dimanche 24 mai 2015

Pou Amélie - "Geoffrey Chaucer"




Geoffrey Chaucer

Sais-tu, Amélie, que j’ai reçu des nouvelles de France hier !
Un de mes amis chers m’a envoyé un courriel me disant qu’il gèle !  Tâche de ne pas prendre froid. Depuis ta naissance tu as souvent été malade, d’après ce que ta mère m’a dit. Tu prends froid à la garderie ou dans les tourbillons d’air au pied des Tours…

Ta maman est née à  Metz, un 25 novembre à 23h30. Or, pendant qu’elle faisait son apparition dans le monde, la neige s’était mise à tomber si dru que le lendemain tout était uniformément blanc et qu’il régnait sur la ville un silence sépulcral. Le ciel était gris anthracite. Le terrible hiver Lorrain commençait. Mais, contrairement à toutes mes amies qui avaient accouché en même temps que moi, je n’ai jamais sorti mon bébé l’hiver. Elle n’a donc jamais attrapé froid, ni d’ailleurs souffert d’aucune maladie au cours de sa petite enfance.

Penser aux froidures hivernales et aux rigueurs du climat européen ramène à ma mémoire une image familière : le seul portrait que l’on ait de l’homme dont je t’ai parlé lundi : Geoffrey Chaucer. Et sais-tu pourquoi ? Tout simplement parce que cette image le représente vêtu d’un gros manteau de laine ! Tien, le voilà. Qu’en penses-tu ?


Geoffrey Chaucer (Londres 1340-1400)

Je l’aime beaucoup. Aujourd’hui, je vais te le présenter.
Quand on veut présenter quelqu’un, on commence généralement par parler de sa famille. Et bien, elle était d’origine française. Son arrière grand-père s’appelait Monsieur Chausseur. Comme à cette époque il était assez courant de prendre son métier comme nom de famille, ou son lieu de naissance, voire même un surnom, cela veut dire qu’il fabriquait des chaussures. Aujourd’hui on dirait qu’il était artisan-commerçant. Il travaillait le cuir, prenait les mesures des pieds de ses clients et clientes, et fabriquait de grandes bottes ou de petits souliers. Cela devait sentir bon dans sa boutique….. Ses affaires marchaient bien et sa famille était à l’aise.

Mais son fils ne lui succéda pas. Il utilisa le capital reçu à la mort de son père pour se lancer dans un autre commerce, celui du vin ! Traditionnellement, les anglais étaient grands buveurs de bière. Il faut croire que moi, j’ai eu un ancêtre anglais ! Mais avec l’arrivée des français sur la Grande Ile à partir de 1066, date de la victoire du Duc Guillaume de Normandie sur le roi Harold Godwinson, ils se mirent à aimer le bon vin, et plus particulièrement le vin de Bordeaux. Alors, Monsieur Chausseur, après avoir changé l’orthographe de son nom pour l’angliciser en « Chaucer » se mit à importer des barriques de France, à mettre le vin en flacons et à le vendre aux gens riches de la capitale : Londres. Les affaires marchaient très bien et son fils John qui lui succéda devint même très riche, car non seulement les gens de la Cour  mais également le roi en personne, devinrent de fidèles clients !

Tu vois, aujourd’hui, ta maman fait le même métier. Elle achète du vin de Bordeaux et l’envoie en Chine pour le vendre. Peut-être que, dans quelques années, le Président de la République Populaire de Chine deviendra son client ? ! Après tout, pourquoi pas ? Les hommes du monde entier apprécient les vins français.

Monsieur John Chaucer était un homme intelligent et capable, il avait de nombreux amis et relations d’affaires, il était riche et se maria. Il épousa Damoiselle Agnès Copton. Oui, Agnès, comme ta tante. Elle était douce et raffinée, et très riche ! Il n’y avait pas moins de vingt-quatre boutiques dans Londres qui lui appartenaient. Une fois mariée, elle eut des enfants, dont Geoffrey, qui naquit à Londres en 1343. Tu te rends compte ! Cela fait 672 ans ! Et toi, tu n’as pas deux ans…. Comment était Geoffrey ? D’abord, un bébé joufflu et fessu, beaucoup plus gros que toi. Il avait beaucoup d’appétit et était très gourmand. Mais il était sage et gentil. Et tout l’intéressait. Quand il sut parler, il se mit à poser beaucoup de questions, puis il réfléchissait pour comprendre et il avait une excellente mémoire. Son père, tout heureux d’avoir un fils si aimable et si doué, fit venir d’excellents professeurs chez lui. En effet, à cette époque, il n’y avait pas encore l’école obligatoire pour tout le monde, filles comme garçons, ni collèges et lycées. On étudiait chez soi si l’on en avait les moyens et l’envie, et chacun allait à son rythme. Les gens les plus riches pouvaient payer les meilleurs professeurs. Quelle belle époque c’était pour les amoureux des études………

D’abord, le petit Geoffrey apprit le latin et le français. C’étaient les deux langues officielles de l’époque. Le Latin, la langue de l’Eglise, était parlé par tous les clercs, les professeurs et les savants, et les livres étaient écrits en cette langue. Le Français était l’apanage des fonctionnaires du gouvernement et la langue de la diplomatie et de la littérature contemporaine – en France, naturellement – bref, la langue des gens cultivés et influents. Quant à l’Anglais, ce n’était que la langue du peuple, des gens qui n’étaient ni instruits, ni fonctionnaires, ni en contact avec des étrangers. Tu vois comme les choses ont changé en 672 ans ! Maintenant, le Latin est une « langue morte », ce qui veut dire qu’elle n’est plus parlée, et étudiée pour la lecture seulement par une petite élite dorénavant marginale. Le Français reste la langue des gens cultivés et des diplomates – à cause de son extrême précision- mais étant très difficile, de plus en plus rares sont les gens qui peuvent maîtriser la « langue de Molière », la parler avec aisance et surtout, l’écrire ! Quant à l’Anglais, c’est à présent la langue des affaires, du tourisme, des réunions internationales, des ordinateurs…. Bref, la langue des nouvelles valeurs. Le monde entier étudie l’Anglais, on le parle de mille façons, avec tous les accents possibles, mais « il faut » connaître, au moins superficiellement, quelques mots de cette langue pour survivre dans notre monde contemporain. Or, sais-tu qui l’a mise à l’honneur pour la toute première fois de l’Histoire ? Notre Geoffrey !

Il n’eut pas que des Maîtres de langues, mais aussi de toutes sortes de matières tant scientifiques que littéraires, et après avoir lu et étudié beaucoup de livres, il se mit à en écrire lui-même sur toutes sortes de sujets et dans les domaines les plus variés, tels que la poésie, la philosophie, l’astronomie, l’alchimie…..Il le fit tout au long de sa vie. Son livre le plus célèbre s’intitule « The Canterbury Tales » en Français « Les Contes de Canterbury ». Plus tard, je t’expliquerai ce que c’est. Mais sache dès à présent que c’est à cause de ce livre qu’on l’a appelé « Le Père de la littérature anglaise » car ce fut le tout premier livre à être écrit en langue anglaise, alors que tous les autres étaient écrits en Latin ou en Français.

Dès qu’il fut adolescent, il devint le Page de Madame Elizabeth de Burgh, Comtesse d’Ulster. C’était une grande dame qui avait épousé Lionel, Duc de Clarence. Or, ce Duc était le second fils du roi !  Et tant que Page, Geoffrey devait tenir compagnie à la Comtesse. Mais elle le céda à son mari lorsqu’il partit en France, pensant que cela serait bon pour son éducation, et aussi, peut-être, pour voir s’il se découvrirait une vocation militaire. Car, en 1359, le roi d’Angleterre - qui s’appelait Edouard III - partit en campagne militaire en France. Il était devenu très puissant et voulait se faire couronner roi de France, car son grand-père, Philippe VI Le Bel, l’était. C’était le début de la Guerre de Cent Ans, entre la France et l’Angleterre.
Geoffrey avait 16 ans. De nos jours, un garçon de 16 ans est considéré comme un grand galopin, et tout ce qu’on lui demande est de réussir sa compo de maths ! Il faut dire que l’objectif n’est pas tellement motivant…..Il n’en était pas ainsi autrefois. C’est à 14 ans que Guillaume, fils de Robert le Diable – ou Robert le Magnifique – était devenu Duc de Normandie, avant de devenir roi d’Angleterre sous le nom de Guillaume le Conquérant. A 16 ans, on était considéré comme adulte et responsable et on pouvait se marier. De nombreuses jeunes filles l’étaient même avant cet âge ! Il n’est donc pas étonnant que notre ami ait dû accompagner le Duc de Clarence sur le Continent. L’année d’après – en 1360 donc – Edouard III mit le siège devant Reims. Cela veut dire que les soldats anglais campèrent tout autour de la ville, espérant que les rémois allaient se rendre pour éviter de mourir de faim. Cette ville était très importante pour ce qu’elle représentait : c’était là que les princes français étaient sacrés rois. Pendant le siège, les soldats français s’approchaient des anglais pour leur chercher querelle ou faire des prisonniers. C’est ainsi qu’un jour, ils s’emparèrent de Geoffrey et demandèrent Ranson.

Pour eux, c’était une bonne aubaine. Geoffrey était jeune, instruit, de famille riche, et le chouchou du Duc de Clarence. « Demander Ranson » voulait dire qu’on annonçait la valeur estimée du prisonnier. Si la partie adverse payait, on le libérait. Sinon…. Soit il pourrissait en geôle, soit on l’exécutait. Les français demandèrent donc beaucoup d’argent pour libérer le jeune Chaucer : 16£ - ce qui était, parait-il, une somme considérable pour l’époque. Et qui paya ? Ni John Chaucer son père, ni Lionel de Clarence, son patron. Mais le roi Edouard III en personne !

Certes, c’était flatteur car ainsi il montrait en quelle estime il tenait la famille Chaucer. Toutefois, cette expérience avait  suffi à Geoffrey. Il avait compris ! La guerre, la vie militaire, les escarmouches et les sièges de villes fortifiées n’étaient pas sa tasse de thé ! Il rentra sur la Grande Ile et se consacra à d’autres affaires.

Il aimait étudier, lire et écrire, et comme il parlait plusieurs langues, il se mit à correspondre avec deux écrivains Italiens. Pétrarque, un poète, et Boccace, un conteur. Tous deux sont devenus très célèbres. Il ne voulait plus aller à la guerre, mais comme il était très intelligent et polyglotte, Edouard III l’envoya plusieurs fois en mission diplomatique. Mais comme ces missions étaient secrètes….Shut ! Il ne faut pas en parler !

Toutefois, il fallait qu’il voyage pour remplir ces missions. Il n’aimait pas beaucoup ça car il préférait son confort. Il fallait aller à cheval ou à dos de mulet sur des chemins défoncés, boueux, et glissants. Traverser des forêts remplies de brigands et de sales types prêts à vous tuer pour presque rien. Et encore heureux si on ne rencontrait pas une bande de loups affamés l’hiver ! Alors, on arrivait, tout grelottant de froid, le manteau détrempé de pluie ou couvert de neige, dans des auberges enfumées où on vous servait de drôles de viandes et où il fallait dormir dans des lits pas propres, souvent à plusieurs, et passer la nuit à se gratter parce qu’il y avait des puces et des punaises….. Enfin, j’espère que le roi donnait assez d’argent à son « Chargé de missions très spéciales » pour qu’il se paie un gentil mulet, une selle confortable et une chambre propre. Mais même en payant, ce n’était pas garanti…..
Quand on pense qu’aujourd’hui, on peut aller à peu près n’importe où dans le monde en quelques heures seulement – voiture ou avion – dîner bellement et ensuite dormir dans un lit douillet après avoir pris une bonne douche chaude ! C’est vraiment le cas de dire que les temps ont changé !

Geoffrey, tout en poursuivant ses activités « d’Ambassadeur Extraordinaire et Plénipotentiaire incognito », continuait à écrire à ses correspondants Italiens, Pétrarque et Boccace, tant et si bien qu’ils finirent par devenir amis, et qu’un jour, les deux italiens invitèrent leur collègue anglais. D’une part, il n’était pas question pour eux de venir à Londres, le climat y est bien trop mauvais ! D’autre part, le roi avait chargé Chaucer d’une mission diplomatique – il pouvait donc joindre l’utile à l’agréable – ce qu’il fit. Et après avoir rempli sa mission, il prit de belles vacances sous le soleil d’Italie en compagnie de ses deux amis. Ils discutèrent longuement en buvant du bon vin italien – ce qui changeait Chaucer du vin de Bordeaux ! Ils échangèrent leurs vues sur la poésie et la littérature de leur époque, et Chaucer revint en Angleterre la tête toute pleine d’idées nouvelles et de projets littéraires. Comme quoi, il faut voyager pour être inspiré ! C’est d’ailleurs après ce voyage qu’il se mit à composer son livre le plus célèbre : « Les Contes de Canterbury ». Et ces Contes, il les rédigea en anglais, comme Boccace avait écrit les siens en italien, pour que tout le monde puisse les lire.

Ca, c’est ma version personnelle des voyages italiens de Chaucer. Mais si tu lis sa biographie, tu trouveras des variantes à l’histoire. Certains pensent même qu’il n’a jamais rencontré personnellement Pétrarque et Boccace – pas plus que Dante d’ailleurs, autre écrivain des plus célèbres. Mais de même qu’on n’a pas de preuve pour l’affirmer, on n’en n’a pas non plus pour contredire mon récit. Et quant bien même cela serait, je crois que c’est l’esprit qui compte.

J’ai lu le « Décaméron » de Boccace et les « Contes de Canterbury ». C’est très amusant ! Il faudra que tu les lises un jour, Amélie. On apprend des tas de choses et on rit beaucoup. D’ailleurs on a fait des films comiques avec certaines de leurs meilleures histoires. Ca aussi, c’est un merveilleux outil de culture : le cinéma.
Mais c’est un autre sujet.

En Angleterre, Geoffrey était de mieux en mieux considéré, surtout parce qu’il avait la faveur et la confiance du roi. Comme il avait largement l’âge de se marier, il épousa Damoiselle Philippa de Roet. Elle était d’une très bonne famille, riche, et aussi très bien en cour puisqu’elle avait le titre de Dame de Compagnie de la reine Philippa de Hainaut. Et comme tu le vois, elle portait le même prénom que la reine. On ne sait pas si elle était jolie…. Moi, je l’imagine blonde, le teint très pâle, et portant une robe verte.




Philippa de Roet-Chaucer, et Philippa de Hainaut, épouse de Richard III


Quant à Geoffrey, il n’était pas bien beau. De taille moyenne, cheveux bruns, barbichette – chose que je déteste personnellement – et comme il aimait bien boire et bien manger, il n’arrêtait pas de prendre des kilos. Passés les quarante ans, sa bedaine l’empêchait déjà de porter des vêtements élégants. Mais cela lui était égal ! Et puis, comme il fait toujours froid et humide à Londres, il trouvait pratique d’avoir un peu de graisse sur le dos et de porter d’épais manteaux de laine qui lui tenaient chaud en cachant son ventre. Ah ! Ah ! Ah !

Mais je suppose qu’il avait tout de même fait un effort pour le jour de son mariage. Au Moyen Age, on ne portait pas encore de robe blanche ni de costume trois pièces. Chacun mettait ses plus beaux vêtements pour se marier. Les filles portaient souvent du rouge, et les hommes aimaient aussi les vêtements colorés. Ce n’était pas du tout comme de nos jours où tout le monde se vêt uniquement de noir !
Regarde ce couple. Cette image date du XV° siècle, c'est-à-dire que tu peux voir quelle était la mode peu de temps après que Geoffrey soit parti pour un monde meilleur. La jeune femme porte une cotte mauve par-dessus sa chemise de fine batiste dont on devine les broderies sous le collier, et un surcot d’épais lainage rose vif, de grande ampleur, puisqu’elle en pose la traîne sur son bras. Sur la tête, un hennin, coiffe pointue entourée d’un voile de mousseline. Quant au jeune élégant, des chausses moulantes et un peliçon décolleté sur une cotte mauve. Il a un joli chaperon noir agrémenté d’une plume…de héron, peut-être ? Et il porte sûrement des poulaines bien longues.


La jolie dame en rose aussi. Ces poulaines étaient des souliers très pointus du bout, mais également très fragiles. Or, ici, il est évident que ce couple se promène sur un chemin de campagne. Donc, ils ont sûrement enfilé une paire de galoches – des souliers munis d’épaisses semelles en bois léger et maintenus sur les poulaines par des lanières de cuir – afin de les protéger de la boue et des cailloux.

Couple élégant au XV° siècle


Bon, après cette petite digression typiquement féminine, revenons à notre héros. Après leur mariage, Geoffrey continua ses voyages et ses recherches. Il alla en pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle – comme Oncle Benoit le fit plusieurs fois – et en mission diplomatique secrète. Pendant ce temps, Philippa restait à Londres aux côtés de la reine. Mais ils eurent des enfants. D’abord un fils : Thomas, qui était très brillant et particulièrement bien en cour, et dont la fille : Alice, épousa le Duc de Suffolk. Socialement, c’était une très belle réussite. La petite petite fillotte du Chausseur était devenue Duchesse ! Une fille : Elizabeth, entra au couvent. Mais sa sœur, nommée Agnès – comme sa grand-mère – vécut à la cour du roi Henri IV. Enfin, le dernier garçon, qui s’appelait Lewis, était passionné d’astronomie. Alors, Geoffrey écrivit un livre très savant pour lui. Décidément, il avait un esprit encyclopédique !

D’année en année, la famille Chaucer s’agrandissait.
D’année en année, Geoffrey faisait de plus en plus de voyages.
D’année en année, le roi le comblait de cadeaux. Oh ! Bien sûr, pour le remercier de ses missions spéciales et autres services. Le roi lui donnait charges et bénéfices, ce qui veut dire des titres qui lui permettaient de gagner de plus en plus d’argent. Mais un jour, le roi lui fit un cadeau très spécial. Un « vrai » cadeau. Comme il savait que Geoffrey aimait le bon vin, le jour de la Saint Georges 1374, il lui octroya « a gallon of wine daily for the rest of his life » ! Ce qui veut dire « quatre litres et demi de vin par jour jusqu’à la fin de sa vie » !

Ce serait amusant si nos gouvernants actuels faisaient bénéficier de semblables présents ceux qu’ils voudraient remercier de leurs bons services ! En 1374 Geoffrey avait 31 ans. Il lui restait encore 26 ans à vivre, et pendant 26 ans, il reçut donc – et lampa ! - une véritable mer de vin rouge…..

Hélas, comme cela arrive souvent aux gens riches et célèbres, les méchants leur cherchent noise et les voleurs les détroussent. En 1390 Goeffrey est attaqué et volé. Peut-être même battu par les bandits – on ne sait pas exactement, mais c’est très possible. Il en fut très choqué. Tu vois, Amélie, cela m’est arrivé aussi dans ma vie. On m’a volé tous mes bijoux. Je me suis fait braquer – c'est-à-dire menacer avec des armes – trois fois. Et agresser physiquement plusieurs fois. Ce sont des souvenirs horribles et j’ai eu beaucoup de mal à m’en remettre après. On se sent vulnérable, malheureux, pitoyable. On a peur des gens. On se méfie. Mais c’est surtout le sentiment d’être victime d’une grave injustice qui est le plus difficile à supporter. Alors, je comprends ce que Chaucer a pu ressentir. De plus, les gens au caractère calme, pacifique, les adeptes de la diplomatie et des joies intellectuelles, ont plus de mal à se remettre de ce genre d’agression que les costauds qui peuvent se défendre avec leurs gros poings…..

Après avoir été fait prisonnier, Chaucer avait quitté l’armée. Après avoir été agressé, il a quitté la vie publique et les affaires pour se consacrer exclusivement à l’écriture.
Puis il mourut âgé de 57 ans.

Je ne puis m’empêcher de penser qu’entre sa vie et la mienne il y a des points communs. L’amour des études, une tournure d’esprit qui privilégie l’éclectisme au détriment de l’extrême spécialisation, le dégoût de tout conflit et le goût de la diplomatie, et le besoin de voyager, nonobstant l’inconfort. Mais surtout : l’écriture !

Mais ce que je préfère chez lui, c’est son exquise et rare modestie. Voilà un homme comblé par la vie. Il a toujours été très riche, il a bénéficié de l’enseignement des meilleurs maîtres, le Souverain lui-même l’a honoré de sa confiance et de sa faveur jamais démentie, il l’a couvert d’honneurs et de richesses. Il a joui de l’estime et de l’amitié des plus célèbres auteurs de l’époque. Sa famille était à la fois harmonieuse et brillante. On peut vraiment dire qu’il a été chéri des dieux.

Il aurait pu devenir odieux. L’orgueil aurait pu lui monter à la tête, l’argent lui faire perdre le sens commun, et les faveurs le rendre méprisant. Mais pas du tout. Il a toujours gardé les pieds sur la terre. Il est resté à sa place – ni plus, ni moins – Il s’est occupé de ses enfants, et quand on lui demandait quel était son emploi, il répondait sobrement « Story Teller » - « Conteur ».

Voilà, ma petite Amélie. Aujourd’hui je t’ai brièvement conté la vie d’un de mes modèles, une de mes « icônes » personnelles, comme on dit de nos jours.
Peut-être une autre fois te conterais-je une de ses charmantes histoires ? !

Mercredi 10 décembre 2014
De Sandfontein

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