mercredi 15 janvier 2014

Romantique Zhu-Hai


Voici la couverture du premier de mes livres
 Publié à la Socité des Ecrivains à Paris au printemps 2012.

Je me propose aujourd'hui de vous donner à lire des extraits du premier chapitre, dans lequel il est question de mon arrivée à Zhu-Hai et de mon installation à l'UIC (United International College), après un bref passage au BIT (Beijing Institute of Technology), et de ma rencontre avec le Docteur Paul H. mon Recteur. Ensuite, demain ou après demain, j'introduirai le héros de ce roman : le Docteur David Polyphemus Sorenson.

Pour ceux de mes lecteurs qui ne sauraient pas où est Zhu-Hai, je précise que c'est une Ville Nouvelle, qui jouit d'une réglementation économique spéciale, visant à favoriser l'implantation d'industries et de commerces qui participeraient au développement local. Est de Macao. Province de Canton. Zhu-Hai est au sud du Tropique du Cancer et le climat y est chaud et humide. Il y passe quelques typhons par an, mais ils sont souvent moins violents et dévastateurs qu'à Hong-Kong.



Chapitre 1 - Professeur a zhu hai


Après bien des années, me revoilà à vivre et travailler dans un pays au climat tropical chaud et humide, mon climat préféré. Alors que je prospectais pour un poste, j’ai vu qu’une des universités de la ville de Zhu Hai cherchait un professeur de français. Mais je ne savais pas où était Zhu Hai. Alors j’ai téléphoné à mon ami Paul, un de mes anciens étudiants, qui sait toujours tout. « Ah ? Zhu Hai ? Mais il y fait très chaud, me répond-il, c’est dans la Province de Canton, au nord de Macau. » Lui, il est originaire de la Province la plus septentrionale de Chine, le Hei Long Jiang « le Fleuve du Dragon Noir » que les français appellent, Dieu sait pourquoi « Fleuve Amour », et qui fait la frontière avec la Sibérie  « Génial ! J’y vais ! »

C’est ainsi qu’un soir, j’ai débarqué au poste frontière entre Macau et ma nouvelle ville d’élection, avec deux petites valises. Une très longue attente au contrôle des passeports. Je ne sais pas encore que chaque jour, des milliers de gens vont de Zhu Hai à Macau et de Macau à Zhu Hai pour y travailler, en plus des visiteurs occasionnels et des touristes. Enfin, je me retrouve sur une immense place, de laquelle partent de larges avenues, comme les branches d’une étoile. Deux jeunes types s’approchent. Ils me proposent un taxi-noir. C’est ainsi que bon nombre de gars arrondissent leurs fins de mois. Je décide d’accorder mon soutient aux petits travailleurs indépendants, et entame la négociation. Le quartier des universités est très éloigné. Après quelques palabres, nous nous mettons d’accord pour 100 RMB, somme parfaitement honnête, comme j’ai pu le vérifier ultérieurement. Je monte en voiture et une heure plus tard, je me retrouve au poste de garde de ma nouvelle université.

Durant tout le trajet, le chauffeur, plus âgé que les deux jeunes rabatteurs, après m’avoir bien regardée du coin de l’œil, me pose des tas de questions. « C’est la première fois que tu viens à Zhu Hai ? Tu as de la famille ? Tu attends quelqu’un ? Non ! Mais une belle femme comme toi ne peut pas rester seule. Tu vois, moi non plus je n’ai pas d’amie. Nous avons probablement le même âge. Je gagne bien ma vie. Je pourrais venir te chercher et nous sortirions ensemble… Tu ne veux pas ? Pourquoi ? Tu as peur que je ne gagne pas assez d’argent ? » Tout est toujours question d’argent en Chine et un homme qui sort une fille doit tout payer et lui offrir tout ce qu’elle lui demande. Je l’assure que je ne mets pas en doute sa solvabilité. C’est moi qui préfère rester seule. « Ce n’est pas normal, me dit-il et c’est mauvais pour la santé ! » Ce brave homme me touche, mais ne me fait pas changer d’avis. Je ne sais pas encore que Zhu Hai est « La Ville Romantique de la Chine » et qu’elle mérite bien sa réputation !

Un immense chagrin a tout récemment obscurci ma vie, comme un gros cumulus tout noir éteint le soleil. J’arrive donc ici avec une mentalité similaire à celle des gars qui, ayant vu leur vie s’écrouler, s’engagent à la Légion Etrangère.

Au début, c’est bien difficile. Mais je connais très bien la Chine et les chinois, et je suis prête à tout, ne m’étonne de rien, fais face à n’importe quelle situation. L’appartement promis n’existe pas, je m’installe dans une chambrette qui sent le moisi. Un tuyau sortant du mur fait office de douche. L’eau coule partout par terre. Un trou dans le sol est baptisé du nom de « toilettes ». Les cours ne devraient commencer que dans trois semaines, délai que je comptais utiliser à mes préparations, mais on me demande d’ « occuper » les étudiants de première année, à raison de quatre heures par jour. Qu’à cela ne tienne, j’improvise. Je leur raconte des histoires en anglais. Nous mimons l’entrevue de Rollon et Charles le Simple à Saint Clair sur Epte en 911 et c’est un énorme succès ! Je dessine des drakkars au tableau, et tous veulent s’inscrire aux cours de français !

Dans cette université qui occupe un territoire gigantesque, dont les neuf dixièmes ne sont même pas encore défrichés, il y a déjà 12.000 étudiants, des milliers de professeurs, de personnels administratifs, commerçants, jardiniers, femmes de ménage, et … seulement cinq professeurs étrangers. Je suis la seule à résider ici. Petite, toujours de rose vêtue, les cheveux longs, blonds et bouclés, je ne passe pas inaperçue ! Le fait que je me débrouille en chinois m’attire beaucoup de sympathies. Je deviens vite une célébrité sur le campus. Où que j’aille, il y a toujours quelqu’un pour crier joyeusement « Professeur Mai ! Professeur Mai ! »

Je suis si résolue à ce que tout aille bien que finalement, tout va beaucoup mieux que je ne pouvais l’espérer. Je ne reste pas longtemps dans cette université. Un certain Docteur Paul Edward Hockings demande un jour à me rencontrer. Je ne sais pas pourquoi, mais je m’imagine qu’il dirige un Institut de Langues et va me demander d’y donner quelques heures de français par semaine. C’est à peu près l’idée… mais en beaucoup mieux ! Nous nous donnons rendez-vous au terminus des bus. Au pied de la Colline du Phoenix d’Or. J’y étais déjà allée me promener un soir. J’avais vu un chantier entouré de palissades bleues. Un panneau indiquait qu’il s’agissait du futur « United International College », fils de l’Université baptiste de Hong-Kong. J’avais pensé que les professeurs qui auraient le privilège de travailler là seraient comme des coqs en pâte…

Je saute de l’autobus et regarde autour de moi. Un seul étranger. Un vieux monsieur, de petite taille, le visage très pâle, l’œil bleu vif, une minuscule moustache très raide sous le nez, et quelques cheveux qui ont dû être roux, agrémentent encore le sommet de son crâne. Entre temps, je me suis renseignée. C’et un célèbre anthropologue Britannique et, en effet, je me souvenais d’avoir vu son nom au bas d’articles spécialisés. Il s’approche, la face marmoréenne, se présente, m’examine de la tête aux pieds, et me demande « Pouvez-vous sauter un ruisseau ? » Ah Ah Ah ! Voilà une entrée en matière qui me réjouit ! « Sûrement – dis-je- s’il n’est pas trop large ». « Alors, venez ».

Derrière l’abris-bus, il y a en effet un ruisselet qui coule dans l’herbe épaisse. Le Docteur P.E.H. saute lestement puis me tend la main. Je m’en saisis et essaie de sauter le plus gracieusement possible – question de face. « Vous avez passé l’épreuve avec succès  - me dit-il, toujours aussi imperturbable – maintenant, je vais vous présenter quelques collègues ».

Nous allons à la cafétéria-salon de l’Hôtel – pompeusement qualifié d’International, sis au bas de la colline. C’est un bâtiment massif, en béton gris, fortement climatisé. Je n’ai pas l’habitude, j’ai froid. Il me présente à un véritable aréopage de professeurs, tous Docteurs – cela va de soi – et chacun dans une spécialité différente, et originaire d’un pays différent.
Là aussi, je passe l’épreuve avec succès. Nous fixons une date pour que je vienne signer un contrat qui prendrait effet en mars 2007. Au fil des jours, je rencontre d’autres personnages : le Docteur Chandar Sundaram, historien, canadien de Bengalore, tout noiraud et contrefait mais tellement sympathique. Monsieur May, Administrateur, australien, dont l’épouse était française, et que je surnomme William-aux-Beaux-Cheveux parce qu’il rince ses beaux cheveux neigeux avec du bleu pour qu’ils ne jaunissent pas, comme le faisaient les vieilles dames dans les campagnes françaises autrefois. Dave, grand irlandais francophone… et bien d’autres.

Maintenant je suis un des leurs. Mon premier employeur accepte mon congé et je quitte l’affreux logement que l’on m’avait obligé d’accepter, au 6° étage d’un immeuble dont la construction n’est même pas encore terminée. Les murs de béton brut suintent l’humidité, le salon est une pièce sans fenêtre, et la pression d’eau est si faible que je ne peux me laver. Il faut que j’aille dans un bain public en ville une fois par semaine pour m’y faire un shampooing. Ce n’est pas acceptable.

Je déménage et vais m’installer dans la plus belle Résidence de toute la Province de Canton, où logent presque tous mes nouveaux collègues. Une américaine dynamique me chaperonne et nous visitons ensemble un petit appartement au 8° étage de l’immeuble N°18 au bord du lac. Je me crois arrivée au Paradis ! Dallage blanc au sol, murs crème, épais rideaux. Un grand lit très confortable, des placards, un sofa sur lequel je peux m’asseoir pour regarder la télévision le soir. Et une petite cuisine aménagée ! Orientation plein sud, j’ai du soleil toute l’année. Oui, je suis bien arrivée au Paradis. Carol me propose d’aller visiter d’autres appartements pour comparer. Inutile. C’est celui-là que je veux, et tout de suite !

Après avoir rédigé et mis au net sur l’ordinateur un Manuel d’Histoire du Moyen Age Européen, en anglais, à l’usage de mes étudiants, je commence mes cours de français et mes conférences d’histoire. Durant ce premier semestre de l’année 2007 – qui est en réalité le second semestre de l’année universitaire 2006- 2007, mais le premier pour moi dans cette université expérimentale, je déploie une activité intense et travaille  comme buffle en rizière. Mais avec plaisir, bonheur même ! Plus je connais le Docteur Paul E.H. plus je l’apprécie. Nous n’avons pas besoin de nous parler pour nous comprendre. Il a appris qu’au cours d’une de mes vies antérieures, je faisais partie des cercles diplomatiques. Depuis ce jour, il m’emmène avec lui à Canton à chaque fois que notre Président tente une opération de séduction auprès des Consuls de France, Belgique, Canada ou autre pays francophone. Comme tous les vieux messieurs, il aime les sucreries et la compagnie des jolies femmes. Il parle parfaitement le français mais pas du tout le chinois. Les filles des bureaux l’aiment toutes et disent de lui « Comme il est mignon » ce qui est d’un effet extrêmement comique quand on voit le vieux gentleman. Mais je comprends très bien pourquoi elles le disent et je ris avec elles. Je m’occupe de lui personnellement quand nous sommes ainsi envoyés en mission.

Lui aussi s’occupe de moi. Il est vrai que je suis bien seule pour gérer toutes les classes, participer aux réunions au cours desquelles nous élaborons la politique d’avenir de notre université, faire des prévisionnels, organiser des activités culturelles françaises, aller en soirées diplomatiques, recevoir les étudiants qui ont besoin de conseils, et mille autres choses encore. Paul décide que j’ai besoin d’une Assistante. Il la trouve lui-même car il a beaucoup de relations. C’est ainsi qu’une après midi, alors que je sors du bureau des photocopieuses juste en face du grand bureau B 414, je vois mon Recteur bien aimé en compagnie d’une jolie fille. Rien d’étonnant à cela. Paul ne s’attarde jamais auprès des matrones. Mais il m’avait avertie qu’il me présenterait une certaine dame que, je ne sais pourquoi, j’avais vaguement imaginée grasse et respectable. Mais celle-ci est mince comme une liane, brune, le teint mat, et me semble si jeune que je me dis « Paul m’a trouvé une étudiante ! » En même temps, la voix de la raison me murmure « Il n’y a pas d’étudiants étrangers à Zhu Hai… »

Nous faisons connaissance. Elle me plait beaucoup. Elle est déterminée mais douce, intéressée sans agressivité, ferme et souple à la fois. Elle dit ce qu’elle sait faire et ce qu’elle ne sait pas faire. C’est une spécialiste en informatique. A moi de lui apprendre à enseigner car elle n’est pas professeur. Une fois les démarches administratives rondement menées par un Paul au mieux de sa forme, nous nous asseyons dans des fauteuils de rotin disposés en petits salons sur les coursives. Je suis désolée, je n’ai pas bien compris son nom « Vous vous appelez Michelle, n’est-ce pas ? » « Non – répond-elle – Marie-Françoise. Michel, c’est mon nom de famille. Lancelot-Michel » J’en reste bouche-bée… Elle voit bien que cela me fait grosse impression. Mais elle attendra quelques jours avant que je lui en dise la raison.

Immédiatement, je tiens à ce qu’elle soit considérée comme mon bras droit, mon Assistante de Direction, non pas comme les pauvres TA – Teaching Assistants- des professeurs américains, sans qualifications, et qui leur servent de bonne à tout faire. Que je le dise une bonne fois, Marie-Françoise L-M, s’est montrée, dans tous les domaines et en toutes circonstances, absolument remarquable. Intelligente et capable, certes. Pourvue d’un grand cœur. Et sachant conserver une délicieuse féminité qu’elle manifestait dans tout le meilleur de son être.

Nous occupions un tout petit espace au fond du grand bureau B 414 jusqu’à ce que je sois promue au rang de « Ponte » et qu’on mette à notre disposition un joli bureau privé au 5° étage.

Mais revenons à mon histoire…

Les mois passent. Mon Recteur bien aimé me demande de recruter de nouveaux professeurs. Nous envisageons la création d’un Département de Français. Je me plonge dans les statistiques et les projections pour faire des prévisionnels sans lesquels ont ne peut rien organiser sur le long terme. Mon Assistante et moi définissons nos critères de recrutement, en accord avec Paul. Nous sommes très excitées. Nous allons construire quelque chose de durable, c’est vraiment motivant.



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