lundi 20 octobre 2014

"Quatre années au Cambodge" - Queen's Birthday Party (1992)

"Queen's birthday Party" L'Anniversaire de la Reine d'Angleterre - est-il besoin de le préciser ? ! est jour de Fête Nationale. Dans ce chapitre, je raconte - entre autres choses - comment s'est déroulée la fête en 1992 à Phnom-Penh.





Le 11 juillet au soir, nous fêtons l’anniversaire de la Reine d’Angleterre, Queen’s Birthday Party, leur fête nationale. Il parait que cela se fait depuis 1748, mais la date peut changer d’un pays du Commonwealth à l’autre et en l’occurrence, je ne sais pas du tout qui a décidé que cette cérémonie aurait lieu un 11 septembre à Phnom-Penh, parce que c’est un 21 avril qu’est née Sa Majesté Elisabeth II… Je laisse donc la question pour un spécialiste anglais ! Le corps diplomatique, les hauts fonctionnaires de l’ONU, des officiers supérieurs de toutes les couleurs, observateurs, journalistes, sans oublier des politiciens khmers des différents partis, bref, une foule considérable se presse au Phnom. Vu la chaleur, les serveurs porteurs de plateaux de boissons sont presqu’aussi entourés que les ambassadeurs ! Chacun salue qui doit l’être, tout en observant du coin de l’œil la vaste assemblée, tâchant de voir si quelque personnage notoire manquerait à l’appel, ou si l’on va rencontrer de nouvelles têtes. On parle en tant de langues qu’on pourrait se croire dans une succursale de la célèbre Tour de Babel ! Toutefois, c’est l’anglais qui domine nettement, avec toutes les variantes imaginables. Pour ma part, c’est l’accent indien qui m’amuse le plus parce qu’ils roulent des R alors que les anglais ne les prononcent pas ! Les invités forment parfois de petits groupes, puis se séparent pour aller parler avec les nouveaux venus, et le bruit des conversations augmente de minute en minute. Tout cela est très sympathique, mais…. il ne se passe rien ! Ah ! Si ! Voilà tout un groupe de militaires australiens, grands et costauds, portant leur uniforme si reconnaissable. Ils restent un peu en retrait, formant une sorte de mur circulaire. Je ne dirai pas que c’est par discrétion ! Ces gaillards là sont tous tellement grands, larges d’épaules, musclés, bref, très impressionnants, qu’il leur est tout à fait impossible de passer inaperçus !

Enfin, retentissent les accents du God Save the Queen. Les conversations cessent instantanément, l’assemblée, comme un seul homme, se tourne vers le fond de la salle et se fige. Tous les militaires se mettent au garde-à-vous. Parait alors un écossais vêtu de la façon la plus traditionnelle : kilt tenu par une large ceinture de cuir à grosse boucle, sporran[1] en fourrure blanche, chemise également blanche et spencer noir. Grandes chaussettes montant aux genoux avec revers à pompons et souliers de cuir noir. Il porte une sorte de béret. Cet homme, plus très jeune déjà, semble tellement anachronique et déplacé ici, au Cambodge, que j’en ai le souffle coupé ! Mais le plus étonnant et le plus remarquable, c’est qu’il marche seul, très lentement, en jouant du bagpipe – de la cornemuse – Derrière lui, à bonne distance, Son Excellence Sir David Allan Burns, Ambassadeur plénipotentiaire de Sa Majesté Britannique, donnant le bras à son épouse Inger, avance du même pas très lent et cérémonieux. Ils ont l’air tellement grave que l’assistance entière est gagnée par le respect, voire l’émotion. Une fois de plus la Vieille Angleterre en impose…

 Sir David à notre Résidence

Sir David et Inger sont tous deux de très haute taille et blonds comme des descendants de vikings. D’ailleurs Inger est suédoise ! Ils sont très beaux, et fort aimables. Mais on sent bien que ce sont des aristocrates. Partout où ils vont, les regards convergent vers eux, comme naturellement, et Sir David n’a pas son égal pour diriger une conversation, faire valoir l’un, remettre l’autre à sa place de façon toutefois qu’il le prenne pour un compliment et non une offense, bref, tenir son rang avec superbe. J’ai beaucoup de chance parce que je suis leur amie. J’enseigne le français à Inger et je sais que Sir David m’aime bien. J’apprécie l’humour britannique plus que tout autre, ce qui nous fait au moins un point en commun !

Après les compliments d’usage en de telles circonstances, l’enchantement est levé et les acteurs de la scène reprennent vie et … conscience de leur soif ! L’émotion, sûrement ! J’attrape un verre de bière et me précipite vers le joueur de cornemuse. C’est quelque chose qui a beaucoup étonné Le Colonel au début de notre vie commune : cette facilité que j’ai de parler avec tout le monde, sans me laisser impressionner le moindrement par les titres et les rangs, et d’engager la conversation avec de parfaits inconnus en toutes circonstances. Mais il me semble qu’il n’y a aucun mal à cela. Toutefois, j’ai vite découvert qu’il ne suffit pas de respecter les règles du savoir vivre en société. Il y faut en plus de la sincérité, du cœur, et, si je puis dire, un a priori d’amitié. Cela permet également d’avoir des conversations vraiment intéressantes, pas seulement des échanges de platitudes guindées. C’est aussi une des raisons pour lesquelles je me plais particulièrement dans des situations dynamiques et non convenues comme ici. Les milieux froids et aseptisés où chaque parole, geste, vêtement… doit correspondre à une convention, répondre aux critères du « ça se fait – ça ne se fait pas » et est passé au crible de certaines références sociales non écrites, ne me conviennent pas.

Donc, je me précipite vers le joueur de cornemuse. Je me présente. Il se présente. Nous trinquons à la bière. Il est australien. C’est le Padre Gordon. Il est arrivé depuis peu pour veiller sur les âmes des gaillards que son pays a envoyés participer à cette opération de maintient de la paix. D’origine écossaise, il a conservé toutes les traditions de ses ancêtres, y compris les vêtements traditionnels qu’il porte fièrement pour les fêtes, et le bagpipe dont il joue fort bien. Alors, je lui raconte que, toute petite, j’habitais chez mes grands parents au bord de la mer, en Bretagne du nord, et que je suppliais mon grand père de m’emmener écouter les joueurs de cornemuse dès qu’il y avait une manifestation folklorique traditionnelle. J’aimais vraiment ça. Naturellement je me garde bien de dire au Padre que ma grand-mère trouvait cela trop populaire et donc, vulgaire ! Puis nous parlons de bière. Nous sommes tous deux grands amateurs, et d’ailleurs, c’est de la bière australienne que nous buvons parce qu’actuellement, elle est importée en grande quantité pour être vendue à tous les étrangers dont la soif ne diminue jamais à cause de la grande chaleur de ce pays ! « Mais, savez-vous que notre pays produit également de très bons vins ? » me demande-t-il. Et nous voilà partis sur le sujet…. Après un bon moment, le sens des convenances nous conseille de mettre fin à cette conversation pour nous mêler aux autres invités, mais nous échangeons nos adresses afin de nous revoir sans tarder.

Quelle belle fête c’était ! Nous rentrons à la Résidence très heureux. Marie, malgré – ou peut-être à cause de son jeune âge et des circonstances particulières - est admise partout. Elle connaît tout le monde et je crois que pour elle, c’est un moyen éducatif exceptionnel que d’être admise dans ces mondes diplomatique, militaire et politique normalement si fermés pour le commun des mortels. Elle n’a pas encore douze ans, mais déjà se comporte de façon très mûre. Et lorsqu’elle fait des réflexions de son âge, cela est bien rafraîchissant pour tout le monde. François lui parle comme à une adulte et lui explique tout ce que nous vivons d’historique.

Les journées sont maintenant bien organisées. Le matin, nous prenons notre petit déjeuner ensemble à la petite table. En effet, nous avons une table gigantesque, à laquelle on peut asseoir 12 personnes très à l’aise et 14 en se serrant un tout petit peu ; et une seconde, ronde, installée devant la porte du jardin arrière, que nous utilisons lorsque nous ne recevons pas. Le Colonel se vêt en fonction des circonstances. Il  met une tenue civile, ou son uniforme de colonel, ou encore le treillis-rangers. Dans ce cas, je sais qu’il part en brousse et je suis contente pour lui parce qu’il n’y a rien de meilleur pour les hommes, ni de plus excitant et joyeux que de s’en aller barouder ! Et puis, le soir, il me racontera des histoires amusantes. Durant les matinées, je sors faire des courses ou des achats pour la décoration de la maison. En fin de matinée, je bois une bière australienne en attendant le retour de mon mari qui revient déjeuner vers 13 heures. Après le déjeuner, nous faisons tous une sieste parce que c’est la coutume ici, et qu’il ne servirait à rien d’aller travailler tout seul ! Ou de sortir sous un soleil de plomb pour trouver tout fermé, comme lorsque j’étais allée prospecter pour du tissu à rideaux. Mais je n’arrive pas à me reposer parce que François s’agite beaucoup. J’attends qu’il parte puis je m’endors. C’est le meilleur moment pour récupérer des fatigues des dernières 24 heures et se préparer à affronter la prochaine soirée, parce que nous sortons ou recevons tous les soirs, ou presque !

Une près midi, je me réveille un peu tard, je reste encore quelques minutes à rêvasser sur le lit, puis je descends voir ce que fait ma fille. Oh ! Surprise ! Je trouve quelques bouteilles de vin et boîtes de bière sur la table basse du salon, bien artistiquement disposées. Je m’approche dans l’espoir de trouver un mot. Rien. Mais je vois très vite que tous ces produits sont australiens, et la conversation que nous avions eue, le Padre Gordon et moi, lors de l’Anniversaire de la Reine, me revient en mémoire. C’est donc lui qui m’a apporté, ou fait porter tout cela, aucun doute là-dessus. Dès le lendemain, je vais au camp des australiens, juste à l’extérieur de la ville mais tout proche, et je le cherche. Mon Dieu, comme ces gars-là sont costauds ! Il faut dire que moi, je suis toute petite à côté d’eux. Et quant à la corpulence, si les français me traitent familièrement de demi-portion, les australiens pourraient bien me traiter de quart-de-portion ! C’est peut-être pour cela que les grands gaillards m’impressionnent toujours beaucoup et que j’admire la force physique… Je suis un peu intimidée, mais il faut faire face et je demande où est le Padre. Tout le monde est d’une gentillesse exquise avec moi et lorsqu’enfin, après avoir parcouru presque tout le camp, je le trouve, il est ravi de ma visite. « Oui ! me dit-il. Faite comme vous l’êtes, et vêtue de cette façon, les gars ne peuvent qu’être aux petits soins avec vous ! Mais le comble est que vous veniez me voir, moi qui ne suis pas censé avoir une petite amie ! » Hum… Oui… Comme d’habitude, je porte un short rose, une petite chemise de même couleur et des mules dorées à talons hauts. C’est ma tenue ordinaire, l’équivalent pour un militaire du treillis-rangers, je n’y entends pas malice. Mais j’avoue être charmée quand ces grosses brutes me font les yeux doux… Les yeux-bleus doux, devrais-je dire !

Vais-je passer pour la bonne amie du Padre ! Ah ! Ce serait trop comique ! Mais je suppose qu’il saura expliquer ma venue comme il convient… Nous nous asseyons et parlons comme de vieux amis. Après un moment, je lui demande s’il connaît Tony Richings, le Commandant en compagnie duquel ma fille et moi avions passé une journée complète à l’aéroport de Bangkok la veille de notre arrivée au Cambodge. C’est là que le Padre  me dit que quelques jours seulement après son arrivée, Tony Richings est tombé si malade qu’il a fallu le rapatrier en Australie pour qu’il y reçoive les soins appropriés à son état. Je suis vraiment désolée. Je souhaite à cet homme bon, meilleure santé, longue vie et bonheur.


[1] Le sporran est la bourse que portent les écossais pour remplacer les poches dont leurs kilts sont dépourvus. Ces bourses sont en fourrures ou en cuir, et portées sur le devant.
 

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