Urbs ... La Ville Eternelle
C’est mon deuxième jour à Rome.
Alors qu’hier soir il faisait très chaud, ce matin, la
température est plus clémente. En effet, l’orage a tonné et déversé des trombes
d’eau toute la nuit. Mais cela ne m’a pas empêchée de dormir car, en voyage,
j’emporte toujours des boules Quies pour pouvoir faire face à toute
éventualité. Je suis donc reposée et même, en pleine forme. Des grandes
fenêtres de ma chambre, je vois de la verdure et des fleurs. Je m’approche,
mais il est hors de question de se donner de l’air car elles semblent s’ouvrir
vers l’extérieur, et sont "barreautées" comme prison ! Tant pis. J’enfile une robe et monte à la
cuisine dans l’espoir d’y boire mon thé
du matin.
Mais l’affaire n’est pas simple ! J’avais oublié qu’en
Italie, les gens ne boivent que du café très fort. Dans l’étrange cuisine, il
n’y a pas de bouilloire, pas de théière, et naturellement, pas de thé !
Mais je rencontre Thomas, un jeune homme français. Nous nous saluons. Il se prépare une boisson indéfinissable. Je
fais chauffer de l’eau dans une gamelle destinée à cuire des légumes ou des
pâtes, et mets dedans des infusions de camomille périmées. Et, faisant contre
mauvaise fortune bon cœur, nous nous asseyons face à face à la minuscule table
branlante, et commençons à échanger nos impression sur notre logement. Nous
sommes tout à fait d’accord : cette maison est affreusement étrange, et
étrangement affreuse. Mais qu’importe ! Les tarifs sont imbattables, et
nous n’y finirons pas nos existences. Puis, nous nous présentons. Thomas vient
de Lyon. Il est Chef de rayon dans un supermarché et passe toutes ses vacances
à étudier la langue et la civilisation italienne, résidant tantôt dans une
ville, tantôt dans une autre. Je trouve cela admirable et le lui dis. Il sourit
modestement. Pour ma part, je fais du tourisme. D’ailleurs, je ne m’attarde pas
parce qu’aujourd’hui, je compte aller visiter le Vatican …
Mais j’arrive beaucoup trop tard ! C’est que je mets
une heure entre mon étrange gîte et Saint Pierre. D’accord, je ne marche pas
vite, mais c’est tout de même loin. Je prends donc tous les renseignements
possibles, les rendez-vous pour les visites des Musées du Vatican et de la
Chapelle Sixtine, et ce sera pour demain. Rassérénée, je dirige mes pas vers le Château
Saint Ange.
Les bords du Tibre sont très jolis. Par endroits il y a des
platanes dont les branches pendent vers l’eau et sous lesquels les amoureux se
prennent en photo. La célèbre rivière ne me semble pas bien large … Evidemment,
comparée au Mékong, ou mieux encore, à l’estuaire du Fleuve Bleu au nord de
Shanghaï … Je sais. Je ne devrais pas comparer. Mais c’est humain. En arrivant
en Asie, je pensais souvent à l’Europe. Et maintenant que je réside en Europe
de façon permanente, je compare ce que je vois à ce que j’ai connu et vécu en
Asie.
Que voici un beau pont ! Il fait face au Castel Sant’Angelo – forteresse qui me semble
tenir beaucoup plus de la prison que du château. Il mériterait de s’appeler
« Le Pont des Anges » car, des deux côtés, il est bordé de gracieuses
statues de créatures angéliques, telles que nous, les hommes, nous nous les
représentons. Et que font les anges au ciel ? Voyons ! Il est bien
connu que, de tous les arts pratiqués sur cette terre, le seul qui ait droit de
cité dans l’au-delà, c’est la musique ! Aussi ne suis-je pas trop surprise
d’entendre jouer de la musique classique. Une mélodie très familière … Bien
sûr ! C’est « La Petite Musique de Nuit » de Mozart. Un
violoniste de rue se tient non loin du Castel
Sant’Angelo, et je suis si contente que je décide de m’installer sur le
rebord du mur qui borde la berge, comme le font de nombreux touristes. Je
m’assois par terre – comme au bon vieux temps, lorsque étudiante, je visitais
Londres – et sors mon pique-nique : pain allemand et raisins italiens. Je grignote tout
doucement en regardant tout le monde : le musicien – qui enchaîne les airs
classiques ou plus variés – les jeunes gens et jeunes filles qui, comme moi,
mangent des sandwiches assis à mes côtés, les gens consciencieux qui se hâtent
vers l’entrée du Castel en regardant leur montre – sûrement parce qu’ils
veulent visiter un maximum de monuments en un minimum de temps….
J’adore regarder les gens passer ! Je joue à deviner
leurs nationalités, leurs âges, leurs motivations…..
C’est en 125 que l’Empereur
Hadrien fit construire ce qui devait lui servir de mausolée. Mais très vite,
cela devint un bâtiment à vocation militaire défensive. Lors de la grande peste
de 590, le Pape Grégoire 1° vit un ange apparaître au sommet de l’édifice.
C’est à partir de ce moment qu’il fut appelé « Château Saint Ange ». Il servit de prison, de refuge
pour les papes, les empereurs ou les rois lors de graves émeutes. C’est que les
romains, à l’instar des parisiens, avaient la révolution facile ! De nos
jours, c’est un musé
Comme je finis mes derniers grains de raisin, je vois le
musicien ranger son violon. C’est un homme jeune, qui porte une chemise noire
flottant sur un jean gris et des baskets noires à semelles blanches. Il met sa
boite à violon sous son bras et s’en va…. déjeuner, probablement. Le charme est
rompu. Je me lève et vais visiter la ronde forteresse. C’est difficile à
décrire. Toutes proportions gardées, cela me semble comparable au bâtiment
circulaire de l’Aéroport de Roissy I. A l’intérieur il y a des pentes pour
accéder aux différents niveaux, rappelant les tapis roulants qui occupent le
centre de l’aéroport. Sur certaines
terrasses extérieures, on peut encore admirer d’antiques engins guerriers comme
des pièces d’artillerie en bronze et quelques boulets de petite taille. Ca ne
devait pas faire de grands dégâts. Nous montons vers la terrasse supérieure, celle
que domine la statue gigantesque du Saint Ange.
Une fois arrivé là, le groupe de touristes auquel je me suis
jointe, prend ses aises. Chacun fait autant de photos qu’il le peut et tout le
monde admire la vue exceptionnelle de la ville qui s’offre à notre admiration.
Le soleil brille, mais étant en hauteur, un vent léger nous rafraîchit. C’est
l’avantage d’être près du ciel !
Je suis en vacances. Personne au monde ne sais où je suis ni
ce que je fais. Personne ne m’attend nulle part. J’ai donc tout mon
temps ! Je regarde la Ville Eternelle et je jouis de la délicieuse brise
qui fait flotter ma robe de soie vietnamienne …. beaucoup plus gracieusement à
mon avis, que les vêtements de métal du seigneur des lieux : l’Archange
Michel.
Après cette délicieuse halte, nous reprenons la visite.
Cette fois : les appartements du pape Paul III …. si je me souviens bien.
Au détour d’un couloir, je me retourne et contemple le buste ce de souverain
pontife. Voici la photo que j’ai prise. Mais si ce n’est pas lui, qu’il veuille
me le pardonner !
Alexandre
Farnèse (1468 – 1549). Il régna pendant quinze années sous le nom de Paul III. Il fonda la Compagnie de
Jésus, convoqua le Concile de Trente, réorganisa l’Inquisition, et condamna
officiellement l’esclavage des indiens d’Amérique du sud. Issu d’une grande et
puissante famille, il avait reçu la meilleure éducation que l’on pouvait avoir
à son époque, et il était doté d’une brillante intelligence. Avant de devenir
prêtre, il avait eu quatre enfants avec Sylvia Ruffini. Pierre-Louis Farnèse,
Duc de Parme ; puis deux autres fils, Paolo et Ranuncio ; et une
fille, Constanza.
Il existe de nombreux tableaux le représentant, et quelques
bustes. Ceux-ci – à mon avis – témoignent mieux de sa forte personnalité.
Nous traversons de grandes et larges pièces aux murs
entièrement peints de sujets mythologiques bien en chair, toujours nus, et toujours
occupés à ce que je nommerai pudiquement « des prémisses
amoureuses ». J’ai le mauvais goût de trouver que cela ne porte pas au
recueillement ni à la prière. Il y a également de simples motifs décoratifs
très gracieux. Dans une petite salle, nous pouvons contempler d’assez
effrayants coffres de bois recouverts d’un métal très résistant, pourvus de
pentures et d’impressionnantes serrures. C’est la chambre forte du pape.
L’équivalent d’un coffre Fichet-Bauche pour l’époque ! Certains touristes
murmurent des commentaires sardoniques. D’autres ne se privent pas de
rire ! Mais tout le monde s’extasie.
La visite est terminée. Je continue ma promenade. Traverse
le Tibre en saluant les anges qui montent la garde pour l’éternité sur leur
pont personnel, face au château de leur généralissime ! Cet endroit me
plait beaucoup. Mais l’après- midi est loin d’être terminée et je regagne une
petite rue perpendiculaire à la Via Della
Conciliazione, cette large voie qui mène à l’Eglise Saint Pierre, parce que
j’y ai repéré ce matin un arrêt des bus touristiques. Ils sont tout bariolés en
couleurs vives. J’adore ça ! Je grimpe sur l’impériale et m’installe près
du bord. Lorsque nous croisons un autre bus semblable, je pourrais presque
serrer la main des autres passagers tellement nous sommes proches. Ces
merveilleux bus suivent le meilleur circuit possible afin que les touristes
puissent avoir une vue sur tous les monuments. Comme nous sommes en hauteur,
nous voyons bien mieux, et différemment, que lorsque nous marchons à pied. Et
surtout, c’est beaucoup moins épuisant ! Car, je le dis souvent, pour moi,
le métier le plus fatigant du monde, c’est… touriste !
« HOP
ON, HOP OFF » telle est la désignation
de ces merveilleux bus !
Ainsi donc, je fais un grand tour de la ville de Rome,
passant par les plus beaux quartiers, admirant les monuments antiques ou les
bâtiments plus récents, profitant de la situation en hauteur pour prendre de
belles photos, bénéficiant du commentaire … en quelle langue ? Je ne sais
plus. Une langue que je comprends. Et là, je me sens merveilleusement bien.
J’ai l’impression de flotter dans un rêve. Oui. Je suis à Rome. La Ville. L’Age
d’or. La République. Jules César. Auguste. Tous les Empereurs se présentent à
ma mémoire, déjà fort encombrée … Ils ne font que passer comme des ombres. Puis
voilà le Vandale Genséric, la déposition de Romulus Augustule, Théodoric roi
des Ostrogoths …. Quelle tête pouvait-il bien avoir ? Je n’ai pas le temps
de m’en soucier. C’est déjà le Moyen Age. La très célèbre « Lutte du Pape
et de l’Empereur » ….
Là, je vois flamboyer la grosse barbe rousse de Frédéric I°
de Hohenstaufen. Je ne sais plus combien de fois il est allé en Italie – en
personne ou représenté par son armée – jusqu’à ce qu’il se réconcilie avec le
Pape Alexandre et parte pour la Troisième Croisade. Lui. Et tous les autres. La
Ville exerçait-elle une si puissante fascination sur ces hommes ?
Je crois qu’il s’agissait de bien autre chose….
Ah ! Nous voilà devant le Colisée ! C’est très
impressionnant. Je suis sans voix. Impossible de commenter. Je prends quelques
belles photos du haut de l’impériale, histoire de me conformer à ma situation
de touriste, mais, je reviendrai, et j’en ferai bien davantage ! Puis, je regarde avec avidité ces lieux si célèbres où tant
d’êtres humains ont vécu, souffert ou été heureux. Amoureux, peut-être ?
Et maintenant, la boucle est bouclée et nous descendons de
notre bus bariolé. Il nous a déposés non loin du Vatican.
En fin d’après-midi, la lumière change. Elle s’adoucit et
quelques petits nuages projettent des ombres charmantes sur les eaux de la
rivière. C’est l’heure à laquelle on ferme les guichets d’entrée des monuments.
On ne vend plus de billets et les touristes, fatigués, ne pensent plus qu’à une
chose : s’asseoir dans un endroit accueillant et sympathique pour y boire
quelque chose de frais ! C’est ce que je ferais si je n’avais pas à
marcher si longtemps pour regagner mes pénates. Mais, courageusement, je prends
la ruelle très abrupte qui monte vers le petit bois où je retrouve la Piazzale Garibaldi. La statue équestre
m’est maintenant familière. Elle me fait penser à celle d’Amir Temour – que
nous appelons Tamerlan – à Tachkent. J’avais tellement aimé
l’Ouzbékistan !
Reconnaître quelques rues, c’est déjà se sentir moins étranger.
Demain, je compte passer toute la journée au Vatican.
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