samedi 20 septembre 2014

"Quatre années au Cambodge" - Voyage à Kompong Cham

Voici un autre extrait de ce chapitre 2 dans lequel je raconte nos premiers moments au Cambodge. Mais avant tout : une carte du pays :








Nous avons trouvé une petite Ecole pour ma fille Marie, mais.....


Ah ! Voilà que la pauvre Marie a eu un accident à l’école ! Elle est tombée dans l’escalier et s’est sérieusement ouvert le genou droit. La responsable l’a emmenée en urgence voir le Docteur Peter Rosseler, australien, qui soigne les expatriés et a très bonne réputation. Il a posé des straps et mis un gros bandage. Il faut qu’elle fasse attention pendant quelques temps pour que la cicatrisation se fasse bien. Malgré cet accident, ce samedi 16 mai, nous décidons d’aller à Kompong Cham en excursion-reconnaissance, pour nous faire une idée de la situation en province. Marie est installée à l’arrière de la 405 le plus confortablement possible, mais elle semble tout de même avoir assez mal au genou…


Notre destination n’est même pas à cent kilomètres de la capitale, en direction du nord-est, mais c’est une autre planète. Les pistes sont encore sèches et poussiéreuses, sillonnées par des camions blancs sur lesquels sont peintes les deux lettres UN en noir. Nous prenons un bac pour traverser le Tonlé Sap. Pendant que le Colonel et Monsieur Huang, le chauffeur chinois, s’occupent de la voiture, je regarde autour de moi et prends des photos. Les gens sont à peine vêtus – mais il fait chaud – et leurs cahutes sont bien misérables, mais tous sont très amusés, voire excités à la vue de tant d’étrangers. Ils nous regardent amicalement et les enfants courent autour de nous en riant. Quelques jeunes femmes essaient de vendre des graines de lotus. Les militaires ne savent pas ce que c’est mais moi, qui viens de Taïwan, je sais bien et je leur explique. Les filles vont cueillir les tiges au bout desquelles la fleur s’est transformée en quelque chose qui ressemble tout à fait à une pomme d’arrosoir verte. Même forme et petits trous ronds. Mais sous la peau, les graines, grosses comme des pois chiches, encore fraîches. On peut les faire sécher pour les conserver, si l’on veut. Ensuite, il faut les faire tremper et bouillir avec un peu de sucre pour faire une sorte de dessert. C’est nourrissant. Je ne doute pas que pour les khmers, les graines de lotus aient été de précieuses denrées lors de la famine. Mais pour nous autres, trop bien nourris, ce n’est pas très attractif…








La Villa à la Rose (Kompong Cham)


Kompong Cham est une ravissante petite ville au bord du Mékong qui avait été entièrement construite par les français du temps du Protectorat. Les rues sont larges, bordées de flamboyants en fleurs, dans lesquels les gamins grimpent comme des singes ! Il y a encore un grand nombre de ravissantes villas coloniales pas trop endommagées. Celle-ci a un balcon en avancée sur le jardin et les volets ressemblent tout à fait à ceux d’une petite maison de village français, encore bien propres, peints en bleu ciel. Celle-là comporte un étage et des fenêtres arrondies en arcades, ombragées par les palmiers. Ah ! Voilà celle que je préfère ! De petite taille mais parfaitement symétrique. On accède à la porte d’entrée par un double escalier aux marches basses. De chaque côté, une sorte de niche décorative octogonale peinte en bleu vif, et deux fenêtres aux volets en lattis de même couleur. Au dessus, un fronton triangulaire soutenu par deux colonnettes, et sur lequel on peut voir une rose peinte et des rubans décoratifs en trompe l’œil. Quant au toit, il est recouvert de tuiles ! Comme cette maison me plait, quel charme s’en dégage, ne pourrions-nous pas l’acheter et venir y passer nos week-ends ? Hum… Pas très réaliste. Mais on peut toujours rêver, n’est-ce pas !


Kompong Cham est la ville natale de Monsieur Huang, le chauffeur du Colonel. Il y a tous ses souvenirs d’enfance - de famille - je suppose. Il nous dit cela en chinois et nous sentons bien qu’il a envie de pleurer. Il est tellement nostalgique…. Monsieur Huang est un tout petit monsieur très maigre, aux abondants cheveux poivre et sel, très ponctuel et attentionné, totalement dévoué à son patron. Nous l’aimons tous beaucoup. Il présente une particularité amusante : son âge change selon le degré de considération que Le Colonel lui accorde. Quand tout va bien et qu’il est content de partir quelque part en sa compagnie, il a tout juste une cinquantaine d’années. Mais si son patron l’a fait tellement attendre et l’a oublié, l’obligeant à sauter son repas plusieurs fois de suite, il vient me voir pour m’expliquer qu’à bientôt soixante ans, et après une vie très difficile, il ne peut plus se permettre de jeûner parce que cela lui donne des maux d’estomac… Bien sûr ! Alors, je sermonne l’intéressé, Monsieur Huang déjeune mieux, retrouve le sourire et … sa jeunesse !


Ce soir, c’était la pleine lune. Nous avons fait quelques pas devant l’Hôtel Mékong où nous nous apprêtions à passer la nuit. Quel beau spectacle ! Je trouvais ce moment émouvant. A force d’y avoir cru, nous y étions, au bord de ce fleuve magique ! Et j’y avais probablement cru plus fort que François. Je lui ai pris la main pendant quelques instants, ne pouvant m’empêcher de penser que, si nous étions là, c’était en partie grâce à moi, et aussi que, pour la première fois, nous étions ensemble dans un endroit vierge de tout souvenir pour nous deux ! Partout ailleurs, il était déjà passé avec quelqu’un d’autre, et cela finissait par m’assombrir passablement… Je n’ai pas su ce qu’il pensait ce soir-là, mais j’avais l’impression qu’il était heureux.

Les bords du Mékong, comme tout le Cambodge, sont sales. Nous avons donc continué la promenade en voiture. Avant que nous partions, on nous avait dit « A Kompong Cham, ça flingue ! » mais nous n’avons pas entendu le moindre tir et toute la région nous a semblée calme. Cela nous a d’ailleurs été confirmé par les observateurs sur place : des français et des indiens. Les français, nous les avions invités à notre cocktail parce qu’ils se trouvaient à Phnom-Penh à ce moment là. Ils nous ont donc invités ce soir, mais c’est tout de même moi qui ai payé la note de restaurant car ils s’étaient très habilement arrangés pour l’ignorer ! Typiquement français ! Le lendemain dimanche, c’était au tour des indiens de nous inviter. Ils avaient commandé le « menu spécial » du meilleur restaurant de la ville, une effroyable gargote d’une saleté repoussante tenue par un chinois. Mais quand il y a du soleil et des arbres en fleurs tout autour, la saleté, comme la misère, sont beaucoup plus supportables ! Avant de partir, nous pensions que les observateurs étaient très privés des joies de la civilisation. François avait donc pris la bouteille de whisky que Marie et moi lui avions rapportée de France pour l’offrir aux observateurs français. Mais Marie était ulcérée qu’il ne la garde pas pour lui, et moi, non moins ulcérée qu’il l’offre à des pique-assiette. Nous avions donc caché la bouteille ! Et dimanche, nous l’avons offerte aux gentils indiens, en présence des autres qui, sans aucune vergogne, s’étaient imposés. Eh, oui ! Ce sont de bien petites choses. Mais les rapports humains sont faits de petites choses. Le colonel indien est venu s’asseoir à côté de moi et a été tout à fait charmant. Beaucoup plus gentil que le colonel français qui est récemment arrivé à Phnom-Penh et qui est un misogyne notoire…
Durant ce déjeuner, nous avons parlé de repartir pour Phnom-Penh par la route de l’Est qui longe la rive droite du Mékong et va plein Sud vers Prey Veng. Tout le monde a essayé de nous en dissuader, à tel point que François semblait ébranlé dans son projet. Nous avons donc décidé d’aller visiter une plantation d’hévéas rive droite, puis de repartir par la même route qu’à l’aller. Mais l’attrait de l’aventure a été le plus fort, et, une fois décidés,  nous avons quitté en trombe les belles voûtes formées par les branches des hévéas, pour nous lancer sur la « route de Prey Veng » avant que la nuit ne tombe. Ce n’est plus une route. Même pas une piste. Cela ressemble à un large mur qui s’effondre, au sommet duquel, entre éboulis et cratères, on fait de très gros efforts pour ne pas briser la belle 405 blanche. Lorsqu’on peut rouler en contrebas sur le sable ou au bord des rizières sèches, ou dans les ornières tracées par les chariots  à buffles, c’est mieux. Et j’ai moins peur pour Marie. Mais les passages les plus difficiles et les plus dangereux sont les petits ponts. Il y en a au moins une dizaine et tous sont aux trois quarts détruits. On passe sur des solives en métal. Il faut descendre de la voiture et poser des planches devant les roues. Mais il n’y a pas assez de planchettes. Donc, quelqu’un doit faire avancer la 405 très très doucement, pendant que les autres prennent les planches derrière pour les remettre devant, sous les roues !






Le Colonel au volant et Monsieur Huang à la manoeuvre



Les paysages sont dépouillés et monotones, mais on peut trouver ça beau : lagunes, rizières sèches et palmiers à sucre à perte de vue. Tout le long de la route, des maisons de bois sur pilotis, pauvres, mais charmantes à regarder, il faut le dire. Ce qui est très inquiétant, c’est l’état sanitaire de la population. Vieillards squelettiques couchés auprès de l’unique porte de la maison, édentés et chauves. Enfants tout maigres, aux cheveux roussis par la malnutrition, ventres gonflés, entièrement nus. Les gens valides sont petits et très maigres, noirauds, hirsutes, vêtus de haillons ou d’un seul pagne, et naturellement pied-nus. Et je ne cessai de me demander : que mangent-ils ? Mais que peuvent-ils donc bien manger ? Les rizières sont abandonnées depuis longtemps et ils ne cultivent pas un légume. D’ailleurs ils n’en auraient pas la force. La misère physiologique est quelque chose d’effrayant. Quand j’entends les étrangers bourrés de bons principes parler de l’installation de la démocratie, d’élections libres et de développement, je me demande si je ne rêve pas ! Il vaudrait mieux parler de riz et de légumes. Je n’ose même pas évoquer poissons et viandes car je ne pense pas que leurs estomacs les supporteraient ! Ces pauvres êtres réduits à l’état de loques humaines ne sont certainement pas aptes à comprendre les étranges idées de tous ces étranges étrangers tombés du ciel…


Enfin, nous sommes rentrés dans la capitale, bien fatigués – du moins Marie et moi -  et la tête toute bourdonnante d’images, impressions et réflexions, souvenirs déjà… Nul doute que tout cela ne fasse l’objet d’un rapport de la part du Colonel ! Cette vie est aventureuse, peut même être dangereuse, mais tellement intéressante ! Maintenant, il faut que nous nous installions dans la belle villa.








Hotel Mékong à Kompong Cham
Marie fait flotter les couleurs de l’ONU
 

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