Ce mercredi 26 octobre, j'affronte bravement la pluie de typhon pour admirer les immeubles de Pu Dong disparaissant derrière les nuées...
...et le lendemain, jeudi 27, toujours sous des trombes, je retourne à YuYuan Garden, où le Professeur Sorenson et moi étions venus ensemble il y a déjà ... dix ans ! (A l'heure où je poste ce texte.)
Mercredi 26 octobre
Grosse pluie de queue de typhon …
Décidément, ce typhon n’en
finit pas ! Il se comporte vraiment comme un énorme dragon dévastateur qui
passe en semant la terreur, et qui, lorsqu’on s’en croit débarrassé, donne
encore des coups de queue de droite à gauche, histoire de bien montrer qu’il faut
compter avec lui …
Yu le Grand, poursuivi par un Dragon de l’Eau !
Voilà donc une journée
qu’il me faut dédicacer à Yu le Grand !
De nos jours, qui le
connait ? En Chine, peu de gens. Et en Occident, assurément
personne ! Aussi, comme je suis l’exception qui confirme la règle, vais-je
consacrer quelques minutes à sa mémoire.
A la fin du néolithique,
sous le quatrième empereur de la dynastie légendaire Yao, il y eut treize
années consécutives de pluies diluviennes, et les inondations prirent une telle
ampleur, que le pays entier était sinistré. L’empereur, très soucieux, nomma un
de ses hauts fonctionnaires « Ministre des Eaux ». Il s’appelait Gun.
Pendant neuf ans, il fit construire des digues. Mais elles furent submergées
par les eaux et lui-même, éliminé. C’est alors que son fils, Yu, proposa de
reprendre son poste. Etait-ce un bon fils qui voulait restaurer la mémoire de
son père, ou au contraire, un garçon en totale opposition avec son
géniteur ? Toujours est-il qu’il proposa un remède contraire : il
parcourut le pays pendant des années pour faire creuser les lits des fleuves et
leur adjoindre de multiples canaux afin de drainer les terres. D’ailleurs, ce
fut à l’origine du quadrillage des champs et de la division du pays en
provinces. Et il réussit ! D’où son surnom de « Yu le Grand ». Il
devint même le premier souverain de la nouvelle dynastie : les Xia.
Ce matin, à peine levée, je
me rends déjà compte que cette journée sera très mouillée. Et ce n’est rien de
le dire ! Aussi, je passe la matinée dans ma chambre. J’ai acheté de très
belles cartes postales tout en longueur, et je passe plus de deux heures à
écrire à mes amis. Puis, prenant mon courage à deux mains – parce que,
vraiment, je n’aime plus du tout la pluie depuis mes années à Taïwan – je passe
une robe, prends mon imperméable, enfile mes bottines et descends à la
Réception de l’hôtel. Peut-être me diront-ils où est la Poste la plus
proche ? J’avise un homme qui porte l’uniforme des employés de cet
honorable établissement, et, à son respectable tour de taille, je comprends au
premier coup d’œil que j’ai affaire à quelqu’un d’important. Certes ! Il
se présente comme le Majordome. Je ne sais pas bien ce que cela veut dire, mais
je traduis par « gradé ». Il voit mes cartes et tend la main en
souriant d’un air engageant. « Donne-moi tes lettres, je les posterai
moi-même. » Quel honneur !
Libérée, je saute dans le
premier taxi qui attend à l’entrée et lui demande de me conduire à Nanjing Lu, non loin du Bund. Cette Rue Nankin est la plus
célèbre et la plus touristique de toute la ville, et on ne parle plus du Bund ! Le chauffeur pourrait
sûrement y aller les yeux bandés. Je descends sur la belle place où l’on peut
admirer les bâtiments hyper modernes du Grand Théâtre, du Musée de l’Art
Contemporain et du Centre d’Exposition du Planning Urbain. Il y a un jardin et
on peut faire le tour de l’endroit en marchant sur des passerelles surélevées,
semblables à celles qui sont proches du Temple d’Or de mon quartier. C’est
vraiment très beau. Hélas, il pleut tellement et il fait si sombre que cela
donne l’impression que la nuit tombe …
Voici le Musée de l'Urbanisme de l'agglomération de Shanghaï
C'est un centre d'exposition de la planification urbaine. Il retrace les étapes de la croissance du petit village de pêcheurs devenu aujourd'hui une des plus grandes mégalopoles de la planète. On peut également y admirer une maquette géante de la ville avec tous les bâtiments !
Néanmoins, je décide de
faire comme si de rien n’était ! Donc, à moi la Rue Nankin et les
attractions locales ! Ma foi … Il semblerait que le ciel veuille
récompenser ma vaillance parce que la pluie se transforme en bruine légère, ce
qui me permet d’avancer gaiement en prenant quelques photos. Les magasins de
part et d’autre de ces « Champs Elysées de Shanghaï » sont
magnifiques. La vitrine d’un bijoutier joailler retient particulièrement mon
attention, avec un énorme poisson en or 24K, admirablement sculpté. Tout
frétillant, il saute gracieusement hors de l’eau. Je lui trouve l’œil
coquin ! Ne manquent que les éclaboussures. Heu … Non … Mes bottillons en
sont trempés !
Ah ! Les belles
histoires de poissons d’or …..
La célèbre Rue Nankin - Les Champs Elysées de Shanghaï
Le pluie n'a jamais découragé les touristes !
Mais je continue ma
promenade.
J’entre dans un magasin à
gauche. J’entre dans un magasin à droite. Je regarde les gens et les enseignes
lumineuses, seules à mettre un peu de gaité et de lumière dans cette rue
enténébrée par cette queue de typhon qui n’en finit décidément pas de nous
arroser … Mais, je suis en Chine. A Shanghaï. Et j’ai beau flotter sur un nuage
noir frangé de gouttes grises, je suis parfaitement heureuse !
Ah ! Voilà le Bund. Il parait qu’autrefois, avant
l’arrivée des étrangers en Chine, il n’y avait là que de la boue gluante et
glissante le long d’une berge évoluant au gré de la hauteur des eaux de la
rivière Huangpu. Puis, vinrent les
« Longs Nez » qui aménagèrent cette berge et construisirent sur ses
bords de hauts bâtiments comme, de mémoire de chinois, on n’en avait jamais vu.
De nos jours, ces bâtiments sont considérés comme « historiques ». Le
long de la rivière, une large voie piétonne qui me fait penser à la célèbre
« Promenade des Anglais » à Nice. En contrebas, les eaux sales de la
rivière. De l’autre côté, Pudong - que
l’on pourrait traduire par « La Rive Est » - le nouveau quartier
gigantesque, avec ses gratte-ciels connus du monde entier, son aéroport
international, ses extensions ….
Pudong, comme
en rêve …
Les gratte-ciels
sont si hauts que les nuages y restent accrochés...
Je suis fière de ma photo. Elle est aussi belle que celles que l'on peut admirer dans les agences de voyage, et au moins, c'est moi qui l'ai prise !
Oui, je sais, on peut admirer
d’autres photos aussi belles. Mais celle-ci, c’est moi qui l’ai prise ! Et
juste avant que la pluie ne reprenne de plus belle. Il est trois heures et
j’entends un délicieux carillon. Très inattendu. Je ne sais de quel immeuble il
provient, mais je suis aux anges ! Cela me console, car je suis trempée,
de la tête aux pieds, de l’imperméable jusqu’à ma petite culotte. Car il fait
assez chaud pour transpirer énormément, alors …..
A mon tour de faire ce petit V de la victoire, comme le font systématiquement tous les étudiants chinois dès que l'on sort un appareil photo - Je me suis toujours demandé pourquoi ils le faisaient et ce que cela représentait pour eux ? - Mais pour moi, aujourd'hui, j'ai bel et bien remporté une victoire ! Je suis à nouveau en Chine, et fort heureuse !
Au point où j’en suis, je
ne risque plus rien. Je continue donc ma promenade, puis je regagne la belle
place dans l’espoir d’y trouver un taxi qui me ramène chez moi. Vu les
conditions météorologiques, il n’est point étonnant que les taxis soient pris
d’assaut. Néanmoins, j’ai de la chance et j’en trouve un. Je monte. Le
chauffeur démarre, puis me demande où je vais. J’ai beau ne pas être grand
clerc, je comprends tout de suite qu’il vient de la campagne. Il parle très mal
et me prend d’emblée pour une imbécile. En effet, ici, ils sont payés au temps
de la course, non au kilométrage – à cause des embouteillages, je suppose.
Donc, il choisit systématiquement les avenues les plus embouteillées et reste
sur la file de gauche, pour que je ne puisse pas descendre ! Non
mais ! Il croit que je ne connais pas l’itinéraire, que je ne sais pas que
les voies supérieures sont des voies rapides, ou que je ne comprends pas ses
vilains petits tours de singe ? J’ai le sens de l’orientation. Les
subtilités de la circulation de Shanghaï n’ont jamais été un mystère pour moi.
Et il m’en faut plus qu’un paysan roublard pour m’intimider. Je lui dis
clairement ma façon de penser. Il se met à rire … jaune. Les chinois rient
quand ils sont embarrassés. Rapidement, il redresse la barre et j’arrive à bon
port. Horriblement fatiguée et dégoulinante. Même ma tresse de cheveux est
bonne à tordre … Je jette tous mes vêtements sur la moquette de la chambre et
me précipite sous la douche !
Jeudi 27 octobre
Pèlerinage à Yuyuan
Garden
Ce matin, j’avais projeté
d’aller visiter un jardin auprès duquel il y a –parait-il – de petites
boutiques qui exposent de jolies choses plus ou moins anciennes. Mais le
chauffeur de taxi était si mal embouché qu’il m’a tout simplement virée !
« Ce jardin ? Connais pas. Descends ! »
Alors, sans plus insister,
je change mes projets et décide de me rendre au Yuyuan Garden. C’est une sorte de pèlerinage parce que j’y suis
déjà allée il y a quelques années en compagnie de Victoria et du Professeur
Sorenson. C’est que je n’en suis pas à mon tout premier séjour à
Shanghaï ! Il pleut encore mais pas trop. Je me promène dans ce joli
quartier fait de belles maisons anciennes reconstituées. Aujourd’hui, elles
abritent des quantités de boutiques et de restaurants pour les touristes. On
peut aussi visiter les jardins et admirer les carpes Koï dans les bassins
paysagés. C’est très joli. J’achète tout un tas de petits souvenirs pour
rapporter à mes amis en France. Comme il y en a pour tous les goûts, je suis
sûre de pouvoir faire plaisir à chacun.
Quelques vues de ces "Jardins", des bâtiments à l'ancienne, des boutiques, du lac aux carpes...On peut voir les petits kiosques, les célèbres lampions rouges et même les "French trees" - ces platanes que nous avons apportés dans toute l'Asie ...
Le temps passe vite et les
heures s’écoulent sans même que je m’en rende compte. Comme je commence à être
fatiguée de marcher, je regagne la grande avenue la plus proche, dans l’espoir
d’y trouver un taxi de meilleure humeur que celui de ce matin. Et la chance me
sourit ! Voilà que s’arrête devant moi un hybride entre le "touctouc" thaï et la moto taxi. Aux
commandes, une jeune femme toute ronde et tout sourire ! J’adore passer
d’une Cadillac à un touctouc.
Mon nouveau chauffeur de taxi : un sourire en rayon de soleil !
Et n’allez pas croire que ce n’est
pas confortable ! Le passager est abrité par une sorte de dais-cabine
rose fluo ; et la pilote, vêtue d’un imperméable vert et jaune et chaussée
d’étonnants « protège-baskets » framboise-écrasée, est protégée par
un vaste parapluie bleu et rose. Je suis aux anges ! Cahotée de droite à
gauche et d’avant en arrière, éclaboussée, secouée comme noix en sac, je ris
d’aise ! Comme si j’étais assise sur un doux nuage aux couleurs de l’arc
en ciel ! Enfin, nous arrivons à Qipulu,
je descends et lui demande si je peux la photographier.
« Bien sûr ! –
dit-elle en riant – T’es trop polie ! »
Enchantée, je paie la course et ajoute de quoi
lui conserver sa belle humeur …
Une fois descendue, je
retourne me promener dans ce quartier de boutiques qui, pour moi, sont
« traditionnelles ». C’est-à-dire, ces innombrables et minuscules
échoppes, réunies dans de grands immeubles, ni prétentieuses ni sophistiquées,
et dans lesquelles on discute des prix âprement. C’est ce que j’ai toujours
connu depuis mon arrivée en Chine, et malheureusement, ce genre d’établissement
est en voie de disparition, surtout dans les mégalopoles occidentalisées. Il
n’y a rien de comparable en France. Alors, j’en profite au maximum. Certes, je
regarde les innombrables articles exposés, mais aussi, je suis le cours de mes
souvenirs … Je me sens bien dans ce genre d’endroit. Je parle aux gens. Même
aux rabatteurs qui m’agressent parce que je suis étrangère. Je leur dis
posément que je me débrouille toute seule, que je regarde d’abord, et je les
remercie de me proposer leurs services. Sidérés de m’entendre parler chinois,
même mal, ils deviennent instantanément polis et amicaux.
Tous ces minuscules personnages peuvent apparaître, aux yeux de touristes raffinés, une abominable bimbeloterie bon marché et de mauvais goût.... Certes. Mais pour moi qui connais tous les récits classiques des temps jadis, cela revêt une signification très différente. Ici, je retrouve tous les héros du célèbre ouvrage "Les périgrinations vers l'Ouest" ou "Le Singe Pèlerin". Le moine Tang San Zang - connu aussi sous son nom sanskrit "Tripitaka" - se rend en Inde pour chercher les écritures bouddhiques afin de les traduire en chinois. Il est accompagné de Sun Wu Kong, le Roi des Singes ; Bai Long Ma, le "Cheval Dragon blanc" ; du cochon Ju Ba Jie ; et du moine Sablon. Tous jouissent de la protection de Guan Yin, équivalent indien d'Avalokiteshvara, le Bodhissatva de la compassion.
Deux petites scènes
édifiantes.
Dans une belle boutique, j’avise
une robe qui me plait et j’en demande le prix au jeune homme.
« 145 RMB – me dit-il
– C’est le prix officiel ! Je ne peux pas baisser. »
« C’est d’accord. Elle
me plait beaucoup …. »
Alors, intervient une femme
un peu plus âgée, probablement la patronne.
« Elle est étrangère.
Monte le prix. »
« Hé non ! –
répond le garçon - Je lui ai déjà donné
au bon prix. Elle parle chinois …. »
Un peu plus loin, je vois
une veste d’homme en satin. Elle est réversible. Un côté noir et l’autre rouge
sombre. J’adore les vêtements réversibles. Immédiatement, je pense que je
pourrais l’offrir à mon ami le Professeur Sorenson. Seulement, il faut que je
demande une grande taille. Je me tourne vers la mignonne de service et lui
demande :
« Tu en as de plus
grandes ? »
« Ton mari est gros ? »
questionne-t-elle en riant.
« Non. Mais il est
très grand et il a les épaules très larges »
Elle extrait une veste de
grande taille de dessous la pile et me la montre.
« C’est la plus grande
… »
« Combien en
veux-tu ? »
« Regarde ! C’est
du beau ! Une bonne qualité …. 380 RMB. Dernier prix »
« Tout ça quand
même ! Bon. On oublie. Jamais je ne paierai ce prix-là ! Au
revoir ! »
« Attends !
Attends ! C’est quoi ton prix ? »
« « 150 … »
« Ah non !
Impossible ! »
La discussion continue,
mais je prends l’air décidé et marche vers la sortie.
« Attends !
Attends ! … Bon … C’est d’accord … »
Hé ! Hé ! On
n’apprend plus à un vieux singe à faire des grimaces.
Certes, mon séjour n’aura
pas été culturel. Pas de musées, de livres, de films… Mais des promenades en
plein air, et je pourrais même dire, en plein vent ! Sous la pluie, au
bord de la rivière, dans des jardins. Les arbres et les plantes dégoulinantes
d’eau tiède, les fleurs s’épanouissant entre deux passages nuageux, les carpes
Koï jouant joyeusement dans les bassins d’eaux vertes …. J’ai beau savoir qu’il
y a dans ce pays des endroits sinistrés par les excès de pollution, des gens
mortellement atteints par des maladies d’origine industrielle, j’ai eu le
bonheur d’être à Shanghaï où tout est étonnamment propre, où l’air est bon, et
où les automobilistes ont la chance de circuler entre deux rangées de
jardinières croulantes de fleurs de couleurs vives.
Et puis, je cause avec les
gens. Oh ! Ce ne sont pas des conversations philosophiques, mais tout de
même, cela fait grand plaisir. Surtout quand on est seul. Il m’arrive de
montrer des photos de chez moi, ou des gens que j’aime. En retour, on me montre
les enfants, les parents, ou des endroits particuliers. Nombreux sont ceux qui
me demandent si je suis russe, à cause de mes cheveux. Surtout lorsque je fais
une tresse que j’enroule sur ma tête, car cela correspond à l’image
traditionnelle des filles russes.
« Non ! Je ne
suis pas russe. »
« Alors, tu viens de
quel pays ? »
« Devine ! »
Et après quelques instants
d’hésitation, la réponse vient, toujours la même :
« … Heu …
Anglaise ! »
Je ris. Je suis contente.
Jamais personne ne devine que je suis française.
« Et ….. C’est où,
l’Angleterre ? »
« En Europe. »
La réponse laisse songeur.
« L’Europe …. C’est où ? »
« C’est loin. »
dis-je.
Les chinois ne sont pas
meilleurs que les français en géographie !
Sur ces entrefaites,
j’avise un taxi, un vrai –cette fois – Il est à l’arrêt le long d’un trottoir.
D’autorité, j’ouvre la portière et mets mes affaires sur la banquette arrière.
Puis je monte à l’avant.
« Mais … Je
téléphone ! » me dit le jeune homme, sidéré de mon audace.
« Bien ! Bah …Vas-y !
Je m’assois, je suis crevée … »
Alors, je fais comme lui,
je sors mon smartphone et me mets à retoucher mes photos. C’est cool ici. Je me sens bien.
Le gars, rasséréné,
continue à raconter sa vie à sa copine. Naturellement, ils parlent
d’argent ! Puis, au bout d’un bon moment, il démarre.