Town, et moi, une grande longère en province, à trois cents kilomètres de là….Cela ne facilite pas les rapprochements. De plus, ta maman préfère te confier à tes grands-parents paternels plutôt que de t’envoyer chez moi à la campagne. C’est plus pratique pour elle. Mais il m’arrive de me demander si elle ne craint pas que je ne sache plus m’occuper d’un bébé ? Je m’étais pourtant bien occupée d’elle quand elle avait ton âge…. Mais c’est son choix.

Donc, les choses étant ce qu’elles sont, j’ai décidé de t’écrire !
Un jour, dans quelques années, tu iras à l’école et tu apprendras à lire. Quand ta maman était petite, j’avais vite compris qu’elle serait totalement différente de moi et que la lecture ne ferait pas partie de ses centres d’intérêt, aussi n’avais-je pas insisté, parce que je pars du principe qu’il n’est pas bon de « forcer » les enfants à faire des choses qui ne correspondent ni à leurs goûts, ni à leur caractère. Mais tout le monde s’accorde à dire que, très souvent, on retrouve chez les petits enfants des traits particuliers, des talents, des goûts – ou des dégoûts – propres à leurs grands-parents. Aussi, après ta naissance, me suis-je prise à penser qu’il se pourrait qu’un jour, les livres t’intéressent… Certes, on n’apprend pas la vie dans les livres. Mais on peut y trouver tellement de connaissances, d’idées, de dépaysement….découvrir des foules de gens, d’aventures passées, de mondes merveilleux aujourd’hui disparus…..et ainsi, la vie des autres devient une part de celle du lecteur. Et puis, il y a tant et tant de belles histoires qui charment l’imagination, captivent les rêves, transportent dans des contrées enchantées….. Tu verras !

Il y a très longtemps – environ 600 ans – vécut un homme qui s’appelait Geoffrey Chaucer. Il était anglais. Londonien même. J’ai beaucoup d’admiration pour lui. C’était une brillante intelligence et il a réussi à concilier sa vie intellectuelle avec une vie très active au service de son roi – parce qu’à cette époque, il y avait encore des rois. Il aurait pu devenir  orgueilleux et méprisant, mais il restait modeste en toutes circonstances. Quand on lui demandait ce qu’il faisait dans la vie, il répondait « I am a story teller », ce qui veut dire « Je suis conteur », car il racontait de belles histoires qui sont d’ailleurs devenues célèbres.
Moi aussi, je voudrais être conteur – pour toi – ma petite Amélie.



Arrivée à Sandfontein

Aujourd’hui, je vais te parler de l’endroit où je suis actuellement. Je suis au fin fond de la province la plus au sud de l’Afrique du Sud, et je réside dans une splendide propriété qui appartient à un richissime banquier anglais et à son épouse. Ils s’appellent Hugh et Lynn H., et leur propriété : Sandfontein. Elle s’étend sur une surface de près de 80 hectares de terres non arables, c'est-à-dire que l’on ne peut les cultiver car le sol est maigre, pierreux, et sec. Toutefois, comme il y pousse quelques herbes rêches et de petits buissons épineux, ils y élèvent bœufs et vaches africaines, dont la morphologie et le pelage sont très différents de leurs cousins européens. Il paraît que leurs peaux se vendent comme tapis ! 

                                             Un joli petit faon nous accueille !

On arrive à Sandfontein par une piste longue d’environ trois kilomètres qui part de la route Caledon-Napier. Le jour de mon arrivée, il y avait des faons qui couraient et jouaient dans la petite vallée à l’’Est de cette piste, et des grues bleues auprès du réservoir d’eau. C’était joli. J’ai pris des photos et je peux te dire que les faons, ça bouge autant que les bébés !  Toutefois, j’ai un bon appareil. Sandfontein est une résidence constituée d’un groupe de bâtiments qui occupe la colline à l’Ouest de la piste, et les terres sont attenantes. Tous les champs sont entourés de fils de fer barbelé. Je crois que de toute ma vie je n’en ai jamais tant vu ! Mais comme de loin, ils demeurent invisibles, cela donne une impression de vastitude, voire d’infini….

Autour de la Résidence principale, il y a plusieurs maisonnettes : deux « cottages » pour les hôtes qui viennent avec leur famille, un petit bâtiment qui abrite le BBQ auprès de la piscine, l’abri du générateur, le garage, les réservoirs à eau et à fuel, la réserve de bois….. tout ce qu’il faut pour vivre en autarcie. Sans oublier les deux poulaillers : l’un à l’Ouest et l’autre à l’Est, où réside le coq qui chante dès 4h30 du matin. Mais comme chez moi, à la Musardière, il y a aussi un coq, j’y suis habituée. De plus, celui-ci est un peu éloigné de ma chambre,  donc il ne me dérange pas.

En ce moment, je suis installée sous la véranda d’un des cottages, à une grande table dont le piètement est d’acier noir et le plateau de verre épais.  Cette maisonnette est fermée puisqu’il n’y a pas d’hôtes de passage et que mon ami Brendan et moi logeons dans la grande maison. Tout autour, il y a un immense jardin d’agrément, à l’anglaise naturellement, c'est-à-dire présentant arbres, arbustes et touffes de plantes disposés sans symétrie.  Mais il ne faut pas se fier aux apparences : c’est un savant désordre dont chaque détail a été savamment étudié ! Il y a une sorte de gazon très particulier, de l’herbe africaine très dense et rêche ; de nombreux arbustes tous différents, tels que l’on pourrait en voir dans un jardin botanique en Europe ; les fleurs les plus variées : grappes jaunes tombantes, petites touffes de poils roses, grosses boules de succulentes bleu vif, etc. Mais c’est une fois passé la barrière que commence véritablement l’Afrique.

L’Afrique est un continent gigantesque qui, dans le passé, n’était guère peuplé que d’animaux sauvages et de quelques tribus de Noirs – différents selon les régions. Les occidentaux y sont venus de plusieurs pays d’Europe pour explorer, exploiter, coloniser. A leur arrivée, le nombre incroyable d’animaux a suscité d’innombrables vocations de chasseurs. Les Blancs arrivaient avec leurs fusils et tuaient antilopes, lions, éléphants….jusqu’à ce que l’on interdise le commerce de l’ivoire puis le trafic de contrebande et le braconnage que cela sous-entend. Enfin, devant la disparition rapide de nombreuses espèces, la chasse a été carrément interdite. Aujourd’hui, on ne parle plus que de « protéger » les animaux que l’on parque dans des Réserves Naturelles où l’on peut venir les observer de loin et prendre quelques clichés.

Ici, les espaces semblent infinis. Par exemple, si je fais doucement le tour de Sandfontein en regardant autour de moi, je ne vois rien d’autre que des collines, encore des collines, et …. encore des collines. Parfois, quand la luminosité est la meilleure, c'est-à-dire généralement le soir, on aperçoit au Nord, une immense chaîne de montagnes dans le lointain….Tout est gris, ocre, sépia – dirais-je – comme les vieilles photographies d’antan. De très loin en très loin, un bouquet d’arbres signale une habitation. Ce n’est pas gai……



Paysage au Nord-ouest de Sandfontein

Qui peut aimer un tel pays ? Probablement ces aventuriers bâtisseurs d’empires, capables de conquérir, cultiver et entretenir des provinces entières. Je les imagine parcourant leurs terres à cheval, allant d’un village à l’autre, couvrant des distances considérables, l’œil toujours aux aguets, le fusil à portée de la main sur la selle de leur monture, prêts à répondre à toute espèce de tentative d’intimidation ou plus simplement, à tirer sur leur gibier de prédilection. Je crois que c’est une terre faite pour un certain type d’homme. Quoiqu’il en soit, je comprends que l’on puisse en tomber amoureux. Mais ce n’est pas mon cas.

Toi, ma petite Amélie, quand ton papa te prend dans ses bras et s’approche de la baie vitrée du living-room de votre appartement, tu vois deux autres tours, toutes proches de celle que vous habitez. Puis, en bas, des tas de bâtiments et d’immeubles. Et dans ces tours et ces immeubles, il y a des tas de gens qui vivent. Ils mangent, boivent, discutent, regardent la télévision, chantent, crient, travaillent ou jouent sur leur ordinateur, écoutent de la musique, pleurent, font des projets, se soignent, dorment, aiment ou haïssent, se lavent ou se laissent aller…. bref. Ils vivent. Ils ressentent des choses, éprouvent des sentiments, ils pensent, ils rêvent, ils se projettent dans l’avenir… Et puis surtout, ils bougent ! Entre les deux tours que tu peux voir à ta droite et en face de toi, et les immeubles en bas à ta gauche, passe « Le Périphérique », ce ruban d’asphalte sur lequel, jours et nuits, circulent des milliers, des centaines de milliers, des millions de véhicules. La nuit, c’est joli. Le côté droit du fleuve en mouvement scintille en rouge – ce sont les feux arrières des voitures. L’autre brille comme de l’or, grâce aux feux de croisement.

Ici, pas le moindre bruit, pas le moindre mouvement en dehors des oiseaux, car s’il y a d’autres animaux, ils ne sortent guère que la nuit pour chasser. Quant aux êtres humains, seul un nuage de poussière signale dans le lointain le passage d’un véhicule 4X4 Toyota sur une piste caillouteuse, et comme il ne s’agit pas (encore) de robots télécommandés, on peut en déduire qu’il y a au moins un être humain à bord !
C’est tout.

Ici il n’y a que des collines au dessus desquelles passent des nuages poussés par ce vent permanent, violent, lancinant, qui semble caractériser cette partie de l’Afrique du Sud. Je n’ai rien à faire. Je suis en vacances. C’est agréable. Surtout au début. Mais comme je suis une personne très active, je commence sérieusement à aspirer au retour en France….

Peut-être te demandes-tu ce que je fais si loin de l’Europe ? Et bien, d’une certaine façon, je suis moi aussi une aventurière qui, montée sur son cheval, le fusil en bandoulière et le chapeau sur les yeux, parcourt ses terres. Je parcours La Terre. Où j’ai l’occasion d’aller, je vais. Pour voir. Pour expérimenter. Ensuite j’écris. Et je crois que cela fait grandir en réflexion et en sagesse. Du moins je l’espère ! C’est ainsi que je partais autrefois, quand j’étais jeune. Et c’est toujours ainsi que je pars, maintenant que j’ai un âge respectable. De ce point de vue, je n’ai jamais changé.

Mes parents, qui habitaient la Lorraine, nous avaient emmenés, tes grands oncles Grégoire et Benoit, et moi, au Luxembourg proche et en Suisse française pour quelques vacances. Mais ensuite, devenue plus indépendante, je suis partie seule. Et j’ai découvert la verte Angleterre, un beau jour de printemps, avec ravissement ! Jamais je n’oublierai Windsor - cette énorme forteresse – posée au milieu des prairies ensoleillées de jonquilles et parfumées de lilas, sous un délicieux ciel myosotis ….. Ni ce gentleman en costume rayé et chapeau melon qui m’avait courtoisement saluée,  moi, la petite adolescente française timide, sortie de son couvent pour la première aventure de sa vie ! Quel souvenir parfumé, au charme suranné…. Après l’Angleterre, l’Europe de l’Est : la Pologne avec Sœur Sobanska, la Hongrie en compagnie des cousins Sélégny,  la Russie pour aller voir Philippe, flanquée de Patricia. Puis l’Egypte… Tout cela, ce sont les vieux souvenirs d’une grand-mère qui était alors une jeune aventurière, car tu peux me croire, « à mon époque » (je « dois » dire cela puisque toutes les grand-mères le disent !) ce n’étaient pas toutes les jeunes filles de mon âge, mon éducation et surtout mon « milieu » - comme dirait ton arrière grand-mère – qui faisaient cela ! C’était plus fort que moi. Il fallait que j’aille voir sur place. L’Europe de l’Est surtout. Comme ma famille était « de droite » on y abhorrait le communisme. Mais comme ni mon caractère, ni la forme de mon intelligence, ne me portaient au dogmatisme, je voulais constater « de visu » comment vivaient les gens.

La grande affaire de ma vie, la meilleure décision que j’aie jamais prise, ça a été de quitter la Vieille Europe pour Taïwan. C’était en 1977. A cette époque, la Chine Continentale n’était pas encore ouverte aux étrangers. D’ailleurs, le célèbre Monsieur Teng Hsiao-Ping ne parvint officiellement au pouvoir suprême qu’en 1978. Je venais de passer cinq ans à l’université de Nancy II où j’avais étudié la Géographie, un peu d’Economie, l’Histoire Ancienne et Médiévale, la langue russe, et mille autres choses encore. J’avais été une étudiante riche parce que je m’étais présentée au Concours des IPES, un concours national qui n’existe plus, et que j’avais réussi. J’étais donc payée pour étudier. Le rêve ! Mais à l’issue du contrat il me fallait un poste. J’avais écrit de par le monde. Je voulais absolument quitter la France car ma mère souhaitait que je me marie. Taïwan m’ayant offert un poste d’Assistante au Département de Français, et un studio, j’avais fait deux malles et …. mes adieux ! 

C’est aussi le début de ton histoire, Amélie. Sans mon départ, je n’aurais pas découvert le Monde Chinois, et tu ne serais pas là puisque je n’aurais pas épousé le Professeur Hsü Ping-Ho, et ta maman ne serait pas venue au monde… Tu vois comme les évènements sont interdépendants et s’enchaînent les uns aux autres ! Mais cette histoire, je l’ai racontée en détail dans mon livre intitulé « Professeur à Taïwan » que certains commentateurs sur Google ont rebaptisé, très justement d’ailleurs « Lettres de Taïwan ».

Revenons en Afrique. Revenons à Sandfontein.
Je n’y suis pas arrivée par hasard. Il y a quelques années, alors que je travaillais et résidais à Zhu-Hai, banlieue continentale de la célèbre ville de Macao fondée au XVI° siècle par les Portugais, j’avais rencontré un ancien violoniste nommé Brendan Lassak. D’origine polonaise, il avait la nationalité Sud-Africaine et les hasards de la vie l’avaient amené à enseigner la langue anglaise à l’UIC – United International College – université expérimentale où j’étais alors Maître de Conférences chargée des cours d’Histoire Médiévale Européenne et de quelques heures de langue française. L’UIC était en construction. Je n’avais pas encore de bureau personnel. Mon Assistante et moi-même campions dans l’immense Bureau B414, fief des Américains. J’avais rencontré Brendan dans la pièce des photocopieuses et imprimantes. Un monsieur de taille moyenne, lunettes, yeux très bleus. Au début, je ne comprenais qu’à peine cinquante pour cent de ce qu’il disait. Maintenant, je sais que c’est parce qu’il a un très fort accent Afrikaans, c'est-à-dire Hollandais d’Afrique du Sud. Néanmoins, nous étions devenus amis. C’est surtout l’amour de la Chine qui nous avait fait sympathiser, amour qui n’était pas du tout partagé par les autres collègues. Et aussi le goût de la musique, car Brendan, avant de devenir Professeur d’Anglais était second violon dans l’Orchestre National de son pays. Et moi, je ne peux vivre sans musique… Bref. Une fois que j’étais à l’Hôpital pour ma première opération à Zhu-Hai, il était venu, violon sous le bras, pour me réconforter. Après cet épisode, nous avions pris l’habitude de dîner ensemble une fois par mois, pour échanger des bruits de couloirs, médire des chers collègues, et rire tout notre content loin des Docteurs bouffis de suffisance et de condescendance ! A cette époque, je louais un très bel appartement dans la plus célèbre Résidence de toute la Province de Canton. Mais Brendan vivait dans une banlieue populaire au milieu des chinois et il y était particulièrement heureux. Quelques fois, il me demandait de monter jusqu’à son salon. Il y régnait un désordre indescriptible, mais j’oubliais tout quand il se mettait à me jouer du Bach ou du Paganini….

Les meilleures choses ayant toutes une fin, vint un moment où les visas ne furent plus attribués aux professeurs étrangers comme ils l’avaient été jusqu’aux Jeux Olympiques. Puis les contrats ne furent plus renouvelés. Enfin, les professeurs repartirent, chacun dans son pays d’origine. Mais je suis toujours en contact avec tous mes anciens amis. Et quand Brendan m’a envoyé une invitation pour venir passer un mois en sa compagnie, sachant que je pouvais lui faire toute confiance, j’ai pris un billet aller/retour sur Qatar Airways. C’est ainsi que je me suis retrouvée en Afrique du Sud. Nous avons d’abord passé une quinzaine dans la maisonnette qu’il loue à Napier. Il m’a emmenée visiter des parcs. Mais comme faire du «house-sitting » est devenu son métier d’appoint, nous avons déménagé pour nous installer dans ce Ranch. Nous allons nous en occuper en l’absence des propriétaires repartis sur leur Grande Ile pour y passer les Fêtes de fin d’année. Nous devons surveiller les jardiniers, la femme de ménage, les poulaillers, l’électricité et l’eau, et nous occuper des trois énormes chiens.



Luther, Mimi, Hatty et Monty !

Quand tu seras plus grande, Amélie, tu auras sûrement des occasions comme celle-ci. Habiter pendant plusieurs semaines chez quelqu’un à l’étranger, vivre la vie locale, manger ce que mangent les gens, faire la connaissance de leurs amis, de leur famille, de leurs animaux domestiques, les écouter parler… ce sont – à mon avis – des expériences très profitables. C’est plus enrichissant, d’un certain point de vue, que de « faire du tourisme » à toute allure, car très rapidement, on est tellement fatigué qu’on ne sait même plus ce que l’on visite. Au final, c’est seulement de retour à la maison en regardant ses photos que l’on prend vraiment conscience de ce que l’on a fait ! Tes parents ont de nombreuses relations à l’étranger. Il te sera facile de voyager. De nos jours, c’est une absolue nécessité si l’on veut s’intégrer dans le monde.

Depuis que tu es née, j’essaie de rappeler à ma mémoire mes souvenirs les plus anciens. Certains me reviennent souvent sans effort, surtout la nuit. Je rêve encore très fréquemment de Saint-Cast, petite station balnéaire des Côtes du Nord où habitaient mes grands-parents, et où j’ai passé ma toute petite enfance. Mais il ne m’en reste que des images et une ou deux anecdotes sans grand intérêt. C’est lorsqu’ils déménagèrent pour s’installer à Froberville, en Haute Normandie, que je commençai à m’intéresser à leurs conversations. A cette époque, il eut été impensable pour la jeune enfant que j’étais, d’intervenir ou de participer. Quand les adultes parlaient, les enfants se taisaient. Cela ne m’ennuyait pas du tout et c’est une excellente façon d’apprendre des tas de choses et de se livrer à d’innombrables observations qui, par la suite, peuvent devenir singulièrement significatives. Mes grands-parents critiquaient amèrement leur époque – les années 60 en l’occurrence – les comparant à ce qu’ils avaient connu « avant guerre ». A laquelle faisaient-ils allusion ? Je ne saurais le dire puisqu’ils avaient connu les deux Guerres Mondiales. Mais là n’est pas mon propos. Ce que je voulais dire c’est, qu’à les entendre, non seulement notre époque était affligeante, mais elle laissait augurer du pire pour l’avenir. Ce n’était pas du tout rassurant pour moi. J’avais l’impression de m’avancer les yeux bandés vers des années au cours desquelles les évènements les plus dramatiques ne manqueraient pas de se produire. Ma génération dans son ensemble serait la victime d’hommes politiques véreux, de banquiers corrompus, de comploteurs membres de sociétés secrètes qui ne rêvaient que de prendre le pouvoir à l’échelle de la planète. Et pour couronner le tout, il n’y avait plus aucune culture, les Belles Lettres tombaient dans l’oubli, et même les prêtres ne savaient plus prêcher !

Rassure-toi. Depuis qu’une cinquantaine d’années a passé, j’ai appris que pour être politicien il fallait n’avoir aucun scrupule ; que les banquiers ne sont considérés comme corrompus que par les gens qui envient leur opulence ; que les hommes ont toujours adoré les secrets, les complots, les loges et que c’est parfaitement normal. Nous vivons à l’époque de la « Mondialisation » et l’Histoire ne revient pas en arrière comme peuvent le faire les voitures ! Néanmoins, les populations survivent…. en disant que la vie est dure. Les religions sont comme les civilisations : elles ont des commencements héroïques, de glorieuses apogées, puis elles gagnent tout doucement l’oubli qui guette toute vie. Quant aux Belles Lettres, il suffit de s’y mettre. Cela s’étudie. Surtout si on en a le goût. Et point n’est besoin de mettre toutes les matières dans les cursus scolaires ! La culture est une affaire de personnalité, d’amour de ce qui est beau et qui nourrit l’esprit et l’âme.

Nous sommes loin de l’Afrique, n’est-ce pas Amélie !
J’ai pris de belles photos d’animaux dans les Réserves naturelles et tout à l’heure encore, en revenant de Bredasdorp où nous avons fait les courses de début de semaine, comme il y avait en bordure de piste tout un groupe de grues bleues – l’oiseau national- j’ai demandé à Brendan d’arrêter sa Nissan pour prendre quelques clichés. J’ai vu des antilopes de grande taille, des familles avec le papa qui surveille l’environnement, la maman et ses cousines et belles-sœurs toutes très occupées avec leurs enfants. J’ai également aperçu de beaux zèbres et des groupes d’autruches. Elles ont l’air idiot ! Elles tournent leurs minuscules têtes de droite à gauche puis de gauche à droite en clignant des yeux, avancent le cou et se tortillent…. Je les trouve assez ridicules ! Mais ciel ! Qu’elles courent vite ! Il n’y avait ni lions, ni girafes, ni éléphants, mais cela m’est égal.

Toi, tu auras sûrement de beaux livres avec de splendides photos de toutes ces bêtes sauvages en voie de disparition. Ou peut-être verras-tu des films documentaires à la télévision. A moins que tu ne trouves tout cela sur ta première tablette tactile !
Mais peut-être viendras-tu un jour à la Musardière et, si cela t’intéresse, je te montrerai mes dossiers de photos. J’adore faire des dossiers de photos, par thèmes, par ordre chronologique, avec agrandissements, nouveaux cadrages, entourage couleur, et souvent aussi, commentaires ajoutés. J’ai beau être grand-mère, donc très vieille à tes yeux, je ne suis pas du tout cramponnée au passé comme l’étaient mes propres grands-parents – et comme le sont des foules immenses – mais j’essaie au contraire de rester bien intégrée à mon époque.

Quoiqu’il en soit, moi, je ne suis pas obsédée par la Protection de la Nature et les animaux qui disparaissent ne m’empêchent pas de dormir. Je sais. Dire cela fait scandale aujourd’hui. Mais c’est ce que je pense et je n’ai pas l’intention de te raconter des fadaises. Sache toutefois que, si un jour, tu décidais d’en faire ton métier, j’applaudirais des deux mains. Et je ne vois aucune contradiction à cela. (Mais je préférerais que tu n’essaies pas de faire à nouveau pulluler loups, ours et lynx dans les campagnes françaises, comme le souhaite une bande d’illuminés….) J’aime les animaux. Tous. D’ailleurs, ils m’aiment aussi, au point que c’en est parfois très comique….Mais ils ne constituent pas ma priorité dans la vie. J’ai d’autres priorités, d’autres centres d’intérêts – non exclusifs  - Par contre, pour les Afrikaners, cela semble être « la » priorité. C’est probablement parce que la Vie Sauvage représente leur passé et qu’au fur et à mesure que le temps s’écoule, les êtres humains, fatigués de faire des efforts d’adaptation, finissent par regretter « le bon vieux temps ». Cela doit être normal, je pense.

Ma petite Amélie, je t’écris comme si tu étais déjà grandelette, alors que je ne sais même pas si tu liras un jour ces quelques pages. Ma foi….tant pis ! L’écriture est la forme de communication dans laquelle je sais exceller, alors, j’aimerais que tu en profites. Un Professeur se sent toujours investi d’une mission.

Je te laisse là pour ce soir. Tu dors peut-être déjà….
Quand je suis à la Musardière, je regarde la ravissante photo que j’ai de toi, une vraie photo papier mise en valeur par un encadrement précieux fait de miroirs, posée sur la commode de ma grand-mère, dans ma chambre. Tu y souris de tes petites gencives encore vierges de toute quenotte, et j’adore l’expression de ton visage !

Lundi 8 décembre 2014
Sandfontein – District de Napier 

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