Samedi 22 octobre,
Première journée complète à Shanghaï depuis bien des années.
Alors qu’hier soir je ne
pouvais pas du tout dormir, ce matin, je ne pouvais pas davantage me
réveiller ! C’est souvent comme ça. J’avais fini par mettre des boules
Quiès afin de ne pas entendre le ronflement de la climatisation à laquelle je
ne suis plus habituée, si fait que je n’ai pas non plus entendu mon réveil
sonner ! Enfin, après avoir passé à la hâte la première robe venue, je
suis descendue au 5° étage, où se trouve la salle de restaurant, pour prendre
un petit déjeuner. Mais comme je n’ai pas l’habitude de manger le matin, je me
suis contentée de thé au lait et de quelques morceaux de fruits rafraîchis.
On s’assoit comme on peut,
là où il y a une place de libre. C’est pourquoi, au bout d’un petit moment, une
fille vient prendre place en face de moi. Chinoise. Hélas, non seulement elle
n’est pas jolie de visage, mais elle est affligée d’un notable surpoids. Or,
après avoir rempli plusieurs assiettes au buffet, elle se met à manger avec une
voracité de bête sauvage ! Puis, elle termine son énorme bol de soupe de
riz épaisse, en se bourrant le tout dans la bouche à grands coups de baguettes,
comme je le voyais faire autrefois à Tamsui par les ouvriers en bâtiment qui
déjeunaient près du campus de mon université ! Je suppose qu’elle est
venue de province à Shanghaï – où elle n’a pas de famille, ce qui explique qu’elle
se loge à l’hôtel - et, afin d’économiser le prix d’un déjeuner de midi, elle
engloutit tout ce qu’elle peut le matin, puisque le gargantuesque buffet est
inclus dans le tarif. Et je me demande pour quel genre d’affaire une fille
comme elle peut venir ici …
Comme aujourd’hui Edouard
est occupé, je remonte dans ma chambre et je prends tout mon temps pour m’installer
comme chez moi. Je mets mon imperméable et mes robes dans la penderie, et dispose
agréablement toutes mes petites affaires sur le beau bureau placé près de la
baie vitrée. C’est que, si cette chambre est grande et très belle, les
éclairages sont terriblement parcimonieux. Hier soir, je n’y voyais rien. Ce
matin, c’est beaucoup mieux. Je regarde dehors : il pleut toujours, le ciel est
uniformément gris, et les sommets des tours disparaissent dans la brume. Cela
veut dire que le typhon est en train de passer sur Hong-Kong. Nous n’avons que
les pluies résiduelles et il fera beau la semaine prochaine.
La première chose à faire,
c’est de me procurer une carte de la ville, dont la présentation comporterait
quelques mots d’anglais. Je sais que le Merry
Hotel est en plein centre, mais une ville de 25 millions d’habitants, c’est
… un peu grand ! Quand on y pense, c’est impressionnant. L’agglomération compte 70 millions d’habitants. C’est-à-dire
autant que toute la population de la France. Shanghaï est la première ville de
Chine, avant Pékin – qui ne compte que 22 millions d’âmes – et Canton, un
village de seulement 13 millions d’êtres humains, mais dont l’agglomération
atteint tout de même les 50 millions … Eh ! Oui ! Je suis en
Chine ! Je me souviens qu’en 2003, arrivant de Pékin, je trouvais Qing Dao
– 7,5 millions – une ville de taille bien modeste. Mais quand je m’étais
installée à Zhu-Hai six ans plus tard, je considérais vraiment que j’étais
arrivée à la campagne car il n’y avait que 1,5 million d’habitants. D’ailleurs,
la ville brillait de propreté, l’air était pur, il y avait de splendides
papillons, et la nuit, on voyait les étoiles ! Ah ! Zhu-Hai ….
C’était le paradis …
Certes. Mais aujourd’hui,
je suis à Shanghaï.
Une fois mes affaires bien
en ordre, je descends à la Réception et, après échanges d’amabilités, on me
donne un plan bilingue chinois-anglais. Je suis très contente. D’un coup d’œil
je situe le Merry Hotel et m’aperçois
qu’il y a des choses intéressantes à voir dans ce quartier. C’est décidé. Une
fille comme moi, qui roule en Cadillac, ne peut prendre le métro ! Mais il
n’est pas déshonorant de marcher à pied. J’ai justement d’excellents petits
bottillons de velours noir, très confortables ! Et je décide de partir en
exploration, malgré la pluie.
C’est une petite pluie fine
et tiède, persistante et bien mouillante, régulière et éprouvante à la longue.
Parfois, un coup de vent amène un nuage plus sombre que les autres, et il
déverse soudain une forte averse sur la grande ville. Puis, la bruine serrée
reprend, les gouttes s’infiltrent partout, et finalement l’imperméable ne sert
pas à grand-chose. D’autant moins que, la température est élevée et que la
marche m’échauffe. J’en arrive vite à transpirer et ruisseler de partout. Mon
imperméable, complètement imbibé, est de plus en plus lourd ; mes
bottillons prennent l’eau de toutes parts ; quant à mes cheveux, c’est le
désastre ! Ils sont tout bouclés, frisés, moussants … Les mèches
s’échappent de partout pour vivre leur vie en toute indépendance. Bref, c’est
l’horreur pour les chinois. Mais moi, je m’en moque !
Après avoir passé plusieurs
heures en exploration, je vais me reposer dans un délicieux petit jardin situé
entre Yanan Road et Nanjin Road West. Mon hôtel est tout
près, au 396 Yanan Road West. C’est
une énorme avenue, qui ne compte pas moins de quatre voies de chaque côté, mais
on pourrait dire huit, parce qu’elle est double : il y a l’avenue
inférieure et l’avenue supérieure. Cette dernière est plutôt comparable à une
voie rapide pour trajets longues distances, car elle n’offre que peu de
sorties, et exclusivement pour d’énormes artères. C’est également la route la
plus directe pour gagner l’Aéroport International de Pudong.
Voici une vue du plus grand échangeur, au beau milieu
de la ville de Shanghaï. Il s’agit du croisement de Yanan Road, qui va d’ouest en est, avec l’autoroute qui traverse la
conurbation du nord au sud. J’ai pris cette photo alors que mon taxi roulait
sur l’autoroute inférieure, c’est pourquoi on voit le dessous des autoroutes
sur pilotis de béton. Les plantations,
tant en bordures de l’autoroute supérieure qu’aux pieds des piliers m’ont tout
de suite semblé remarquables. Dans quelques années, vu le climat, cela
ressemblera aux nœuds routiers de la ville de Singapour, qui m’avaient tant
émerveillée lorsque je les avais vus pour la première fois, parce qu’ils croulaient
tous les fleurs !
Il va sans dire qu’il n’est
pas simple de traverser de telles avenues. Cela ne peut se faire qu’aux grands
carrefours où il y a des quantités de feux rouges, verts, jaunes, pour les
voitures, pour les piétons, pour les signaux spéciaux … La tête m’en
tourne ! Mais, de très loin en très loin, il y a des passerelles pour les
piétons. Elles sont magnifiques. On monte un bel escalier fort large, pour
arriver sur ce qui ressemble à une rue piétonne suspendue, dont le sol, rouge,
est fait d’un matériau antiglisse. Cette rue est bordée des deux côtés d’immenses
jardinières dégoulinant de fleurs multicolores et de bougainvilliers rouges.
Une fois arrivé au bout, on peut soit descendre, soit continuer tout autour du
gigantesque carrefour. Delà, on a une vue superbe ! Je m’arrête pour
admirer les voitures qui patientent aux feux rouges. On se croirait – comme
autrefois à Singapour – entré dans un magazine de voitures de luxe. Je suis aux
anges ! Je flotte sur un petit nuage tout constellé de logos de Maserati,
Lamborghini, Bentley, Tesla et bien entendu, BMW ! Par chance, un léger vent chasse la bruine
pendant quelques minutes. Vite, je sors mon Smartphone et filme la circulation.
Puis je me retourne pour
admirer les environs. Cette passerelle étant fort élevée, la vue est
excellente. Les gratte-ciels sont si hauts que les nuages y restent accrochés.
C’est merveilleux ! Mais un peu plus bas, la pluie a lavé tout le décor,
et les immeubles, rues, voitures et jardins brillent de propreté. Je remarque
d’ailleurs que tout est très propre et très fleuri, que je respire de l’air
excellent et non pollué, et qu’aucune mauvaise odeur ne m’a encore
désagréablement chatouillé les narines. Ce n’était point le cas autrefois à
Taïwan, ni même, beaucoup plus récemment, à Pékin, lorsque j’y demeurais. L’hiver,
lorsque la pollution stagnait, après moins d’une heure dehors, j’étais obligée
de me laver les cheveux et le visage à grand renfort de savon spécial pour
éliminer les scories noires qui venaient des sites industriels des alentours.
Je crois que, depuis, ils ont été déplacés. Donc, on a dû les reconstruire
ailleurs, version moderne, ce qui veut dire moins polluants. La Chine
s’améliore.
Me voilà qui digresse, qui
digresse … Revenons à ma passerelle pour piétons. De là-haut, j’ai une belle
vue. Je remarque donc la présence d’un petit parc très verdoyant. Aussi, après
avoir pris quelques photos, je quitte les hauteurs pour gagner l’entrée du
jardin. La pluie, qui avait fortement diminué lorsque j’étais sur la
passerelle, reprend de plus belle. Je fais quelques pas, charmée par le décor
et l’ambiance. L’entrée est dallée, ainsi que tous les petits chemins. Au
centre il y a un étang décoré de statues de grenouilles qui crachent de l’eau.
Ces jets, ajoutés au « bruit doux de la pluie » charment les
oreilles. Je m’avance. Mais …. Il y a de la musique ! J’adore les jardins
sonorisés ! Autour de l’étang, des plantes splendides, ruisselantes d’eau,
d’un vert émeraude éclatant, et dont j’ignore totalement les noms. Puis d’épais
bosquets et enfin, d’immenses arbres aux troncs rugueux. Au détour des chemins
dallés, ou à demi cachées sous les plantes géantes, quelques statues. Je trouve
ce jardin enchanteur. J’en fais le tour complet, le plus doucement possible,
puis je gagne une autre sortie parce que j’ai bien l’intention de visiter le Jingan Temple.
La cour du Jingan Temple, vue de la galerie supérieure
C’est un temple bouddhiste,
situé sur la section ouest de la célèbre Rue Nankin. Il fut construit en 247.
C’était donc la période de l’histoire de Chine que l’on appelle « Les
Trois Royaumes », période passionnante située au 3° siècle de notre ère. A
cette époque, l’Empire Han – qui s’était progressivement désagrégé – était partagé
entre le Royaume de Wei, dirigé par le célèbre Caocao et son fils Caopi ;
le Royaume de Shu, dont Liu Bei était le souverain, conseillé par Zhuge Liang,
le stratège le plus remarquable de l’histoire de la Chine ; et le Royaume de
Wu, avec Sun Quan à sa tête. Wei
s’étendait au nord du Fleuve Jaune ; Wu au sud est ; et Shu occupait
le Bassin du Sichuan. Shanghaï était donc située dans le Royaume de Wu.
A l’origine, le Jingan Temple n’était qu’un modeste
monastère. Mais, on raconte qu’en 313, on vit flotter sur la rivière deux
statues du Bouddha. Or, elles étaient en pierre ! Emerveillés d’un tel
miracle, les fidèles entreprirent de les repêcher, puis les mirent à l’honneur
dans le temple. Sous la dynastie Tang, avec l’essor du bouddhisme, il fut
considérablement agrandi pour accueillir davantage de moines. Mais c’est en
1008, sous la dynastie Song, qu’on lui donna son nom actuel qui signifie :
« Temple de la Paix et de la Tranquillité ». Toutefois, ce havre de
paix ne put échapper aux tourments de la Révolution Culturelle, au cours de
laquelle il fut transformé en usine de plastiques. Mais dès 1983, on le rendit
à sa vocation première et on commença des travaux de rénovation. A partir de
1998, ces travaux prirent une plus grande ampleur, à tel point qu’ils ne furent
terminés qu’en 2010. Il parait que les fidèles ont fait des dons d’une
importance telle que l’on a pu réaliser une statue en argent du Bouddha, d’un
poids de 15 tonnes. Mais, comme les dons continuent à affluer, et qu’ils sont
de plus en plus importants – reflétant en cela l’essor économique sans précédent de la Chine –
on envisage maintenant de fondre une nouvelle statue, en or cette fois, et
qui ne pèserait pas moins de deux
tonnes !
Les chinois adorent le
gigantisme…
Voici les
statues actuelles au centre du Temple
Cette histoire de statues
me semble à la fois stupide et émouvante. Ma foi ! Au Moyen Age, nous
faisions de même en Europe. Nous construisions des monastères, des églises, des
cathédrales ... Chacune se mettait sous le patronage de tel ou tel saint.
Mais cela ne les empêchait pas d’abriter des centaines d’autres statues,
exactement comme dans les temples bouddhistes. Il faut croire que c’est un
besoin très profondément ancré dans l’être humain : donner de son bien
pour s’attirer les faveurs célestes. On essaie de se choisir un puissant
protecteur, sans vouloir pour autant vexer les autres membres du personnel
céleste, au cas où, dépités, ils se fâcheraient… Toutefois, il ne m’appartient
pas de juger de ces croyances auxquelles, finalement, je trouve beaucoup de
charme.
Je visite donc le temple en
commençant par la grande cour d’honneur. Elle est ornée d’une pagode de métal
noir et d’un énorme brûle parfum, chapeauté d’un petit toit. Voilà une bien
sage précaution, vu le climat de cette bonne ville de Shanghaï ! J’achète
une poignée de bâtonnets d’encens à l’entrée et vais les allumer, puis, je
m’incline, la tête pleine des fumées des souvenirs lointains … En effet, cela
fait maintenant bien des années que je n’ai pas eu l’occasion de me trouver
dans un temple bouddhiste, et je les aime beaucoup. Je me souviens encore
parfaitement du très vieux temple de Tamsui. C’était dans une autre vie.
J’avais pris goût à ce délicat parfum d’encens oriental, si différent de celui
que l’on utilisait à l’église de mon village, les jours de fêtes …
Dans cette vaste cour, il y
a plusieurs voitures et je le déplore. Mais après tout, en Chine, on n’est pas
formaliste ! Je monte sur la galerie qui fait tout le tour des bâtiments
et ainsi, piliers, statues, sculptures, offrandes … je peux tout regarder et
admirer. Les statues en argent des deux gardiens du Temple me semblent
particulièrement belles. Et je me fais photographier assise, hiératique, sur un
siège près de la balustrade.
Ne sont-ils point beaux, mes fidèles gardes du
corps ?
Et tant pis si vous me trouvez prétentieuse !
Après avoir vu toutes les salles et m’être bien promenée sous
une pluie battante, je décide de rentrer à l’hôtel par de nouvelles rues. Vu le
temps, les voitures ont allumé leurs feux de croisement et les vitrines des
magasins et restaurants sont brillamment éclairées. Les gens se hâtent de
traverser, dans la crainte que les feux ne durent pas assez. J’en fais autant
et regagne ma belle chambre, tremplé comme un barbet. J’étale mon imperméable
dégoûlinant sur le dossier d’un fauteuil, je presse mes pauvres botillons de
velours, et je me précipite sous la douche bien chaude ! Puis, je relis
l’histoire du temple, écrite au dos du billet d’entrée. Voici comment se
termine le texte : « May the
Dharma bestow auspiciousness and bliss
upon all sentimental beings ! »
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