lundi 29 octobre 2018

"Shanghaï ... Me voilà !" - 7 et 8 - Nanjing Lu et Yuyuan Garden


Ce mercredi 26 octobre, j'affronte bravement la pluie de typhon pour admirer les immeubles de Pu Dong disparaissant derrière les nuées...
...et le lendemain, jeudi 27, toujours sous des trombes, je retourne à YuYuan Garden, où le Professeur Sorenson et moi étions venus ensemble il y a déjà ... dix ans ! (A l'heure où je poste ce texte.)


Mercredi 26 octobre
Grosse pluie de queue de typhon …

Décidément, ce typhon n’en finit pas ! Il se comporte vraiment comme un énorme dragon dévastateur qui passe en semant la terreur, et qui, lorsqu’on s’en croit débarrassé, donne encore des coups de queue de droite à gauche, histoire de bien montrer qu’il faut compter avec lui …



 
Yu le Grand, poursuivi par un Dragon de l’Eau !


Voilà donc une journée qu’il me faut dédicacer à Yu le Grand !
De nos jours, qui le connait ? En Chine, peu de gens. Et en Occident, assurément personne ! Aussi, comme je suis l’exception qui confirme la règle, vais-je consacrer quelques minutes à sa mémoire.
A la fin du néolithique, sous le quatrième empereur de la dynastie légendaire Yao, il y eut treize années consécutives de pluies diluviennes, et les inondations prirent une telle ampleur, que le pays entier était sinistré. L’empereur, très soucieux, nomma un de ses hauts fonctionnaires « Ministre des Eaux ». Il s’appelait Gun. Pendant neuf ans, il fit construire des digues. Mais elles furent submergées par les eaux et lui-même, éliminé. C’est alors que son fils, Yu, proposa de reprendre son poste. Etait-ce un bon fils qui voulait restaurer la mémoire de son père, ou au contraire, un garçon en totale opposition avec son géniteur ? Toujours est-il qu’il proposa un remède contraire : il parcourut le pays pendant des années pour faire creuser les lits des fleuves et leur adjoindre de multiples canaux afin de drainer les terres. D’ailleurs, ce fut à l’origine du quadrillage des champs et de la division du pays en provinces. Et il réussit ! D’où son surnom de « Yu le Grand ». Il devint même le premier souverain de la nouvelle dynastie : les Xia.

Ce matin, à peine levée, je me rends déjà compte que cette journée sera très mouillée. Et ce n’est rien de le dire ! Aussi, je passe la matinée dans ma chambre. J’ai acheté de très belles cartes postales tout en longueur, et je passe plus de deux heures à écrire à mes amis. Puis, prenant mon courage à deux mains – parce que, vraiment, je n’aime plus du tout la pluie depuis mes années à Taïwan – je passe une robe, prends mon imperméable, enfile mes bottines et descends à la Réception de l’hôtel. Peut-être me diront-ils où est la Poste la plus proche ? J’avise un homme qui porte l’uniforme des employés de cet honorable établissement, et, à son respectable tour de taille, je comprends au premier coup d’œil que j’ai affaire à quelqu’un d’important. Certes ! Il se présente comme le Majordome. Je ne sais pas bien ce que cela veut dire, mais je traduis par « gradé ». Il voit mes cartes et tend la main en souriant d’un air engageant. « Donne-moi tes lettres, je les posterai moi-même. » Quel honneur !

Libérée, je saute dans le premier taxi qui attend à l’entrée et lui demande de me conduire à Nanjing Lu, non loin du Bund. Cette Rue Nankin est la plus célèbre et la plus touristique de toute la ville, et on ne parle plus du Bund ! Le chauffeur pourrait sûrement y aller les yeux bandés. Je descends sur la belle place où l’on peut admirer les bâtiments hyper modernes du Grand Théâtre, du Musée de l’Art Contemporain et du Centre d’Exposition du Planning Urbain. Il y a un jardin et on peut faire le tour de l’endroit en marchant sur des passerelles surélevées, semblables à celles qui sont proches du Temple d’Or de mon quartier. C’est vraiment très beau. Hélas, il pleut tellement et il fait si sombre que cela donne l’impression que la nuit tombe …


Voici le Musée de l'Urbanisme de l'agglomération de Shanghaï
C'est un centre d'exposition de la planification urbaine. Il retrace les étapes de la croissance du petit village de pêcheurs devenu aujourd'hui une des plus grandes mégalopoles de la planète. On peut également y admirer une maquette géante de la ville avec tous les bâtiments !

 Néanmoins, je décide de faire comme si de rien n’était ! Donc, à moi la Rue Nankin et les attractions locales ! Ma foi … Il semblerait que le ciel veuille récompenser ma vaillance parce que la pluie se transforme en bruine légère, ce qui me permet d’avancer gaiement en prenant quelques photos. Les magasins de part et d’autre de ces « Champs Elysées de Shanghaï » sont magnifiques. La vitrine d’un bijoutier joailler retient particulièrement mon attention, avec un énorme poisson en or 24K, admirablement sculpté. Tout frétillant, il saute gracieusement hors de l’eau. Je lui trouve l’œil coquin ! Ne manquent que les éclaboussures. Heu … Non … Mes bottillons en sont trempés !
Ah ! Les belles histoires de poissons d’or …..


La célèbre Rue Nankin - Les Champs Elysées de Shanghaï
Le pluie n'a jamais découragé les touristes !


Mais je continue ma promenade.
J’entre dans un magasin à gauche. J’entre dans un magasin à droite. Je regarde les gens et les enseignes lumineuses, seules à mettre un peu de gaité et de lumière dans cette rue enténébrée par cette queue de typhon qui n’en finit décidément pas de nous arroser … Mais, je suis en Chine. A Shanghaï. Et j’ai beau flotter sur un nuage noir frangé de gouttes grises, je suis parfaitement heureuse !

Ah ! Voilà le Bund. Il parait qu’autrefois, avant l’arrivée des étrangers en Chine, il n’y avait là que de la boue gluante et glissante le long d’une berge évoluant au gré de la hauteur des eaux de la rivière Huangpu. Puis, vinrent les « Longs Nez » qui aménagèrent cette berge et construisirent sur ses bords de hauts bâtiments comme, de mémoire de chinois, on n’en avait jamais vu. De nos jours, ces bâtiments sont considérés comme « historiques ». Le long de la rivière, une large voie piétonne qui me fait penser à la célèbre « Promenade des Anglais » à Nice. En contrebas, les eaux sales de la rivière. De l’autre côté, Pudong - que l’on pourrait traduire par « La Rive Est » - le nouveau quartier gigantesque, avec ses gratte-ciels connus du monde entier, son aéroport international, ses extensions ….



Pudong, comme en rêve …
Les gratte-ciels sont si hauts que les nuages y restent accrochés...
Je suis fière de ma photo. Elle est aussi belle que celles que l'on peut admirer dans les agences de voyage, et au moins, c'est moi qui l'ai prise ! 

Oui, je sais, on peut admirer d’autres photos aussi belles. Mais celle-ci, c’est moi qui l’ai prise ! Et juste avant que la pluie ne reprenne de plus belle. Il est trois heures et j’entends un délicieux carillon. Très inattendu. Je ne sais de quel immeuble il provient, mais je suis aux anges ! Cela me console, car je suis trempée, de la tête aux pieds, de l’imperméable jusqu’à ma petite culotte. Car il fait assez chaud pour transpirer énormément, alors …..

 
A mon tour de faire ce petit V de la victoire, comme le font systématiquement tous les étudiants chinois dès que l'on sort un appareil photo - Je me suis toujours demandé pourquoi ils le faisaient et ce que cela représentait pour eux ? - Mais pour moi, aujourd'hui, j'ai bel et bien remporté une victoire ! Je suis à nouveau en Chine, et fort heureuse !


Au point où j’en suis, je ne risque plus rien. Je continue donc ma promenade, puis je regagne la belle place dans l’espoir d’y trouver un taxi qui me ramène chez moi. Vu les conditions météorologiques, il n’est point étonnant que les taxis soient pris d’assaut. Néanmoins, j’ai de la chance et j’en trouve un. Je monte. Le chauffeur démarre, puis me demande où je vais. J’ai beau ne pas être grand clerc, je comprends tout de suite qu’il vient de la campagne. Il parle très mal et me prend d’emblée pour une imbécile. En effet, ici, ils sont payés au temps de la course, non au kilométrage – à cause des embouteillages, je suppose. Donc, il choisit systématiquement les avenues les plus embouteillées et reste sur la file de gauche, pour que je ne puisse pas descendre ! Non mais ! Il croit que je ne connais pas l’itinéraire, que je ne sais pas que les voies supérieures sont des voies rapides, ou que je ne comprends pas ses vilains petits tours de singe ? J’ai le sens de l’orientation. Les subtilités de la circulation de Shanghaï n’ont jamais été un mystère pour moi. Et il m’en faut plus qu’un paysan roublard pour m’intimider. Je lui dis clairement ma façon de penser. Il se met à rire … jaune. Les chinois rient quand ils sont embarrassés. Rapidement, il redresse la barre et j’arrive à bon port. Horriblement fatiguée et dégoulinante. Même ma tresse de cheveux est bonne à tordre … Je jette tous mes vêtements sur la moquette de la chambre et me précipite sous la douche !

Jeudi 27 octobre
Pèlerinage à Yuyuan Garden

Ce matin, j’avais projeté d’aller visiter un jardin auprès duquel il y a –parait-il – de petites boutiques qui exposent de jolies choses plus ou moins anciennes. Mais le chauffeur de taxi était si mal embouché qu’il m’a tout simplement virée ! « Ce jardin ? Connais pas. Descends ! »

Alors, sans plus insister, je change mes projets et décide de me rendre au Yuyuan Garden. C’est une sorte de pèlerinage parce que j’y suis déjà allée il y a quelques années en compagnie de Victoria et du Professeur Sorenson. C’est que je n’en suis pas à mon tout premier séjour à Shanghaï ! Il pleut encore mais pas trop. Je me promène dans ce joli quartier fait de belles maisons anciennes reconstituées. Aujourd’hui, elles abritent des quantités de boutiques et de restaurants pour les touristes. On peut aussi visiter les jardins et admirer les carpes Koï dans les bassins paysagés. C’est très joli. J’achète tout un tas de petits souvenirs pour rapporter à mes amis en France. Comme il y en a pour tous les goûts, je suis sûre de pouvoir faire plaisir à chacun. 





Quelques vues de ces "Jardins", des bâtiments à l'ancienne, des boutiques, du lac aux carpes...On peut voir les petits kiosques, les célèbres lampions rouges et même les "French trees" - ces platanes que nous avons apportés dans toute l'Asie ...

Le temps passe vite et les heures s’écoulent sans même que je m’en rende compte. Comme je commence à être fatiguée de marcher, je regagne la grande avenue la plus proche, dans l’espoir d’y trouver un taxi de meilleure humeur que celui de ce matin. Et la chance me sourit ! Voilà que s’arrête devant moi un hybride entre le "touctouc" thaï et la moto taxi. Aux commandes, une jeune femme toute ronde et tout sourire ! J’adore passer d’une Cadillac à un touctouc.

 

 
 Mon nouveau chauffeur de taxi : un sourire en rayon de soleil !

Et n’allez pas croire que ce n’est pas confortable ! Le passager est abrité par une sorte de dais-cabine rose fluo ; et la pilote, vêtue d’un imperméable vert et jaune et chaussée d’étonnants « protège-baskets » framboise-écrasée, est protégée par un vaste parapluie bleu et rose. Je suis aux anges ! Cahotée de droite à gauche et d’avant en arrière, éclaboussée, secouée comme noix en sac, je ris d’aise ! Comme si j’étais assise sur un doux nuage aux couleurs de l’arc en ciel ! Enfin, nous arrivons à Qipulu, je descends et lui demande si je peux la photographier.
« Bien sûr ! – dit-elle en riant – T’es trop polie ! »
Enchantée, je paie la course et ajoute de quoi lui conserver sa belle humeur …

Une fois descendue, je retourne me promener dans ce quartier de boutiques qui, pour moi, sont « traditionnelles ». C’est-à-dire, ces innombrables et minuscules échoppes, réunies dans de grands immeubles, ni prétentieuses ni sophistiquées, et dans lesquelles on discute des prix âprement. C’est ce que j’ai toujours connu depuis mon arrivée en Chine, et malheureusement, ce genre d’établissement est en voie de disparition, surtout dans les mégalopoles occidentalisées. Il n’y a rien de comparable en France. Alors, j’en profite au maximum. Certes, je regarde les innombrables articles exposés, mais aussi, je suis le cours de mes souvenirs … Je me sens bien dans ce genre d’endroit. Je parle aux gens. Même aux rabatteurs qui m’agressent parce que je suis étrangère. Je leur dis posément que je me débrouille toute seule, que je regarde d’abord, et je les remercie de me proposer leurs services. Sidérés de m’entendre parler chinois, même mal, ils deviennent instantanément polis et amicaux.


Tous ces minuscules personnages peuvent apparaître, aux yeux de touristes raffinés, une abominable bimbeloterie bon marché et de mauvais goût.... Certes. Mais pour moi qui connais tous les récits classiques des temps jadis, cela revêt une signification très différente. Ici, je retrouve tous les héros du célèbre ouvrage "Les périgrinations vers l'Ouest" ou "Le Singe Pèlerin". Le moine Tang San Zang - connu aussi sous son nom sanskrit "Tripitaka" - se rend en Inde pour chercher les écritures bouddhiques afin de les traduire en chinois. Il est accompagné de Sun Wu Kong, le Roi des Singes ;  Bai Long Ma, le "Cheval Dragon blanc" ; du cochon Ju Ba Jie ; et du moine Sablon. Tous jouissent de la protection de Guan Yin, équivalent indien d'Avalokiteshvara, le Bodhissatva de la compassion. 

Deux petites scènes édifiantes.
Dans une belle boutique, j’avise une robe qui me plait et j’en demande le prix au jeune homme.
« 145 RMB – me dit-il – C’est le prix officiel ! Je ne peux pas baisser. »
« C’est d’accord. Elle me plait beaucoup …. »
Alors, intervient une femme un peu plus âgée, probablement la patronne.
« Elle est étrangère. Monte le prix. »
« Hé non ! – répond le garçon -  Je lui ai déjà donné au bon prix. Elle parle chinois …. »

Un peu plus loin, je vois une veste d’homme en satin. Elle est réversible. Un côté noir et l’autre rouge sombre. J’adore les vêtements réversibles. Immédiatement, je pense que je pourrais l’offrir à mon ami le Professeur Sorenson. Seulement, il faut que je demande une grande taille. Je me tourne vers la mignonne de service et lui demande :
«  Tu en as de plus grandes ? »
« Ton mari est gros ? » questionne-t-elle en riant.
« Non. Mais il est très grand et il a les épaules très larges »
Elle extrait une veste de grande taille de dessous la pile et me la montre.
« C’est la plus grande … »
« Combien en veux-tu ? »
« Regarde ! C’est du beau ! Une bonne qualité …. 380 RMB. Dernier prix »
« Tout ça quand même ! Bon. On oublie. Jamais je ne paierai ce prix-là ! Au revoir ! »
« Attends ! Attends ! C’est quoi ton prix ? »
« « 150 … »
« Ah non ! Impossible ! »
La discussion continue, mais je prends l’air décidé et marche vers la sortie.
« Attends ! Attends ! … Bon … C’est d’accord … »
Hé ! Hé ! On n’apprend plus à un vieux singe à faire des grimaces.

Certes, mon séjour n’aura pas été culturel. Pas de musées, de livres, de films… Mais des promenades en plein air, et je pourrais même dire, en plein vent ! Sous la pluie, au bord de la rivière, dans des jardins. Les arbres et les plantes dégoulinantes d’eau tiède, les fleurs s’épanouissant entre deux passages nuageux, les carpes Koï jouant joyeusement dans les bassins d’eaux vertes …. J’ai beau savoir qu’il y a dans ce pays des endroits sinistrés par les excès de pollution, des gens mortellement atteints par des maladies d’origine industrielle, j’ai eu le bonheur d’être à Shanghaï où tout est étonnamment propre, où l’air est bon, et où les automobilistes ont la chance de circuler entre deux rangées de jardinières croulantes de fleurs de couleurs vives.

Et puis, je cause avec les gens. Oh ! Ce ne sont pas des conversations philosophiques, mais tout de même, cela fait grand plaisir. Surtout quand on est seul. Il m’arrive de montrer des photos de chez moi, ou des gens que j’aime. En retour, on me montre les enfants, les parents, ou des endroits particuliers. Nombreux sont ceux qui me demandent si je suis russe, à cause de mes cheveux. Surtout lorsque je fais une tresse que j’enroule sur ma tête, car cela correspond à l’image traditionnelle des filles russes.
« Non ! Je ne suis pas russe. »
« Alors, tu viens de quel pays ? »
« Devine ! »
Et après quelques instants d’hésitation, la réponse vient, toujours la même :
«  … Heu … Anglaise ! »
Je ris. Je suis contente. Jamais personne ne devine que je suis française.
« Et ….. C’est où, l’Angleterre ? »
« En Europe. »
La réponse laisse songeur.
« L’Europe …. C’est où ? »
« C’est loin. » dis-je.
Les chinois ne sont pas meilleurs que les français en géographie !

Sur ces entrefaites, j’avise un taxi, un vrai –cette fois – Il est à l’arrêt le long d’un trottoir. D’autorité, j’ouvre la portière et mets mes affaires sur la banquette arrière. Puis je monte à l’avant.
« Mais … Je téléphone ! » me dit le jeune homme, sidéré de mon audace.
« Bien ! Bah …Vas-y ! Je m’assois, je suis crevée … »
Alors, je fais comme lui, je sors mon smartphone et me mets à retoucher mes photos. C’est cool  ici. Je me sens bien.
Le gars, rasséréné, continue à raconter sa vie à sa copine. Naturellement, ils parlent d’argent ! Puis, au bout d’un bon moment, il démarre.

dimanche 28 octobre 2018

"Shanghaï ....Me voilà !" - 5 et 6 - Les 24 et 25 octobre 2016


Lundi 24 octobre, je visite les bureaux d'Edouard tout près de mon Merry Hôtel, et
Mardi 25, je vais à Pu Dong pour un dîner familial chez LuXu - une amie de Victoria - au cours duquel j'arrive non seulement à parler mais à plaisanter en chinois, comme autrefois !



Ce lundi 24 octobre, je visite les bureaux d’Edouard …
… et découvre le paradis du shopping !

Il fait beau ! Le soleil brille, l’air est doux, le vent léger, et j’ai des ailes aux pieds. C’est donc d’un pas guilleret que je me dirige vers le petit immeuble dans lequel Edouard a ses bureaux. Il y a des boutiques le long des rues et je regarde tout et tout le monde avec avidité. Ici, c’est tellement plus animé qu’en France, vivant, joyeux, optimiste, coloré … Je me souviens des premiers mois passés à Taipei. Je m’étonnais de bien des choses. C’est que je voyais la vie à travers les idées reçues au cours de douze années de pension religieuse. J’étais très jeune, totalement inexpérimentée, et je ne connaissais rien de la vie et encore moins de la Chine. Puis, je me suis mise à observer et réfléchir. Enfin, j’ai rencontré quelqu’un qui a pris la peine de m’expliquer les choses. Alors, j’ai compris, apprécié et aimé les valeurs de mon nouveau pays. Ce qui m’a le plus aidé, je crois, c’est d’avoir résolument renoncé à bon nombre d’idées reçues et autres préjugés qui faisaient partie de mon éducation hyper-traditionnaliste. Je me voyais embarquée sur un bateau tellement chargé qu’il ne pouvait pas avancer. Alors, je montais dans une plus petite barque, mais elle était encore encombrée de paquets. Après quelques hésitations, je les jetais par-dessus bord et la barque prenait enfin de la vitesse.  La côte approchait, et j’étais heureuse …



Chine ancienne, Chine nouvelle
Devant une boutique de luxe qui vend des bouteilles de vin français,
le vieux bonhomme pousse un petit véhicule à roulettes de sa confection, 
qui lui sert à récupérer des objets dont on ne veut plus.....
 
Ici, je me sens parfaitement à l’aise. Un vieux bonhomme de la campagne et son épouse ont apporté des fleurs de leur jardin et préparé des bouquets qui attendent les clients dans des seaux d’eau alignés sur le bord du trottoir. Comme ils sont sympathiques ! Nous nous sourions d’emblée et nous mettons à parler. Une fois de plus, je remarque que, pour les gens simples, il est tout à fait normal que les étrangers parlent chinois. Jamais ils ne vont s’extasier quand on prononce quelques mots dans leur langue. C’est que, pour eux, le chinois, c’est « la » langue universelle ! Si on prononce de travers, c’est parce qu’on est étranger, mais du moment qu’on se comprend … J’adore les fleurs, toutes les fleurs. Mais mes préférences vont à celles qui peuvent pousser dans un simple jardin.  J’aime beaucoup moins les espèces rares cultivées en serres, dépourvues de parfum, et dont les tiges sont rigides comme la justice. Aussi, je décide d’acheter deux bouquets de minuscules roses rouges qui se présentent comme des fleurs des champs, et dont les tiges sont liées entre elles par une petite ficelle. Puis, je traverse le carrefour, gagne le petit immeuble blanc et monte à l’étage des bureaux.

Je suis en avance. La jolie jeune fille de la réception me salue et me congratule très aimablement, puis m’emmène directement au bureau de « Monsieur T. »
« Assied toi, me dit-elle. Il ne va pas tarder. Est-ce que tu veux boire quelque chose ? »
« Non, merci. Mais si tu avais un vase avec de l’eau, je pourrais arranger les roses que j’ai apportées. Cela m’occuperait… »
Au bout d’un petit moment, elle revient avec deux sortes de bouteilles à goulot étroit, qualifiées de « vases ». Pas de problème, puisque j’ai deux bouquets. Je me mets en devoir d’arranger les fleurs. Je place les vases aux meilleurs endroits. Puis j’avise les luxueuses revues entassées sur un guéridon à côté de ma chaise. Ce sont des photos de tous les clips tournés par la société de mon ami. Des publicités concernant exclusivement des produits de haut luxe. Sur papier glacé épais. Je regarde attentivement.

Enfin voilà Edouard ! Il a les traits tirés et m’avoue qu’il est bien fatigué, d’autant plus qu’il souffre de mal au dos chronique. Nous parlons de sa santé, de son mode de vie, de ses succès professionnels. Puis il m’emmène visiter les bureaux. C’est très grand et l’ensemble a été décoré par Alice. Bois recyclés, matériaux modernes ayant l’aspect de l’ancien, couleurs passées, toutes dans les gris, brun, crème. Je me crois vraiment en promenade dans une revue de « design top gamme » ! Naturellement, il y a des dizaines d’ordinateurs à écrans plats qui sont tous équipés de logiciels spéciaux, des machines étranges dont je ne comprends pas l’usage, même quand on me l’explique ! Et parfois, des objets bizarres. Déco contemporaine ? Je remarque également que tous les employés sont très jeunes, et semblent directement sortis des magazines de mode les plus branchés de la planète. Ah ! Non ! C’est le contraire !  Ceux-là ne « suivent » pas la mode. Ils la font ! Eux ne pensent pas, comme le chantait jadis Jacques Brel, qu’ « il est plus humiliant d’être suivi que suivant » !

J’aperçois Ivan. Elle me sourit et me donne un petit paquet qui contient, me dit-elle, un cadeau pour la petite fille de son amie Victoria. Comme Edouard m’en a remis d’autres, je bourre le tout dans le plus grand sachet et rentre à mon hôtel pour me débarrasser de ces impedimenta.


En route pour un des gigantesques immeubles-centres-commerciaux-traditionnels ! 
Pour moi, le paradis du "shopping", c'est là ! 
 
Puis, je monte dans un taxi et nous roulons résolument vers l’est.
C’est que je pars à l’assaut d’un super ensemble de centres commerciaux spécialisés dans les vêtements de toutes sortes, les chaussures, bijoux fantaisie et colifichets, sacs à main et valises, et mille autres choses encore. Mais un endroit traditionnel. Pas un grand Mall  glacial, dont les boutiques, de cent mètres carrés chacune, ne présentent que deux ou trois articles artistement disposés sur des mannequins, et dont les vendeuses donnent l’impression d’évaluer votre solvabilité potentielle au premier coup d’œil ! Non. Je déteste cordialement ce genre d’endroit. Mais, dans les centres de minuscules boutiques de quelques mètres chacune, où des monceaux d’articles sont accrochés partout jusqu’au plafond, et dans lesquelles on est toujours bien accueilli par des filles naturelles et guère sophistiquées, mais souriantes et gentilles, je me sens comme un poisson dans l’eau. C’est ce genre d’endroit que j’ai toujours fréquenté, à Taïwan, Pékin, Qing-Dao et Zhu-Hai. Et je me souviens encore du nom de chacun de ces endroits et même de la configuration des lieux. Aussi ai-je demandé à Victoria, qui connaît mes goûts, de m’envoyer une bonne adresse.

L’endroit s’appelle Qipulu – en pinyin – Mais cette romanisation des caractères chinois ne peut être prononcée correctement si l’on n’a jamais étudié ce pinyin. Si je voulais écrire des trois caractères de façon à ce qu’un lecteur ordinaire puisse les prononcer, j’écrirais Tchi Pou Lou. J’ai toujours trouvé que le système de romanisation de l’Ecole Française d’Extrême Orient était beaucoup plus facile à lire que le pinyin. Hélas, il est devenu obsolète. 

J’arrive devant un groupe d’immeubles gigantesques – c’est-à-dire ordinaires pour Shanghaï ! - et je me lance à l’aventure, étage par étage ; il y a également des sortes de sas qui permettent de passer d’un immeuble à l’autre sans aller dehors. Je suis aux anges ! Euphorique ! Je retrouve toutes mes anciennes habitudes, tant et si bien qu’un seul coup d’œil me suffit pour juger de l’intérêt d’une boutique. 

Ce que je cherche, ce sont des vêtements de style chinois, mais modernisés parce que je n’ai jamais aimé les traditionnels Qipao, ces robes ultra moulantes et « collet monté ». J’étouffe là-dedans ! Ah ! En voilà une qui me plait. J’entre et fais la connaissance de Buli, une jolie jeune femme très agréable. Elle me laisse tripoter toutes les robes qui me plaisent. J’en choisis deux que je lui achète. Et non contente de me faire un bon prix, elle me donne son WeChat. Nous pourrons ainsi garder le contact et même correspondre !

Mais le shopping, c’est fatigant. De plus, je suis très loin de mon hôtel. Enfin, ce soir, je dois avoir de la visite. Aussi, ne traînons pas ! Une fois de retour, j’essaie mes robes, mais elles sont trop grandes. Je me vois toujours plus grosse que je ne le suis. Peut-être pourrais-je les faire rétrécir ? En attendant, j’en mets une à ma taille et descends dans le hall pour attendre mes visiteurs.


 Wang et Li, de Souzhou. Les amateurs d'essence de rose.

Quel charmant petit couple ! Le garçon s’appelle Wang et son amie, Li. Ce sont des amis de Victoria. Ils viennent de Suzhou, la capitale de la soie, ville proche de Shanghaï. Ils ont pris le train pour me rencontrer parce que Li est une passionnée de roses et surtout d’essence de roses. Elle souhaiterait en acheter pour préparer des remèdes avec. Je lui apporte deux mini flacons, qui je lui offre, accompagnés de la feuille des tarifs. Elle est très excitée et me bombarde de questions techniques. C’est un véritable feu d’artifice ! Wang, lui, a faim. En effet, ils n’ont pas eu le temps de dîner à cause des horaires du train. Il commande une assiette de pain. Oui ! C’est la seule chose qu’il soit en mesure de payer dans cet hôtel. Je propose que nous sortions pour aller manger tout près dans un petit restau, mais Li ne veut rien entendre car cela abrégerait la conversation. Enfin, nous passons un moment charmant. Ils m’offrent une merveilleuse étole en soie présentée dans une splendide boite cadeau. Très touchée, je les remercie bien sincèrement, tout en craignant qu’ils n’aient fait des frais excessifs. Mais je suppose qu’ils considèrent qu’il s’agit d’un investissement … Après avoir pris quelques photos souvenirs, nous nous séparons avec force embrassades.

Mardi 25 octobre.
Je me sens de plus en plus chez moi !

C’est l’humeur conquérante que je descends au 5° étage boire mon thé du matin. J’en remonte d’excellente humeur et me mets à appeler quelques-uns de mes correspondants de par ce vaste monde. A Washington, c’est l’heure de se coucher. Je n’insiste pas, et laisse le Professeur Sorenson rejoindre les doux bras de Morphée. C’est un grand dormeur ! J’envoie alors un message à Alice qui est maintenant à Taipei. Nous passons ensemble un long moment en vidéophone. Il me semble qu’elle est dans une voiture grise, à l’arrêt – sait-elle conduire ? Est-ce sa voiture ? – et manifestement, elle en a gros sur le cœur. Elle pleure comme une fontaine. Les larmes coulent sans interruption, grosses comme des pois, sur ses joues pâlies, et elle a des cernes sous les yeux. Follement amoureuse de ce  brave Edouard qui, décidément, semble être un « bourreau des cœurs », elle est très malheureuse. Mais à quoi pense-t-elle ? Il ne divorcera pas. Il arrive que les hommes dans une telle situation, finissent, de guerre lasse, par promettre de divorcer. Mais ils ne le font jamais. De plus, le fait qu’il ait deux garçons jumeaux me semble rendre la chose totalement impossible. Ce qui explique d’ailleurs la négligence de Valentine. Elle devrait pourtant se méfier, à mon avis …

Je me sens vieille. Mais dans le bon sens du terme. Dans le sens informée, détachée, sereine. Je ne suis plus impliquée dans des histoires sentimentales. Mais je peux me souvenir … C’est toujours sur soi-même que l’on pleure, car il faut aimer comme Dieu ou les anges, pour pleurer sur les malheurs des autres. On s’attendrit sur son propre sort, sur le fait d’être insuffisamment apprécié, mal compris, et surtout, mal aimé. On pleure sur ses propres échecs. Sur sa solitude. Bref, cela se résume toujours par : « Pauvre Cher Moi » … Alors que le véritable amour fait disparaître le Moi. Mais c’est un idéal aussi difficile à atteindre que la « Joie Parfaite » selon Saint François d’Assise. Donner sans rien recevoir en échange est presque impossible à l’homme. L’être aimé est toujours le miroir dans lequel on cherche à voir une image de soi flatteuse et valorisante. Et puis, valeurs et conventions sociales s’en mêlent …
Pauvre Alice. Je suis désolée de la voir pleurer. Elle est si jeune … Mais, que puis-je pour elle, sinon lui souhaiter une belle rencontre qui lui mettrait du baume au cœur ?

C’est la vie ! Je ne vais pas me laisser attrister et je descends prendre un taxi pour retourner à Qipulu où je fais retoucher une des robes trop grandes en moins de deux minutes, et pour la modique somme de 10 RMB – ce qui équivaut à un euro trente – Puis j’achète tout ce que Victoria m’a demandé de lui rapporter, ainsi que quelques articles supplémentaires que je pourrai offrir à mes amies. Ravie, je rentre au Merry Hotel me faire une beauté, car ce soir, je suis invitée à dîner chez l’ancienne collaboratrice de Victoria. Après tant d’années passées à travailler côte à côte, elles sont devenues amies intimes. Ce soir, je vais être reçue à la maison, comme un membre de la famille. C’est un grand privilège, et j’en suis bien consciente. En effet, en Chine, on ne reçoit jamais chez soi, mais toujours au restaurant. J’y vois plusieurs raisons. Les appartements sont beaucoup trop petits et encombrés pour pouvoir recevoir, certes ! Mais cela permet également de préserver son intimité, voire de tenir la famille à l’écart de ses affaires …

Au cours de ma vie en Chine, il est arrivé plusieurs fois que je sois reçue dans la famille. J’y repense souvent avec attendrissement. Surtout lorsque mes souvenirs de quelques sorties à la campagne se rappellent à moi. 
 
Une fois, c’était dans la Province de Pékin, au pied de la Grande Muraille, mais loin des sentiers battus. Alors que mon mari et moi passions dans un petit village hors de tout circuit touristique, nous avions rencontré une jeune femme délicieuse. Elle avait les joues roses et un sourire d’enfant. Avec une totale spontanéité, elle nous avait invités à venir boire une tasse de thé chez elle, parce qu’il faisait très froid à cause du vent du Gobi qui soufflait dur. Elle habitait une minuscule maisonnette. Une pièce à l’entrée et une autre à droite, avec le lit pour unique meuble. Les carreaux étaient renforcés par du papier journal, ce qui servait d’isolation. Un tout petit réchaud avec une bouilloire, un tabouret bas, des pommes dans un carton à terre. D’une boite en fer, elle avait sorti une petite pincée de feuilles de thé, pour nous, les hôtes étrangers de passage. C’était très généreux car le thé coûte fort cher. Après nous avoir expliqué que son mari était ouvrier sur les chantiers de Pékin, elle nous avait raconté les aventures que vivaient les villageois à cause de leurs cochons ! En effet, chaque famille élevait un cochon. Mais ceux du village d’à côté venaient nuitamment voler le plus gras dès qu’ils en avaient l’occasion. Pour leur couper l’herbe sous le pied – si je puis dire – les villageois avaient décidé, d’un commun accord, de tuer les cochons les uns après les autres, chaque fois qu’ils devenaient assez gras. Puis, ils se partageaient la viande.
Riant d’excitation, elle conclut en disant : « Mon mari travaille dur. Il m’envoie de l’argent. Et j’en ai économisé assez pour acheter deux porcelets. Je m’en occupe, ils profitent bien ! »
« Ah ! » lui-dis-je « Et où sont-ils ? »
« Viens voir ! » et de m’emmener derrière la maisonnette. Il y avait là un petit abri le long du mur, juste sous la fenêtre de sa chambre, avec deux porcelets d’assez belle taille, tout roses – car elle les lavait au jet d’eau !
« Tu comprends, là, si les voleurs viennent, je les entendrai …. »
Il est vrai que les cochons peuvent crier très fort !
Nous l’avions surnommée Rosie.
Je ne l’ai jamais oubliée.

Une autre fois, dans la Province du Shandong, nous avions été invités à la ferme, chez des cousins de la famille de mon meilleur étudiant. D’ailleurs, je les considère comme ma famille chinoise.
Après avoir visité le village, les champs, et congratulé tous les voisins et amis, j’avais passé un bon moment sur le kang – le lit traditionnel de la Chine du nord, bâti en briques, et sous lequel on entretient un petit feu pour avoir chaud quand on est couché dessus. C’est que l’on m’avait chargée de tenir compagnie à l’arrière- grand-mère, pendant que toute la famille confectionnait des jaozi pour le déjeuner. En effet, quand elle avait été avertie que l’on recevait un couple d’étrangers, avait demandé à me voir. La cousine qui lui servait de dame de compagnie m’avait donc transmis sa demande très cérémonieusement, prise par la main, et présentée dans les règles. Elle me faisait grand honneur, car, en Chine, les personnes âgées sont les plus respectées.

J’ai eu l’heur de lui plaire. Au premier coup d’œil, et beaucoup !
Dans sa prime jeunesse, elle avait eu les pieds bandés, et elle n’avait jamais appris à parler mandarin. Mais nous nous comprenions très bien ! D’un petit signe, elle m’avait signifié de monter sur le kang avec elle, puis elle s’était enhardie à toucher mes vêtements et même mes mains. Bien entendu, elle regardait mes cheveux « jaunes » - l’adjectif « blond » n’existant pas en chinois, et pour cause ! – avec beaucoup de curiosité. Dans l’après-midi, on l’avait aidée à passer une belle veste et nous avions posé toutes des deux pour la photo-souvenir. Elle avait alors cessé ses petits rires de gamine pour adopter la pose très hiératique convenable à l’ancêtre de la famille !


L’arrière-grand-mère Bu – Shandong 2004
Et la poule familière qui m’avait suivie toute la journée !
C’est ma famille chinoise

Mais ce soir, je suis à Shanghaï, une des plus grandes villes de cette planète, et je dois aller dîner dans une famille que je ne connais pas encore. Je mets une des jolies robes achetées ici même - tissu gaufré prune foncée, rebrodé de fleurs de magnolia - et je descends vers 18 heures pour attendre un taxi. Comme le dîner est prévu à 18h30, je pense que ce sera suffisant. L’adresse ne me dit absolument rien et personne ne m’a donné d’instructions. Il fait déjà nuit-noire. Aucun taxi ne veut me prendre. L’adresse semble les faire fuir. Je regarde très attentivement et comprends qu’il s’agit de Pudong, c’est-à-dire la ville nouvelle, à l’est de la rivière Huangpu. J’attends 35 minutes. Prête à renoncer, je téléphone à Lu Xu, l’amie de Victoria. Mais à sa voix, je la sens au bord des larmes tellement elle serait déçue si je ne venais pas …

Enfin, une grosse Volkswagen s’arrête, je m’engouffre dedans au plus vite et rappelle Lu Xu pour lui dire que je suis en route. Mais quelle route ! Ca n’en finit pas. Le chauffeur, un drôle de type qui parle d’une voix haut perchée d’eunuque, n’arrête pas de me dire qu’il a faim, qu’il n’a pas encore eu le temps de dîner, et qu’il veut manger du poulet ! Et moi ? Est-ce que j’aime le poulet ? Il me trouve belle et je lui plais vraiment ... Il se propose de me faire visiter la ville et les restaurants, car il en connait beaucoup, et nous pourrions ensuite nous divertir …
Pendant qu’il divague, moi je pense :
« C’est ça ! Tu peux toujours rêver ! Tu ferais mieux d’accélérer un peu … »

Lorsque nous arrivons, je comprends pourquoi il nous a fallu rouler pendant 1h40. L’immeuble où habite la famille de Lu Xu est situé à la limite de la zone urbanisée, c’est-à-dire très loin, sur d’anciennes terres agricoles qui sont maintenant d’immenses chantiers de constructions. Quelques terrains vagues, quelques champs, et des groupes d’immeubles bas, de quatre ou cinq étages seulement. Lu Xu m’attend à l’entrée du sien, toute frémissante. C’est une petite, très petite femme, hyper mignonne, et qui ne chausse que du 34 ! Pour la première fois de ma vie, je suis battue ! En effet, je chausse du 36 et taille du 34-36. Donc, la plupart du temps, c’est moi qui ai la plus petite taille. Nous nous embrassons et elle monte prestement l’escalier. Je la suis, ravie.

La porte de l’appartement s’ouvre sur le living-room-cuisine, brillamment éclairé d’ampoules à lumière blanche – des led, certainement. Rayonnante, elle me présente la famille. Son mari, jeune monsieur de haute taille, l’air intelligent et très à l’aise. Ses deux enfants, un garçonnet et une petite mignonne d’environ 3 ans. Et ses parents. Comme ils sont sympathiques ! Comme ils me plaisent ! Nous nous regardons en riant d’aise tellement nous nous plaisons ! Ils sont de petite taille et ils ont le teint hâlé, la bonté est peinte sur leurs visages. Le monsieur veille sur les enfants et la dame fait la cuisine. Ils occupent une des deux chambres de l’appartement, avec le petit gars. Lu Xu, son époux et la mignonne dorment dans l’autre chambre, qui est légèrement plus grande. Derrière la cuisine, il y a un débarras d’assez belle taille. Voilà, j’ai visité l’appartement !



Les parents originaires de la campagne

Nous prenons place à table. Il est temps. En Chine, l’heure du dîner, c’est 18h. Je suis affreusement en retard, mais toute la famille m’a attendue. La maman met les plats sur la table et le mari sort des boissons, différentes pour chacun. C’est une des choses que je trouve très agréable en Chine : chacun boit et mange ce qu’il veut, mais on le fait tous ensemble. Il me donne une petite boite de Harbin pijiu – de la bière de Harbin. Je connais, très léger et excellente. Dommage qu’elle n’ait pas été rafraîchie, mais je suis contente. Le mari préside à un bout de la petite table. Je suis assise à sa gauche, le dos à la porte d’entrée. Ils ne font pas de protocole ! Lu Xu est à ma gauche, son père en face d’elle et sa maman en face de moi. En Chine, on ne sépare pas les couples. Mais on ne met pas non plus les invités dos à la porte. C’est amusant !
Les enfants sont par terre et grignotent en jouant. Ils sont déjà en pyjama.

A voir les petits plats, je devine que la maman a cuisiné pendant un bon bout de temps. Elle dispose en rond toutes les assiettes creuses qui servent de plats. Devant moi, un poisson en sauce ; puis une omelette roulée, farcie de hachis de porc et coupée en rondelles – c’est très joli ! Une assiette de salade sautée ; des concombres sautés à l’ail ; une ronde de crevettes décortiquées ; un plat de ces champignons noirs que j’adore ; quelque chose de foncé que je ne peux pas identifier ; enfin, un ragoût de porc à la sauce de soja, fondant et succulent, trône en plein milieu. Cela fait huit plats. Huit, dans la symbolique des chiffres, c’est le meilleur ! Fortune, prospérité, bonheur … J’apprécie en connaisseur !

La conversation va bon train. Nous parlons tous ensemble, de mille choses. De nourriture – pour commencer – comme bien souvent en France. Puis, des villes de Chine où j’ai vécu, et de la France où ils sont allés une fois. Enfin, de Victoria, et de moi. Lu Xu se livre à une petite comparaison :
« Victoria est très intelligente et très douée pour l’organisation et le business. Mais toi, tu es tellement différente … Toi, tu es … romantique ! »
Je me mets à rire, mais je ne suis pas sûre que ce soit un compliment, surtout dans la bouche d’une chinoise. C’est un peu comme lorsque l’on dit, en France :
« Un tel est très sympathique, mais … c’est un poète ! » Autrement dit, il n’a pas les pieds sur la terre.
Lu Xu me trouve « romantique » parce que j’éprouve des sentiments. Or, je ne crois pas que les chinois soient comme moi. Pour eux, le pratique prime sur l’esthétique. Le pragmatique l’emporte sur toute autre considération. Et l’argent est le dieu universellement adoré. Mes valeurs personnelles sont la Connaissance, l’Esthétique et l’Amitié.
Evidemment, je suis « romantique » !
Nous bavardons, plaisantons et rions beaucoup. Comme par miracle, je parle mandarin avec aisance et je me prends même à faire des blagues ! C’est sûrement parce que je me sens merveilleusement bien en compagnie de cette famille. 

                                                Lu Xu et moi....Quelle belle rencontre !


Mais il se fait tard. Demain matin, les enfants vont à l’école et les parents travaillent. Photos-souvenirs. Embrassades. Lu Xu et son mari me guident vers le parking souterrain de leur immeuble, et me raccompagnent en voiture au Merry Hotel.
Cette fois, la circulation est très fluide et on peut rouler vite. Nous traversons la rivière Huangpu en passant sur le Lupu Bridge. C’est un pont récent, très joli, surtout le soir. En effet, la partie supérieure est entièrement équipée de néons qui changent de couleurs au fur et à mesure que l’on avance. C’est surréaliste ! Très « kitsch » mais j’adore !

Au cours de ce trajet, nous ne parlons plus. Je réfléchis. Jamais je n’ai « vécu » en famille, comme ces gens-là. Jamais je n’ai tout partagé avec mes proches, raconté, échangé, vécu de façon si intime avec d’autres êtres humains. J’en serais radicalement incapable. En effet, j’ai tellement l’habitude de vivre seule que c’est devenu une seconde nature. Quand je prends des photos, c’est pour me souvenir de ce que j’ai vécu et des belles rencontres que j’ai faites, mais pas pour rapporter à la famille. Je n’en ai pas. Si je veux partager quelques clichés, je les poste sur Facebook parce que je n’ai personne à qui les montrer.
Toutefois, lorsqu’une occasion comme celle de ce soir se présente, j’apprécie beaucoup et me sens très à l’aise. D’autant plus que je sais que, le moment venu, je rentre « chez moi » – quel que soit ce chez moi.