vendredi 26 octobre 2018

"Shanghaï ... Me voilà !" - 3 - Samedi 22 octobre 2016 -




Samedi 22 octobre,
Première journée complète à Shanghaï  depuis bien des années.

Alors qu’hier soir je ne pouvais pas du tout dormir, ce matin, je ne pouvais pas davantage me réveiller ! C’est souvent comme ça. J’avais fini par mettre des boules Quiès afin de ne pas entendre le ronflement de la climatisation à laquelle je ne suis plus habituée, si fait que je n’ai pas non plus entendu mon réveil sonner ! Enfin, après avoir passé à la hâte la première robe venue, je suis descendue au 5° étage, où se trouve la salle de restaurant, pour prendre un petit déjeuner. Mais comme je n’ai pas l’habitude de manger le matin, je me suis contentée de thé au lait et de quelques morceaux de fruits rafraîchis.

On s’assoit comme on peut, là où il y a une place de libre. C’est pourquoi, au bout d’un petit moment, une fille vient prendre place en face de moi. Chinoise. Hélas, non seulement elle n’est pas jolie de visage, mais elle est affligée d’un notable surpoids. Or, après avoir rempli plusieurs assiettes au buffet, elle se met à manger avec une voracité de bête sauvage ! Puis, elle termine son énorme bol de soupe de riz épaisse, en se bourrant le tout dans la bouche à grands coups de baguettes, comme je le voyais faire autrefois à Tamsui par les ouvriers en bâtiment qui déjeunaient près du campus de mon université ! Je suppose qu’elle est venue de province à Shanghaï – où elle n’a pas de famille, ce qui explique qu’elle se loge à l’hôtel - et, afin d’économiser le prix d’un déjeuner de midi, elle engloutit tout ce qu’elle peut le matin, puisque le gargantuesque buffet est inclus dans le tarif. Et je me demande pour quel genre d’affaire une fille comme elle peut venir ici …

Comme aujourd’hui Edouard est occupé, je remonte dans ma chambre et je prends tout mon temps pour m’installer comme chez moi. Je mets mon imperméable et mes robes dans la penderie, et dispose agréablement toutes mes petites affaires sur le beau bureau placé près de la baie vitrée. C’est que, si cette chambre est grande et très belle, les éclairages sont terriblement parcimonieux. Hier soir, je n’y voyais rien. Ce matin, c’est beaucoup mieux. Je regarde dehors : il pleut toujours, le ciel est uniformément gris, et les sommets des tours disparaissent dans la brume. Cela veut dire que le typhon est en train de passer sur Hong-Kong. Nous n’avons que les pluies résiduelles et il fera beau la semaine prochaine. 

La première chose à faire, c’est de me procurer une carte de la ville, dont la présentation comporterait quelques mots d’anglais. Je sais que le Merry Hotel est en plein centre, mais une ville de 25 millions d’habitants, c’est … un peu grand ! Quand on y pense, c’est impressionnant. L’agglomération  compte 70 millions d’habitants. C’est-à-dire autant que toute la population de la France. Shanghaï est la première ville de Chine, avant Pékin – qui ne compte que 22 millions d’âmes – et Canton, un village de seulement 13 millions d’êtres humains, mais dont l’agglomération atteint tout de même les 50 millions … Eh ! Oui ! Je suis en Chine ! Je me souviens qu’en 2003, arrivant de Pékin, je trouvais Qing Dao – 7,5 millions – une ville de taille bien modeste. Mais quand je m’étais installée à Zhu-Hai six ans plus tard, je considérais vraiment que j’étais arrivée à la campagne car il n’y avait que 1,5 million d’habitants. D’ailleurs, la ville brillait de propreté, l’air était pur, il y avait de splendides papillons, et la nuit, on voyait les étoiles ! Ah ! Zhu-Hai …. C’était le paradis …
Certes. Mais aujourd’hui, je suis à Shanghaï.

Une fois mes affaires bien en ordre, je descends à la Réception et, après échanges d’amabilités, on me donne un plan bilingue chinois-anglais. Je suis très contente. D’un coup d’œil je situe le Merry Hotel et m’aperçois qu’il y a des choses intéressantes à voir dans ce quartier. C’est décidé. Une fille comme moi, qui roule en Cadillac, ne peut prendre le métro ! Mais il n’est pas déshonorant de marcher à pied. J’ai justement d’excellents petits bottillons de velours noir, très confortables ! Et je décide de partir en exploration, malgré la pluie.


C’est une petite pluie fine et tiède, persistante et bien mouillante, régulière et éprouvante à la longue. Parfois, un coup de vent amène un nuage plus sombre que les autres, et il déverse soudain une forte averse sur la grande ville. Puis, la bruine serrée reprend, les gouttes s’infiltrent partout, et finalement l’imperméable ne sert pas à grand-chose. D’autant moins que, la température est élevée et que la marche m’échauffe. J’en arrive vite à transpirer et ruisseler de partout. Mon imperméable, complètement imbibé, est de plus en plus lourd ; mes bottillons prennent l’eau de toutes parts ; quant à mes cheveux, c’est le désastre ! Ils sont tout bouclés, frisés, moussants … Les mèches s’échappent de partout pour vivre leur vie en toute indépendance. Bref, c’est l’horreur pour les chinois. Mais moi, je m’en moque !

Après avoir passé plusieurs heures en exploration, je vais me reposer dans un délicieux petit jardin situé entre Yanan Road et Nanjin Road West. Mon hôtel est tout près, au 396 Yanan Road West. C’est une énorme avenue, qui ne compte pas moins de quatre voies de chaque côté, mais on pourrait dire huit, parce qu’elle est double : il y a l’avenue inférieure et l’avenue supérieure. Cette dernière est plutôt comparable à une voie rapide pour trajets longues distances, car elle n’offre que peu de sorties, et exclusivement pour d’énormes artères. C’est également la route la plus directe pour gagner l’Aéroport International de Pudong. 


Voici une vue du plus grand échangeur, au beau milieu de la ville de Shanghaï. Il s’agit du croisement de Yanan Road, qui va d’ouest en est, avec l’autoroute qui traverse la conurbation du nord au sud. J’ai pris cette photo alors que mon taxi roulait sur l’autoroute inférieure, c’est pourquoi on voit le dessous des autoroutes sur pilotis de béton.  Les plantations, tant en bordures de l’autoroute supérieure qu’aux pieds des piliers m’ont tout de suite semblé remarquables. Dans quelques années, vu le climat, cela ressemblera aux nœuds routiers de la ville de Singapour, qui m’avaient tant émerveillée lorsque je les avais vus pour la première fois, parce qu’ils croulaient tous les fleurs !  

Il va sans dire qu’il n’est pas simple de traverser de telles avenues. Cela ne peut se faire qu’aux grands carrefours où il y a des quantités de feux rouges, verts, jaunes, pour les voitures, pour les piétons, pour les signaux spéciaux … La tête m’en tourne ! Mais, de très loin en très loin, il y a des passerelles pour les piétons. Elles sont magnifiques. On monte un bel escalier fort large, pour arriver sur ce qui ressemble à une rue piétonne suspendue, dont le sol, rouge, est fait d’un matériau antiglisse. Cette rue est bordée des deux côtés d’immenses jardinières dégoulinant de fleurs multicolores et de bougainvilliers rouges. Une fois arrivé au bout, on peut soit descendre, soit continuer tout autour du gigantesque carrefour. Delà, on a une vue superbe ! Je m’arrête pour admirer les voitures qui patientent aux feux rouges. On se croirait – comme autrefois à Singapour – entré dans un magazine de voitures de luxe. Je suis aux anges ! Je flotte sur un petit nuage tout constellé de logos de Maserati, Lamborghini, Bentley, Tesla et bien entendu, BMW !  Par chance, un léger vent chasse la bruine pendant quelques minutes. Vite, je sors mon Smartphone et filme la circulation.

Puis je me retourne pour admirer les environs. Cette passerelle étant fort élevée, la vue est excellente. Les gratte-ciels sont si hauts que les nuages y restent accrochés. C’est merveilleux ! Mais un peu plus bas, la pluie a lavé tout le décor, et les immeubles, rues, voitures et jardins brillent de propreté. Je remarque d’ailleurs que tout est très propre et très fleuri, que je respire de l’air excellent et non pollué, et qu’aucune mauvaise odeur ne m’a encore désagréablement chatouillé les narines. Ce n’était point le cas autrefois à Taïwan, ni même, beaucoup plus récemment, à Pékin, lorsque j’y demeurais. L’hiver, lorsque la pollution stagnait, après moins d’une heure dehors, j’étais obligée de me laver les cheveux et le visage à grand renfort de savon spécial pour éliminer les scories noires qui venaient des sites industriels des alentours. Je crois que, depuis, ils ont été déplacés. Donc, on a dû les reconstruire ailleurs, version moderne, ce qui veut dire moins polluants. La Chine s’améliore.

Me voilà qui digresse, qui digresse … Revenons à ma passerelle pour piétons. De là-haut, j’ai une belle vue. Je remarque donc la présence d’un petit parc très verdoyant. Aussi, après avoir pris quelques photos, je quitte les hauteurs pour gagner l’entrée du jardin. La pluie, qui avait fortement diminué lorsque j’étais sur la passerelle, reprend de plus belle. Je fais quelques pas, charmée par le décor et l’ambiance. L’entrée est dallée, ainsi que tous les petits chemins. Au centre il y a un étang décoré de statues de grenouilles qui crachent de l’eau. Ces jets, ajoutés au « bruit doux de la pluie » charment les oreilles. Je m’avance. Mais …. Il y a de la musique ! J’adore les jardins sonorisés ! Autour de l’étang, des plantes splendides, ruisselantes d’eau, d’un vert émeraude éclatant, et dont j’ignore totalement les noms. Puis d’épais bosquets et enfin, d’immenses arbres aux troncs rugueux. Au détour des chemins dallés, ou à demi cachées sous les plantes géantes, quelques statues. Je trouve ce jardin enchanteur. J’en fais le tour complet, le plus doucement possible, puis je gagne une autre sortie parce que j’ai bien l’intention de visiter le Jingan Temple.

 
La cour du Jingan Temple, vue de la galerie supérieure

C’est un temple bouddhiste, situé sur la section ouest de la célèbre Rue Nankin. Il fut construit en 247. C’était donc la période de l’histoire de Chine que l’on appelle « Les Trois Royaumes », période passionnante située au 3° siècle de notre ère. A cette époque, l’Empire Han – qui s’était progressivement désagrégé – était partagé entre le Royaume de Wei, dirigé par le célèbre Caocao et son fils Caopi ; le Royaume de Shu, dont Liu Bei était le souverain, conseillé par Zhuge Liang, le stratège le plus remarquable de l’histoire de la Chine ; et le Royaume de Wu, avec  Sun Quan à sa tête. Wei s’étendait au nord du Fleuve Jaune ; Wu au sud est ; et Shu occupait le Bassin du Sichuan. Shanghaï était donc située dans le Royaume de Wu.

A l’origine, le Jingan Temple n’était qu’un modeste monastère. Mais, on raconte qu’en 313, on vit flotter sur la rivière deux statues du Bouddha. Or, elles étaient en pierre ! Emerveillés d’un tel miracle, les fidèles entreprirent de les repêcher, puis les mirent à l’honneur dans le temple. Sous la dynastie Tang, avec l’essor du bouddhisme, il fut considérablement agrandi pour accueillir davantage de moines. Mais c’est en 1008, sous la dynastie Song, qu’on lui donna son nom actuel qui signifie : « Temple de la Paix et de la Tranquillité ». Toutefois, ce havre de paix ne put échapper aux tourments de la Révolution Culturelle, au cours de laquelle il fut transformé en usine de plastiques. Mais dès 1983, on le rendit à sa vocation première et on commença des travaux de rénovation. A partir de 1998, ces travaux prirent une plus grande ampleur, à tel point qu’ils ne furent terminés qu’en 2010. Il parait que les fidèles ont fait des dons d’une importance telle que l’on a pu réaliser une statue en argent du Bouddha, d’un poids de 15 tonnes. Mais, comme les dons continuent à affluer, et qu’ils sont de plus en plus importants – reflétant en cela  l’essor économique sans précédent de la Chine – on envisage maintenant de fondre une nouvelle statue, en or cette fois, et qui  ne pèserait pas moins de deux tonnes !
Les chinois adorent le gigantisme…



Voici les statues actuelles au centre du Temple

Cette histoire de statues me semble à la fois stupide et émouvante. Ma foi ! Au Moyen Age, nous faisions de même en Europe. Nous construisions des monastères, des églises, des cathédrales ... Chacune se mettait sous le patronage de tel ou tel saint. Mais cela ne les empêchait pas d’abriter des centaines d’autres statues, exactement comme dans les temples bouddhistes. Il faut croire que c’est un besoin très profondément ancré dans l’être humain : donner de son bien pour s’attirer les faveurs célestes. On essaie de se choisir un puissant protecteur, sans vouloir pour autant vexer les autres membres du personnel céleste, au cas où, dépités, ils se fâcheraient… Toutefois, il ne m’appartient pas de juger de ces croyances auxquelles, finalement, je trouve beaucoup de charme.

Je visite donc le temple en commençant par la grande cour d’honneur. Elle est ornée d’une pagode de métal noir et d’un énorme brûle parfum, chapeauté d’un petit toit. Voilà une bien sage précaution, vu le climat de cette bonne ville de Shanghaï ! J’achète une poignée de bâtonnets d’encens à l’entrée et vais les allumer, puis, je m’incline, la tête pleine des fumées des souvenirs lointains … En effet, cela fait maintenant bien des années que je n’ai pas eu l’occasion de me trouver dans un temple bouddhiste, et je les aime beaucoup. Je me souviens encore parfaitement du très vieux temple de Tamsui. C’était dans une autre vie. J’avais pris goût à ce délicat parfum d’encens oriental, si différent de celui que l’on utilisait à l’église de mon village, les jours de fêtes …
Dans cette vaste cour, il y a plusieurs voitures et je le déplore. Mais après tout, en Chine, on n’est pas formaliste ! Je monte sur la galerie qui fait tout le tour des bâtiments et ainsi, piliers, statues, sculptures, offrandes … je peux tout regarder et admirer. Les statues en argent des deux gardiens du Temple me semblent particulièrement belles. Et je me fais photographier assise, hiératique, sur un siège près de la balustrade.




Ne sont-ils point beaux, mes fidèles gardes du corps ?
Et tant pis si vous me trouvez prétentieuse !

Après avoir vu toutes les salles et m’être bien promenée sous une pluie battante, je décide de rentrer à l’hôtel par de nouvelles rues. Vu le temps, les voitures ont allumé leurs feux de croisement et les vitrines des magasins et restaurants sont brillamment éclairées. Les gens se hâtent de traverser, dans la crainte que les feux ne durent pas assez. J’en fais autant et regagne ma belle chambre, tremplé comme un barbet. J’étale mon imperméable dégoûlinant sur le dossier d’un fauteuil, je presse mes pauvres botillons de velours, et je me précipite sous la douche bien chaude ! Puis, je relis l’histoire du temple, écrite au dos du billet d’entrée. Voici comment se termine le texte : « May the Dharma bestow auspiciousness and bliss upon all sentimental beings ! »

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