vendredi 10 janvier 2014

Arrivée à Taipei, fin Août 1978

Arrivée à Taipei

La dernière fois, j'ai essayé de vous présenter ce qu'Annie avait ressenti lors de sa découverte de l'Asie du Sud-Est : une impression, non de déjà-vu, mais de déjà-vécu. La voici maintenant qui arrive à Taipei et va s'installer provisoirement chez les parents de son ancienne "correspondante". 

En effet, Annie avait tout d'abord échangé de nombreuses et longues lettres avec une jeune chinoise de Taïwan. Puis, elle l'avait invitée à venir en France, avec l'accord de ses parents, qui avaient accepté de l'héberger pendant une dizaine de mois. Cette jeune fille, pour faciliter le contact avec les étrangers, portait un prénom français et se faisait donc appeler Véronique Han. A l'issue de son séjour en France, elle était partie pour les Etats-Unis où elle avait des tantes. Mais naturellement, lorsqu'Annie lui avait fait part de son arrivée prochaine à Taipei, Véronique en avait prévenu ses parents qui, à leur tour, accueillirent Annie.

C'est ainsi qu'elle découvrit la famille de son ancienne correspondante. 
Voulez-vous faire connaissance ?

Mon arrivée à Taïwan s’est très bien passée. Alors que l’avion descendait vers l’aéroport, et que je m’extasiais sur la luminosité de l’air et le merveilleux vert brillant de l’abondante végétation, mon voisin de siège s’est mis à rire. Un homme d’affaires américain qui vient régulièrement à Taipei et avec lequel j’avais déjà échangé quelques mots. « Ah ! Vous avez beaucoup de chance ! Un ciel si pur est bien rare ici, car Taipei est construite dans un bassin entouré de montagnes relativement hautes qui retiennent la pollution. Cela veut dire qu’il y a eu un typhon tout récemment. Les typhons agissent exactement comme une chasse d’eau, et heureusement qu’il en passe souvent pour effectuer le nettoyage de cette ville si sale… » J’avoue que sur le coup, sa comparaison si peu poétique entre typhons et chasses d’eau, et l’évocation même des dits typhons – auxquels je n’avais jamais pensé en venant ici – m’a quelque peu refroidie… Mais après tout, tant pis ! S’il est blasé, je ne le suis pas encore, n’en étant qu’au stade de la toute première découverte et très enthousiaste !



Sur les conseils de mon mentor, j’ai pris un taxi pour aller chez les Han. Comme il connaissait bien la ville, je lui avais montré l’adresse : Yung Ho. « Quartier très populaire et fort éloigné… » Oui, en effet, cela faisait une bonne trotte dans une voiture bien déglinguée. Mais je ne pouvais me rassasier de la vue des rues, des immeubles et des gens sur les trottoirs. Les rues sont larges, les immeubles ressemblent à des boîtes recouvertes de carrelage de salle de  bain, et il y a un monde fou partout. Les Han habitent une petite maison individuelle dans un quartier qui semble pauvre et surpeuplé. Il y a une courette devant la porte d’entrée. Quelques plantes maigrichonnes dont on semble prendre soin en recouvrant la terre autour d’elles avec des demi-coquilles d’œufs. Je n’en comprends pas la raison. C’est fort étrange pour moi.



J’ai été très chaleureusement accueillie. Mais avant de vous parler de ma vie ici, je me dois de vous faire le portrait de mes hôtes. Madame Han est une petite dame toute menue, au visage un peu triste mais très distingué. Elle a sûrement été ravissante dans sa jeunesse. Mais la vie n’a pas dû être très tendre avec elle… Quand elle ne prépare pas le repas ou n’a plus rien de particulier à faire, elle s’assoit, toujours sur la même chaise et prend sa poupée. C’est un baigneur en celluloïd tout nu qu’elle berce très doucement, les yeux ailleurs… Elle ne parle pas. C’est son mari qui, comprenant toujours ce qu’elle veut ou ce qu’elle voudrait dire, parle pour elle. Quand nous sortons dans la rue pour visiter le quartier, elle me prend le bras, parce que j’ai l’âge d’être sa fille cadette. Je ne lui connais que deux filles… La poupée… ? Je sens bien qu’il vaut mieux ne pas poser de questions… Ce soir, elle m’a fait demander par son mari si je n’avais pas une autre tenue à me mettre que ma robe habituelle. A ma réponse négative, elle m’a obligée à mettre une combinaison verte à grands ramages, que j’imagine être de style américain ! Si vous pouviez me voir… Vous ne me reconnaîtriez pas ! C’est qu’elle estime que le soir, il faut se mettre en tenue décontractée et confortable. Je dois reconnaître que cette variation sur le thème pyjama est extrêmement agréable à porter !  Et pour compléter la tenue, elle m’a prêté une paire de mules en plastique transparent redoré par-dessus… une pure merveille… cela me fait penser à Cendrillon…



Monsieur Han a plutôt le type indonésien – si ça vous dit quelque chose – J’entends par là qu’il a la peau très sombre et les lèvres plutôt épaisses. Il n’est guère plus grand que son épouse, mais très vif. Je le trouve fort sympathique et c’est avec lui que je peux parler anglais. C’est également lui qui m’explique toute chose typiquement chinoise comme l’utilisation des baguettes pour manger – encore quelque chose auquel je n’avais pas pensé – les scénarios de l’Opéra de Pékin qu’il regarde à la télévision, et la chasse aux rats !



Que je vous explique. Une baguette est fixe et repose sur l’annulaire, maintenue par le majeur. L’autre est mobile, maintenue par le pouce pendant que l’index et le majeur dirigent la manœuvre… Oui, ce n’est probablement pas très évident à comprendre quand on ne le voit pas et qu’on ne l’a jamais fait soi-même. C’est Monsieur Han qui m’a expliqué et donné ma première leçon. Nous nous exerçons avec des cacahouètes. Ce n’est pas facile parce qu’elles sont rondes et huileuses, mais après quelques échecs, je maîtrise de mieux en mieux. Et puis c’est très amusant ! Monsieur Han m’a dit que lorsque je serai capable de saisir, sans qu’il glisse et s’échappe hors de ma prise, un œuf dur écalé, je serai vraiment aussi habile que les chinois !



La maison est très petite et rien n’est jamais rangé. Toutefois, tout est bien propre. Partout il y a des cartons et des choses indéfinissables entassées, de gros ventilateurs sur des pieds, des bouquets de fleurs en plumes aux vives couleurs, et une table en marbre, ronde, à deux plateaux. Le plateau supérieur est plus petit et mobile : il peut tourner. On pose les bols et les baguettes sur le cercle inférieur et les assiettes creuses contenant les différents mets sur le pourtour du cercle supérieur. Chacun se sert, très modérément d’ailleurs, et pousse doucement le plateau vers son voisin. Je trouve cela très pratique ! On ne touche à rien. On ne risque pas de renverser les assiettes pleines de sauce. Et chacun a toujours à portée de baguettes ce qu’il veut manger, sans déranger les autres… « Passe-moi le sel…. Passe-moi le pain… »



J’observe que, de même qu’à Bangkok où j’éprouvais partout une impression de déjà vu d’où découlait un étrange sentiment de « revenir à la maison », ici, je me sens parfaitement à l’aise, tout me plait, tout me semble déjà familier, et il va sans dire que maintenant, l’utilisation des baguettes n’a plus de secrets pour moi !



Après le déjeuner, Madame Han fait la vaisselle, puis elle s’assoit et berce sa poupée… Monsieur Han allume le poste de télévision qui est placé dans le coin de la pièce principale, et s’assoit devant, une badine à la main. Il me fait la traduction des chants de l’Opéra de Pékin. Ce sont des pièces classiques qui racontent des histoires anciennes, histoires d’amour entre un candidat aux examens impériaux et une beauté de province rencontrée lors du voyage du jeune homme vers la capitale ; ou histoire de généraux valeureux, portant sur le dos un faisceau de drapeaux qui représentent leurs nombreuses troupes, et de traîtres et autres félons aux visages tout blancs… Ces chants sont aigus et fort étranges pour moi. Quant à la musique… plus qu’étrange ! Mais je m’y habitue petit à petit. Monsieur Han me semble excellent professeur et il est tellement passionné qu’il ne se peut qu’il me fasse partager son amour de l’Opéra chinois.



Il peut rester assis devant son poste très longtemps. Il s’assoit du bout des fesses sur son fauteuil en bois, appuyant ses coudes sur ses genoux, penché en avant comme s’il voulait entrer dans les scènes qui se jouent devant lui, toujours agitant négligemment sa badine… Puis soudain, sans bouger le corps, il abat brutalement cette badine sur le sol, ce qui produit un grand claquement et me fait sursauter, car moi aussi je suis à fond dans l’histoire qu’on nous raconte. Interloquée, je regarde. Il rit. « One more » dit-il, baissant les yeux. Je suis son regard. A ses pieds gît une souris qui, ayant eu le mauvais goût de ne pas rester tranquillement dans son trou à faire la sieste, bercée par les accents des chanteurs d’Opéra, vient de passer – sans douleur, je gage – de vie à trépas… Monsieur Han se lève, saisit la souris par la queue et va la jeter dans le jardinet.

Annie n'avait pas du tout le même genre de vie en Europe. Mais elle prenait tout très bien et s'adaptait parfaitement à son nouveau pays.

Je me demande comment sont les rues de Taipei aujourd'hui, et les bâtiments, les jardins, la grande place devant le Palais Présidentiel.....


2 commentaires:

  1. Très bon article ! Merci pour ce moment de partage

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  2. Bonjour Amélie,
    Super ! A bientôt sur le blog !
    Quelques échanges sur la caractérologie, la psychologie voir l'histoire des techniques ! Pourquoi pas ?
    D'abord je vais lire attentivement votre blog ...
    Cordialement.
    André.

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