dimanche 24 mai 2015

Romantique Zhu-Hai - Chapitre 12 - Heurs et malheurs d'un professeur





 Heurs et malheurs d’un professeur


Dehors, tout est luisant de pluie. Les montagnettes disparaissent dans la brume et les palmiers dégoulinent. Tout à l’heure, me disant que « Pluie du matin n’arrête pas le pèlerin » je suis partie vêtue de ma seule petite robe rose à Dragons-Volants, autrement dit, à motifs libellules, et j’ai un peu frais… Mais je vais me réchauffer parce que les lundis sont des journées terribles. L’autobus de notre université prend son chargement de professeurs à la Porte Sud, puis longe la Résidence. Nous passons en bas de l’Immeuble 3 et j’aperçois la silhouette du Beau Docteur Sorenson. Il est assis à sa table, un peu voûté, et il lit. Sa fenêtre est grande ouverte, comme d’habitude. Le voir, même de loin, me remplit le cœur de joie. Cela me suffit… au moins pour quelques heures…

Le soir, de retour à l’appartement, douchée et détendue, je l’appelle. Il ne me semble pas avoir passé une très bonne journée. Son Aÿ est venue faire le ménage – chose qui l’agace fort – et elle lui a cuisiné un déjeuner-dîner à cinq heures de l’après midi. Il doit ces interventions à Mrs Williams, la terrible danseuse-anthropologue, amie de Paul. Il y a quelques temps, mon bien aimé Recteur m’avait demandé de participer une fois de plus au recrutement d’un nouveau professeur. Avec plaisir ! Une dame. Anthropologue. Pourquoi pas ? Il me donne son Curriculum avant l’entretien d’embauche téléphonique. La première chose que je remarque est que la dame en question a … 80 ans ! Après la conversation, je demande à Paul « Cette Dame est déjà bien âgée. A-t-elle bonne santé ? » « Excellente » « Mais elle a peut-être une douzaine de petits enfants qui vont se suspendre à ses basques pour l’empêcher de partir en Chine ? » « Peuf… Elle n’a jamais eu d’enfants… » Ah bon. Affaire réglée alors.

Un soir, invitée à un dîner-buffet chez une collègue Néo-Zélandaise, je vois Paul arriver en compagnie… d’un fauteuil roulant ! Dedans, une personne manifestement âgée, les cheveux blancs come neige, corpulente, un visage carré, l’œil inquisiteur. Mais… est-ce un homme ou une femme ? Je l’entends parler sans comprendre ce qu’elle dit, à cause du brouhaha de l’assemblée, mais elle a une voix d’homme. Non, de grande fumeuse ! C’est l’amie de Paul. Il me présente. Instantanément, elle m’est si antipathique que je décide de mettre la plus grande distance possible entre elle et moi. D’ailleurs, cette américaine imbue de sa personne et de ses principes de démocratie, liberté, et supériorité, va vite se rendre odieuse à beaucoup. Je ne supporte pas ses propos acrimonieux au sujet des étudiants chinois ni la façon qu’elle a de se comporter en Diva capricieuse, et d’être en permanence entourée d’une cour d’hommes qu’elle transforme en petits toutous à ses ordres. Paul, David, les autres collègues, tous, ils y passent. Personne ne peut échapper à son autoritarisme. Elle appartient à ce type de femme qui veut régenter tout le monde, et décider de la vie des autres dans les moindres détails sans leur demander leur consentement. Elle est manipulatrice, dominatrice et étouffante. Et en fauteuil roulant ! C’est un comble ! Paul m’a menti… Dès le début, elle s’est emparée de David, littéralement, et lui a envoyé son Aÿ sans qu’il ait rien demandé. Quand elle veut le voir, elle le siffle, littéralement. C’est le cas de dire que ses désirs sont des ordres ! Pour moi, même l’affection que j’éprouve pour Paul n’a pas pu me décider à être seulement aimable avec elle. Bien m’en a pris, d’ailleurs…

Pauvre David. Mrs Williams – que plus tard je surnommerai « Dreadful Dreed » ravie de faire des bons mots en anglais, lui a imposé une Aÿ ingérable puisqu’elle est à ses ordres à elle ! Il dit « Je vais prendre du champ » mais ça m’étonnerait. Moi, j’ai une autre solution. J’ai envoyé un mail à Iris, ma propriétaire, disant en substance « Je vais être obligée de quitter votre délicieux appartement, à mon immense chagrin. Non que je ne m’y plaise plus, mais parce que maintenant j’ai un ami et nous y serions trop à l’étroit. Si seulement vous aviez un appartement plus grand à louer … » Et elle a répondu immédiatement qu’elle pouvait me proposer celui d’une amie. Mais je sais qu’elle possède tout le huitième étage. C’est donc qu’elle serait d’accord pour me louer un des deux grands appartements sur le même palier. Ce serait génial et réglerait bien des problèmes pratiques, tant pour David que pour moi. Le rêve. Pas de changement d’habitudes ni d’environnement. Vue sur le lac. Déménagement qui consisterait à traverser le palier…

Je suis en train de vérifier la véracité de certains adages populaires. Plus précisément « Les gens heureux n’ont pas d’histoire » Comment raconter son bonheur ? On n’en parle pas. On le vit, on l’apprécie, on s’y jette et le courant nous porte. D’ailleurs il y a des choses trop intimes dont il ne convient pas de parler. C’est quand on est malheureux que l’on va hurler comme un loup sous la lune, rimer comme poète au cœur brisé, pleurer jusqu’à tout oublier, jusqu’à oublier pour quoi ou qui l’on pleure, et se retrouver tellement seul que l’on ne veut même plus de sa propre compagnie… Mais quand on est heureux, on n’est plus sur terre, on plane, on est « ailleurs ». On sourit à la brise, aux fleurs qui jonchent le chemin, à la vie. On la sent légère, belle, douce, rose et or, on ne s’inquiète plus de rien. Regarde-t-on autour de soi ? Certes non ! D’ailleurs on ne veut rien voir hors son rêve, son enchantement, son poème.


L’enchanteur 
(Le 20 mai 2008)

Bel Enchanteur
Tu es venu
Tu es venu
Et puis resté

Sous tes baisers
Tout le passé
S’est envolé
Bien oublié

A l’avenir
N’ai point songé
Seul le désir
Du Bien aimé

M’a possédée
De le baiser
Le caresser
Et l’accoler
Bel Enchanteur
Tu es venu
Et dans tes bras
Tu m’as tenue

Alors le temps
Ne compte plus
Alors le monde
Ne tourne plus

Que pourrais-je dire ?
Des mots sans suite
J’étais en pleurs
Toute esseulée

Tu es entré
Et les étoiles
Par milliers
Ont scintillé



Tout récemment, j’ai écrit à une amie que même si ce rêve prenait fin dans la minute, j’aurais assez de doux souvenirs pour éclairer mes jours jusqu’à mes 99 ans. Même dans mes rêves, je n’aurais imaginé vivre un jour ce que je vis. « David » en Hébreu, cela veut dire « Le Bien Aimé »

Autre adage populaire « Les jours se suivent et ne se ressemblent pas » En ce moment, contrariétés, soucis, voire incidents s’accumulent. Et pour commencer, un problème avec mon Certificat de Police. C’est un livret qui ressemble exactement à mon Passeport par la taille, la couleur brun-rouge, et le logo doré imprimé sur la couverture. Il atteste que je suis bien enregistrée à l’Hôtel de Police de mon lieu de résidence, que je travaille ici, et donc, que je suis en situation parfaitement légale aux yeux du gouvernement chinois. Il est perdu ! Les filles des bureaux administratifs prétendent me l’avoir rendu, et je prétends le contraire. Après les recherches minutieuses, longues et réitérées auxquelles je me suis livrée chez moi, j’insiste ! Et la responsable est en vacances ! D’ailleurs, depuis qu’elle a pris du galon, Tanya est devenue hautaine, méprisante, inabordable. La dernière fois que je suis allée la voir pour demander des précisions sur les nouveaux règlements de police concernant les visas pour les étrangers, elle a été parfaitement odieuse.

Autre sujet d’embarras : Sophie Dubois-Pépin, un de mes professeurs de français. Grande nerveuse et grande fumeuse, le teint jaunâtre et des boutons noirs sur le visage… Lors de notre première rencontre et entretien d’embauche, ses questions étaient « Quelles sont les dates des vacances ? Combien d’heures par semaine est-on supposé enseigner ? Quel sera mon salaire ? Y aura-t-il des gratifications ? » Quel esprit syndicaliste ! Marie-Françoise lui avait répondu que chez nous, tout n’était pas encore « institutionnalisé » et qu’il fallait s’adapter au jour le jour. Que les salaires étaient l’affaire de Tanya. Et que chacune avait à cœur de donner des heures sans les compter si besoin était. Sophie n’avait rien répliqué.

Quand j’organise une réunion de planification-coordination, et que je lui demande si elle pourrait se charger de réviser les questions des examens et de préparer des exercices communs à toutes les classes d’un même niveau, elle répond immédiatement qu’elle ne veut être « responsable » de rien. Mais naturellement ! Puisque c’est « moi » la Responsable, de tout !

Je reçois les horaires de cours du prochain semestre des mains de Serena, la plus charmante collaboratrice des bureaux administratifs. Toute contente, je remonte dans mon bureau pour les examiner de plus près. Et là, je vois que les cours de langues sont tous groupés les lundis, mercredis et vendredis. Sophie vient de Canton. Elle souhaite ne rester que le moins possible sur place. En toute sincérité, je m’écrie « Mais cela ne fait pas du tout votre affaire, Sophie ! » Et là, elle explose ! Quelle douche je prends ! Elle déballe ses récriminations depuis son arrivée ici. Ni mon Recteur ni moi ne nous sommes occupés de lui trouver un logement. Mais pourquoi l’aurions-nous fait ? Elle est grande fille, non ? Les horaires des cours, quelle horreur ! Pourtant, elle n’arrive que le lundi après midi pour repartir le jeudi à 15 heures. Ce na me semble pas trop lourd, à moi ! Elle veut travailler ou non ? Elle est tellement en colère qu’elle me dit avoir consulté l’avocat de la société de son mari. Mais celui-ci a trouvé le Contrat inattaquable. Elle rongeait donc son frein et ravalait sa bile noire…

Un jour, la coupe étant pleine, elle est allée voir Gibbon pour lui mettre le marché en main « Vous m’arrangez les horaires de mes cours, ou je démissionne » C’est à moi qu’elle aurait dû s’adresser. Elle met Gibbon dans une situation difficile. Que peut-il faire ? Dire oui à tout et s’enfuir en courant, sa politique habituelle. Ce qui est étrange c’est que je n’ai pas été informée des horaires avant les autres. Il semble vraisemblable que Serena se réservait de me le dire personnellement. L’échange d’informations participe aux excellentes relations que nous entretenons. Elle veut démissionner ? Mais qu’elle aille ! Je ne retiens personne contre son gré, et je pars du principe que les gens malheureux, malcontents et frustrés  s’aigrissent et deviennent méchants, partant, indésirables.

Ah, voilà maintenant Lilly, la prof chinoise chargée des cours de japonais, qui arrive droit sur moi, toute agitée, pour se plaindre - une millième fois - de l’affreuse photocopieuse qu’on nous a refilée, et du fait que l’imprimante n’a plus d’encre. « On réclame, on réclame – me dit-elle, manifestement désespérée – et personne ne nous écoute. Si c’est toi qui demande, ce sera peut-être suivi d’effet… ou faut-il que nous rédigions une pétition ? » Une pétition !  De toute évidence, elle est à bout ! Hélas, elle a raison. Cette machine, dont personne n’a voulu, est une véritable horreur, d’une lenteur inacceptable, incapable de faire du recto-verso, et toujours en panne. Quant à Ben, le garçon supposé veiller aux cartouches d’encre, c’est l’homme invisible… « Bien – lui dis-je – J’y vais tout de suite ! » Ca sert à quelque chose de parler la langue du pays…

Et me voilà partie à l’assaut des bureaux de l’entretien et des fournitures. Par chance, je rencontre Maria Shing, petite dame très gentille et qui me fait toujours penser à un mignon nain de Blanche Neige. Elle est Responsable de l’Equipement. Je lui demande un entretien qu’elle m’accorde sur le champ. Je lui expose mon problème de photocopieuse, et elle m’explique comment faire une demande pour une machine neuve. Elle pousse même la bonté jusqu’à me présenter personnellement le monsieur en charge : Ronald Yu, qui me reçoit courtoisement, et me demande même de lui indiquer le type de machine que je souhaite ! Peut-on être plus aimable ? Je cours prendre les références de la machine de mes rêves et en remontant pour annoncer la bonne nouvelle à Lilly, je me sers, toute seule comme une grande, dans les réserves de l’affreux Ben. Je me souviens qu’un excellent ami m’a dit un jour qu’à force d’être poli et bien élevé, on se fait mépriser… Lilly saute sur la cartouche, et en apprenant que la photocopieuse ira bientôt au rebut pour faire place à une neuve, elle s’écrie « Tu vois ! C’est parce que tu es Docteur et que tu es notre Chef ! Tu es super ! » Je réponds modestement « Tu me flattes » Au moins une qui est contente !

A côté de ces heurs et malheurs quotidiens, la Direction de notre université veille à ce que nous entretenions notre niveau intellectuel. Le Président a fait venir un certain Docteur Eric Dougdale, du Minnesota, pour nous organiser des « Workshops » au sujet de l’enseignement des langues. Naturellement, tous les professeurs de mon Centre de Langues sont concernés au premier chef. Mais quiconque veut participer est le bienvenu. Bien entendu, le Beau Docteur Sorenson  se précipite, lui qui parle huit langues. Mais il me dit être très déçu. En effet, ce qu’il aime, ce sont des cours ex-cathedra, où l’on apprend quelque chose de la bouche d’un Maître, si je puis dire.

Le Docteur Dougdale est un grand jeune homme au teint clair et aux yeux candides. Son élocution est posée et agréable. Je crois qu’il est latiniste, mais assurément trop jeune pour avoir seulement connu des professeurs genre « vieille école ». Il organise des « rencontres » autour d’un sandwich et d’un gobelet de café. Génial ! Pas besoin d’apporter sa gamelle aujourd’hui ! Il est le Gentil Organisateur et entend bien que tout le monde participe. Et quoi que disent les participants, il ouvre de grands yeux émerveillés, son sourire s’allonge d’une oreille à l’autre, et il s’exclame « Remarquable ! Très intéressant ! »Il est désarmant de gentillesse, mais pour moi, ce genre d’attitude est bien proche de la niaiserie… au mieux, on enfile les lieux communs. Mais je suis tout de même très contente d’être là. D’abord, mes troupes sont au complet, écoutant la bonne parole de toutes leurs oreilles. Cela me fait plaisir de constater une fois de plus leurs excellentes dispositions. Puis, nous avons tous eu un petit quelque chose à manger et un gobelet de boisson chaude. C’est insuffisant pour les jeunes gens, mais ils iront goûter dans l’après midi. Moi, je suis rassasiée. Enfin, le Beau Docteur Sorenson a gardé un fauteuil à côté de lui, pour moi ! Il me fait un petit signe discret. Je viens prendre place à sa gauche, tout en continuant à parler avec ma voisine. Lui aussi est absorbé par la lecture de ses papiers. Mais soudain, la main qu’il avait posée sur le dossier de mon fauteuil glisse et me frôle le dos. Je sais bien que c’est intentionnel, et, en effet, j’en ai des frissons ! Toutefois, après un moment, je me lève, vais saluer le jeune Docteur Dougdale. J’ai des cours. A mon très grand regret, je dois quitter l’assemblée. Merci infiniment pour cette si intéressante initiative. Echange de cartes professionnelles et de courbettes, et je disparais !

Oui, j’ai bien un cours. Deux heures de pur bonheur avec mes French II-2. C’est vraiment une excellente classe. Tous sont vifs, intelligents et motivés. De plus, le ratio entre les garçons et les filles est de 50-50, ce qui est rarissime. Cela transforme l’atmosphère du groupe. Alors que les classes de langue, traditionnellement, accueillent une majorité de filles, celle-ci est parfaitement équilibrée. Cela engendre également une saine émulation. Je fais travailler tout le monde, mais chaque fois que je le peux, je cherche à dire à chacun un mot personnel. Cela entretient les bonnes relations. Aujourd’hui, j’ai demandé à Emma pourquoi elle ne réparait pas sa petite pochette de satin brodé, car les fleurs s’effilochent. Elle ne sait pas le faire. Alors je lui ai demandé de me la confier. Je la lui réparerai. Pour moi, c’est un jeu d’enfant !

Quelle journée ! Je remonte au bureau. Je corrige leurs devoirs, et, la conscience tranquille, je prends l’ascenseur pour descendre dans la belle cour paysagée. De là, je vais gagner l’arrêt des bus de la ville pour rentrer chez moi. Cela me fera une petite marche bien agréable après toutes ces péripéties…

Il fait délicieusement beau. Le soleil n’est plus aussi brûlant à cette heure de l’après midi, mais la brise encore chaude me caresse le visage et les bras. Après tout, ce n’était qu’une journée parmi tant d’autres, une journée type pour une Responsable d’Institut en Chine. La surface du lac réfléchit la lumière en éclats brillants. C’est tout de même très joli. Et je ris en évoquant le jour où on a vidé le lac. Tous les paysans sont venus ramasser à pleines mains dans une boue épaisse et puante d’énormes poissons qui commençaient à suffoquer, et certains professeurs chinois ont voulu leur en acheter. Les gars montaient les escaliers de l’université pieds nus, les mollets dégoulinants de vase, pendant que les carpes essayaient de sauter hors de leurs sceaux !
« Mélanie ! Mélanie ! » C’est une voix familière qui m’appelle derrière moi. Je me retourne et je vois le plus joli garçon de notre université s’approcher pour me faire des bises. J’ai nommé Benjamin, le fils aîné de mon Assistante préférée. J’ai un faible pour lui. « Mais comment fais-tu pour avoir un aussi joli teint ? lui dis-je. Je suis un peu jalouse… » Il sourit, mais je sens que le cœur n’y est pas. « Est-ce que je peux te parler ? Tu as le temps ? » « Mais oui ! Allons nous asseoir sur ce banc » Face au lac au dessus duquel est construite la bibliothèque, il y a quelques bancs de fer forgé, l’ombre de jeunes arbres, une belle vue… C’est idyllique. Nous nous installons.

Une véritable confession ! Il a un copain qui s’appelle Ronaldo, lequel a une copine qui répond au doux nom de… Zoé ! Comme les immeubles de dortoirs sont partagés entre les garçons et les filles, la direction de l’université, craignant quelques histoires indésirables, a fait en sorte que les portes de communication soient fermées. Sage mesure… qui ne fait pas l’affaire de nos Dom Juan. Ils étudient pendant quelques nuits comment fracturer les serrures, y parviennent, et peuvent aller chez les filles. Naturellement, l’affaire s’ébruite ! Ronaldo, au lieu de se sentir coupable, appelle la Police ! Prétexte invoqué : après avoir étudié les règlements de sécurité émis par la Police elle-même, il a constaté qu’il n’y avait pas le nombre voulu d’issues de secours, et il a « peur » ! La Police effectue une visite au cours de laquelle elle ouvre toutes les portes et…  les laisse ouvertes. Les gars pensent qu’il n’y a plus de problème.

Mais s’ils peuvent aller voir les filles, les filles peuvent faire le même trajet dans l’autre sens ! Et voilà que la belle Zoé vient voir son Ronaldo-Dom-Juan dans sa chambre. Ils s’y enferment, et ce qu’ils y font… le diable seul le sait !  Après cela, ils ont besoin d’une douche. Mais voilà qu’une femme de service arrive. Trouvant la porte fermée, elle se met à crier… et moi je ne sais pas si j’aurais eu envie de rire ou de gifler cet idiot de Ronaldo. Mais j’écoute sérieusement Benjamin. Il m’a prise pour confidente, je me dois d’être à la hauteur de sa confiance. D’autant plus que je comprends son angoisse. Ronaldo saute sur son téléphone et … appelle la Police une seconde fois ! Ils arrivent immédiatement. Les policiers chinois sont bien diligents. Tout le monde crie, hurle, Benjamin descend pour voir ce qui se passe…. Finalement, Ronaldo menace de tout raconter à une journaliste qui travaille pour un magazine de Hong-Kong.

« Tout » quoi ? Ce me semble être un garçon dangereux et peu recommandable. « Tu dis à Ronaldo de n’en rien faire. Ca peut aller très loin, et pour lui, c’est le renvoi garanti. Quant à toi, attention ! Au large ! Rompt avec ce mauvais camarade et fais-toi tout petit » Naturellement il n’a rien dit à sa mère. Je pose la question, connaissant d’avance la réponse, sinon, il n’aurait pas demandé à me parler…. Pauvres enfants, ils deviennent adultes. Il m’embrasse, et en me quittant  me dit « Ne te fais pas de soucis pour moi »

Cela me rappelle une histoire juive que mon père aimait raconter lorsque nous étions encore en Lorraine. La ville de Metz a toujours  donné asile aux juifs mais contre espèces sonnantes et trébuchantes, naturellement. De siècle en siècle leur communauté a prospéré, s’est agrandie, et rendue indispensable. Plusieurs rois lui ont même accordé des privilèges. Il n’est donc pas étonnant que l’on y raconte d’assez nombreuses « histoires juives »


Cela se passe à Metz, rue Serpenoise. Deux juifs, grands amis, résident chacun d’un côté de la rue, juste en face l’un de l’autre : Lévi et Salomon. C’est la nuit. Lévi est au lit avec sa femme. Il ne peut pas dormir. Il se tourne, se retourne, soupire à fendre l’âme. Sa femme, qu’il empêche ainsi de dormir lui demande « Qu’est-ce qui ne va pas, Lévi ? » « Ah ! Tu te souviens que j’ai emprunté de l’argent à Salomon ? » « Oui » « Et que je dois le lui rendre demain ? » « Oui » «  Eh bien, je n’ai pas l’argent ! Que vais-je lui dire ? » « Ah ? C’et ça qui t’empêche de dormir ? Attends un peu ! » Elle se lève, court à la fenêtre, l’ouvre et se met à crier « Salomon ! Salomon ! » Au bout d’un petit moment, Salomon réveillé, ouvre sa croisée et demande « Qu’y a-t-il Sarah ? Qu’as-tu à crier comme ça au milieu de la nuit ? » « Lévi te dois de l’argent, n’est-ce pas ? » « Oui » « Il doit te le rendre demain ? » « Oui » « Et bien, il ne l’a pas. Alors il ne te le rendra pas ! » Et elle ferme la fenêtre. De retour au lit, elle dit à son mari « Tu peux dormir maintenant. C’est Salomon qui ne dort pas »
Et moi, je suis dans le rôle de ce pauvre type…

Il a plu et maintenant le soleil brille.

Je viens de recevoir un appel téléphonique de Marie-Françoise. Le Docteur Paul Edward H. part. Définitivement. Il a été « remercié ». Alors, il a écrit un texte pour dire ce qu’il avait sur le cœur au sujet de la direction de cette université. Marie-Françoise et moi considérons Paul comme notre bienfaiteur. Arrivée ici assez malade psychologiquement, Paul m’a non seulement offert un poste remarquablement intéressant, mais il a fait beaucoup plus. Il m’a rendu l’estime de moi-même en m’appelant « Docteur Mai », me traitant sur un pied d’égalité avec lui, et me faisant participer au recrutement et parfois à l’orientation de notre université. Quant à Marie-Françoise, il l’a trouvée, jugée à sa juste valeur, et lui a offert de travailler comme professeur dans notre Institut, alors qu’elle n’a que des qualifications techniques et même pas de Bac ! Du coup, elle va passer un diplôme pour être officiellement reconnue comme professeur de Français Langue Etrangère. Paul, en tant que membre fondateur de l’UIC a une vision claire et saine des choses. Il va nous manquer cruellement. Nous sommes comme deux orphelines. « Il fallait que je partage cette nouvelle avec toi » m’a-t-elle dit. Chère Marie-Françoise… 

Hier après midi, la terrible Mrs Williams a envoyé David lui chercher du pain ! Puis elle l’a invité à boire l’apéritif avec de nombreuses autres personnes. Il est arrivé chez moi en piteuse forme. Je n’avais rien prévu pour le dîner, mais j’ai toujours des raviolis congelés au frigidaire. Nous avons écouté un peu de musique et sommes allés dormir. Maintenant, il reste quand il veut, et je peux dormir avec lui. J’en suis tellement étonnée et heureuse que je ne suis pas loin de penser que c’est un signe du ciel ! Et le réveil, le réveil avec lui, toutes ses boucles sur la figure, c’est tellement merveilleux. Il est attentionné, délicat, et si beau. Nous nous connaissons de mieux en mieux et sommes plus à l’aise, mais toujours un peu timides. J’aime cette réserve, j’aime la lente et précautionneuse progression de nos relations, j’aime cette courtoisie exquise et cette prudence. Il me fait réviser mes opinions sur les hommes en général et les américains en particulier. Mais je reste persuadée qu’il est tout à fait exceptionnel.


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