dimanche 21 septembre 2014

"Quatre années au Cambodge" - Rencontre avec le Docteur Helmut Mad

Voici la suite de l'aventure de ma fille Marie. Elle s'était ouvert le genou avant que nous ne partions pour Kompong Cham. Mais la plaie, loin de guérir, empire.... Après une conversation avec ma nouvelle amie Inger Burns, épouse de Son Excellence Sir David Allan Burns - Ambassadeur de Grande Bretagne - et sur ses conseils, je fais la connaissance du Docteur Helmut Mad.


Extrait du Chapitre 3.

Voilà un mois que nous sommes arrivées dans ce pays. La vie commence à s’organiser sérieusement, bien que nous habitions toujours à l’Hôtel Sakol Moy. Ma fille et moi avons parcouru les rues de la ville à pied[1] ou en cyclo-pousse, ce qui est le meilleur moyen pour observer tout dans les moindres détails. Un jour, nous avons trouvé une petite Ecole Française – enfin, quelque chose qui y ressemble, avec beaucoup de bonne volonté. Mais nous sommes des personnes très ouvertes, et nous y allons ! Marie y a été admise d’emblée et elle y passe quelques heures par jour, vivant sa vie de fillette observatrice, intelligente, et surtout – au contraire de bien des gens – avide de toute nouvelle expérience.

Pendant ce temps, je m’informe, j’écoute parler les hommes, j’explore la ville. Mieux ! Je fais quelques connaissances. On me dit que l’épouse de l’Ambassadeur d’Angleterre cherche un professeur de français. Qui mieux que moi pourrait lui enseigner la langue de Molière ! Détail révélateur : comme je l’ai déjà raconté, le personnel de l’Ambassade de France loge dans un Hôtel autrefois construit par les russes. Pièces très hautes, tentures de velours rouge partout, sanitaires réduits à quelques tuyaux symboliques… Alors que Son Excellence britannique, Sir David Allan B. réside au Cambodiana, le seul Hôtel International de tout le pays, au bord du Mékong. Et il n’est pas le seul. Son Excellence Charles T. Ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique est son voisin !

Le couvre-feu est toujours en vigueur. On ne s’attarde nulle part passés les 18 heures. Dans ces pays proches du Tropique, la durée du jour est à peu près égale à celle de la nuit, environ 12 heures, avec quelques variations saisonnières. Tous les pensionnaires de l’Hôtel Sakol Moy se retrouvent autour de la grande table pour le dîner. « Dernier salon où l’on cause », il y règne une joyeuse animation. C’est en effet là que s’échangent toutes les nouvelles, car il y a des diplomates, des militaires, le type de la DGSE[2] et très souvent, des invités de passage. Mais ce soir, nous sommes tous un peu inquiets parce que le genou de Marie, au lieu de cicatriser, va de plus en plus mal. Elle ne peut plus marcher tellement elle souffre et la plaie est gonflée, enflammée et très rouge.

Tous compatissent. De toute la communauté des expatriés, elle est la seule enfant, et tout le monde apprécie sa charmante frimousse et sa vive intelligence.

Le Docteur Rosseler l’avait soignée, mais il semblerait que le voyage à Kompong Cham ait empiré la chose. Bien qu’elle ait peu marché, il eut certainement mieux valu qu’elle ne marchât pas du tout !

A l’unanimité, on me conseille une seule adresse « le Docteur Français » médecin militaire qui accompagne la Mission d’Assistance Militaire Française. Dès le lendemain, nous y allons dans la voiture diplomatique blanche conduite par Monsieur Huang, tout attendri par les malheurs de la jolie petite fille… Ce docteur est une brute ! Oh ! Pas physiquement ! Sa taille est même plutôt modeste. Mais ses gestes sont très mauvais et il n’est pas gentil du tout. Après avoir ôté le pansement posé par son collègue australien, il découvre une longue et profonde entaille, met ses doigts autour et presse fort en demandant « Ca fait mal ? » Evidemment que ça fait mal ! Rien que de le voir, j’ai très mal ! Quant à Marie, elle a si mal qu’elle hurle ! « C’est rien » dit l’autre sans se démonter. Et il met quelques morceaux de tricostéril.

Oui. « C’est rien ». Ca me fait penser aux gens qui nourrissent un molosse et vous disent « Il est pas méchant ». Et peu de temps après, on apprend que le dit gentil molosse a été piqué pour morsures graves sur des enfants, ou autre chose du même genre… Cet affreux bonhomme a fait pleurer ma fille. Il ne l’a pas du tout soignée, mais il a tout de même dit qu’il ne fallait pas qu’elle marche pendant quelques temps. Cela me semble une confirmation du diagnostic du docteur australien.

Toutefois, les jours passent et n’apportent aucune amélioration. J’ai vu la plaie et je sens bien que c’est sérieux. Mais que faire ?

Vient le jour de la leçon de français à l’Ambassadrice de Grande Bretagne. « Comment vas-tu ? » me demande Inger. Nous avons toujours de longs préalables au cours desquels nous échangeons les dernières nouvelles. Ici, c’est vital. De plus, c’est la seconde nature des diplomates et de leurs épouses : la recherche des informations…. de toutes sortes ! Après un moment, je finis par lui parler de l’accident de ma fille, de l’incompétence manifeste du docteur français, et du fait que son état ne s’améliore pas – ce qui me cause grands soucis pour sa santé et pour son moral. Car c’est insupportable de passer les journées la jambe allongée sur une table basse, au lieu d’aller gambader dehors au soleil, à son âge, et avec tout ce qui s’offre à nous !

« Ne te fais pas de soucis » me dit-elle, très sûre d’elle. « Demain, les docteurs allemands arrivent. Tu sais comme ils sont compétents ! Il faut que tu ailles les voir avec ta fille. Et ce sera d’autant plus facile qu’ils vont s’installer dans une villa restaurée à deux rues du Sakol Moy » Oh ! Merci ! Voilà qui me rend espoir. L’efficacité et la compétence des allemands n’est plus à prouver, particulièrement dans le domaine médical. Quant à leurs médicaments, ce sont de véritables « potions magiques » grâce au niveau de leur recherche en chimie et pharmacologie.

Un des gardes de l’Ambassade, grand, blond, costaud, porte ma petite Marie dans ses bras du premier étage de l’Hôtel jusque sur le siège du cyclo-pousse que son collègue a arrêté dans la rue. Il descend l’escalier tout doucement, posant avec précaution un pied après l’autre sur le rouge tapis russe, à la fois splendide et ridicule. Elle rit d’aise et il lui parle gentiment. Il la dépose en douceur sur le siège de plastic râpé et décoloré du cyclo, déjà chaud des rayons du soleil, et nous allons deux rues plus loin. Marie porte un petit ensemble à carreaux de toutes les couleurs, chemise et mini short, la tenue de sport de sa dernière école… en Afrique ! C’est que nous sommes de véritables aventurières ! C’est pratique, les jambes sont à l’air.

A la vue du pansement, un jeune gaillard très musclé et très souriant s’approche avec empressement, se penche vers elle, la prend dans ses bras, et l’emmène à l’intérieur du bâtiment. Je la suis tout à fait rassurée par sa prestance et son savoir faire évident. Ses cheveux épais et bouclés sont d’un roux flamboyant, ainsi que sa barbe longue et large. Un descendant de Frédéric Barbarossa ? ! Il dépose ma fille sur une table d’examen et me fait signe d’aller m’asseoir dans la petite pièce à côté.

Je reste assise un bon moment, attendant docilement que l’on vienne me chercher pour me faire part du diagnostic et de la marche à suivre pour un traitement. De l’autre côté de la petite pièce suivant la salle d’attente il y a un bureau. Un grand monsieur en blouse blanche en sort. Il passe vite et je ne vois que son dos. Je suis intimidée… J’attends sans bouger. Je commence à trouver que ça dure beaucoup. J’entends parler allemand à côté, mais je ne comprends pas cette langue. Quelques fois je distingue la voix de ma fille, mais je ne sais pas ce qu’elle dit. Enfin, le grand monsieur repasse et Barbarossa vient me dire – en anglais – que le Chirurgien Chef veut me voir. Le Chirurgien Chef… Oh, My God ! Et il me fait entrer dans le bureau d’à côté.

C’et là que je l’ai rencontré pour la première fois.

Le Docteur Helmut Karl Mad, Chirurgien, Colonel dans la Bundeswehr, en mission humanitaire au Cambodge. Grand – plus d’un mètre quatre vingt – large d’épaules, mais mince. Un visage d’un ovale régulier, les yeux très clairs, de profondes rides sur le front et de chaque côté de la bouche, et plus beaucoup de cheveux. Mais une belle harmonie. Une profondeur dans le regard qui exprime à la fois fermeté et bonté. La blouse blanche n’est pas boutonnée. Il s’assoit derrière sa table, y pose les coudes et croise les doigts. Il me regarde droit dans les yeux, sans l’ombre d’un sourire. Je lui rends son regard, mais je suis intimidée et je crains le verdict médical, tellement il est solennel.





Le Docteur Helmut Mad – 1936 - 2011

« Alors, Madame – me dit-il en agitant son index droit comme lorsqu’on tance les petits enfants – vous avez été voir le docteur australien, puis le docteur français, et maintenant vous venez voir le docteur allemand : moi. Et demain, vous irez voir qui ? » Je ne m’attendais pas à ça ! Je lui explique que le docteur australien était le seul que connaissait la responsable de la petite école où avait eu lieu l’accident, et qu’ensuite, tout le monde m’avait enjoint d’aller voir le docteur français, puisque nous sommes françaises. Mais, vu son attitude et le fait qu’il n’avait dispensé aucun soin, ma nouvelle amie, l’Ambassadrice d’Angleterre, m’avait conseillé de venir le voir, lui. Il est toujours préférable de dire la vérité…

« Alors, Madame, vous allez me promettre de venir ici, tous les matins avant 8 heures. Je vais m’occuper de votre fille. Nous lui ferons des pansements et elle ne devra pas mettre le pied par terre. Sinon …. J’attends un bloc opératoire qui devrait arriver dans quelques jours. Elle sera ma première opérée ».

Très effrayée, je promets tout ce qu’il veut. Chaque matin nous arrivons en cyclo-pousse. Après un petit voyage dans les bras musclés du garde de l’Ambassade, Marie se retrouve dans les bras rassurants de l’infirmier Barbarossa. Maintenant qu’on se connait, je suis autorisée à assister au renouvellement du pansement. Une fois même, Marie a les honneurs des caméras allemandes pour un reportage intitulé « Les Docteurs Allemands au Cambodge ».

Le chirurgien passe comme une ombre blanche, constate les progrès, et abandonne son projet d’opération ! Puis toute l’équipe des docteurs allemands va s’installer dans un grand bâtiment sur la route de l’aéroport. L’hôpital de campagne est arrivé avec le bloc opératoire et tout le matériel. Mais nous ne sommes plus concernées. Marie est guérie. Le Docteur Mad a sauvé sa jambe.


[1] - A cette époque, Phnom Penh comptait environ 700.000 habitants (estimation)
[2] - La DGSE est la Direction Générale de la Sécurité Extérieure. Fondée en 1982  pour prendre la suite du  SDECE, Service de Documentation Extérieur et de Contre Espionnage. Depuis 2008, la DGSE a été placée sous l’autorité du Ministre de la Défense.


2 commentaires:

  1. Ça alors! C'était donc du sérieux cette plaie au genoux. Et c'est vrai qu'à ces latitudes là, cela s'infecte rapidement.

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  2. Aujourd'hui ce sont de beaux souvenirs !

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