mercredi 1 octobre 2014

"Quatre années au Cambodge" - Comment je fais la connaissance du Général John Sanderson


Nous sommes encore aux débuts de cette Aventure. Jusqu'à présent, il n'y avait pas beaucoup de monde - je veux dire d'étrangers - au Cambodge. Un Général français : Michel Loridon, commandait les troupes. Mais l'ONU a envoyé 16.000 hommes, Casques Bleus, venus de tous les pays du monde - ou presque ! - et donné le commandement au Général Australien John Sanderson. Voici comment j'ai fait sa connaissance, d'une façon...... peu conventionnelle !


Le Général Michel Loridon s’en va. Il s’en retourne en France, mais non sans organiser plusieurs soirées de départ, offertes à plusieurs types d’invités. On ne pourra pas dire de lui qu’il a « filé à l’anglaise ! » Je n’ai pas très souvent rencontré le Général Loridon. Il est assez grand et mince et très souriant – du moins dans les soirées – Je sais que l’attitude négative des Khmers Rouges lui a causé des soucis. Lorsqu’il a réclamé qu’en vertu des Accords de Paris, on rende les kalachnikovs[1] il n’en a pas récolté la quantité espérée. Une blague court disant que certes, tous les fusils d’assaut usés, rouillés et hors d’usage ont été remis au général, et que les Khmers Rouges ont conservé les armes encore en état de fonctionnement, bien graissées et bien cachées ! C’est sûrement vrai … Les opinions varient à son sujet, mais on se presse à ses réceptions et tout le monde s’amuse. Une de ses soirées est organisée au bord d’une piscine. Après le départ des hôtes de marque, quelques uns de ses collègues décidés à chahuter leur camarade le jettent à l’eau. Non seulement il le prend bien, mais il se met en slip de bain ! « Sportif » dans tous les sens du mot…

C’est dans l’ancienne villa coloniale transformée en Bar chic et restaurant, et baptisée le « No Problem » qu’a lieu la soirée au cours de laquelle tout ce monde militaro-diplomatique accueille officiellement le Général Sanderson. Faute de l’avoir noté, je ne saurais dire – après tant d’années – à quelle date exacte elle a lieu, mais mon souvenir en est très vif. C’est d’ailleurs à partir de ce moment que le No Problem est devenu une sorte de bar australien. Bref. Ce jour là, il fait très chaud, et tout le monde sait que la chaleur coupe l’appétit, d’ailleurs je mange très peu. A midi, je n’ai donc avalé que quelques bouchées de …. je ne sais quoi et je suis sortie tout l’après midi. C’est pourquoi j’arrive au No Problem à moitié morte de soif, mais ravie à la perspective de la bonne bière bien fraîche que l’on va me servir, et très excitée à l’idée de voir enfin le célèbre Général John Murray Sanderson, Commandant en Chef des 16.000 hommes de la force militaire de l’UNTAC. Il est déjà là depuis un moment et tout le monde parle de lui à tel point que les oreilles m’en tintent !

Mais voilà, les australiens ont organisé une réception tellement chic que je ne trouve pas de bière. Les serveurs, en vestes blanches, présentent des plateaux sur lesquels il n’y a que des flûtes pleines de champagne. Je vais d’une pièce à l’autre. Comme c’est beau ! Comme ça sent bon ! Le patron a fait disposer d’énormes gerbes de tubéreuses dans de grands vases sur tous les guéridons. Le lourd parfum qui s’en dégage m’euphorise littéralement. Partout des  hommes de toutes les couleurs dans des uniformes splendides. Il faut que je fasse honneur et me mette au diapason d’une pareille ambiance. Voilà un serveur qui s’approche et me propose une flute de champagne. J’ai déjà refusé deux fois. Il me sourit. Je lui souris et prends la flute. Ah ! Comme c’est bon ! Et tant pis si je choque quelque puritain antialcoolique grincheux et rabat-joie, mais j’ai tellement soif que j’absorbe d’un coup la totalité de ce nectar. L’effet ne tarde pas à se faire sentir. De blanches, les tubéreuses virent graduellement au rose et je commence à voir la vie sous les couleurs les plus riantes. Mon mari n’est toujours pas arrivé. Il est surement occupé, comme d’habitude. Bon. Je prends une deuxième flute, juste pour me donner une contenance, et vais faire connaissance avec quelques officiers français nouvellement arrivés au Cambodge. Je me sens vraiment bien. Mon bonheur serait complet si je pouvais enfin voir ce fameux général australien dont on m’a déjà dit tant de bien…

Je perds un peu la notion du temps. Par très petites gorgées cette fois, je bois la moitié du contenu du verre que j’ai dans la main. Je parle à quelques personnes, je souris à des inconnus, puis, il y a un mouvement de foule vers l’entrée. « Voilà le Général ! » « C’est Sanderson ! » Enfin ! Notre héros ! Seulement, moi, je suis petite, et tous les invités ou presque sont des hommes, tous grands. Je me faufile entre tous ces gaillards, me coule comme une serpente, me presse pour atteindre le premier rang. On ne va pas me gâter mon plaisir ! Et c’est là que je le vois. Le Général est de taille moyenne mais large d’épaules, il a les yeux très bleus et un sourire… un sourire… je m’approche et lui fais un gros baiser sur chaque joue ! « Je m’appelle Mélanie – lui dis-je -  Ambassade de France » « Enchanté » répond-il, sans se démonter, et tout naturellement son bras gauche trouve ma taille. Je suis aux anges ! Je regarde autour de moi. Le Général me tient toujours contre lui, il est hors de question que je m’en aille. C’est alors que je vois, derrière les premiers rangs de l’assistance, un type très grand qui me regarde, les yeux hors de la tête ! Ah ? Je crois que c’est François…

Moralité et conclusion : le champagne est un élixir magique qui permet de voir la vie sous ses vraies couleurs qui sont rose et or. Il permet aussi de séduire les généraux australiens, et peut-être même d’autres hommes de différentes nationalités. Il peut également créer les circonstances favorables à une belle amitié.


[1] Il s’agit du fusil d’assaut AK47 conçu par le soviétique Michaïl Kalachnikov dès 1947, premier d’une vaste famille de fusils d’assaut. Il parait que de toutes les armes à feu, la kalachnikov est une des plus fiables car elle ne s’enraye ni dans l’eau, ni dans le sable, ni sous les climats humides comme celui du Cambodge – ce qui explique que ce soit l’arme préférée de tous les guérilleros. Toutefois, il lui faut un minimum d’entretien car un usage trop intensif et trop prolongé provoque naturellement de l’usure.

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