dimanche 28 octobre 2018

"Shanghaï ....Me voilà !" - 5 et 6 - Les 24 et 25 octobre 2016


Lundi 24 octobre, je visite les bureaux d'Edouard tout près de mon Merry Hôtel, et
Mardi 25, je vais à Pu Dong pour un dîner familial chez LuXu - une amie de Victoria - au cours duquel j'arrive non seulement à parler mais à plaisanter en chinois, comme autrefois !



Ce lundi 24 octobre, je visite les bureaux d’Edouard …
… et découvre le paradis du shopping !

Il fait beau ! Le soleil brille, l’air est doux, le vent léger, et j’ai des ailes aux pieds. C’est donc d’un pas guilleret que je me dirige vers le petit immeuble dans lequel Edouard a ses bureaux. Il y a des boutiques le long des rues et je regarde tout et tout le monde avec avidité. Ici, c’est tellement plus animé qu’en France, vivant, joyeux, optimiste, coloré … Je me souviens des premiers mois passés à Taipei. Je m’étonnais de bien des choses. C’est que je voyais la vie à travers les idées reçues au cours de douze années de pension religieuse. J’étais très jeune, totalement inexpérimentée, et je ne connaissais rien de la vie et encore moins de la Chine. Puis, je me suis mise à observer et réfléchir. Enfin, j’ai rencontré quelqu’un qui a pris la peine de m’expliquer les choses. Alors, j’ai compris, apprécié et aimé les valeurs de mon nouveau pays. Ce qui m’a le plus aidé, je crois, c’est d’avoir résolument renoncé à bon nombre d’idées reçues et autres préjugés qui faisaient partie de mon éducation hyper-traditionnaliste. Je me voyais embarquée sur un bateau tellement chargé qu’il ne pouvait pas avancer. Alors, je montais dans une plus petite barque, mais elle était encore encombrée de paquets. Après quelques hésitations, je les jetais par-dessus bord et la barque prenait enfin de la vitesse.  La côte approchait, et j’étais heureuse …



Chine ancienne, Chine nouvelle
Devant une boutique de luxe qui vend des bouteilles de vin français,
le vieux bonhomme pousse un petit véhicule à roulettes de sa confection, 
qui lui sert à récupérer des objets dont on ne veut plus.....
 
Ici, je me sens parfaitement à l’aise. Un vieux bonhomme de la campagne et son épouse ont apporté des fleurs de leur jardin et préparé des bouquets qui attendent les clients dans des seaux d’eau alignés sur le bord du trottoir. Comme ils sont sympathiques ! Nous nous sourions d’emblée et nous mettons à parler. Une fois de plus, je remarque que, pour les gens simples, il est tout à fait normal que les étrangers parlent chinois. Jamais ils ne vont s’extasier quand on prononce quelques mots dans leur langue. C’est que, pour eux, le chinois, c’est « la » langue universelle ! Si on prononce de travers, c’est parce qu’on est étranger, mais du moment qu’on se comprend … J’adore les fleurs, toutes les fleurs. Mais mes préférences vont à celles qui peuvent pousser dans un simple jardin.  J’aime beaucoup moins les espèces rares cultivées en serres, dépourvues de parfum, et dont les tiges sont rigides comme la justice. Aussi, je décide d’acheter deux bouquets de minuscules roses rouges qui se présentent comme des fleurs des champs, et dont les tiges sont liées entre elles par une petite ficelle. Puis, je traverse le carrefour, gagne le petit immeuble blanc et monte à l’étage des bureaux.

Je suis en avance. La jolie jeune fille de la réception me salue et me congratule très aimablement, puis m’emmène directement au bureau de « Monsieur T. »
« Assied toi, me dit-elle. Il ne va pas tarder. Est-ce que tu veux boire quelque chose ? »
« Non, merci. Mais si tu avais un vase avec de l’eau, je pourrais arranger les roses que j’ai apportées. Cela m’occuperait… »
Au bout d’un petit moment, elle revient avec deux sortes de bouteilles à goulot étroit, qualifiées de « vases ». Pas de problème, puisque j’ai deux bouquets. Je me mets en devoir d’arranger les fleurs. Je place les vases aux meilleurs endroits. Puis j’avise les luxueuses revues entassées sur un guéridon à côté de ma chaise. Ce sont des photos de tous les clips tournés par la société de mon ami. Des publicités concernant exclusivement des produits de haut luxe. Sur papier glacé épais. Je regarde attentivement.

Enfin voilà Edouard ! Il a les traits tirés et m’avoue qu’il est bien fatigué, d’autant plus qu’il souffre de mal au dos chronique. Nous parlons de sa santé, de son mode de vie, de ses succès professionnels. Puis il m’emmène visiter les bureaux. C’est très grand et l’ensemble a été décoré par Alice. Bois recyclés, matériaux modernes ayant l’aspect de l’ancien, couleurs passées, toutes dans les gris, brun, crème. Je me crois vraiment en promenade dans une revue de « design top gamme » ! Naturellement, il y a des dizaines d’ordinateurs à écrans plats qui sont tous équipés de logiciels spéciaux, des machines étranges dont je ne comprends pas l’usage, même quand on me l’explique ! Et parfois, des objets bizarres. Déco contemporaine ? Je remarque également que tous les employés sont très jeunes, et semblent directement sortis des magazines de mode les plus branchés de la planète. Ah ! Non ! C’est le contraire !  Ceux-là ne « suivent » pas la mode. Ils la font ! Eux ne pensent pas, comme le chantait jadis Jacques Brel, qu’ « il est plus humiliant d’être suivi que suivant » !

J’aperçois Ivan. Elle me sourit et me donne un petit paquet qui contient, me dit-elle, un cadeau pour la petite fille de son amie Victoria. Comme Edouard m’en a remis d’autres, je bourre le tout dans le plus grand sachet et rentre à mon hôtel pour me débarrasser de ces impedimenta.


En route pour un des gigantesques immeubles-centres-commerciaux-traditionnels ! 
Pour moi, le paradis du "shopping", c'est là ! 
 
Puis, je monte dans un taxi et nous roulons résolument vers l’est.
C’est que je pars à l’assaut d’un super ensemble de centres commerciaux spécialisés dans les vêtements de toutes sortes, les chaussures, bijoux fantaisie et colifichets, sacs à main et valises, et mille autres choses encore. Mais un endroit traditionnel. Pas un grand Mall  glacial, dont les boutiques, de cent mètres carrés chacune, ne présentent que deux ou trois articles artistement disposés sur des mannequins, et dont les vendeuses donnent l’impression d’évaluer votre solvabilité potentielle au premier coup d’œil ! Non. Je déteste cordialement ce genre d’endroit. Mais, dans les centres de minuscules boutiques de quelques mètres chacune, où des monceaux d’articles sont accrochés partout jusqu’au plafond, et dans lesquelles on est toujours bien accueilli par des filles naturelles et guère sophistiquées, mais souriantes et gentilles, je me sens comme un poisson dans l’eau. C’est ce genre d’endroit que j’ai toujours fréquenté, à Taïwan, Pékin, Qing-Dao et Zhu-Hai. Et je me souviens encore du nom de chacun de ces endroits et même de la configuration des lieux. Aussi ai-je demandé à Victoria, qui connaît mes goûts, de m’envoyer une bonne adresse.

L’endroit s’appelle Qipulu – en pinyin – Mais cette romanisation des caractères chinois ne peut être prononcée correctement si l’on n’a jamais étudié ce pinyin. Si je voulais écrire des trois caractères de façon à ce qu’un lecteur ordinaire puisse les prononcer, j’écrirais Tchi Pou Lou. J’ai toujours trouvé que le système de romanisation de l’Ecole Française d’Extrême Orient était beaucoup plus facile à lire que le pinyin. Hélas, il est devenu obsolète. 

J’arrive devant un groupe d’immeubles gigantesques – c’est-à-dire ordinaires pour Shanghaï ! - et je me lance à l’aventure, étage par étage ; il y a également des sortes de sas qui permettent de passer d’un immeuble à l’autre sans aller dehors. Je suis aux anges ! Euphorique ! Je retrouve toutes mes anciennes habitudes, tant et si bien qu’un seul coup d’œil me suffit pour juger de l’intérêt d’une boutique. 

Ce que je cherche, ce sont des vêtements de style chinois, mais modernisés parce que je n’ai jamais aimé les traditionnels Qipao, ces robes ultra moulantes et « collet monté ». J’étouffe là-dedans ! Ah ! En voilà une qui me plait. J’entre et fais la connaissance de Buli, une jolie jeune femme très agréable. Elle me laisse tripoter toutes les robes qui me plaisent. J’en choisis deux que je lui achète. Et non contente de me faire un bon prix, elle me donne son WeChat. Nous pourrons ainsi garder le contact et même correspondre !

Mais le shopping, c’est fatigant. De plus, je suis très loin de mon hôtel. Enfin, ce soir, je dois avoir de la visite. Aussi, ne traînons pas ! Une fois de retour, j’essaie mes robes, mais elles sont trop grandes. Je me vois toujours plus grosse que je ne le suis. Peut-être pourrais-je les faire rétrécir ? En attendant, j’en mets une à ma taille et descends dans le hall pour attendre mes visiteurs.


 Wang et Li, de Souzhou. Les amateurs d'essence de rose.

Quel charmant petit couple ! Le garçon s’appelle Wang et son amie, Li. Ce sont des amis de Victoria. Ils viennent de Suzhou, la capitale de la soie, ville proche de Shanghaï. Ils ont pris le train pour me rencontrer parce que Li est une passionnée de roses et surtout d’essence de roses. Elle souhaiterait en acheter pour préparer des remèdes avec. Je lui apporte deux mini flacons, qui je lui offre, accompagnés de la feuille des tarifs. Elle est très excitée et me bombarde de questions techniques. C’est un véritable feu d’artifice ! Wang, lui, a faim. En effet, ils n’ont pas eu le temps de dîner à cause des horaires du train. Il commande une assiette de pain. Oui ! C’est la seule chose qu’il soit en mesure de payer dans cet hôtel. Je propose que nous sortions pour aller manger tout près dans un petit restau, mais Li ne veut rien entendre car cela abrégerait la conversation. Enfin, nous passons un moment charmant. Ils m’offrent une merveilleuse étole en soie présentée dans une splendide boite cadeau. Très touchée, je les remercie bien sincèrement, tout en craignant qu’ils n’aient fait des frais excessifs. Mais je suppose qu’ils considèrent qu’il s’agit d’un investissement … Après avoir pris quelques photos souvenirs, nous nous séparons avec force embrassades.

Mardi 25 octobre.
Je me sens de plus en plus chez moi !

C’est l’humeur conquérante que je descends au 5° étage boire mon thé du matin. J’en remonte d’excellente humeur et me mets à appeler quelques-uns de mes correspondants de par ce vaste monde. A Washington, c’est l’heure de se coucher. Je n’insiste pas, et laisse le Professeur Sorenson rejoindre les doux bras de Morphée. C’est un grand dormeur ! J’envoie alors un message à Alice qui est maintenant à Taipei. Nous passons ensemble un long moment en vidéophone. Il me semble qu’elle est dans une voiture grise, à l’arrêt – sait-elle conduire ? Est-ce sa voiture ? – et manifestement, elle en a gros sur le cœur. Elle pleure comme une fontaine. Les larmes coulent sans interruption, grosses comme des pois, sur ses joues pâlies, et elle a des cernes sous les yeux. Follement amoureuse de ce  brave Edouard qui, décidément, semble être un « bourreau des cœurs », elle est très malheureuse. Mais à quoi pense-t-elle ? Il ne divorcera pas. Il arrive que les hommes dans une telle situation, finissent, de guerre lasse, par promettre de divorcer. Mais ils ne le font jamais. De plus, le fait qu’il ait deux garçons jumeaux me semble rendre la chose totalement impossible. Ce qui explique d’ailleurs la négligence de Valentine. Elle devrait pourtant se méfier, à mon avis …

Je me sens vieille. Mais dans le bon sens du terme. Dans le sens informée, détachée, sereine. Je ne suis plus impliquée dans des histoires sentimentales. Mais je peux me souvenir … C’est toujours sur soi-même que l’on pleure, car il faut aimer comme Dieu ou les anges, pour pleurer sur les malheurs des autres. On s’attendrit sur son propre sort, sur le fait d’être insuffisamment apprécié, mal compris, et surtout, mal aimé. On pleure sur ses propres échecs. Sur sa solitude. Bref, cela se résume toujours par : « Pauvre Cher Moi » … Alors que le véritable amour fait disparaître le Moi. Mais c’est un idéal aussi difficile à atteindre que la « Joie Parfaite » selon Saint François d’Assise. Donner sans rien recevoir en échange est presque impossible à l’homme. L’être aimé est toujours le miroir dans lequel on cherche à voir une image de soi flatteuse et valorisante. Et puis, valeurs et conventions sociales s’en mêlent …
Pauvre Alice. Je suis désolée de la voir pleurer. Elle est si jeune … Mais, que puis-je pour elle, sinon lui souhaiter une belle rencontre qui lui mettrait du baume au cœur ?

C’est la vie ! Je ne vais pas me laisser attrister et je descends prendre un taxi pour retourner à Qipulu où je fais retoucher une des robes trop grandes en moins de deux minutes, et pour la modique somme de 10 RMB – ce qui équivaut à un euro trente – Puis j’achète tout ce que Victoria m’a demandé de lui rapporter, ainsi que quelques articles supplémentaires que je pourrai offrir à mes amies. Ravie, je rentre au Merry Hotel me faire une beauté, car ce soir, je suis invitée à dîner chez l’ancienne collaboratrice de Victoria. Après tant d’années passées à travailler côte à côte, elles sont devenues amies intimes. Ce soir, je vais être reçue à la maison, comme un membre de la famille. C’est un grand privilège, et j’en suis bien consciente. En effet, en Chine, on ne reçoit jamais chez soi, mais toujours au restaurant. J’y vois plusieurs raisons. Les appartements sont beaucoup trop petits et encombrés pour pouvoir recevoir, certes ! Mais cela permet également de préserver son intimité, voire de tenir la famille à l’écart de ses affaires …

Au cours de ma vie en Chine, il est arrivé plusieurs fois que je sois reçue dans la famille. J’y repense souvent avec attendrissement. Surtout lorsque mes souvenirs de quelques sorties à la campagne se rappellent à moi. 
 
Une fois, c’était dans la Province de Pékin, au pied de la Grande Muraille, mais loin des sentiers battus. Alors que mon mari et moi passions dans un petit village hors de tout circuit touristique, nous avions rencontré une jeune femme délicieuse. Elle avait les joues roses et un sourire d’enfant. Avec une totale spontanéité, elle nous avait invités à venir boire une tasse de thé chez elle, parce qu’il faisait très froid à cause du vent du Gobi qui soufflait dur. Elle habitait une minuscule maisonnette. Une pièce à l’entrée et une autre à droite, avec le lit pour unique meuble. Les carreaux étaient renforcés par du papier journal, ce qui servait d’isolation. Un tout petit réchaud avec une bouilloire, un tabouret bas, des pommes dans un carton à terre. D’une boite en fer, elle avait sorti une petite pincée de feuilles de thé, pour nous, les hôtes étrangers de passage. C’était très généreux car le thé coûte fort cher. Après nous avoir expliqué que son mari était ouvrier sur les chantiers de Pékin, elle nous avait raconté les aventures que vivaient les villageois à cause de leurs cochons ! En effet, chaque famille élevait un cochon. Mais ceux du village d’à côté venaient nuitamment voler le plus gras dès qu’ils en avaient l’occasion. Pour leur couper l’herbe sous le pied – si je puis dire – les villageois avaient décidé, d’un commun accord, de tuer les cochons les uns après les autres, chaque fois qu’ils devenaient assez gras. Puis, ils se partageaient la viande.
Riant d’excitation, elle conclut en disant : « Mon mari travaille dur. Il m’envoie de l’argent. Et j’en ai économisé assez pour acheter deux porcelets. Je m’en occupe, ils profitent bien ! »
« Ah ! » lui-dis-je « Et où sont-ils ? »
« Viens voir ! » et de m’emmener derrière la maisonnette. Il y avait là un petit abri le long du mur, juste sous la fenêtre de sa chambre, avec deux porcelets d’assez belle taille, tout roses – car elle les lavait au jet d’eau !
« Tu comprends, là, si les voleurs viennent, je les entendrai …. »
Il est vrai que les cochons peuvent crier très fort !
Nous l’avions surnommée Rosie.
Je ne l’ai jamais oubliée.

Une autre fois, dans la Province du Shandong, nous avions été invités à la ferme, chez des cousins de la famille de mon meilleur étudiant. D’ailleurs, je les considère comme ma famille chinoise.
Après avoir visité le village, les champs, et congratulé tous les voisins et amis, j’avais passé un bon moment sur le kang – le lit traditionnel de la Chine du nord, bâti en briques, et sous lequel on entretient un petit feu pour avoir chaud quand on est couché dessus. C’est que l’on m’avait chargée de tenir compagnie à l’arrière- grand-mère, pendant que toute la famille confectionnait des jaozi pour le déjeuner. En effet, quand elle avait été avertie que l’on recevait un couple d’étrangers, avait demandé à me voir. La cousine qui lui servait de dame de compagnie m’avait donc transmis sa demande très cérémonieusement, prise par la main, et présentée dans les règles. Elle me faisait grand honneur, car, en Chine, les personnes âgées sont les plus respectées.

J’ai eu l’heur de lui plaire. Au premier coup d’œil, et beaucoup !
Dans sa prime jeunesse, elle avait eu les pieds bandés, et elle n’avait jamais appris à parler mandarin. Mais nous nous comprenions très bien ! D’un petit signe, elle m’avait signifié de monter sur le kang avec elle, puis elle s’était enhardie à toucher mes vêtements et même mes mains. Bien entendu, elle regardait mes cheveux « jaunes » - l’adjectif « blond » n’existant pas en chinois, et pour cause ! – avec beaucoup de curiosité. Dans l’après-midi, on l’avait aidée à passer une belle veste et nous avions posé toutes des deux pour la photo-souvenir. Elle avait alors cessé ses petits rires de gamine pour adopter la pose très hiératique convenable à l’ancêtre de la famille !


L’arrière-grand-mère Bu – Shandong 2004
Et la poule familière qui m’avait suivie toute la journée !
C’est ma famille chinoise

Mais ce soir, je suis à Shanghaï, une des plus grandes villes de cette planète, et je dois aller dîner dans une famille que je ne connais pas encore. Je mets une des jolies robes achetées ici même - tissu gaufré prune foncée, rebrodé de fleurs de magnolia - et je descends vers 18 heures pour attendre un taxi. Comme le dîner est prévu à 18h30, je pense que ce sera suffisant. L’adresse ne me dit absolument rien et personne ne m’a donné d’instructions. Il fait déjà nuit-noire. Aucun taxi ne veut me prendre. L’adresse semble les faire fuir. Je regarde très attentivement et comprends qu’il s’agit de Pudong, c’est-à-dire la ville nouvelle, à l’est de la rivière Huangpu. J’attends 35 minutes. Prête à renoncer, je téléphone à Lu Xu, l’amie de Victoria. Mais à sa voix, je la sens au bord des larmes tellement elle serait déçue si je ne venais pas …

Enfin, une grosse Volkswagen s’arrête, je m’engouffre dedans au plus vite et rappelle Lu Xu pour lui dire que je suis en route. Mais quelle route ! Ca n’en finit pas. Le chauffeur, un drôle de type qui parle d’une voix haut perchée d’eunuque, n’arrête pas de me dire qu’il a faim, qu’il n’a pas encore eu le temps de dîner, et qu’il veut manger du poulet ! Et moi ? Est-ce que j’aime le poulet ? Il me trouve belle et je lui plais vraiment ... Il se propose de me faire visiter la ville et les restaurants, car il en connait beaucoup, et nous pourrions ensuite nous divertir …
Pendant qu’il divague, moi je pense :
« C’est ça ! Tu peux toujours rêver ! Tu ferais mieux d’accélérer un peu … »

Lorsque nous arrivons, je comprends pourquoi il nous a fallu rouler pendant 1h40. L’immeuble où habite la famille de Lu Xu est situé à la limite de la zone urbanisée, c’est-à-dire très loin, sur d’anciennes terres agricoles qui sont maintenant d’immenses chantiers de constructions. Quelques terrains vagues, quelques champs, et des groupes d’immeubles bas, de quatre ou cinq étages seulement. Lu Xu m’attend à l’entrée du sien, toute frémissante. C’est une petite, très petite femme, hyper mignonne, et qui ne chausse que du 34 ! Pour la première fois de ma vie, je suis battue ! En effet, je chausse du 36 et taille du 34-36. Donc, la plupart du temps, c’est moi qui ai la plus petite taille. Nous nous embrassons et elle monte prestement l’escalier. Je la suis, ravie.

La porte de l’appartement s’ouvre sur le living-room-cuisine, brillamment éclairé d’ampoules à lumière blanche – des led, certainement. Rayonnante, elle me présente la famille. Son mari, jeune monsieur de haute taille, l’air intelligent et très à l’aise. Ses deux enfants, un garçonnet et une petite mignonne d’environ 3 ans. Et ses parents. Comme ils sont sympathiques ! Comme ils me plaisent ! Nous nous regardons en riant d’aise tellement nous nous plaisons ! Ils sont de petite taille et ils ont le teint hâlé, la bonté est peinte sur leurs visages. Le monsieur veille sur les enfants et la dame fait la cuisine. Ils occupent une des deux chambres de l’appartement, avec le petit gars. Lu Xu, son époux et la mignonne dorment dans l’autre chambre, qui est légèrement plus grande. Derrière la cuisine, il y a un débarras d’assez belle taille. Voilà, j’ai visité l’appartement !



Les parents originaires de la campagne

Nous prenons place à table. Il est temps. En Chine, l’heure du dîner, c’est 18h. Je suis affreusement en retard, mais toute la famille m’a attendue. La maman met les plats sur la table et le mari sort des boissons, différentes pour chacun. C’est une des choses que je trouve très agréable en Chine : chacun boit et mange ce qu’il veut, mais on le fait tous ensemble. Il me donne une petite boite de Harbin pijiu – de la bière de Harbin. Je connais, très léger et excellente. Dommage qu’elle n’ait pas été rafraîchie, mais je suis contente. Le mari préside à un bout de la petite table. Je suis assise à sa gauche, le dos à la porte d’entrée. Ils ne font pas de protocole ! Lu Xu est à ma gauche, son père en face d’elle et sa maman en face de moi. En Chine, on ne sépare pas les couples. Mais on ne met pas non plus les invités dos à la porte. C’est amusant !
Les enfants sont par terre et grignotent en jouant. Ils sont déjà en pyjama.

A voir les petits plats, je devine que la maman a cuisiné pendant un bon bout de temps. Elle dispose en rond toutes les assiettes creuses qui servent de plats. Devant moi, un poisson en sauce ; puis une omelette roulée, farcie de hachis de porc et coupée en rondelles – c’est très joli ! Une assiette de salade sautée ; des concombres sautés à l’ail ; une ronde de crevettes décortiquées ; un plat de ces champignons noirs que j’adore ; quelque chose de foncé que je ne peux pas identifier ; enfin, un ragoût de porc à la sauce de soja, fondant et succulent, trône en plein milieu. Cela fait huit plats. Huit, dans la symbolique des chiffres, c’est le meilleur ! Fortune, prospérité, bonheur … J’apprécie en connaisseur !

La conversation va bon train. Nous parlons tous ensemble, de mille choses. De nourriture – pour commencer – comme bien souvent en France. Puis, des villes de Chine où j’ai vécu, et de la France où ils sont allés une fois. Enfin, de Victoria, et de moi. Lu Xu se livre à une petite comparaison :
« Victoria est très intelligente et très douée pour l’organisation et le business. Mais toi, tu es tellement différente … Toi, tu es … romantique ! »
Je me mets à rire, mais je ne suis pas sûre que ce soit un compliment, surtout dans la bouche d’une chinoise. C’est un peu comme lorsque l’on dit, en France :
« Un tel est très sympathique, mais … c’est un poète ! » Autrement dit, il n’a pas les pieds sur la terre.
Lu Xu me trouve « romantique » parce que j’éprouve des sentiments. Or, je ne crois pas que les chinois soient comme moi. Pour eux, le pratique prime sur l’esthétique. Le pragmatique l’emporte sur toute autre considération. Et l’argent est le dieu universellement adoré. Mes valeurs personnelles sont la Connaissance, l’Esthétique et l’Amitié.
Evidemment, je suis « romantique » !
Nous bavardons, plaisantons et rions beaucoup. Comme par miracle, je parle mandarin avec aisance et je me prends même à faire des blagues ! C’est sûrement parce que je me sens merveilleusement bien en compagnie de cette famille. 

                                                Lu Xu et moi....Quelle belle rencontre !


Mais il se fait tard. Demain matin, les enfants vont à l’école et les parents travaillent. Photos-souvenirs. Embrassades. Lu Xu et son mari me guident vers le parking souterrain de leur immeuble, et me raccompagnent en voiture au Merry Hotel.
Cette fois, la circulation est très fluide et on peut rouler vite. Nous traversons la rivière Huangpu en passant sur le Lupu Bridge. C’est un pont récent, très joli, surtout le soir. En effet, la partie supérieure est entièrement équipée de néons qui changent de couleurs au fur et à mesure que l’on avance. C’est surréaliste ! Très « kitsch » mais j’adore !

Au cours de ce trajet, nous ne parlons plus. Je réfléchis. Jamais je n’ai « vécu » en famille, comme ces gens-là. Jamais je n’ai tout partagé avec mes proches, raconté, échangé, vécu de façon si intime avec d’autres êtres humains. J’en serais radicalement incapable. En effet, j’ai tellement l’habitude de vivre seule que c’est devenu une seconde nature. Quand je prends des photos, c’est pour me souvenir de ce que j’ai vécu et des belles rencontres que j’ai faites, mais pas pour rapporter à la famille. Je n’en ai pas. Si je veux partager quelques clichés, je les poste sur Facebook parce que je n’ai personne à qui les montrer.
Toutefois, lorsqu’une occasion comme celle de ce soir se présente, j’apprécie beaucoup et me sens très à l’aise. D’autant plus que je sais que, le moment venu, je rentre « chez moi » – quel que soit ce chez moi.

1 commentaire:

  1. Que bom ter tido esta oportunidade de te conhecer um pouco mais e como me alegrou desfrutar dessa sua experiencia. obrigada

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