lundi 17 septembre 2018

"Urbs...La Ville Eternelle" - Impressions de voyage - Troisième jour




"Urbs ... La Ville Eternelle"

Troisième jour

 
Quelle journée ! Seigneur …. Quelle journée !

Elle a commencé de façon gentillo-comique – est-ce que l’on peut dire cela ? – En effet, alors que je me dirigeais vers la cuisine dans l’espoir de boire une eau chaude, j’ai rencontré Sabrina. Elle était en petite nuisette rose pâle, les cheveux ébouriffés, un minuscule chien-chien-moustique sur un bras et de l’autre, elle me tendait une boite de thé. Du vrai thé. De l’ « English breakfast » ! Comment avait-elle appris que je ne buvais pas de café ? Il faut croire que sa police personnelle est bien faite. Très touchée, je la remercie beaucoup et je pars pour le Vatican, en super forme.

Après avoir salué Garibaldi, je descends rapidement le raidillon qui mène à la Cité papale, en me disant que ces fichues « collines » me semblent – à moi – hautes comme des montagnes. C’est que je n’ai pas l’habitude des reliefs élevés. Conformément aux instructions reçues hier, je me dirige droit sur le bureau de l’agence qui doit nous faire visiter cette Cité unique au monde. Il y a là un grand groupe de personnes de toutes nationalités, et on se croirait sur le chantier de construction de la Tour de Babel après la malédiction de Dieu ! A cette différence près que nous ne sommes pas sur les bords de l’Euphrate et n’avons pas à pétrir de la glaise pour en faire les briques nécessaires à l’édification d’une imposante ziggurat.

C’est amusant ! Dans ce genre de situation, tout le monde regarde tout le monde, mais pas trop ostensiblement afin de ne point être offensant. Et si on croise un regard, on esquisse un demi-sourire de connivence. Dix heures. La porte automatique de l’agence de tourisme s’ouvre pour laisser sortir notre guide. C’est une jolie petite jeune fille, mince, cheveux noirs et peau mate. Elle est polyglotte, et elle a l’air sérieux des personnes responsables, mais agréable, comme tous les gens qui prennent en charge des touristes étrangers. Elle nous gratifie de salutations en plusieurs langues et d’un petit discours introductif, nous recommandant particulièrement de ne pas nous séparer. Et, brandissant un mini drapeau orange, elle avance avec assurance, tel un général d’Empire menant ses troupes à l’assaut. Je suis la première à lui emboiter le pas, m’attribuant ainsi le rôle de la fidèle ordonnance.

Nous nous mettons en marche, suivies de tout le groupe.

Comme je suis ici pour la toute première fois de ma vie, je regarde mon précieux petit plan, afin de savoir où nous allons. Nous quittons la Piazza Pio XII, lieu du rassemblement, pour la Via Porta Angelica. Là, nous sommes une foule immense, mais bien disciplinée, progressant à pas de fourmis le long d’une très impressionnante muraille. Puis, nous tournons à gauche et remontons la Viale Dei Bastioni Di Michelangelo. Plus nous progressons, plus la foule est dense. Enfin, après avoir encore pris sur la gauche, je peux lire sur la plaque de rue que nous sommes maintenant dans la Viale Vaticano où se trouve l’entrée des célèbres Musées du Vatican, but d’un périple d’environ 350 mètres qui nous a pris une heure.

Mais cela n’a pas été une heure perdue ! Les rues de Rome sont tellement intéressantes qu’on ne sait plus où en donner des yeux. Ce qui me frappe en premier, c’est la densité de la foule. Pour un peu je me croirais en Chine. Puis, l’extrême diversité des gens qui la composent. Ils sont de toutes les couleurs de l’arc en ciel. A tel point que je crois que cela ne m’étonnerait pas de croiser des petits hommes verts ! Ca, c’est bien différent de la Chine. Et chacun porte son costume national ou de fonction. Il y a des grands, des petits, des gras, des maigres, des jeunes, des moins jeunes, et des personnes définitivement inclassables. La plupart des gens portent des vêtements de couleurs vives. Les cardinaux se promènent en se tenant le bras, leurs splendides robes pourpres attirant les regards, et … que dire de leurs grands chapeaux ! Les noirs d’Afrique sont tous en boubous de couleurs flashy, certains surchargés de broderies dorées. Les chinois, plus modestement, portent des pantalons aux innombrables poches plaquées, chemisettes, et petits sacs à dos. Naturellement, ils sont tous bardés d’appareils photos. Des occidentaux – Européens ? Américains ? – dont certains très chics, l’air recueilli, attentifs aux commentaires et annonces des guides. Je remarque de très belles femmes vêtues en grandes dames. Il y a aussi des groupes de gens au teint mat, aux yeux et cheveux noir de jais, et dont les vêtements blancs brodés de couleurs vives attirent l’œil. Ils me sont totalement inconnus. Mais je subodore qu’ils viennent d’Amérique du Sud. Toutefois, je suis bien incapable d’en deviner davantage. Parfois, j’aperçois deux ou trois petits frères de Saint François, en tenue traditionnelle, avec robe de bure et cordelière à nœuds… Et bien d’autres encore !

Autre chose. Cette ville qui accueille tant de touristes et de pèlerins se doit d’assurer leur sécurité et de faire face à d’éventuelles urgences médicales. Aussi n’est-il pas surprenant d’y voir bon nombre d’hommes en uniformes. Et quand je dis « bon nombre » je devrais dire un nombre extravagant ! Il y a des militaires, des policiers, des miliciens, des carabiniers – l’équivalent de nos gendarmes en France – Chaque groupe a son uniforme et ses armes. Et toutes ces forces de l’ordre patrouillent, qui à pied, qui en jeep, en véhicules militaires blindés, en Alfa Roméo ou en Citroën, en moto … et même à cheval ! Malgré ce déploiement de force, ils ont l’air bien aimables et vont jusqu’à sourire si une jolie femme les regarde. Il faut bien reconnaître que la plupart sont beaux garçons !

Je ne mentionne pas les ambulances et camionnettes du Samu, stationnées à chaque coin de rue….

A force de piétiner, nous finissons par accéder à la porte des Musei Vaticani. Je pénètre dans le grand hall. C’est splendide, et il y fait un peu moins chaud que dehors. Notre gentille petite guide a rempli son rôle qui consistait à nous mener à l’entrée de cette nouvelle forteresse : San Pietro, et à présenter nos billets au guichet des groupes. Elle nous déclare que, maintenant, nous avons quartier libre et pouvons visiter les musées à notre convenance. Et, après nous avoir remerciés pour notre docilité, elle nous souhaite des tas de bonnes choses…. Je lui souris et lui fais un petit signe amical, puis je me lance courageusement dans la cohue. Car, la foule des visiteurs est si dense que c’est vraiment …. sportif !

Ces musées sont gigantesques, et tout est en marbre : les escaliers d’accès aux étages, le sol des couloirs et des salles, les colonnes, parfois les voûtes, et bon nombre de statues. Or, si la foule des vivants est dense, les personnages statufiés, bien souvent plus grands que nature, se bousculent eux aussi ! Grecs ou romains, philosophes, hommes politiques, tribuns, dieux de la mythologie, écrivains, éphèbes, vieillards, empereurs, généraux, symboles personnifiés, papes, aventuriers, moines….que sais-je encore ? Presque exclusivement des hommes, et, la plupart, nus. Les rares statues de déesses antiques ne montrent que leurs jolies épaules et leurs seins fermes et juvéniles. Pour le reste, elles sont presque toutes drapées dans des voiles pudiques. 

Avant de quitter ces premières salles, j’assiste à une petite scène savoureuse. Il y a là un groupe de coréens. Je ne suis pas étonnée. Ayant vécu trois années à Séoul, je sais qu’il y a de nombreux chrétiens en Corée, dont des catholiques ; beaucoup d’amateurs d’art occidental ; enfin, les coréens disposent généralement de gros moyens financiers pour voyager. Toutefois, cela n’empêche pas que la société coréenne, sous ses dehors hyper modernes, reste très traditionnaliste. Les messieurs regardent toutes ces statues sans qu’un muscle de leur visage trahisse leurs impressions. Mais les dames roulent des yeux ébahis et pincent les lèvres d’une façon qui ne laisse aucun doute sur leurs sentiments hautement réprobateurs. L’une d’elle fait deux pas en arrière, se rapprochant d’un mur de marbre devant lequel on a placé la statue d’un romain à la nudité agressive. Elle est sur un socle. La dame le frôle et se retourne, déjà prête à s’excuser au cas où elle aurait bousculé quelqu’un. Je reconnais bien là les coréennes ! Ne voyant personne, elle lève les yeux. Son visage est exactement à la hauteur du sexe de cet impudique personnage. Je vois la pauvre femme blêmir. Elle fait une moue de dégoût et se détourne précipitamment !

Dès que le couloir qui mène aux antiquités grecques et étrusques me devient accessible, je m’y engouffre à la hâte afin d’avoir le temps de visiter un maximum de salles. C’est exactement comme si j’étais entrée dans les livres d’art et d’histoire antique que j’étudiais autrefois. Je connais déjà un grand nombre des œuvres exposées. Mais tout de même, c’est assez excitant de les voir « en vrai » ! Les images étant un merveilleux stimulant de la mémoire, la vue de chaque amphore peinte me rappelle une nouvelle histoire. Voici des athlètes grecs qui s’entraînent à la course ; Persée et Méduse ; Achille, Ulysse et bon nombre de personnages de l’Iliade … Enfin le sphinx qui, assis comme un chat sur une petite colonne, les ailes en arrière, et la queue ballante, pose ses questions à Œdipe. Le fils de Laïos, lui, est tranquillement assis sur une pierre, jambes croisées. Il réfléchit en se tripotant la barbe. Je me dis que, vu la largeur des bords de son chapeau, en voilà un qui ne risque pas l’insolation !  


Œdipe et le Sphinx. Le sphinx était un monstre qui dévorait tous ceux qui n’étaient pas capables de répondre à l’énigme qu’il proposait. Au contraire de héros comme Persée ou Héraclès, Œdipe en vint à bout non par la force, mais grâce à son intelligence.  
Le tableau de Jean-Auguste-Dominique Ingres, présenté au Salon de 1828 est très célèbre et donc, très connu. Mais je lui préfère, et de loin, cette simple représentation datant de l’Antiquité.

Ces salles sont agréables et semblent moins courues que les enfilades de statues. Néanmoins, je les quitte pour d'autres, fort différentes.

  

Un Pape en majesté. 
Il faut imaginer que cette scène est gigantesque, peinte sur un mur et une voûte.
Il n'est pas très aisé de prendre une très bonne photo...
Au dessous, les touristes ébahis ont tous la tête levée et les yeux écarquillés !  

En suivant la foule, je parviens à d’immenses salles – voûtées, me semble-t-il – dont murs et plafonds disparaissent sous les peintures. Le thème principal en est clairement la mise en scène du pouvoir papal. On voit des champs de batailles suivis de cérémonieuses signatures de traités. Des audiences données dans de gigantesques halls accueillant des centaines et des centaines de personnes : hommes d’église de toutes sortes, princes, militaires, parfois gens du peuple, jeunes gens, mais presque jamais de femmes. Les papes occupent toujours le centre du tableau. Ils sont plus grands que les autres personnages. Toujours en majesté, ou tenant les insignes du pouvoir. Cela rappelle les représentations du Christ présidant le Jugement Dernier au tympan des cathédrales. Les couleurs sont vives, le foisonnement des personnages est impressionnant, tout est admirablement soigné, jusque dans le moindre détail. Mais, au bout d’un moment, ce n’est plus de l’admiration que l’on ressent. Non. Une petite phrase me trotte dans la tête : « Tout ce qui est excessif devient dérisoire ». Je crains d’afficher une expression goguenarde…. D’autant plus que les salles se suivent de façon interminable et sont toutes plus ou moins semblables.

La foule est si dense qu’il est physiquement impossible de s’en désolidariser, surtout lorsque l’on doit franchir un passage plus étroit. Nous avançons donc doucement, en essayant de ne pas marcher sur les pieds des autres visiteurs. Ce n’est guère facile parce que, pour contempler les fresques, nous sommes tous la tête levée vers les plafonds ! C’est alors que se produit un petit incident que je trouve si comique que, toute honte bue, j’éclate de rire ! Nous voilà dans une salle très haute, accueillis par un gigantesque pape qui semble fulminer des anathèmes, nous regardant avec colère du haut de son trône tout sculpté et doré. Il est entouré de toute une cour de cardinaux, dignitaires, prêtres, moines, et gardes portant salades et hallebardes. Juste à côté de moi, une famille américaine. Le jeune homme, qui me semble avoir 16 ou 17 ans, suit ses parents tout en veillant sur sa sœur un peu plus jeune. Il est très grand, mince, belles boucles brunes. Il écarquille les yeux et, la tête renversée pour mieux voir le redoutable monarque, il dit à haute et intelligible voix, d’un air extrêmement convaincu  « Holy shit ! »

J’éclate de rire. Il me regarde, interloqué. Est-il offusqué de ma réaction ou se sent il coupable d’avoir fait une réflexion iconoclaste ? Je ne saurais le dire. Sur le coup, je ne me pose même pas la question, car j’étouffe de fou-rire ! Comme ce garçon est rafraîchissant ! Comme ça fait du bien de rire !

Toutefois, je continue la visite. D’abord regarder, observer, enregistrer. Ensuite viendra le temps de l’analyse et de la réflexion. Les salles se suivent en enfilades et les peintures historiques, mythologiques, papalo-mythiques ou mythologico-papales commencent à lasser même les plus fervents. C’est alors que nous arrivons à la Chapelle Sixtine – ainsi nommée parce qu’elle fut érigée par le Pape Sixte IV au XV° siècle. Le service d’ordre nous demande de patienter car cette chapelle étant, comme son nom l’indique, de taille modeste, on ne peut y faire entrer que de modestes groupes. Lorsque nous sommes autorisés à franchir la porte d’accès, cela veut dire qu’un autre groupe sort par la porte du fond.

Cette chapelle est principalement célèbre par les fresques de Michel Ange. Quelle débauche de nus ! De larges poitrails, de grasses cuisses, des bras de forts des halles, des seins si gonflés qu’ils semblent prêts à éclater ! Quelles larges faces et quelles énormes fesses ! Le moins que l’on puisse dire, c’est que Michel Ange, comme Rembrandt était amateur de sujets épanouis …




Le Déluge, vu par Michael Angelo
(J'ai emprunté cette photo à Google)



Tritons et Nymphes marines. Peintures murales dans les salons de Paul III au Château Saint Ange.
Cette photo, je l'ai prise moi-même. Paul III était amateur d'art....

Voilà deux choses que je ne comprends pas.

Tout d’abord : pourquoi les grecs, les romains et, à leur exemple, les peintres de la Renaissance, ne représentaient-ils presque que des sujets masculins, et toujours nus ? Ensuite, pourquoi ces musées, qui appartiennent à l’Eglise, sont-ils peuplés de tous ces nus, masculins ou féminins ? Partout, ce ne sont que fesses, seins, jambes écartées, expressions lubriques, postures parfois obscènes, sexes masculins très agressifs…. gros muscles, grosses poitrines, grosses cuisses, gras personnages…. des nus, des nus, des nus…. Je croyais, moi, que l’Eglise accordait une grande valeur à la modestie, la pudeur, la virginité et le célibat. Donc, logiquement, qu’elle réprouvait la paillardise et luttait contre la débauche sous toutes ses formes ?


Toutefois, je ne pense pas qu’il faille chercher la justification de tant de nus masculins, exhibant leur agressive virilité, ailleurs que dans la mentalité masculine – justement. En effet, pendant des siècles – et même des millénaires – les hommes ont dominé. Chacun sait que « La raison du plus fort est toujours la meilleure » ! Les grecs n’ont pas accordé le moindre intérêt aux femmes qui passaient leurs vies recluses dans leurs appartements. Et le véritable amour, pour eux, était homosexuel. On se souvient encore du nom de quelques romaines, mais si peu… Le Moyen Age connut un déferlement de violences. Les femmes, quel que fut leur place dans la société, y étaient quantité négligeable. Princesses et aristocrates servaient de monnaie d’échange entre grands de ce monde. Seule, leur fonction reproductrice importait. Quant aux chevaliers, ils ne reconnaissaient que la force qui avait d’ailleurs valeur de Droit lors des « Jugements de Dieu ». Or, ces « Jugements » dont on trouve moult exemples dans les romans de chevalerie, étaient cautionnés par l’Eglise. Bon. Je ne vais pas continuer l’Histoire. Mais il est incontestable que les hommes n’ont jamais considéré les femmes comme leurs égales.

Et que dire des religieux ! Pour l’Eglise, la femme est la mère de toute iniquité, celle qui, ayant été séduite par le serpent a ensuite corrompu son époux, devenant ainsi la source même du péché. Certes, on sait que, contrairement à la légende, aucun Concile n’a jamais remis en cause l’existence de l’âme des femmes, mais il est tout de même terriblement révélateur que le bruit en ait couru.

Dans de telles conditions, la présence massive et presque exclusive de nus masculins dans les Musées du Vatican, semble moins incompréhensible.


Enfin, je comprends bien que l’on veuille célébrer les beautés des corps humains, masculins et féminins. Toutefois, même sans être d’une farouche pudibonderie – Hé ! Je ne suis pas coréenne ! – je trouve cet étalage de chair assez excessif. A vrai dire, j’en ai même une indigestion.


Toutefois, toujours dans cette Chapelle Sixtine, le long des murs et en dessous du plafond, j’admire sans réserve des fresques Renaissance représentant des personnages peints avec une extrême délicatesse de détail et d’expression. Pour ne rien dire du traitement de leurs merveilleux vêtements d’étoffes précieuses.


Notre groupe est doucement poussé vers la sortie. Maintenant, je n’ai plus de temps pour les salles d’Egyptologie. Quel dommage ! Il faut que je regagne la Piazza San Pietro au plus vite, parce que je veux absolument visiter la basilique. Une fois de plus, je prends un véritable bain de foule. Car il y a des milliers, des dizaines de milliers de gens : pèlerins, touristes, catholiques, païens, chinois, américains, allemands, français, noirs, philippins…. Tous sont correctement vêtus, certains même avec recherche, et tous sont respectueux. C’est seulement à la vue du contenu des musées que l’on devient goguenard !




Sous la Largo Colonnato, je trouve un groupe de chinois et, après échange de civilités, je décide de rester avec eux. Il se passe un bon moment avant que des gens du service d’ordre viennent nous chercher pour nous faire entrer dans la Basilique. C’est la plus grande église du monde. De gigantesques rideaux de velours délimitent des pièces qui forment l’entrée. Partout des jeunes gens en costumes gris, chemises blanches et chaussures noires, pour surveiller. Ils viennent de pays différents et sont tous plus ou moins polyglottes. Quand nous sommes autorisés à sortir de cette sorte de sas, c’est le choc !


De ma vie entière, je ne suis jamais entrée dans un espace clos aussi grand. Il parait en effet que cette basilique couvre une surface de 2,3 hectares. La hauteur est vertigineuse, la nef d’une largeur prodigieuse, et tout est à l’avenant. Partout des statues de papes absolument colossales, entourées d’anges ou d’autres personnages placés en retrait ou en contre bas. Les piliers me semblent si gros que je crois vraiment qu’ils dépassent la circonférence de ceux des temples égyptiens ! Le sol est splendide. Tout est en marbre. Naturellement, il y a des marbres de qualités et couleurs différentes. Cela permet la mise en valeur des uns par les autres. C’est du moins mon avis.


Je regarde la statue de Saint Pierre. Pauvre homme. Je le plains. Lui qui était un modeste pêcheur des bords du lac de Tibériade, je l’imaginais bon garçon et plutôt simple, mais ne manquant pas d’enthousiasme et d’une certaine audace pour avoir répondu positivement à l’appel de Jésus. Les épreuves l’ayant mûri, il devait avoir le cœur bien bon, lui que le Maître avait désigné pour être la première pierre de son Eglise. Mais il n’avait pas dû aller beaucoup à l’école, ce qui garantissait sa foi et sa simplicité. Je pense à lui, parfois. Et ses différends avec Paul me semblent préfigurer ceux de Saint François avec Frère Elie…..


Pauvre Saint Pierre. Le voilà assis en majesté sur un trône, bien en chair et bien habillé, les cheveux et la barbe artistement bouclés. De toute évidence son tailleur vient de passer lui apporter une splendide tunique d’étoffe précieuse et lui-même sort de chez le coiffeur. Il lève deux doigts de la main droite pour bénir – ou admonester ? – gardant la main gauche crispée sur une paire d’énormes clefs. Cette statue est en bronze. Elle est noire. Au dessus de sa tête, on a tenu à placer une auréole dorée qui me parait du dernier ridicule. Allez savoir pourquoi … elle me fait penser à une galette des rois ! Cela ne me plait pas. Mais enfin….Chacun peut s’imaginer Saint Pierre à sa façon, après tout, il n’y a pas de mal à ça.

Par contre, je déteste cordialement le baldaquin aux colonnes chantournées qui surmonte le maître autel. Je trouve cela tellement chargé…Et puis, pourquoi noir ? J’ai vérifié. Il ne s’agit pas de bois mais de bronze – comme la statue – Cela pèse 60 tonnes ! Et c’est l’œuvre de Bernini. Je préfère nettement ses statues.


Si je voulais résumer mon impression en un seul mot, je dirais que c’est « écrasant ». Ces millions de tonnes de marbres baroques sont là pour impressionner les visiteurs et glorifier – non point le Roi des Cieux – mais les papes. Ces mêmes papes qui, assurément, se prenaient pour Dieu en personne !




Regardez cet homme. Et osez me dire que ce n’est pas un homme de pouvoir !
Je l’ai photographié au hasard dans l’un des musées. Je ne sais donc plus de qui il s’agit. Mais ce visage respire la suffisance, ses traits dénotent « une inflation du moi » comme dirait un psychanalyste, assez impressionnante. En le regardant, on comprend ce que veut dire le mot « orgueil ». Son pouvoir s’exerce à la fois dans le domaine temporel - matériel, économique – et spirituel – le contrôle de la pensée. De nos jours, on parlerait de pouvoir totalitaire.


L’Eglise contrôlait l’enseignement et la diffusion de la connaissance. Par l’intermédiaire des confessions, elle avait accès aux pensées les plus intimes des plus humbles laboureurs aux plus puissants monarques. En conséquence, elle était le premier Service de Renseignement du monde chrétien ! L’Eglise demandait foi et obéissance, moyennant quoi, elle promettait le Paradis après la mort. Or, il n’est rien au monde que les hommes craignent davantage que le trépas. En tant qu’organisation étatique supra nationale, je ne vois rien de plus redoutablement efficace. Naturellement, je me place exclusivement du point de vue séculier. Mes remarques n’ont rien à voir avec la foi. Mais, en visitant cette écrasante basilique, tel est le cours de mes pensées. J’en viens même à me demander comment un homme de foi peut prier dans un cadre pareil ? Puis, en marchant doucement vers le splendide narthex, les épisodes de la Querelle des Investitures, de la Lutte du pape contre l’empereur, les oppositions entre gallicans et ultramontains….tout cela me revient et se bouscule dans ma tête. Et je crois entrevoir tous ces monstres sacrés. Les visages des Hohenstaufen, Barberousse ou Frédéric II - celui que l’on surnomma « Stupor mundi » - puis leurs successeurs, tous ces empereurs qui lancèrent leurs armées vers les Etats Pontificaux. Je les entends même, vociférer des insultes en langue germanique ! Mais les Alexandre, Sixte ou Jules, répondent par des anathèmes en latin … Ils étaient tous intelligents, puissants, violents. Dévorés d’ambition. Monstres d’orgueil.


Si le pape et l’empereur s’affrontaient sans cesse sous différents prétextes, c’était au fond pour emporter la suprématie absolue à la tête de la Chrétienté. De nos jours, on dirait qu’ils étaient en concurrence pour le « leadership » de l’Europe, la plus grande puissance connue de l’époque. Seulement les papes cumulaient pouvoir spirituel et pouvoir temporel, alors que les empereurs n’avaient qu’un pouvoir temporel. D’où la « Querelle des investitures »….

Tels sont les grands de ce monde. 


Dans les Musées du Vatican, il y a aussi quelques oeuvres d'art contemporaines.
Celle-ci m'a semblé intéressante...

Je suis fatiguée. J’ai la tête qui tourne, le ventre creux et les jambes flageolantes. Et maintenant, il me faut remonter la colline pour regagner le quartier de Trastevere. Au passage, je souhaite le bonsoir à Garibaldi et marche doucettement jusqu’à l’étrange demeure de Sabrina.

Quelle journée ! Seigneur … Quelle journée !

Je ne suis pas prête de l’oublier. 

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