samedi 27 octobre 2018

"Shanghaï ... Me voilà !" - 4 - Dimanche 23 octobre 2016




 En ce beau dimanche 23 octobre …

… je rencontre la famille d’Edouard ! 
Et je commande plusieurs paires de lunettes...

Après une bonne nuit, je me réveille en pleine forme ! On dit bien que la pluie apaise … A peine descendue de mon lit monumental - dans lequel trois personnes de grande taille pourraient dormir côte à côte sans se gêner ! – je cours à la fenêtre pour voir s’il fait aussi sombre qu’hier. Non. Bonne surprise ! Le ciel est bleu et le soleil brille. Ravie, je descends boire du thé et, de retour dans ma chambre, je me livre aux délices du « chat » avec Alice pendant un long moment. En effet, Edouard m’a prévenue par message qu’il pouvait me recevoir aujourd’hui parce qu’il ne va pas au bureau le dimanche. Mais comme il ne peut venir en personne au Merry Hotel, il m’enverra une voiture avec chauffeur vers 11 heures. Alice et moi avons donc tout notre temps, et je passe plus d’une heure à écouter ses confidences.

Et là, je découvre qu’Alice a une liaison avec Edouard ! Pour être bien honnête, cela ne m’étonne pas outre mesure, parce que, lorsqu’ils étaient tous passés chez moi l’an dernier, je m’étais dit qu’un riche homme d’affaires voyageant à l’étranger en compagnie de deux collaboratrices jeunes et belles … cela pouvait prêter à sous-entendus. Alice est jeune et elle tombe dans tous les panneaux, tant elle est naïve. Elle voudrait que la situation entre eux soit claire, s’imaginant probablement qu’il va demander le divorce pour l’épouser, elle ! De nos jours, ce sont les femmes qui quittent leurs maris, et souvent, pour regagner leur liberté et vivre enfin une vie épanouie – non pour partir avec un autre. Un homme marié, lui, ne quitte pas son épouse si facilement, parce que c’est trop confortable, parce que les hommes sont prêts à toutes les compromissions du moment qu’ils n’ont pas de décision à prendre, et surtout quand ils sont chinois et que leur épouse leur a donné deux fils d’un coup !

Elle a beau me dire qu’elle l’aime d’amour, il me parait évident qu’elle flotte sur un petit nuage tissé d’illusions et frangé de larmes. Elle m’assure qu’il lui a dit que, tout bien considéré, il ne sait pas trop s’il aime son épouse et ses enfants. Il me semble – à moi, qui ne suis pourtant pas chinoise – qu’il ne s’agit pas pour lui de sentiments mais de « face ». Quant à elle, peut-être ne s’en rend-elle pas compte, mais elle reproduit le schéma classique de la jeune femme talentueuse, qui tombe amoureuse de son employeur riche et influent. Qu’il ne soit pas bien assuré de la profondeur de ses sentiments envers son épouse, ça, je veux bien le croire ! Il a été obligé de l’épouser puisqu’elle lui avait fait du chantage au suicide. Mais le fait qu’elle ait eu des jumeaux, et deux garçons d’un coup, la met définitivement en position de force. Edouard fera son devoir, ne divorcera pas, et offrira à ses fils tout ce qu’il pensera être le mieux pour eux.

J’écoute Alice, mais je ne fais aucun commentaire car elle semble souffrir réellement. Puis, je lui demande où elle est, et si nous ne pourrions pas nous rencontrer. Elle me répond qu’elle a une chambre à Wulumuqi Lou et je sais que cette rue est tout près de mon hôtel. Mais elle ajoute qu’elle doit reprendre l’avion pour Taïwan en fin d’après-midi.

« Si tu veux, on peut déjeuner ensemble ? » propose-t-elle.  
« Impossible, hélas. Edouard et son épouse m’ont justement invitée pour ce midi … » « Ah ! Ah ! –fait-elle – C’est pour cela qu’il ne m’a pas invitée, moi ! »  
Nous sommes bien obligées de remettre notre rencontre sine die, mais il nous reste WeChat pour communiquer chaque fois que nous en avons l’envie et le loisir.
C'est le bon côté des réseaux sociaux ! 


                              Scène de rue dans le quartier français, non loin de mon hôtel ...

Quelques minutes avant 11 heures, je descends guetter mon chauffeur à l’entrée de l’hôtel. Le portier est un monsieur d’un certain âge. Il s’empresse quand il me voit, rectifie la position, rajuste sa casquette d’uniforme, et me salue bien bas. Et lorsqu’arrive une superbe BMW, il se précipite pour m’ouvrir la portière. Je m’installe à l’arrière et me laisse conduire jusqu’à l’entrée de la résidence d’Edouard. Il m’attend à la grille, smartphone en main !

Cette résidence est tout à fait remarquable, du moins pour les étrangers. Mais moi, je ne me considère pas vraiment comme une étrangère en Chine, c’est pourquoi je ne suis pas étonnée. Toutefois, je suppose que pour tout autre personne, surtout arrivant à Shanghaï pour la première fois de sa vie, ce serait le choc ! En voici un petit aperçu. Elle est de forme ovale, et compte plusieurs dizaines d’immeubles qui me semblent avoir quatre appartements à chaque étage, et une trentaine d’étages chacun. Au centre, quelques arbres et des buissons verts, ainsi qu’un bâtiment rond dont j’ignore l’utilité. Les voitures sont garées tout autour, à des places attitrées et numérotées. C’est calme, car les immeubles servent de murs anti-bruit, en quelque sorte, ce qui atténue la rumeur de la grande ville.


                                        Une résidence privée "chic" au centre de Shanghaï


Il y a des digicodes, des portes blindées, des grilles près des ascenseurs … on fait très attention à la sécurité ! Nous arrivons à l’appartement d’Edouard, situé à mi-hauteur des immeubles. Il ouvre la porte et je me déchausse. D’ailleurs, l’entrée est encombrée de chaussures et de chaussons de toutes tailles. J’aime et apprécie beaucoup cette coutume orientale qui consiste à ôter ses chaussures en entrant quelque part. Je la pratique chez moi et demande à mes hôtes d’en faire autant lorsqu’ils doivent monter à l’étage. Sinon, les français conservent leurs chaussures toujours et partout. Ce qui, pour l’ « asiate » que je suis, est – de toute évidence – un signe de barbarie …

Le couloir est assez long. A gauche, une belle cuisine, au fond, un grand living-room qui occupe la largeur du bâtiment, et derrière, deux chambres ayant chacune une salle de bain attenante. Au fond du salon, un très beau balcon qui surplombe le charmant jardin environnant un kindergarden. Parquet clair au sol et murs blancs. Cela pourrait être absolument superbe ! Hélas ! Les énormes fauteuils bruns du salon et les nombreux lits gâchent totalement les lieux. Partout des cartons ouverts, des jouets, des vêtements d’enfants … Ce bel appartement a été transformé en nursery.

A la cuisine, on se bouscule. J’y rencontre Valentine, l’épouse d’Edouard, sa mère et une autre dame, joviales et charmantes. Elles sont occupées à préparer des montagnes de nourriture ! Il y a aussi les deux nounous, car il en faut une pour chaque bébé. Elles sont jeunes et mignonnes, et se promènent en pyjamas ! Toute la journée. C’est plus pratique, parait-il. L’une a un pyjama rose, et l’autre vert clair. Nous sommes en Chine et je ne m’étonne de rien. Je trouve même cela tout à fait gentil. Edouard fait les présentations, nous nous congratulons chaleureusement. Puis, il déroule la tapisserie que je lui ai offerte et me dit qu’il va la faire fixer sur le mur le plus long du salon. En attendant, il la pose sur le dossier du sofa monumental. Je doute qu’il la fasse jamais fixer parce que les chinois ne mettent rien sur leurs murs. 


                Me voilà avec les deux petits dans les bras. Ils sont vraiment très différents !
 
Alors, il me présente ses enfants et commence par Valentin, qui porte donc le même prénom que sa mère. C’est le second, mais j’ai bien l’impression qu’il est le chouchou de toute la famille, et plus particulièrement de son papa. Il faut dire qu’il est souriant et gracieux. On me le met dans les bras et nous prenons des photos. Le petit semble adorer mes cheveux ! Il s’en empare à pleines mains pour jouer avec, comme le faisait mon petit chat Kitty ! Lui, au moins, n’a pas peur de mes cheveux « jaunes » … Vient le tour de Jacques. Il est plus réservé. Il a le visage long et l’air grave. Il ne sourit pas. Mais il serait peut-être un peu excessif d’en déduire qu’il est déjà conscient d’être l’aîné ! Il me regarde, puis agrippe mon collier de sa jolie menotte … Quels gentils petits ! Ils resplendissent de bonne santé. Et, quoique jumeaux, il est très facile de les distinguer. Je suis ravie d’avoir fait leur connaissance ! Edouard déballe le cadeau que j’ai apporté de France pour eux : deux livres musicaux aux chansons différentes. Il semble enchanté, car il parait que les enfants adorent toutes les musiques.

Nous ne déjeunerons pas à l’appartement. On laisse les garçons aux bons soins des quatre femmes, je remets mes escarpins, et nous nous dirigeons vers un restaurant tout proche. Valentine, qui a enfilé des baskets, prend la tête. Edmond suit avec moi. Je l’écoute me parler de sa cousine, qui est une de ses collaboratrices et une amie chère de Victoria. Elle va venir déjeuner en notre compagnie. Mais …. Que je ne m’étonne pas de son look, car c’est une fille spéciale. Bon. D’accord.

Pendant qu’il parle, je regarde Valentine. Elle n’est pas très grande mais je suis étonnée de l’épaisseur de sa taille car, en général, les chinoises restent très minces, même après un accouchement. Or, cela date de sept mois, déjà. Elle ne porte aucun bijou. Son visage est totalement quelconque, et sans la moindre trace de maquillage. Quant à ses cheveux, ils sont coupés à la diable. Mais pis que cela, elle sort en jogging gris ! Personnellement, j’abomine ce type de vêtement. Ce n’est supportable que lorsque l’on fait du sport. J’appelle cela « un mollasson » et j’y joins même une connotation morale tout à fait déplorable. Mais je sais bien que, pour certaines choses, la tolérance ne m’étouffe pas … Quoiqu’il en soit, il me semble évident que cette fille ne fait plus aucun effort pour paraître à son avantage. Ayant épousé un homme riche, cool, et lui ayant donné deux beaux garçons, elle voit son avenir assuré. Alors, à quoi bon se mettre encore en frais ? !

Moi, je pars du principe que l’avenir n’est jamais assuré. Que la vie réserve fort souvent des surprises de taille ! Qu’il faut toujours être vigilant, faire des efforts, et soigner ce corps que nos parents nous ont offert avec la vie. Je réprouve donc à la fois les pénitences excessives pratiquées dans le passé au nom de la religion, car à mes yeux, elles ne relevaient en réalité que du sadomasochisme. Et le laisser aller, quel qu’il soit, mais plus particulièrement celui des gens qui, une fois mariés, se disent : « L’affaire est dans le sac ! Mon avenir est assuré ! ».

C’est malheureusement une réaction fréquente. Chez les hommes aussi bien que chez les femmes. A mes yeux, une preuve de manque d’intelligence. 



Nous arrivons « Chez Madame Zhu ». Ce splendide restaurant est situé au premier étage d’un bel immeuble qui accueille bureaux, agences de voyages, autres restaurants, clubs de sport …. Nous entrons dans une salle vraiment immense, très claire grâce au mur de baies vitrées qui donne sur la rue d’en bas, et merveilleusement décoré de gerbes d’orchidées blanches naturelles disposées sur bon nombre de tables. C’est une splendeur ! Les clients, très nombreux, sont tous jeunes, diplômés et très riches. C’est le gratin de la société, la nouvelle génération qui a réussi, l’élite sur laquelle reposent les considérables avancées économiques et matérielles du pays. Plus rien à voir avec ce que j’ai connu autrefois. Tout est brillant de propreté, on parle à voix feutrée, et on boit des « smoothies » à la fraise ! Chacun et chacune est équipé de plusieurs smartphones et autres gadgets électroniques qu’ils utilisent avec la parfaite aisance de cybernéticiens chevronnés. C’est le Monde Nouveau.

Nous nous asseyons. Toutes les tables sont rondes. Edouard me prend à sa droite. On laisse une place à côté de moi pour sa cousine qui n’est pas encore arrivée. Et Valentine se met à côté de son mari. Mais comme la table ronde est grande, nous sommes très à l’aise. Je pourrai ainsi parler français avec Edouard et anglais avec sa cousine.

Valentine ne parle pas de langue étrangère. Comme elle est assise en face de moi, je la regarde en souriant. Elle me rend mon sourire et je remarque qu’elle a des petites dents très courtes. Mais je me dis qu’au sens figuré, elle les a très longues ! Son visage n’offre aucun trait remarquable, mais ses mains sont si petites que l’on dirait les minuscules menottes d’une jeune enfant. Par ailleurs, je connais assez les chinoises pour me rendre compte qu’elle n’a pas beaucoup de manières, ce qui m’est confirmé par le fait que, malgré mes efforts pour lui dire quelques amabilités en chinois, elle ne fait pas la moindre tentative pour m’adresser la parole.

Ah ! Voilà la cousine ! Elle se fait appeler Ivan. De taille moyenne, coupe de cheveux hyper-courte et nuque rasée, squelettique, elle porte un Sweet blanc orné de chatons noirs, un « mollasson » et des baskets – mais ça, il est inutile de le préciser !

Edouard s’empresse de commander et on apporte des plats très beaux, très bien présentés, mais pas du tout chinois. C’est de la nouvelle cuisine de style international. Valentine mange avec appétit pendant qu’Ivan lui parle à mi-voix, la main sur la bouche – attitude typique des filles chinoises. Elle ne mange rien. Les filles boivent des smoothies à la mangue. Quant à moi, j’ai eu droit à une petite bouteille de bière et je suis contente. Edouard semble très décontracté. Il l’est, en effet. Je le connais depuis si longtemps ! Il a un tempérament calme et le sens de l’humour. Tout en conservant un œil sur l’écran de son smartphone, il me parle de sa cousine. Selon lui, elle est très brillante professionnellement. Dans sa vie privée, elle aime les filles – ça, on s’en serait douté ! Il me précise qu’elle change de partenaire comme de Sweatshirt ! Et ça le fait rire !

Tout en l’écoutant, les récentes images se bousculent dans ma tête. En pensée, je suis encore dans son appartement … Mais je ne fais aucun commentaire sur sa résidence, ni sur son épouse, ce qui serait terriblement déplacé, et d’ailleurs, je n’ai vu que la toute petite pointe de l’iceberg. Néanmoins, je ne puis m’empêcher de penser qu’un homme ne saurait vivre longtemps dans une nursery. D’autant moins qu’il est fort instruit, polyglotte, voyage et séjourne à l’étranger depuis des années, fréquente des gens importants et est à l’aise partout. Décidément, nous sommes vraiment sur la même longueur d’ondes, car il semble lire dans mes pensées, et c’est de lui-même qu’il m’avoue ne pas vivre à plein temps avec son épouse. Il a un autre logement ailleurs … Comme je le comprends !

Le repas prend fin, et je demande à aller me laver les mains. Edouard fait signe à son épouse de m’emmener parce que je ne connais pas les lieux. Celle-ci, docile, se lève et me fait signe de la suivre. Elle m’emmène dans une restroom de luxe, à l’image de cet excellent établissement. En chemin je luis dis en mandarin :

« Merci de ce que vous faites pour moi. » Ce disant, je prends bien soin d’utiliser la forme pluriel du « vous ».  
Elle me regarde … l’œil totalement vide. J’en conclus qu’elle ne sait pas que son époux m’a invitée. Puis, elle me demande :  
« Tu restes jusqu’à quand ? »  
« Une semaine. » Elle affiche une totale indifférence.  
C’est confirmé : il ne lui parle pas de ses affaires, ni de ce qu’il fait. 

                                        Un café "français" près de l'appartement d'Alice

Nous sortons et les filles déclarent vouloir faire du shopping ! Edouard appelle un taxi Uber et nous allons tous en chœur devant un centre commercial. Mais tout de suite en descendant de voiture, Valentine et Ivan se mettent à parler avec volubilité dans le dialecte de Shanghaï – que je ne risque pas de comprendre – et Edouard rit. Elles s’en vont en se donnant la main avec des attitudes d’adolescentes de 12 ans. Edouard me dit :  
« Elles veulent s’acheter des soutiens gorge et préfèrent y aller sans nous ! »  
Cela me fait bien rire aussi. Surtout que je crois tout à fait impossible que Ivan ait jamais eu besoin de ce genre d’article !

Edouard m’entraîne dans un magasin appelé « Miki Paris » et qui vend des lunettes, parce que je lui ai dit que je voulais profiter de ma semaine à Shanghaï pour m’en faire faire quelques paires. Mais cet endroit ressemble à un laboratoire pharmaceutique, tout est blanc et ripoliné, climatisé à la glace, et toutes les montures, sans exception, sont à petits carreaux rectangulaires noirs. C’est affreux ! Je veux de la fantaisie, et je veux retrouver la Chine dont j’ai l’habitude et que j’aime.

Il réfléchit et me dit qu’il faut aller en face de la Gare de Shanghaï. Il y a là un immeuble entier qui abrite des centaines d’opticiens-marchands de lunettes. Ah ! Voilà un endroit selon mon cœur ! Nous montons à l’étage et je découvre le paradis des montures. Il y a tellement de boutiques et tellement de choix que la tête nous en tourne. Mais, pas question de passer d’une boutique à l’autre pour tout regarder. Non. Je vais faire cela au feeling, comme autrefois. Et c’est ainsi que j’avise un beau magasin dont la taille et la présentation me semblent parfaites. Et quel choix ! La patronne en personne vient s’occuper de moi. C’est une belle femme, assez grande et fort élégante, à laquelle je donnerais 35 ans si je ne connaissais pas les chinois. Mais elle en a assurément dix de plus. Elle parle un peu anglais, et entre la langue de Shakespeare, celle de Molière et le Mandarin de Pékin, nous nous comprenons très bien. La belle dame s’appelle Karman. Elle me fait faire le tour complet de son magasin pour que je lui montre les montures qui me plaisent, afin de juger de mes goûts et de choisir de qui sera le plus approprié à mon visage et à mon problème visuel. Mes nouvelles montures sont donc toutes de son choix. Puis, elle me fait faire les tests de vue. Je fais cela depuis des années. Inutile que je me donne la peine d’aller voir un docteur, il n’y a pas de remède à l’usure de mes yeux. Elle me déclare que je souffre à la fois de presbytie – on m’a toujours dit que mes yeux avaient trois fois mon âge – et d’astigmatisme. Bon. Elle me prépare des lunettes d’essai avec les verres qu’elle va commander pour moi. 

Dans cette belle boutique, le choix des montures est absolument fantastique ! Les formes, les couleurs, épaisseur des branches, motifs fantaisies ou grand classique...c'est le paradis, la caverne d'Ali Baba, le summum de ce que l'on peut espérer !

Alors, je me promène dans cette galerie aux dix mille lunettes avec la grosse monture médicale sur le nez. Je regarde partout et m’exclame en n’importe quelle langue. « J’y vois ! » Je peux même lire des publicités écrites en petits caractères ! Les gens me regardent gentiment. Je me sens bien ici. Et les shanghaïens voient tellement d’étrangers – dont bon nombre sont infiniment plus « étranges » que moi – qu’ils ne font plus de commentaires. Pas comme ces sauvages du nord, à Pékin, qui me suivaient dans les centres commerciaux en me montrant du doigt et en criant : « Une étrangère ! Une américaine aux cheveux jaunes ! Venez voir ! Un long nez ! » Il est vrai que j’ai le nez pointu. Un peu comme l’avait mon père. Mais il est affreusement désagréable d’être ainsi regardé comme un animal curieux. Et c’était il y a seulement 15 ans. Je me sentais alors douloureusement assise sur un nuage noir d’incompréhension, tout ourlé d’intolérance. J’ai toujours préféré le sud.

Une fois choisis verres et montures, Edouard s’apprête à discuter le prix. Mais j’ai déjà fait mon calcul et il est plus qu’honnête – même pour la Chine. Je lui demande donc de dire à Karman que je paierai la somme qu’elle demande, mais que, si elle m’offre un bel étui, j’en serais fort aise. Ravie, elle va chercher une ravissante boite en velours mauve, douce et raffinée. Je suis comblée. 

Nous reviendrons dans une semaine.

Nouveau taxi Uber. Je descends dans mon quartier – oui, cela fait plaisir de dire « mon » quartier ! – et Edouard continue car il a un rendez-vous. Après les présentations à sa famille, le déjeuner, les essayages de lunettes et les confidences dans le taxi, j’apprécie une petite promenade dans l’ancien quartier français, sous les vieux platanes, ces « French trees » que nous avons acclimatés un peu partout en Asie. Et quand j’arrive à Wulumuqi Lou, je me demande quelle peut bien être la nature du rendez-vous de mon ami … un dimanche en fin d’après-midi … Hum … Ne s’agirait-il pas plutôt d’aller à l’aéroport ? Certes, ce n’est qu’une supposition de ma part. Mais après tout, pourquoi pas ? 

Quelle belle journée ce fut ! Je regagne mon hôtel enchantée, et en chemin, je m’achète de la bière. Je la boirai dans ma chambre-salon. Il est certes plus sympathique de descendre au bar, mais les tarifs ne sont pas pour ma bourse. Et puis, je vais réfléchir au calme et noter mes impressions. Car, si mes observations et réflexions peuvent parfois sembler cruelles – ou tout au moins, manquer d’indulgence - pour moi, elles ne le sont pas. Il s’agit seulement de la réalité, et cela n’empêche aucunement les sentiments affectueux.

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