Lundi 24 octobre, je visite les bureaux d'Edouard tout près de mon Merry Hôtel, et
Mardi 25, je vais à Pu Dong pour un dîner familial chez LuXu - une amie de Victoria - au cours duquel j'arrive non seulement à parler mais à plaisanter en chinois, comme autrefois !
Ce lundi 24 octobre, je visite les bureaux d’Edouard …
… et découvre le paradis du shopping !
Il fait beau ! Le
soleil brille, l’air est doux, le vent léger, et j’ai des ailes aux pieds. C’est
donc d’un pas guilleret que je me dirige vers le petit immeuble dans lequel
Edouard a ses bureaux. Il y a des boutiques le long des rues et je regarde tout
et tout le monde avec avidité. Ici, c’est tellement plus animé qu’en France,
vivant, joyeux, optimiste, coloré … Je me souviens des premiers mois passés à
Taipei. Je m’étonnais de bien des choses. C’est que je voyais la vie à travers
les idées reçues au cours de douze années de pension religieuse. J’étais très
jeune, totalement inexpérimentée, et je ne connaissais rien de la vie et encore
moins de la Chine. Puis, je me suis mise à observer et réfléchir. Enfin, j’ai
rencontré quelqu’un qui a pris la peine de m’expliquer les choses. Alors, j’ai
compris, apprécié et aimé les valeurs de mon nouveau pays. Ce qui m’a le plus
aidé, je crois, c’est d’avoir résolument renoncé à bon nombre d’idées reçues et
autres préjugés qui faisaient partie de mon éducation hyper-traditionnaliste.
Je me voyais embarquée sur un bateau tellement chargé qu’il ne pouvait pas
avancer. Alors, je montais dans une plus petite barque, mais elle était encore
encombrée de paquets. Après quelques hésitations, je les jetais par-dessus bord
et la barque prenait enfin de la vitesse.
La côte approchait, et j’étais heureuse …
Chine ancienne, Chine nouvelle
Devant une boutique de luxe qui vend des bouteilles de vin français,
le vieux bonhomme pousse un petit véhicule à roulettes de sa confection,
qui lui sert à récupérer des objets dont on ne veut plus.....
Ici, je me sens
parfaitement à l’aise. Un vieux bonhomme de la campagne et son épouse ont
apporté des fleurs de leur jardin et préparé des bouquets qui attendent les
clients dans des seaux d’eau alignés sur le bord du trottoir. Comme ils sont
sympathiques ! Nous nous sourions d’emblée et nous mettons à parler. Une
fois de plus, je remarque que, pour les gens simples, il est tout à fait normal
que les étrangers parlent chinois. Jamais ils ne vont s’extasier quand on
prononce quelques mots dans leur langue. C’est que, pour eux, le chinois, c’est
« la » langue universelle ! Si on prononce de travers, c’est
parce qu’on est étranger, mais du moment qu’on se comprend … J’adore les
fleurs, toutes les fleurs. Mais mes préférences vont à celles qui peuvent
pousser dans un simple jardin. J’aime
beaucoup moins les espèces rares cultivées en serres, dépourvues de parfum, et
dont les tiges sont rigides comme la justice. Aussi, je décide d’acheter deux
bouquets de minuscules roses rouges qui se présentent comme des fleurs des
champs, et dont les tiges sont liées entre elles par une petite ficelle. Puis,
je traverse le carrefour, gagne le petit immeuble blanc et monte à l’étage des
bureaux.
Je suis en avance. La jolie
jeune fille de la réception me salue et me congratule très aimablement, puis
m’emmène directement au bureau de « Monsieur T. »
« Assied toi, me
dit-elle. Il ne va pas tarder. Est-ce que tu veux boire quelque
chose ? »
« Non, merci. Mais si
tu avais un vase avec de l’eau, je pourrais arranger les roses que j’ai
apportées. Cela m’occuperait… »
Au bout d’un petit moment,
elle revient avec deux sortes de bouteilles à goulot étroit, qualifiées de
« vases ». Pas de problème, puisque j’ai deux bouquets. Je me mets en
devoir d’arranger les fleurs. Je place les vases aux meilleurs endroits. Puis
j’avise les luxueuses revues entassées sur un guéridon à côté de ma chaise. Ce
sont des photos de tous les clips tournés par la société de mon ami. Des
publicités concernant exclusivement des produits de haut luxe. Sur papier glacé
épais. Je regarde attentivement.
Enfin voilà Edouard !
Il a les traits tirés et m’avoue qu’il est bien fatigué, d’autant plus qu’il
souffre de mal au dos chronique. Nous parlons de sa santé, de son mode de vie, de
ses succès professionnels. Puis il m’emmène visiter les bureaux. C’est très
grand et l’ensemble a été décoré par Alice. Bois recyclés, matériaux modernes
ayant l’aspect de l’ancien, couleurs passées, toutes dans les gris, brun,
crème. Je me crois vraiment en promenade dans une revue de « design top
gamme » ! Naturellement, il y a des dizaines d’ordinateurs à écrans
plats qui sont tous équipés de logiciels spéciaux, des machines étranges dont
je ne comprends pas l’usage, même quand on me l’explique ! Et parfois, des
objets bizarres. Déco contemporaine ? Je remarque également que tous
les employés sont très jeunes, et semblent directement sortis des magazines de
mode les plus branchés de la planète. Ah ! Non ! C’est le
contraire ! Ceux-là ne « suivent »
pas la mode. Ils la font ! Eux ne pensent pas, comme le chantait jadis
Jacques Brel, qu’ « il est plus humiliant d’être suivi que
suivant » !
J’aperçois Ivan. Elle me
sourit et me donne un petit paquet qui contient, me dit-elle, un cadeau pour la
petite fille de son amie Victoria. Comme Edouard m’en a remis d’autres, je
bourre le tout dans le plus grand sachet et rentre à mon hôtel pour me
débarrasser de ces impedimenta.
En route pour un des gigantesques immeubles-centres-commerciaux-traditionnels !
Pour moi, le paradis du "shopping", c'est là !
Puis, je monte dans un taxi
et nous roulons résolument vers l’est.
C’est que je pars à
l’assaut d’un super ensemble de centres commerciaux spécialisés dans les
vêtements de toutes sortes, les chaussures, bijoux fantaisie et colifichets,
sacs à main et valises, et mille autres choses encore. Mais un endroit
traditionnel. Pas un grand Mall glacial, dont les boutiques, de cent mètres
carrés chacune, ne présentent que deux ou trois articles artistement disposés
sur des mannequins, et dont les vendeuses donnent l’impression d’évaluer votre
solvabilité potentielle au premier coup d’œil ! Non. Je déteste
cordialement ce genre d’endroit. Mais, dans les centres de minuscules boutiques
de quelques mètres chacune, où des monceaux d’articles sont accrochés partout
jusqu’au plafond, et dans lesquelles on est toujours bien accueilli par des
filles naturelles et guère sophistiquées, mais souriantes et gentilles, je me
sens comme un poisson dans l’eau. C’est ce genre d’endroit que j’ai toujours
fréquenté, à Taïwan, Pékin, Qing-Dao et Zhu-Hai. Et je me souviens encore du
nom de chacun de ces endroits et même de la configuration des lieux. Aussi
ai-je demandé à Victoria, qui connaît mes goûts, de m’envoyer une bonne
adresse.
L’endroit s’appelle Qipulu – en pinyin – Mais cette
romanisation des caractères chinois ne peut être prononcée correctement si l’on
n’a jamais étudié ce pinyin. Si je voulais écrire des trois caractères de façon
à ce qu’un lecteur ordinaire puisse les prononcer, j’écrirais Tchi Pou Lou. J’ai toujours trouvé que
le système de romanisation de l’Ecole Française d’Extrême Orient était beaucoup
plus facile à lire que le pinyin. Hélas, il est devenu obsolète.
J’arrive devant un groupe
d’immeubles gigantesques – c’est-à-dire ordinaires pour Shanghaï ! - et je
me lance à l’aventure, étage par étage ; il y a également des sortes de
sas qui permettent de passer d’un immeuble à l’autre sans aller dehors. Je suis
aux anges ! Euphorique ! Je retrouve toutes mes anciennes habitudes,
tant et si bien qu’un seul coup d’œil me suffit pour juger de l’intérêt d’une
boutique.
Ce que je cherche, ce sont
des vêtements de style chinois, mais modernisés parce que je n’ai jamais aimé
les traditionnels Qipao, ces robes
ultra moulantes et « collet monté ». J’étouffe là-dedans !
Ah ! En voilà une qui me plait. J’entre et fais la connaissance de Buli,
une jolie jeune femme très agréable. Elle me laisse tripoter toutes les robes
qui me plaisent. J’en choisis deux que je lui achète. Et non contente de me
faire un bon prix, elle me donne son WeChat. Nous pourrons ainsi garder le
contact et même correspondre !
Mais le shopping, c’est
fatigant. De plus, je suis très loin de mon hôtel. Enfin, ce soir, je dois
avoir de la visite. Aussi, ne traînons pas ! Une fois de retour, j’essaie
mes robes, mais elles sont trop grandes. Je me vois toujours plus grosse que je
ne le suis. Peut-être pourrais-je les faire rétrécir ? En attendant, j’en
mets une à ma taille et descends dans le hall pour attendre mes visiteurs.
Wang et Li, de Souzhou. Les amateurs d'essence de rose.
Quel charmant petit
couple ! Le garçon s’appelle Wang et son amie, Li. Ce sont des amis de
Victoria. Ils viennent de Suzhou, la capitale de la soie, ville proche de
Shanghaï. Ils ont pris le train pour me rencontrer parce que Li est une
passionnée de roses et surtout d’essence de roses. Elle souhaiterait en acheter
pour préparer des remèdes avec. Je lui apporte deux mini flacons, qui je lui
offre, accompagnés de la feuille des tarifs. Elle est très excitée et me
bombarde de questions techniques. C’est un véritable feu d’artifice !
Wang, lui, a faim. En effet, ils n’ont pas eu le temps de dîner à cause des horaires
du train. Il commande une assiette de pain. Oui ! C’est la seule chose
qu’il soit en mesure de payer dans cet hôtel. Je propose que nous sortions pour
aller manger tout près dans un petit restau, mais Li ne veut rien entendre car
cela abrégerait la conversation. Enfin, nous passons un moment charmant. Ils
m’offrent une merveilleuse étole en soie présentée dans une splendide boite
cadeau. Très touchée, je les remercie bien sincèrement, tout en craignant
qu’ils n’aient fait des frais excessifs. Mais je suppose qu’ils considèrent
qu’il s’agit d’un investissement … Après avoir pris quelques photos souvenirs,
nous nous séparons avec force embrassades.
Mardi 25 octobre.
Je me sens de plus en plus chez moi !
C’est l’humeur conquérante
que je descends au 5° étage boire mon thé du matin. J’en remonte d’excellente
humeur et me mets à appeler quelques-uns de mes correspondants de par ce vaste
monde. A Washington, c’est l’heure de se coucher. Je n’insiste pas, et laisse
le Professeur Sorenson rejoindre les doux bras de Morphée. C’est un grand
dormeur ! J’envoie alors un message à Alice qui est maintenant à Taipei.
Nous passons ensemble un long moment en vidéophone. Il me semble qu’elle est
dans une voiture grise, à l’arrêt – sait-elle conduire ? Est-ce sa voiture ?
– et manifestement, elle en a gros sur le cœur. Elle pleure comme une fontaine.
Les larmes coulent sans interruption, grosses comme des pois, sur ses joues
pâlies, et elle a des cernes sous les yeux. Follement amoureuse de ce brave Edouard qui, décidément, semble être un
« bourreau des cœurs », elle est très malheureuse. Mais à quoi
pense-t-elle ? Il ne divorcera pas. Il arrive que les hommes dans une
telle situation, finissent, de guerre lasse, par promettre de divorcer. Mais
ils ne le font jamais. De plus, le fait qu’il ait deux garçons jumeaux me
semble rendre la chose totalement impossible. Ce qui explique d’ailleurs la
négligence de Valentine. Elle devrait pourtant se méfier, à mon avis …
Je me sens vieille. Mais
dans le bon sens du terme. Dans le sens informée, détachée, sereine. Je ne
suis plus impliquée dans des histoires sentimentales. Mais je peux me souvenir
… C’est toujours sur soi-même que l’on pleure, car il faut aimer comme Dieu ou
les anges, pour pleurer sur les malheurs des autres. On s’attendrit sur son
propre sort, sur le fait d’être insuffisamment apprécié, mal compris, et
surtout, mal aimé. On pleure sur ses propres échecs. Sur sa solitude. Bref,
cela se résume toujours par : « Pauvre Cher Moi » … Alors que le
véritable amour fait disparaître le Moi. Mais c’est un idéal aussi difficile à
atteindre que la « Joie Parfaite » selon Saint François d’Assise.
Donner sans rien recevoir en échange est presque impossible à l’homme. L’être
aimé est toujours le miroir dans lequel on cherche à voir une image de soi
flatteuse et valorisante. Et puis, valeurs et conventions sociales s’en mêlent
…
Pauvre Alice. Je suis
désolée de la voir pleurer. Elle est si jeune … Mais, que puis-je pour elle,
sinon lui souhaiter une belle rencontre qui lui mettrait du baume au
cœur ?
C’est la vie ! Je ne
vais pas me laisser attrister et je descends prendre un taxi pour retourner à Qipulu où je fais retoucher une des
robes trop grandes en moins de deux minutes, et pour la modique somme de 10 RMB
– ce qui équivaut à un euro trente – Puis j’achète tout ce que Victoria m’a
demandé de lui rapporter, ainsi que quelques articles supplémentaires que je
pourrai offrir à mes amies. Ravie, je rentre au Merry Hotel me faire une beauté, car ce soir, je suis invitée à
dîner chez l’ancienne collaboratrice de Victoria. Après tant d’années passées à
travailler côte à côte, elles sont devenues amies intimes. Ce soir, je vais être
reçue à la maison, comme un membre de la famille. C’est un grand privilège, et
j’en suis bien consciente. En effet, en Chine, on ne reçoit jamais chez soi,
mais toujours au restaurant. J’y vois plusieurs raisons. Les appartements sont
beaucoup trop petits et encombrés pour pouvoir recevoir, certes ! Mais
cela permet également de préserver son intimité, voire de tenir la famille à
l’écart de ses affaires …
Au cours de ma vie en
Chine, il est arrivé plusieurs fois que je sois reçue dans la famille. J’y
repense souvent avec attendrissement. Surtout lorsque mes souvenirs de quelques
sorties à la campagne se rappellent à moi.
Une fois, c’était dans la
Province de Pékin, au pied de la Grande Muraille, mais loin des sentiers battus.
Alors que mon mari et moi passions dans un petit village hors de tout circuit
touristique, nous avions rencontré une jeune femme délicieuse. Elle avait les
joues roses et un sourire d’enfant. Avec une totale spontanéité, elle nous
avait invités à venir boire une tasse de thé chez elle, parce qu’il faisait
très froid à cause du vent du Gobi qui soufflait dur. Elle habitait une
minuscule maisonnette. Une pièce à l’entrée et une autre à droite, avec le lit
pour unique meuble. Les carreaux étaient renforcés par du papier journal, ce
qui servait d’isolation. Un tout petit réchaud avec une bouilloire, un tabouret
bas, des pommes dans un carton à terre. D’une boite en fer, elle avait sorti
une petite pincée de feuilles de thé, pour nous, les hôtes étrangers de
passage. C’était très généreux car le thé coûte fort cher. Après nous avoir
expliqué que son mari était ouvrier sur les chantiers de Pékin, elle nous avait
raconté les aventures que vivaient les villageois à cause de leurs
cochons ! En effet, chaque famille élevait un cochon. Mais ceux du village
d’à côté venaient nuitamment voler le plus gras dès qu’ils en avaient
l’occasion. Pour leur couper l’herbe sous le pied – si je puis dire – les
villageois avaient décidé, d’un commun accord, de tuer les cochons les uns après
les autres, chaque fois qu’ils devenaient assez gras. Puis, ils se partageaient
la viande.
Riant d’excitation, elle
conclut en disant : « Mon mari travaille dur. Il m’envoie de
l’argent. Et j’en ai économisé assez pour acheter deux porcelets. Je m’en occupe,
ils profitent bien ! »
« Ah ! »
lui-dis-je « Et où sont-ils ? »
« Viens
voir ! » et de m’emmener derrière la maisonnette. Il y avait là un
petit abri le long du mur, juste sous la fenêtre de sa chambre, avec deux
porcelets d’assez belle taille, tout roses – car elle les lavait au jet
d’eau !
« Tu comprends, là, si
les voleurs viennent, je les entendrai …. »
Il est vrai que les cochons
peuvent crier très fort !
Nous l’avions surnommée
Rosie.
Je ne l’ai jamais oubliée.
Une autre fois, dans la
Province du Shandong, nous avions été invités à la ferme, chez des cousins de
la famille de mon meilleur étudiant. D’ailleurs, je les considère comme ma
famille chinoise.
Après avoir visité le
village, les champs, et congratulé tous les voisins et amis, j’avais passé un
bon moment sur le kang – le lit
traditionnel de la Chine du nord, bâti en briques, et sous lequel on entretient
un petit feu pour avoir chaud quand on est couché dessus. C’est que l’on
m’avait chargée de tenir compagnie à l’arrière- grand-mère, pendant que toute
la famille confectionnait des jaozi pour
le déjeuner. En effet, quand elle avait été avertie que l’on recevait un couple
d’étrangers, avait demandé à me voir. La cousine qui lui servait de dame de
compagnie m’avait donc transmis sa demande très cérémonieusement, prise par la
main, et présentée dans les règles. Elle me faisait grand honneur, car, en
Chine, les personnes âgées sont les plus respectées.
J’ai eu l’heur de lui
plaire. Au premier coup d’œil, et beaucoup !
Dans sa prime jeunesse,
elle avait eu les pieds bandés, et elle n’avait jamais appris à parler
mandarin. Mais nous nous comprenions très bien ! D’un petit signe, elle
m’avait signifié de monter sur le kang
avec elle, puis elle s’était enhardie à toucher mes vêtements et même mes
mains. Bien entendu, elle regardait mes cheveux « jaunes » -
l’adjectif « blond » n’existant pas en chinois, et pour cause !
– avec beaucoup de curiosité. Dans l’après-midi, on l’avait aidée à passer une
belle veste et nous avions posé toutes des deux pour la photo-souvenir. Elle
avait alors cessé ses petits rires de gamine pour adopter la pose très
hiératique convenable à l’ancêtre de la famille !
L’arrière-grand-mère Bu – Shandong 2004
Et la poule familière qui m’avait suivie toute la
journée !
C’est ma famille chinoise
Mais ce soir, je suis à
Shanghaï, une des plus grandes villes de cette planète, et je dois aller dîner
dans une famille que je ne connais pas encore. Je mets une des jolies robes
achetées ici même - tissu gaufré prune foncée, rebrodé de fleurs de magnolia -
et je descends vers 18 heures pour attendre un taxi. Comme le dîner est prévu à
18h30, je pense que ce sera suffisant. L’adresse ne me dit absolument rien et
personne ne m’a donné d’instructions. Il fait déjà nuit-noire. Aucun taxi ne
veut me prendre. L’adresse semble les faire fuir. Je regarde très attentivement
et comprends qu’il s’agit de Pudong, c’est-à-dire
la ville nouvelle, à l’est de la rivière Huangpu.
J’attends 35 minutes. Prête à renoncer, je téléphone à Lu Xu, l’amie de
Victoria. Mais à sa voix, je la sens au bord des larmes tellement elle serait
déçue si je ne venais pas …
Enfin, une grosse
Volkswagen s’arrête, je m’engouffre dedans au plus vite et rappelle Lu Xu pour
lui dire que je suis en route. Mais quelle route ! Ca n’en finit pas. Le
chauffeur, un drôle de type qui parle d’une voix haut perchée d’eunuque,
n’arrête pas de me dire qu’il a faim, qu’il n’a pas encore eu le temps de
dîner, et qu’il veut manger du poulet ! Et moi ? Est-ce que j’aime le
poulet ? Il me trouve belle et je lui plais vraiment ... Il se propose de
me faire visiter la ville et les restaurants, car il en connait beaucoup, et
nous pourrions ensuite nous divertir …
Pendant qu’il divague, moi
je pense :
« C’est ça ! Tu
peux toujours rêver ! Tu ferais mieux d’accélérer un peu … »
Lorsque nous arrivons, je
comprends pourquoi il nous a fallu rouler pendant 1h40. L’immeuble où habite la
famille de Lu Xu est situé à la limite de la zone urbanisée, c’est-à-dire très
loin, sur d’anciennes terres agricoles qui sont maintenant d’immenses chantiers
de constructions. Quelques terrains vagues, quelques champs, et des groupes
d’immeubles bas, de quatre ou cinq étages seulement. Lu Xu m’attend à l’entrée
du sien, toute frémissante. C’est une petite, très petite femme, hyper
mignonne, et qui ne chausse que du 34 ! Pour la première fois de ma vie,
je suis battue ! En effet, je chausse du 36 et taille du 34-36. Donc, la
plupart du temps, c’est moi qui ai la plus petite taille. Nous nous embrassons
et elle monte prestement l’escalier. Je la suis, ravie.
La porte de l’appartement
s’ouvre sur le living-room-cuisine, brillamment éclairé d’ampoules à lumière
blanche – des led, certainement.
Rayonnante, elle me présente la famille. Son mari, jeune monsieur de haute
taille, l’air intelligent et très à l’aise. Ses deux enfants, un garçonnet et
une petite mignonne d’environ 3 ans. Et ses parents. Comme ils sont
sympathiques ! Comme ils me plaisent ! Nous nous regardons en riant
d’aise tellement nous nous plaisons ! Ils sont de petite taille et ils ont
le teint hâlé, la bonté est peinte sur leurs visages. Le monsieur veille sur
les enfants et la dame fait la cuisine. Ils occupent une des deux chambres de
l’appartement, avec le petit gars. Lu Xu, son époux et la mignonne dorment dans
l’autre chambre, qui est légèrement plus grande. Derrière la cuisine, il y a un
débarras d’assez belle taille. Voilà, j’ai visité l’appartement !
Les parents
originaires de la campagne
Nous prenons place à table.
Il est temps. En Chine, l’heure du dîner, c’est 18h. Je suis affreusement en
retard, mais toute la famille m’a attendue. La maman met les plats sur la table
et le mari sort des boissons, différentes pour chacun. C’est une des choses que
je trouve très agréable en Chine : chacun boit et mange ce qu’il veut,
mais on le fait tous ensemble. Il me donne une petite boite de Harbin pijiu – de la bière de Harbin. Je
connais, très léger et excellente. Dommage qu’elle n’ait pas été rafraîchie,
mais je suis contente. Le mari préside à un bout de la petite table. Je suis
assise à sa gauche, le dos à la porte d’entrée. Ils ne font pas de protocole !
Lu Xu est à ma gauche, son père en face d’elle et sa maman en face de moi. En
Chine, on ne sépare pas les couples. Mais on ne met pas non plus les invités
dos à la porte. C’est amusant !
Les enfants sont par terre
et grignotent en jouant. Ils sont déjà en pyjama.
A voir les petits plats, je
devine que la maman a cuisiné pendant un bon bout de temps. Elle dispose en
rond toutes les assiettes creuses qui servent de plats. Devant moi, un poisson
en sauce ; puis une omelette roulée, farcie de hachis de porc et coupée en
rondelles – c’est très joli ! Une assiette de salade sautée ; des
concombres sautés à l’ail ; une ronde de crevettes décortiquées ; un
plat de ces champignons noirs que j’adore ; quelque chose de foncé que je
ne peux pas identifier ; enfin, un ragoût de porc à la sauce de soja,
fondant et succulent, trône en plein milieu. Cela fait huit plats. Huit, dans
la symbolique des chiffres, c’est le meilleur ! Fortune, prospérité,
bonheur … J’apprécie en connaisseur !
La conversation va bon
train. Nous parlons tous ensemble, de mille choses. De nourriture – pour
commencer – comme bien souvent en France. Puis, des villes de Chine où j’ai
vécu, et de la France où ils sont allés une fois. Enfin, de Victoria, et de
moi. Lu Xu se livre à une petite comparaison :
« Victoria est très
intelligente et très douée pour l’organisation et le business. Mais toi, tu es
tellement différente … Toi, tu es … romantique ! »
Je me mets à rire, mais je
ne suis pas sûre que ce soit un compliment, surtout dans la bouche d’une
chinoise. C’est un peu comme lorsque l’on dit, en France :
« Un tel est très
sympathique, mais … c’est un poète ! » Autrement dit, il n’a pas les
pieds sur la terre.
Lu Xu me trouve
« romantique » parce que j’éprouve des sentiments. Or, je ne crois pas
que les chinois soient comme moi. Pour eux, le pratique prime sur l’esthétique.
Le pragmatique l’emporte sur toute autre considération. Et l’argent est le dieu
universellement adoré. Mes valeurs personnelles sont la Connaissance,
l’Esthétique et l’Amitié.
Evidemment, je suis
« romantique » !
Nous bavardons, plaisantons
et rions beaucoup. Comme par miracle, je parle mandarin avec aisance et je me
prends même à faire des blagues ! C’est sûrement parce que je me sens
merveilleusement bien en compagnie de cette famille.
Cette fois, la circulation
est très fluide et on peut rouler vite. Nous traversons la rivière Huangpu en passant sur le Lupu Bridge. C’est un pont récent, très
joli, surtout le soir. En effet, la partie supérieure est entièrement équipée
de néons qui changent de couleurs au fur et à mesure que l’on avance. C’est
surréaliste ! Très « kitsch » mais j’adore !
Au cours de ce trajet, nous
ne parlons plus. Je réfléchis. Jamais je n’ai « vécu » en famille,
comme ces gens-là. Jamais je n’ai tout partagé avec mes proches, raconté,
échangé, vécu de façon si intime avec d’autres êtres humains. J’en serais
radicalement incapable. En effet, j’ai tellement l’habitude de vivre seule que
c’est devenu une seconde nature. Quand je prends des photos, c’est pour me souvenir
de ce que j’ai vécu et des belles rencontres que j’ai faites, mais pas pour
rapporter à la famille. Je n’en ai pas. Si je veux partager quelques clichés,
je les poste sur Facebook parce que je n’ai personne à qui les montrer.
Toutefois, lorsqu’une
occasion comme celle de ce soir se présente, j’apprécie beaucoup et me sens
très à l’aise. D’autant plus que je sais que, le moment venu, je rentre
« chez moi » – quel que soit ce chez moi.
Que bom ter tido esta oportunidade de te conhecer um pouco mais e como me alegrou desfrutar dessa sua experiencia. obrigada
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