Aujourd'hui, je livre à mes lecteurs le chapitre 7 de "Romantique Zhu-Hai". Il est intitulé "La moustiquaire", mais j'aurais pu ajouter en sous titre "Le temps des amours heureux". J'y parle, certes, du beau Docteur Sorenson, mai aussi de mes activités en tant que professeur étranger dans une université expérimentale.
Tous mes livres présentent deux histoires parallèles : la vie dans la pays d'accueil, les activités, la culture et les particularités de ce pays. A côté : la vie privée de l'héroïne. Ces deux thèmes s'enroulent l'un dans l'autre comme..... une molécule d'ADN à la forme hélicoïdale.......
Chapitre 7 - La moustiquaire
Il faut bien que je le reconnaisse, jamais auparavant je
n’ai ressenti pour un homme ce que je ressens pour le beau Docteur David
Polyphemus Sorenson. Quand je le vois, je m’arrête de penser. Je n’ai plus
envie de parler, de raisonner, de prévoir – car je suis une personne qui
s’efforce toujours de tout prévoir. Non ! Même pas le prochain baiser. Ca
vient tout seul. Un enchaînement magique, guidé par les dieux…
Mais j’ai tellement lu les classiques… Ce bon Pierre de
Ronsard écrivit à son Hélène ces vers si célèbres :
Quand
vous serez bien vieille, le soir à la chandelle,
Assise
auprès du feu, dévidant et filant,
Direz,
chantant mes vers, en vous émerveillant,
« Ronsard
me célébrait du temps que j’étais belle ! »
Dans mon histoire, c’est moi qui écris, et les vers, et la
prose. Je ne veux pas oublier les plus beaux jours qu’il m’ait été donné de
vivre. Ainsi, quand je serai bien vieille, j’aurai au moins une belle histoire
à relire ou raconter, et elle illuminera mon cœur.
Mon cœur, c’est lui. Je le regarde. Il baisse un peu la tête
et sourit sans parler. Quand il parle, c’est doucement et à voix basse. Sa
bouche, ses lèvres, en serais-je jamais rassasiée ? Sa peau, si douce,
souple, couverte de taches de beauté. Ses cheveux bouclés sont d’une douceur
exceptionnelle et dégagent un parfum qui lui est propre. Même ses pieds sont
tendres. « Je suis un grand nou-nours » dit-il. Ah oui ! Comme
c’est inattendu et mignon ! Il me regarde. « Tu es belle » et
quelques minutes après « Je suis content ». Quand je me réveille la
nuit – les trois heures du matin fatidiques – ou même dès deux heures à cause
d’une alarme de voiture, je pense à lui et, en pensée, le couvre de baisers de
la tête aux pieds. Le lendemain je le lui dis. « Ca me convient »
répond-il modestement.
Vendredi je suis allée chez lui pour la première fois. Mon
appartement est sis au huitième étage de l’immeuble 18 au bord du lac, à l’est
de la Résidence. Il habite à l’ouest, à l’autre extrémité du parc, l’immeuble
trois, en bord de rue, et au troisième étage. Sans moustiquaires aux fenêtres.
C’est absolument invivable. On voit que son propriétaire ne pense pas au
confort de ses locataires et ne se préoccupe que d’encaisser ses loyers sans
même procéder aux investissements de base. Il y a quelques jours, David s’est
fait acheter une moustiquaire pour son lit, et il m’a invitée à venir la voir…
Je mets dans un sac quelques bouteilles de bière et un
paquet de raviolis chinois congelés parce que je mets fortement en doute les
talents d’organisateur de David et sa capacité à prévoir quelque chose pour
dîner. Je prends mon parapluie, et je sors courageusement sous les trombes
tropicales dont les européens n’ont pas idée. En un instant, on est trempé
jusqu’à la moelle des os. Je trottine jusqu’à l’immeuble N°3, celui où habite
Alex, un jeune allemand qui m’a été présenté par Kitty. Alex vend des panneaux
solaires. Il vit avec une petite chinoise qui se fait appeler Coco. Elle a déjà
une petite fille, très mignonne d’ailleurs. Ce pourrait être une gentille
petite famille comme on en rencontre beaucoup dans le milieu des expatriés.
Mais Alex est un gars difficile, avec un passé, et beaucoup d’états d’âme.
Alors, il boit, il noie ses problèmes dans des hectolitres de bière… chaque
soir.
J’envoie des messages à David pour qu’il vienne m’ouvrir la
porte de l’immeuble car c’est quelque chose que je n’ai jamais su faire. Chaque
immeuble est pourvu d’un clavier sur lequel il faut composer un digicode. Les
gardes changent les codes tous les six mois… Je suis là, devant l’escalier
transformé en cascade, dans le noir, avec des nuages de moustiques pour toute
compagnie. Ce n’est pas vraiment agréable. Que peut bien faire mon Bel Alien ?
Enfin, je vois la grande silhouette dégingandée du beau
Docteur Sorenson surgir entre deux bosquets de plantes tropicales
dégoulinantes. C’est lui mon soleil depuis notre week-end à Hong-Kong. Je
me jette dans ses bras. Je lui demande où il était. Il était parti, comme ça,
sous la pluie, pour me trouver. Sans savoir où, sans se munir d’un parapluie,
sans même prendre son portable… Il est adorable. Nous montons sans plus tarder
pour nous mettre au sec.
« C’est
spartiate » dis-je en entrant. Mais c’est pire. Totalement vide. Excepté
les quelques meubles que le propriétaire est obligé de fournir sans quoi il ne
pourrait pas louer son appartement. Il y avait tout de même un téléviseur, mais
il l’a posé à terre derrière le sofa « pour ne pas être tenté de le
regarder » me dit-il. Je trouve cela fort étrange… Aucun objet personnel.
Deux petits bols dans la cuisine et un wok en fonte, le meilleur marché et la
plus basse qualité possible. Je m’étonne même que l’on en trouve encore de tels.
Il me dit que c’est son Aÿ qui le lui a acheté pour pouvoir lui faire la
cuisine de temps à autre. Je ne sais comment elle s’y prend, mais en ce qui
concerne le ménage, elle est nulle. Il y a des cheveux partout par terre et la
salle de bain ne m’inspire pas du tout…
Enfin, heureusement que j’ai l’essentiel : de la bière
à boire. Puis je fais chauffer de l’eau dans le wok pour y cuire les raviolis,
ce qui est une hérésie en soi, et nous passons à table. Le plateau est en
plastic imitation marbre. C’est du
meilleur goût ! Dessus, une petite serviette de toilette en guise de nappe
« brodée d’une petite fleur » me fait remarquer mon hôte, qui ne peut
pas ne pas se rendre compte que je trouve son environnement catastrophique.
C’est vrai. Je suis très sensible au cadre. Particulièrement au cadre de la vie
quotidienne. Je trouve que s’il est trop mauvais ou trop laid cela peut avoir
une influence néfaste sur ses occupants, même à leur insu. Par ailleurs, un
intérieur est révélateur de la personnalité de son propriétaire. Je suis consternée
et ne sais que penser…
Mais David me propose de monter rendre visite à Coco. Alex
et elle habitent l’appartement juste au dessus du sien. La nuit, quand Alex
revient fin saoul, il mène grand tapage, crie, remue les affaires, met de la
musique à fond, et David ne peut pas du tout dormir. Il a entendu dire que ces
incommodants voisins devaient déménager au mois de juin. Nous sommes mi avril.
Si leur départ est confirmé, il pourra prendre son mal en patience. Sinon, il
songe à chercher autre chose pour lui-même.
Nous montons. Coco, très étonnée d’avoir de la visite le
soir, nous ouvre la porte et nous fait bon accueil. Mais elle n’est au courant
de rien. « C’est la femme au foyer » me dit David un peu plus tard.
Oui… Sa fille, la petite Monica, vient nous embrasser. A la mode chinoise, elle
nous appelle « Tonton » et « Tante » Elle est très
mignonne, gentille, bien élevée, intelligente. Mais il est tard. Elle regarde
des dessins animés japonais. De véritables abominations tout à fait propres à
déformer un cerveau enfantin. A cette heure, la pauvre petite chérie devrait
être au lit avec un verre de lait et beaucoup de bisous. Alex n’est pas là, il
est parti boire, et nul ne sait quand il rentrera.
Nous redescendons pour aller « essayer la
moustiquaire » ! Ma foi, c’est romantique. Elle est suspendue à un
anneau au plafond et déroule gracieusement sa blancheur diaphane, tel un voile
de mariée, tout autour du lit. Je n’ai jamais encore couché dans un lit équipé
d’une moustiquaire, bien que j’aie passé de nombreuses années outre mer dans
des pays tropicaux. Nous nous embrassons et nous câlinons un long moment, puis
David se retourne et s’endort. Mais moi, je ne saurais dormir ainsi. Il fait
chaud et pour essayer de capter le moindre souffle d’air, il laisse les
fenêtres ouvertes. De ma vie je n’ai dormi avec les fenêtres ouvertes. Et la
rue est bruyante. Il y a tout le temps du passage. Les chinois sont
noctambules, c’est bien connu. Et quand ils parlent, ils en font profiter toute
la Résidence ! Leur discrétion est légendaire ! Des motos passent
toutes les demi-heures, vrombissant plein pot. Enfin, à 3 heures du matin, Alex
revient, et là, c’est le pompon ! Il est tellement saoul que je me demande
même s’il ne s’agit pas d’une crise de delirium. Il commence par se doucher,
bouscule les fauteuils en hurlant, et prend sa guitare. Il se met à chanter à
tue-tête, ponctuant son récital de quelques hurlements sporadiques. C’est
tellement excessif que je finis par avoir envie de rire !
C’est vraiment le cas de dire que je ne peux fermer l’œil.
Alors, je regarde les éclairages de la rue. Il n’y a même pas de rideaux aux
fenêtres qu’il a laissées largement ouvertes. En bruit de fond, j’entends les
crapauds buffles, les grenouilles, et de ces bruits nocturnes qui rappellent la
jungle. Cela pourrait me faire évoquer d’anciens souvenirs, mais au fond,
est-ce que je pense ? Non. Je suis fatiguée, bien sûr. Et heureuse aussi.
Uniquement à cause de la présence de David à mon côté. C’est une bien douce
nuit d’insomnie. Au petit matin, je commence à m’assoupir, mais il faut que je
me lève et regagne mon appartement.
J’ai la tête qui tourne, le cœur qui bat, et les jambes qui
tremblotent. David me sourit. Il a dormi, lui. Il voudrait que je boive du thé
dans un petit bol. Je ne peux pas. C’est brûlant. Je veux un jus de fruit – et
du lait dans le thé. Je ne me sens pas bien, et je sais que ma santé, et donc,
mon bon fonctionnement, même intellectuel, en sera perturbé. C’est pourquoi je
m’enfuis. Il m’accompagne jusqu’à la porte. Je monte dans l’ascenseur. Il sort
sur le palier. Je fais un pas en arrière. Lui aussi. Que voulait-il me
dire ?
Au petit matin, juste avant sept heures, le parc embaume, et
les personnes âgées sont toutes dehors, à pratiquer le Tai Chi ou la Danse du
Sabre. Je hume les parfums de fleurs avec volupté. Je suis habillée pour une
soirée et le soleil se lève. Je croise une grand-mère qui me regarde avec une
expression lourdement réprobatrice. Je suppose qu’elle a très bien compris que
je sors de chez mon amant, et qu’elle désapprouve hautement. Mais c’est le
cadet de mes soucis !
Je rentre chez moi, à la fois heureuse et désolée, comblée
et triste, de devoir le laisser, tout seul, dans un appartement tout vide.
C’est le message que je lui envoie, après avoir hésité, je l’avoue, mais j’ai
décidé d’être sincère et spontanée. Je me mets à laver tous mes rideaux parce
qu’ils sentent le moisi. C’est toujours ainsi sous un climat tropical chaud et
humide. J’ai vraiment de la chance d’avoir une dame pour propriétaire, et pas
n’importe laquelle ! Elle est chinoise de Hong-Kong, résidant à San
Francisco, et s’appelle Iris. Quel joli nom ! Elle a tout prévu pour le
maximum de confort dans l’appartement : toutes les fenêtres sont équipées
de moustiquaires, le balcon est fermé par des verrières, il y a des rideaux, et
les meubles sont neutres et fonctionnels. Je mets mon point d’honneur à
l’entretenir comme s’il était à moi, ainsi que tout son contenu. Cela avait
d’ailleurs impressionné David la première fois qu’il était venu. Tout est
propre, nettoyé, désinfecté, et ça brille ! C’est aussi cela qui m’a
attiré les bonnes grâces d’Iris « Comme ça brille ! »
« C’est que je fais comme si c’était chez moi »
Dans l’après midi, j’ai quatre heures de cours. Cela veut
dire quatre heures debout, à tournoyer dans la salle de classe, écrire au
tableau, secouer les étudiants, aller, venir, jusqu’à ce qu’ils me disent
« Professeur ! Quelle énergie vous avez ! Les autres ne font pas
comme vous… » Oh ! Je sais ! Ils s’assoient derrière l’énorme
table-pupitre-ordinateur, prennent un micro – ce qui leur permet de murmurer
pour économiser leur voix – et, dans les pires des cas, n’adressent même pas un
regard à leurs étudiants. Certains professeurs étrangers, qui partent du
principe que les étudiants chinois sont nuls me hérissent le poil. Que sont-ils
donc venus faire ? Encaisser un salaire qu’un autre pays leur aurait
refusé ! Bref, j’ai mes méthodes, et elles font chaque jour leurs preuves.
Mais, bien sûr, quand je rentre chez moi, je suis vraiment fatiguée.
Ce soir, je descends la colline du Phoenix d’Or. Quand
verrai-je cet oiseau ? J’ai beau le guetter… je me demande si ses plumes
sont rouges ou or ? Un jour, peut-être… je descends la colline, songeuse.
Ce serait tellement agréable de pouvoir voler… j’ai un peu mal aux pieds à
force d’être restée debout. Mais je dois encore marcher jusqu’à l’arrêt des bus
pour prendre le 69. Et voilà que le mini bus de notre université s’arrête
devant moi. La porte automatique s’ouvre et Francis crie « Mélanie !
Monte ! » en me tendant la main. Comme c’est gentil ! J’apprécie
d’autant plus que nous ne sommes pas particulièrement amis. Francis est peut
être un avatar du Phoenix, pour quelques minutes, qui sait ? Cela m’amuse
d’y penser.
Maintenant je suis à nouveau dans mon appartement. Une fois,
le beau Docteur Sorenson m’a demandé « Vous pensez à moi quelques
fois ? » Oh ! Que oui ! Toujours dans mon cœur. Mais ce
soir, personne au monde ne peut me contacter. J’ai fort malencontreusement
oublié mon téléphone portable dans un tiroir de mon bureau à la Fac ! Tant
pis. Tant mieux. Il faut tout prendre au mieux. Ce soir, reposons-nous.
Le lendemain, c’est David qui m’appelle. Entre temps, j’ai
récupéré mon portable. Son Aÿ lui a acheté une « rizière ». C’est
ainsi que je surnomme l’autocuiseur dans lequel on fait le riz à la vapeur.
C’est tellement plus joli qu’un nom d’appareil électroménager ! Alors,
comment faire pour s’en servir ? Je le lui explique : mettre une
mesure de riz, une mesure d’eau, et une mesure supplémentaire pour la rizière.
Il ne comprend pas. Je répète doucement. Un bon professeur doit pouvoir
enseigner n’importe quoi pourvu qu’il ait compris lui-même, n’est-ce pas ?
Quand je raccroche, je suis contente : il m’a appelée. Quelque soit le
prétexte, je suis contente. Tout ce qui me vient de lui contribue à mon
bonheur.
Aujourd’hui, c’est mardi. La seule journée où je n’ai pas
cours. Les autres collègues de français en profitent pour rester chez eux. Moi,
pour faire ce que je n’ai pas le temps de régler au quotidien. En l’occurrence,
je dépouille une Enquête faite auprès de tous mes étudiants, quelque soit leur
niveau. Je classe les résultats quantitatifs et en tire des statistiques. Quant
aux résultats qualitatifs, ils éclairent les précédents. Le tout permet de
faire des projections assez précises, voire chiffrées, pour les semestres
suivants. J’en ai besoin si nous voulons mettre sur pied un vrai Département de
Français.
Ceci fait, je vais à la Bibliothèque retrouver un groupe de
professeurs sélectionnés au hasard par quelques unes des secrétaires des
bureaux administratifs, et chargés de recruter des étudiants pour la rentrée
prochaine. Notre université est un établissement privé. Son but est de
rapporter un maximum d’argent à ses actionnaires, tout comme n’importe laquelle
des industries d’un pays européen. Le blablabla officiel du Président au sujet
du rayonnement de la culture, des échanges internationaux contribuant au
développement de la personnalité des étudiants, des visées sociales et
humanitaires de certaines matières à option… ne sont en réalité qu’un discours
publicitaire. Nous devons nous vendre. Pour ce faire, nos produits doivent être
brillants. Ce qui n’est pas encore le cas, car nous n’avons eu droit qu’aux
étudiants de troisième choix après le concours national d’entrée à
l’université. Mes collègues et moi sommes donc chargés de mission : nous
allons recruter de bons éléments dans un collège boîte-à-Bac d’une ville
nouvelle voisine.
Il s’agit de Zhong Shan City. Ville nouvelle à vingt minutes
de Zhu Hai par autoroute. En 1866, sur l’emplacement des splendides immeubles
d’aujourd’hui, il n’y avait que quelques maisons basses et le village était
bien pauvre. Mais c’est là que naquit le Docteur Sun Yat Sen. Seule
personnalité politique à faire l’unanimité chez les Communistes et chez les Nationalistes,
à Taïwan et sur le Continent. Zhong Shan est son nom de plume. Nous allons à la
« China Hong Kong English School of Zhong Shan City » Cette ville
nouvelle est superbe. D’une propreté hollandaise. Le plan en est carré comme
celui des anciennes villes chinoises. La végétation, régénérée par les récentes
pluies, est luxuriante et admirablement entretenue. Quant à l’école, ça, c’est
une école qui ressemble à quelque chose ! On se croit arrivés en Angleterre !
Nous sommes accueillis avec respect par les responsables de
l’école, et crainte de la part des élèves. Leur avenir se joue ! C’et du
moins ce qu’ils pensent. Moi, je ne crois pas à ce genre de chose, mais eux en
sont persuadés. Nous sommes priés de former des groupes de deux. L’un posera
les questions « techniques » et l’autre tâchera de deviner la vraie
personnalité de l’élève. Marya M. ma collègue d’origine russe et moi formons un
couple. Elle prend la direction des opérations du point de vue technique, et
moi, j’endosse le rôle de l’observateur. Cela correspond parfaitement à nos
expériences professionnelles et à nos personnalités respectives. Marya est
professeur au Business Management Departement, et cela ne fait pas très
longtemps qu’elle est en Chine. Quant à moi, j’y suis depuis tant d’années que
je ne compte plus, et entre autres qualifications, j’ai des diplômes de psychologie,
graphologie et caractérologie.
Les élèves défilent pendant environ deux heures. Marya
demande « Comment avez-vous connu notre université ? Pourquoi
voulez-vous y venir étudier ? Quelle est votre meilleure
matière ? » Et moi, je les observe, de temps à autre je souris pour
les encourager. Certains sont vraiment très nerveux. Puis je demande « Que
fais ton père ? Et ta maman, elle travaille ? Qu’est-ce que tu aimes
faire quand tu as du temps libre ? » C’est dans de telles
circonstances que je mesure l’étendue de l’expérience que j’ai accumulée. A
peine vois-je arriver le candidat que je peux prédire son comportement. Quand
ils commencent à parler, je sais ce qu’ils vont dire, où ils vont se troubler,
quelle est la phrase du dépliant publicitaire de notre université qu’ils vont
placer parce qu’ils la trouvent belle et qu’ils l’ont apprise par cœur !
D’un côté, ils sont attendrissants. De l’autre, j’avoue que
leur totale incapacité à raisonner ou à faire preuve d’une dose de logique –
même infime - m’agace toujours… Mais ils sont ainsi. Ils sont chinois. Ils
n’ont aucune capacité à l’abstraction, à la logique occidentale, à répondre à
une question – quelle qu’elle soit – en dehors du discours officiel appris par
cœur. Mais comme ils sont très jeunes et très impressionnés par les professeurs
étrangers que nous sommes, ils montrent immédiatement leur vraie personnalité.
Ceux qui ont des problèmes personnels les étalent en grand sur la table au bout
de moins de cinq minutes… en tremblant comme feuilles au vent d’automne…
Au retour nous sommes tous très fatigués d’avoir servi de
réceptacles au stress de tous ces enfants et porté un moment leurs espoirs et
leurs attentes. Le chauffeur de notre bus privé est un homme très complaisant.
Il dépose chacun devant sa porte, où qu’il habite. C’est sa façon de nous
montrer sa sympathie. Nous apprécions tous.
Le beau Docteur Sorenson m’a téléphoné. Il a une voix si
agréable, caressante et posée, lente et mélodieuse. Elle m’était restée dans
l’oreille après notre tout premier contact téléphonique lorsque je cherchais à
recruter un professeur de français… Enfin, je lui trouve toutes les qualités.
C’est sûr : je suis amoureuse. Je le suis vraiment pour la première fois
de ma vie. Avant, je rêvais d’amour. Je croyais être amoureuse. Mais il y
manquait toujours une dimension. La dimension de base. L’attraction physique.
J’appréciais les capacités intellectuelles des hommes, leur habileté à ceci ou
cela, leur réussite sociale, leur caractère… Mais je n’avais jamais été
vraiment attirée physiquement. Ils me faisaient même plutôt peur, voire grand
peur pour certains…
Mais lui, mon grand nou-nours, a fait basculer mes idées
ridicules et mes principes obsolètes. Ils sont tous tombés à l’eau dans la baie
de Hong Kong, un vendredi 21 mars, avant-veille de la Pâques Fleurie. Tout
s’est dilué dans un monde nouveau, si nouveau… Dans les bras d’un grand Alien
séduisant, si séduisant…
Les journées passent. Mon Assistante préférée m’a aidée à
terminer mon Rapport d’Enquête en calculant tous les pourcentages. Elle fait
cela avec son ordinateur. Ce qui est un ennui pour moi est un plaisir pour elle
car elle est informaticienne de formation. C’est formidable de se compléter
ainsi !
Ce soir je vais voir le beau Docteur S. Je l’ai appelé. Je
ne me lasse pas d’entendre sa voix… Il a l’air heureux quand je lui téléphone,
ce qui ne laisse pas de me réjouir profondément. Je vais lui offrir une
orchidée dans un pot carré en terre cuite brune. Un pot très traditionnel. En
Chine, ce sont les hommes qui collectionnent les plantes, et plus
particulièrement les orchidées. Il ne le sait sûrement pas, mais je vais le lui
expliquer. Comme je suis allée au magasin Carrefour, j’ai également acheté un
poulet rôti pas plus gros qu’un pigeon. Nous ne risquerons pas l’étouffement,
surtout à deux !
Je le trouve dans la pénombre, assailli de moustiques
vrombissants – bien qu’il ait fermé la porte-fenêtre au fond du salon, et sans
le moindre comestible pour son dîner. Nous faisons cuire un peu de riz, puisque
maintenant il a une rizière dont il sait se servir. Je découpe l’étique
volatile baptisé « poulet » par les chinois. C’est vraiment le cas de
dire que le titre est pompeux… et nous mangeons sur la planche car il n’a pas
de vaisselle.
Après ce festin, nous nous asseyons sur son canapé et je lui
raconte une histoire. J’adore raconter des histoires. C’est une de mes
spécialités. Lorsque, pour la première fois, j’ai lu la biographie de Geoffrey
Chaucer, j’ai été très impressionnée. C’était un homme aux multiples talents,
l’auteur des « Contes de Canterbury », « Le Père de la
Poésie Anglaise », l’ami des plus grands auteurs de la Renaissance
Italienne, certes ; et encore philosophe, diplomate, homme d’affaires… De
quoi vous faire tourner la tête. Mais ce qui m’a le plus frappée, c’est qu’il
s’est présenté modestement comme « Conteur ». Il avait déjà commencé
à narrer de petites anecdotes lorsqu’il était page chez la Comtesse Elizabeth
de Burgh. Plus tard, il a certainement brillé à la Cour d’Edouard III et
contribué à éclairer ses soirées en racontant des histoires drolatiques ou
édifiantes. « Conteur » quel beau métier ! Comme Homère…
A David qui m’écoutait, très concentré, les yeux plissés, un
léger sourire sur les lèvres … comme je le trouve beau… j’ai présenté le Mythe
Fondateur de notre belle cité de Zhu Hai.
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